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Le facteur humain dans le commandement

Revue militaire générale n°54
Histoire & stratégie
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L’uchronie est une reconstruction fictive de l’histoire, relatant les faits tels qu’ils auraient pu se produire. C’est le ton donné à cet encart qui ose une conversation imaginaire entre Lyautey et un jeune officier de notre siècle. Les principes du maréchal sur le facteur humain sont à ce point pertinents qu’ils s’inscrivent pleinement dans ce qu’on attend aujourd’hui du cadre des forces terrestres.


Lyautey : « les campagnes d’Alexandre et de Napoléon ont bercé ton enfance. Il faudra t’y faire, la guerre revêt un nouveau visage. Je le répète à l’envi “aux officiers de demain…s’ils ont placé leur idéal dans une carrière de guerres et d’aventures, ce n’est pas chez nous qu’il faut poursuivre…25”. Jadis, la bataille pouvait directement conduire au succès. Aujourd’hui, sa place s’est réduite à une première étape. “L’expédition militaire s’impose, sous sa forme classique et traditionnelle au début d’une conquête, quand il faut atteindre avant tout un objectif précis, ruiner d’un coup la puissance matérielle et morale de l’adversaire…26”. Il te faudra alors toutes les ressources de la tactique et tous les moyens matériels à ta disposition. “Allez-y carrément”, ai-je écrit au colonel Mangin, commandant une expédition contre l’armée de el Hiba à Sidi-bou-Othmann, aux portes de Marrakech27, le 2 septembre 1912 ».

 

Le jeune officier : « mais alors la bataille… ? »

Lyautey, l’interrompant : « la bataille doit être brève dans le temps. “Un pays n’est pas conquis et pacifié quand une opération militaire y a décimé les habitants et courbé toutes les têtes28”. Chaque fois que cela te sera possible tu devras montrer ta force pour ne pas avoir à l’utiliser. C’est ainsi qu’ “avertis de la puissance de nos armes, les groupements qui se formaient dans la région de Talda renoncèrent à l’action et ne tardèrent pas à se disperser29”. Tu vois, il y a bien longtemps que la capacité de destruction n’est plus l’argument majeur. En réalité, la force des armes ne fait que contribuer à la réalisation de l’objectif stratégique qui est de gagner la paix. Tu fronces les sourcils  ; je vais t’expliquer. Tu auras, dans la plupart des cas, à combattre un ennemi que l’on qualifie d’asymétrique, c’est-à-dire un adversaire qui n’a donc d’autres choix que de contourner la puissance classique. Il surgira de nulle part, te décochera quelques traits, avant de s’évanouir aussi vite qu’il était apparu. Tu t’épuiseras  à le découvrir et tu n’obtiendras pas la bataille décisive. Tu te sentiras frustré, imparfaitement satisfait. Tu raisonneras en militaire : tu identifieras son champ d’intervention, tu te préserveras une liberté d’action et un espace de manœuvre. Mais, ça ne mettra pas un terme à ses incursions  fugaces. Tu te rendras compte alors que l’action militaire, indispensable, n’est pas suffisante ».

 

Le jeune officier ne semble pas convaincu.

Lyautey, poursuivant sa démonstration : « le pirate… est une plante qui ne pousse qu’en certains terrains, la méthode la plus sûre pour l’éradiquer, c’est de lui rendre le terrain réfractaire30 ».

Le jeune officier : « comment s’y prendre monsieur le maréchal  ? »

Lyautey, prenant l’exemple d’un champ envahi d’herbes folles : « crois-tu que s’en débarrasser consiste en un arrachage pur et simple  ? »

Le jeune officier : « l ’herbe repoussera monsieur le maréchal ».

Lyautey : « c’est exact mon jeune ami. Mais, “… après y avoir passé la charrue, isoler le sol conquis, l’enclore, puis y semer le bon grain qui le rendra réfractaire à l’ivraie31”, tu seras définitivement  débarrassé des mauvaises herbes. “La clôture” c’est la force armée, semer le “grain” consiste en une reconstruction sociale ; la mise en valeur de la zone par l’établissement des marchés, la prolifération des cultures et le percement des routes. C’est cet esprit qui doit te guider dans tes opérations. Alors, tu en conviendras, certains mots ne gardent plus exclusivement leur signification militaire : “la route n’est plus seulement la ligne d’opérations ou d’invasion, mais la voie de pénétration commerciale de demain32”. Tu l’auras compris, ton rôle de militaire deviendra progressivement secondaire ; d’acteur principal  tu n’agiras plus qu’en soutien : “c’est de l’action combinée de la politique et de la force que doit résulter la pacification du pays et l’organisation à lui donner plus tard33 ”».

 

Le jeune officier : « cela semble clair monsieur le maréchal, mais comment réussir ma mission ? »

Lyautey : « il te faudra comprendre.  Qu’est-ce qu’on attend de toi ? Cette question doit hanter ton esprit. C’est la finalité qui doit subordonner les moyens aux buts. Ton action doit s’inscrire “dans une manœuvre d’ensemble”. Le désastre de l’expédition de Khénifra, du 12 novembre 191434 cristallise ce que tu dois t’interdire. Dans un rapport que j’ai adressé au ministre de la Guerre, j’ai décrit cette entreprise comme une “aventure malheureuse” et son chef comme “hanté par l’idée fixe du coup d’audace, ayant pris brusquement cette initiative”, seul et contrairement aux ordres reçus de son général. Et quelles conséquences  ! des pertes humaines et matérielles sans précédents, mais surtout une image déplorable de l’armée française et la ruine d’une œuvre de pacification de plusieurs années d’efforts causée “par l’indiscipline d’un subordonné”. Je l’ai déjà dit : “il faut beaucoup redouter des gens qui viennent aux colonies pour y rééditer Austerlitz35” ».

 

Le jeune officier : « oui monsieur le maréchal, mais s’il avait réussi, on aurait parlé de coup de maître ».

Lyautey, un peu agacé : « comprendre l’environnement humain sera ta seconde priorité. Faire la guerre au milieu des peuples n’est pas nouveau ; le passé militaire colonial de la France a rompu ses armées à cet exercice. Mais tu dois te pénétrer qu’aujourd’hui, plus encore qu’hier, tu seras amené à le faire.  Or, les populations sont devenues, à la fois acteurs et enjeux essentiels  ; elles représentent le centre de gravité de la plupart des opérations. Adversaires ou alliées, parfois successivement l’un et l’autre, les peuples touchés par un conflit demeurent pour toi un objectif qu’il s’agit d’influencer et dont les réactions contribueront au résultat final. Ton enjeu est humain ».

Le jeune officier : « monsieur le maréchal, comment s’y préparer  ? »

Lyautey : « alors que j’étais à bord du bâtiment qui me conduisait au Caire, “à travers toutes les heures libres, j’ai travaillé l’Égypte, l’art arabe, l’archéologie pharaonique36”. Toi aussi, il faudra te préparer à l’avance par une étude livresque indispensable, mais non suffisante, afin d’offrir un terrain déjà défriché à l’enseignement direct. Sur place, tu devras parfaire tes connaissances des usages et des coutumes locales. Il te faudra rechercher un contact direct avec les populations plutôt qu’un isolement dans des bases surprotégées.  Bref,  il te faudra comprendre encore. Pour “saisir” cet environnement qui s’impose à toi, tu devras mettre l’accent sur le Renseignement qui est, plus que jamais, une condition importante de ton succès. Bien sûr, tu disposeras de matériels sophistiqués, mais ce n’est pas un drone qui t’indiquera que la veille, des terroristes sont passés dans le village ».

Le jeune officier : « si je comprends bien, monsieur le maréchal, mes hommes devront faire preuve d’une réversibilité  continue ? Comment  y parvenir  ? »

Lyautey : « pour arriver à ces résultats, sois plus un manieur d’hommes qu’un meneur d’hommes37. Tu dois être obéi, te faire aimer et éduquer. Cette obéissance doit arriver  à paraître naturelle, nécessaire et indispensable. Tu devras donc t’imposer. Ce n’est pas ton galon, qui résulte d’une heureuse mixture de connaissances, de sueur et d’un peu de chance, qui te donne le droit de commander  ; c’est ta supériorité morale. À l’heure du danger, ce n’est pas un discours, c’est l’homme qui persuade par “… sa décision, son activité communicative, la promptitude du coup d’œil, le sang-froid dans le péril…38”. Aux mots choisis, préfère les gestes ».

Le jeune officier : « quels gestes monsieur le maréchal  ? »

Lyautey : « partage les fatigues, les peines et les dangers de tes hommes. Ta conduite doit être ferme, ton caractère droit. Sois exigeant. D’abord avec toi-même, tu verras, tes subordonnés finiront par te prendre pour modèle. Tu pourras  alors être exigeant envers ta troupe. Voilà, maintenant, on te regarde, apprends à regarder les autres. Pour être loyalement obéi, il ne suffit pas que tu te sois imposé ; il faut encore qu’on t’aime. C’est l’affection qui entraîne celui qui risque sa vie pour sauver son chef sous le feu. Si tu veux être aimé, commence par aimer. Pour aimer ses hommes, il faut d’abord les connaître  : leurs origines, leurs familles. Sois humain39. Avec tes hommes, tu dois collaborer à l’édification  d’une œuvre commune. À ce titre, tu dois créer une dépendance mutuelle qui doit être la pierre de touche de la fraternité. N’hésite pas à faire confiance. Cette dernière ne se décrète pas, elle se donne et elle se conquiert. Ne crains pas la décentralisation de l’initiative, la répartition des responsabilités dans l’action. Aujourd’hui, avec l’ouverture d’esprit, elles sont des préalables à l’action militaire. Mais, méfie-toi de la démagogie. Tu es sur un piédestal, descends- en souvent. Mais, si un de tes collaborateurs veut y monter, marche lui sur les doigts. Enfin, tu trouveras dans tes subordonnés un terrain en friche. Mets-le en culture. Ton instruction militaire fera appel à leur mémoire et à leur intelligence, n’oublie pas de t’adresser à leur cœur. Astreins-toi à développer leurs sentiments de probité, de droiture, de patriotisme et d’humanité. Ce drapeau   que tu chéris, enseigne-le à tes subordonnés et évoque les traditions forgées par les anciens, qui font la gloire de ton régiment. C’est ainsi que tu forgeras la force morale de ton unité, ingrédient indispensable qui te permettra de faire face à l’adversité ».

 

Saint-cyrien de la promotion Grande  Armée (1981-1983), docteur en histoire, le lieutenant- colonel Housset sert dix ans dans l’arme du Train, avant d’occuper les fonctions de chef de bureau, successivement, au cabinet du ministre (SDBC), à la Direction de la mémoire du patrimoine et des archives (DMPA) et au Service historique de la Défense (SHD). En 2006, il est affecté en qualité d’adjoint au général délégué au patrimoine de l’armée de Terre (DELPAT), puis retourne au SHD pour prendre la tête de la division de la symbolique de la Défense. Depuis 2015, il sert au centre de doctrine et d’enseignement du commandement (CDEC), comme chef de la fonction recherche et histoire, au sein du pôle études et prospective  (PEP), adjoint au commandant du pôle.

 

25 Lyautey : Du rôle social de l’officier, Revue des deux Mondes, tome 104, Paris, 1891, page 457.

26 Lyautey (colonel) : Du rôle colonial de l’armée, Paris, Armand Colin & cie, 1900, page 5.

27 Toutefois, il semble utile de préciser que l’action militaire, selon Lyautey, doit respecter une certaine éthique. Il ne cautionne pas les méthodes « barbares » qui ont pu être pratiquées au cours de la conquête de l’Algérie, notamment en 1844 (enfumades des Sbéhas) par le général Cavaignac et en 1845 (enfumades du Dahra) par le lieutenant- colonel Pélissier, sur les conseils du général Bugeaud. Les méthodes employées suscitent l’effroi en France.

28  Lyautey (colonel) : Du rôle colonial de l’armée, Paris, Armand Colin & cie, 1900, page 18.

29   Ernest Vaffier : la bataille marocaine, l’œuvre du général Lyautey, Paris, Nancy, Berger- Levrault, 1916, page 41.

30  Lyautey (colonel) : Du rôle colonial de l’armée, Paris, Armand Colin & cie, 1900, page 11.

31   Lyautey (colonel) : Du rôle colonial de l’armée, Paris, Armand Colin & cie, 1900, op.cit. page 12 et op.cit. page 15.

32   Lyautey (colonel) : Du rôle colonial de l’armée, Paris, Armand Colin & cie, 1900, op.cit. page 12 et op.cit. page 15.

33 Lyautey (colonel) : Du rôle colonial de l’armée, Paris, Armand Colin & cie, 1900, op.cit. page 16.

34 « … L’échec matériel en lui-même est sans précédent. Je ne crois pas qu’il y ait dans notre histoire coloniale d’exemple de la destruction d’une force si importante, de la disparition de tous ses officiers … de la perte d’un tel matériel et de tels trophées ». Le général de division Lyautey, commissaire résident général de France au Maroc, au ministre de la guerre, le 16 décembre 1914.

35 Lyautey (colonel) : Du rôle colonial de l’armée, Paris, Armand Colin & cie, 1900, page 33.

36   Lyautey : lettres du Tonkin et de Madagascar (1894-1899), Paris, Armand Colin & cie, 1921, page 11.

37  Le sujet est aussi une préoccupation majeure de l’entreprise. Qu’il s’agisse de Robert Blake et Jane Srygley Mouton (les deux dimensions du management, Éditions d’organisation, Paris, 1972), Douglas Mac Gregor (la dimension humaine de l’entreprise, Édition Gauthier-Villars, 1969),Rensik Likert (psychologie dynamique, les relations humaines, Éditions PUF, 2000), Kurt Lewin (les frontières dans les dynamiques de groupe, Édition PUF, 1947), toutes les études faites sur le style de management montrent que la productivité d’une organisation est d’autant plus optimale que le facteur humain est pris en compte.

38  Lyautey (colonel) : Du rôle colonial de l’armée, Paris, Armand Colin & cie, 1900, page 3.

39   Alors qu’il est capitaine à Saint-Germain, il s’emploie à s’occuper de ses hommes en dehors des heures de service. Il fonde notamment pour eux, un cercle et un foyer.



 

 

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Titre : Le facteur humain dans le commandement
Auteur(s) : le lieutenant-colonel Georges Housset
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