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Avant de dépyramider, renversons la pyramide ! Apologie de la subsidiarité

cahier de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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Ce remarquable éloge de la subsidiarité a valu à son auteur d’être récompensé en 2014 par le prix «Maréchal Leclerc de Hauteclocque»


«Le plus dur, pour moi, c’est de ne rien faire; je suis terriblement tenté d’intervenir, mais c’est aux hommes qui sont sur le terrain de se battre et ils le font bien»[1]. Patton ne confie pas ici à son journal son aversion pour la vie de bureau, mais il rappelle à son lecteur que l’action du chef n’est efficace et légitime qu’à condition de favoriser l’autonomie du subordonné.

 

La véritable nature de l’autorité est d’être subsidiaire. S’approprier cette réalité est sans doute une tâche ardue. C’est aussi une chance pour des armées en mutation constante, car la subsidiarité offre au décideur la clef d’une autorité vertueuse. Libérant des énergies laissées au repos, les armées pourront renouveler leurs façons de penser et d’agir sans les travestir.

 

L’évidence ayant sans doute disparu en matière d’autorité, il nous faut faire l’effort de remonter au conceptuel afin de tirer des enseignements concrets.

 

Qu’est-ce que l’autorité?

 

Depuis deux générations au moins, l’image erronée d’une autorité liberticide nous empêche de voir que l’autorité est au cœur de la notion de dignité humaine.

 

Les sociétés libérales et démocratiques avancées développent souvent l’image d’une autorité inconvenante. Partout l’on a de cesse que de souligner ce que l’autorité retire à la liberté et à l’égalité. Dans le monde des loisirs et des plaisirs, l’autorité politique, policière ou paternelle est avant tout une puissance qui encadre, contraint les libertés individuelles. L’exercice de l’autorité s’accompagne en outre d’une hiérarchie qui entrerait en opposition avec l’égale dignité des personnes. Parce qu’elle distingue des hommes qui naissent pourtant libres et égaux, l’autorité serait mère d’inégalités dont elle se nourrirait par ailleurs. Au bout du compte, nous sommes invités à admettre que l’autorité, supposée liberticide et inégalitaire, avilirait la nature humaine. Il devient alors interdit d’interdire et urgent de s’engager dans la désobéissance civile. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant qu’apparaissent dans nos sociétés des masses d’indignés parce que «se révolter, c’est décider de rester vivant». Finalement, «nous ne sommes plus en mesure de comprendre ce que l’autorité est réellement»[2], écrivait Hannah Arendt en 1968, marquant la confusion des esprits sous les assauts des idéologies et des modes.

 

Pourtant, les notions d’autorité et de dignité sont loin d’être opposées. Conceptuellement, la dignité se comprend d’abord comme une haute fonction, une charge donnant à celui qui la porte un rang éminent. On dit d’un individu qu’il a été «élevé à la dignité de»; par cette qualité reconnue, on dit aussi de lui qu’il «fait autorité» sur tel domaine. La deuxième signification de la dignité est la gravité ou la retenue dans les manières. L’attitude expressive fait partie des besoins de toute autorité. Le cérémonial militaire en est une belle preuve. Si le chef militaire reçoit son autorité de la loi, la cérémonie au cours de laquelle il se voit investi de sa fonction, par sa grandeur et ses symboles, montre le respect qui est lié à l’autorité. Inversement, on peine à imaginer un respect durable envers une autorité délurée et bouffonne. «Sans le cérémonial, tout meurt», y compris l’autorité elle-même. Enfin, la dignité marque le respect dû à une personne. Si le respect s’attache d’abord à la fonction de chef, ce dernier doit s’attacher à mériter ce respect en acquérant les qualités qui feront de lui non pas une représentation, mais une incarnation de l’autorité. Pour reprendre finalement la définition de Freund, l’autorité est «l’aptitude à se montrer à la hauteur des tâches que comporte la fonction que l’on occupe»[3]. Par ces qualités, on dit donc d’un chef qu’il est digne de l’autorité qui lui a été confiée.

 

L’autorité est surtout l’un des fondements de la dignité humaine. Les qualités qui font qu’un chef est respecté (compétence, volonté, loyauté…) sont en effet les mêmes qui rendent également digne de respect tout homme vertueux. «La dignité est au fond la valeur de la personne humaine considérée en tant qu’autorité»[4], personne dotée d’un libre arbitre et d’une capacité de créer inaliénables. Cette capacité intime fonde la valeur de la personne humaine. C’est parce qu’il est un monde en lui-même que chaque homme demeure un mystère. On ne peut le saisir et le sonder dans son intégralité. Au bout du compte, il garde sa part: «Je suis le capitaine de mon âme, je suis le maître de mon destin» dit le poème. La souveraineté de l’homme est bien le cœur de sa valeur.

 

Pilier de la dignité, l’autorité s’efface donc devant une nature humaine qui la dépasse et dont elle ne fait que rehausser la qualité.

 

«Le chef, c’est celui qui a besoin des autres». L’autorité est seconde, parce qu’elle n’a pas de sens en elle-même et parce que sa nature est d’abord d’être tournée vers un autre.

 

Le chef, comme son nom l’indique, est en tête. Il a le pouvoir de décider et d’orienter l’action. À ce titre, il est souvent, par simplification, le symbole du groupe qu’il dirige. Sa fonction et l’influence de ses actes le placent donc communément «au-dessus». Edmond Rostand a raison d’écrire: «Dans le livre aux sublimes chapitres, Majuscules, c’est vous qui composez les titres, et c’est sur vous toujours que s’arrêtent les yeux»[5]. En effet, la première figure que l’on retient du groupe qui conduit l’action est la figure du chef.

 

Est-ce à dire pour autant que l’autorité est première? Certainement pas, car l’autorité n’existe pas par elle-même. Que certaines prérogatives accompagnent l’autorité est une chose. Mais l’origine du pouvoir n’est pas dans le pouvoir lui-même. Sans ses parents, l’enfant meurt. Le pouvoir d’un père est profondément concret et supplétif. Son autorité ne dure que tant que dure la tâche de protection qui est la sienne. Chez Hobbes, l’autorité puissance naît d’un contrat social qui reste un choix délibéré. Sans un autre, libre, qui est son point d’application, l’autorité est une simple violence ou bien n’existe pas. Nous savons que le chef n’est rien sans la troupe. Rares sont les chefs efficaces qui pensent seuls l’action; ceux qui la conduisent seuls n’existent pas. A-t-on vu un roi sans sujet ni royaume ailleurs qu’en Patagonie?

 

Surtout, l’autorité n’existe pas pour elle-même et trouve dans le déploiement de l’autre la finalité de son action. Lorsque le chef ne s’oriente qu’à renforcer son propre pouvoir, son autorité devient illégitime car elle n’a pas de sens en elle-même. Elle est littéralement insensée car elle n’a pas de finalité propre. Elle ne fait que concourir à un but qui la précède et la dépasse. En ce sens, le chef assure toujours une tâche de service: il n’élabore pas de finalité, mais assume, comprend, promeut, unifie. Il permet le développement de la perfection, qui n’est pas l’invention du bien qu’un chef ne saurait inventer, mais le déploiement de l’être. La finalité de l’autorité s’inscrit dans son étymologie. En latin «augere» signifie «faire grandir, faire croître». L’objet de l’autorité, c’est l’autonomie déployée de l’autre.

 

Finalement, l’autorité n’existe ni par elle-même, ni pour elle-même. Sa raison d’être, c’est l’autre. Quelles conséquences en tirer sur le commandement et le fonctionnement des organisations hiérarchisées?

 

Puissance des organisations subsidiaires

 

Le caractère subsidiaire de l’autorité fixe au chef le principe d’un commandement légitime et efficace: l’action dans la modestie.

 

La réalité de l’autorité ne s’éprouve que dans l’action. C’est dans l’action que l’autorité quitte l’habit conceptuel pour se matérialiser, prendre corps. L’autorité n’est pas une idée pure; elle existe quand elle s’éprouve. À moins de se perdre, le chef ne peut pas déserter le terrain de l’action. C’est vrai dans une entreprise comme sur le champ de bataille. Subsidiaire ne veut donc pas dire effacé. Si l’échelon supérieur intervient, c’est pour suppléer l’inadaptation de l’échelon inférieur. Dans l’esprit, cette suppléance correspond à un état d’exception au sens de temporaire. Suppléer ne signifie pas supplanter car l’individu a vocation à recouvrer son autonomie. Il en est capable. Les pleins pouvoirs sont confiés à l’autorité politique pour répondre à une situation d’urgence qui n’a pas vocation à durer. «Si les pouvoirs d’exceptions étaient permanents, ils n’auraient pas été inventés»[6]. Au fond, le but de l’autorité dans l’action est de faire cesser au plus vite la nécessité de sa mise en œuvre. Les armées, orientées vers l’action en situation exceptionnelle, déploient naturellement une sémantique de l’autorité plus marquée. La figure d’une autorité s’adapte à son milieu. Sa nature ne s’en trouve pas modifiée.

 

Pour les armées comme ailleurs, la légitimité de l’autorité dépend de sa capacité à laisser le subordonné déployer son autonomie dans le cadre fixé par sa mission. Nul ne conteste qu’un chef ait à composer avec les limites de subordonnés tous compétents différemment selon leur fond propre. Le chef doit donc désigner ses subordonnés proportionnellement à leurs compétences. Quoiqu’il en soit, n’attendons pas du chef qu’il règle par ses ordres chaque instant de la vie militaire: «Un ordre doit contenir tout ce qu’un subalterne ne peut décider, mais rien que cela»[7]. Sans exclure le compte rendu, c’est l’autonomie et l’initiative qu’il faut promouvoir en culture. S’il exerce un commandement qui compresse, le chef militaire trop volontariste ne sert pas l’institution. Dénier dans le temps de paix au subalterne le droit à l’autonomie la plus grande possible, c’est prendre le risque de commander des masses inertes aux jours difficiles. C’est surtout agir à la place du subordonné. Ce faisant, le chef devient un usurpateur et délégitime son autorité. Non seulement il prend son subordonné pour un incapable, mais il le prive aussi d’une action qu’il lui revient de penser et de mener. Par conséquent, il comprime la volonté de son subordonné et l'empêche d’y ajouter par l’expérience les deux ingrédients qui forgent les visionnaires: la connaissance et l’intuition. Veiller à sa propre mesure, ne pas accaparer ni déserter l’action; la qualité d’un leader est peut-être dans cet entre-deux, mais il est vaste.

 

Au combat, l’efficacité d’une force dépend de sa capacité d’adaptation, qui repose plus sur les initiatives des subordonnés que sur les incantations déclaratoires du chef, aussi prophétique soit-il. Nous autres soldats savons bien que les chefs ne peuvent pas tout gérer en temps de crise. Ils le peuvent d’autant moins en temps de guerre lorsque la réalité de la violence s’ajoute à l’aléatoire des événements. On comprend que le Général Desportes écrive que «le succès à la guerre relève davantage du commandement indirect – par l’esprit, le sens de la mission et la liberté d’action - que du commandement direct»[8]. Du reste, les plus heureuses innovations émanent davantage de l’ingéniosité des combattants que des décisions d’état-major[9]. Lorsque la réalité du terrain reprend ses droits, les ordres multiples s’avèrent parfois superflus. Comme l’explique le Colonel Goya[10], le Général Wood parcourut en 1944 près de 3.000 km à la tête d’une division de plus de 11.000 hommes en commandant ses subordonnés à la voix. Lorsqu’il eut à intervenir, les ordres qu’il produisit n’excédèrent jamais une page, carte comprise. Il traversa pourtant l’Europe, causant à l’ennemi des pertes dix fois supérieures à ses propres effectifs! Cette efficacité tient sans doute à la qualité de l’entraînement. Elle tient aussi, très certainement, au type de management et à la façon d’inciter chacun à l’initiative au bénéfice de tous. Certaines circonstances ou certaines spécialités encouragent naturellement la décentralisation: les campagnes coloniales des corps expéditionnaires, les débuts de l’aviation... Aujourd’hui, il est singulier de constater, toute chose restant relative par ailleurs, que les unités remarquées pour leurs solutions originales sont aussi celles dont la culture de commandement est la plus subsidiaire. Tsahal, ou encore d’une certaine façon la légion étrangère, sont subsidiaires par culture. Les forces spéciales sont subsidiaires par nature.

 

Finalement, on ne demande pas au chef de régler le petit et d’orienter le normal, mais de voir grand et de permettre le retour à la normale. Son rôle premier n’est pas de trouver la solution, mais de créer les conditions d’émergence d’une solution. Cette perspective nous incite à penser notre culture du commandement sous un jour, non pas nouveau, mais renouvelé.

 

Le principe de subsidiarité porte en lui-même les germes d’une meilleure organisation des armées et de leurs actions, probablement plus économe et efficiente.

 

La subsidiarité ne remet en cause ni la hiérarchie ni sa responsabilité. Au contraire, le poids d’une autorité est d’autant plus fort que ses interventions sont rares, voire sollicitées. Elles deviennent alors une évidence pour le subordonné et apportent un nouveau souffle à l’action. Lorsque tout va mal, les regards se tournent vers le chef, nous dit-on. Il devient alors un secours, une réserve (subsidium en latin!), et apporte une vraie plus-value. C’est ainsi dans l’adversité que se réalise le pacte de confiance entre chef et subordonné. Le commandant n’est pas directement visible dans l’action, mais on sait qu’il ne se dédouanera pas parce qu’un chef peut tout déléguer excepté sa responsabilité, qui précisément ne se délègue pas. On peut lire dans les manuels que le commandement est fondé sur la confiance alors que, simultanément, se renforcent le poids des indicateurs, des directives de gestion et des emplois du temps à destination de l’autorité supérieure. Si co-mandare signifie bien confier, transmettre, il faudra bien un jour accepter une certaine dépossession. En ce sens, la transparence que l’on exige chaque jour est le contraire de la confiance. Elle décapite, par des indicateurs automatiques froids et informatisés, le dialogue du commandement. Elle rend l’autorité insensée et illégitime en lui ôtant de facto le privilège de la capacité à répondre, littéralement de sa responsabilité.

 

La subsidiarité réalise en revanche l’union de la discipline et de la liberté. Le Maréchal Foch soulignait l’importance de la discipline active, «conséquence de l’appel constamment adressé à l’initiative»[11]. L’exercice d’un commandement subsidiaire n’invite pas à être «petit bras». Lors des actions les plus éclatantes, les grands chefs constatent qu’ils sont dépassés par leurs troupes. Ils ne portent pas le soldat à bout de bras mais règlent, régulent une troupe qui adhère déjà et par principe. Il est instructif d’observer la grande liberté dont jouissaient les grands chefs militaires du XXème siècle. C’est peut être cette liberté qui, sans remettre en cause la nécessité de l’obéissance aux ordres, confère aux figures de l’histoire l’autorité qu’on leur prête aujourd’hui. Guderian, Rommel, Mc Arthur ou Leclerc se sont aussi construits par leur capacité à souvent dépasser et, disons-le, parfois outrepasser les ordres reçus. Ainsi le libérateur de Paris pouvait-il dire à ce sujet: «Ce que j’ai fait de mieux dans ma carrière, je l’ai fait en désobéissant»[12]. Les règlements militaires étaient pourtant exigeants et les cours martiales siégeaient encore. S’approprier systématiquement leurs ordres fut leur honneur et leur grandeur. Mais ils disposaient pour cela d’un espace de liberté à la mesure des enjeux. Ils ajoutaient ainsi aux ordres reçus leur propre volonté, leur capacité créatrice, exploitées jusqu’à l’épuisement de leurs compétences. Si nul ne conteste que la force des armées repose sur la discipline, l’histoire et la raison nous invitent aussi à admettre que la discipline n’est pas exclusive de la grandeur. On peut attribuer une part de l’autonomie et de l’autorité de Leclerc ou de Lyautey aux circonstances, au prestige de l’armée à leur époque. Force est de constater aussi que la culture du commandement était différente, et sans doute plus subsidiaire.

 

La richesse d’une organisation se trouve dans ses hommes. Comment donc optimiser la richesse du capital humain, libérer ses potentialités? Inspiré du modèle managérial XY de Mc Gregor, le schéma en fin d’article illustre le cercle vertueux qu’initie le principe de subsidiarité. À la source du choix se trouve la croyance profonde qui règne au sommet de la hiérarchie. L’homme est-il capable en lui-même? En tant que chefs, soyons conscients que notre réponse à cette question conditionne les attentes que nous exprimons envers nos subordonnés, et donc la façon dont nos subordonnés s’adaptent à notre «style de commandement». La bonne nouvelle, c’est que notre réponse à cette question est libre. Elle ne dépend ni des contraintes du temps, ni de la pression financière, ni des médias. Voilà pourquoi le leader est au cœur de l’efficacité d’une organisation. Loin de reléguer le chef au second plan, la subsidiarité le place à l’origine d’un cercle vertueux, puissant moteur de valorisation des ressources humaines. Au fil de sa carrière, chacun de nous a pu constater la distorsion, parfois cocasse, entre les responsabilités d’un officier de 25 ans à la tête de son unité ou de son bâtiment et celles qu’il porte une fois promu commandant ou lieutenant-colonel en état-major. La répartition des tâches par en haut conduit par effet d’éviction à minimiser l’action des subordonnés en permanence. Avec le temps, c’est à un vrai gâchis de compétences que sont conduits nos cadres, quelle que soit par ailleurs l’efficacité des avancements successifs. Si l’on renverse la pyramide, chacun se trouve valorisé sans menacer les qualités supérieures reconnues au chef.

 

Une telle organisation ouvre des perspectives insoupçonnées et offre à ses membres de se révéler. C’est à cette condition que s’unissent vers un but commun la richesse de l’expérience de ce qui est vieux, le dynamisme de ce qui est jeune, l’importance de la vision globale qui est le privilège du grade et celle de la vision de terrain qui est le privilège du soldat. Et cela indépendamment de tout jugement de valeur.

 

 

 

En redécouvrant l’autorité, nous retrouvons finalement l’origine et la finalité de celle-ci, et sa nature subsidiaire. Le principe de subsidiarité renouvelle sans révolution l’exercice du commandement.

Cette découverte porte néanmoins pour corollaire incontournable une double exigence : envers soi-même et envers son subordonné. Envers soi-même, l’exigence permet la remise en cause porteuse de progrès. Envers son subordonné, elle est pour le chef «une manière de manifester l’estime qu’il lui porte en lui reconnaissant la capacité à se dépasser»[13]. Il nous faut alors accepter les erreurs de nos subordonnés et la force d’assumer l’échec éventuel de décisions contingentées parce qu'humaines, avec les limites que cela suppose. Ainsi, plus qu’à la compétence technique, c’est à la vertu et au courage qu’il faut éduquer les futurs chefs. On pourrait dire, en d’autres termes, que le courage et la droiture sont la compétence des chefs. Cette vérité d’hier est renforcée par la sensibilité outrancière des médias à une époque où l’on ne valorise pas le risque. Voilà qui éclaire d’un jour nouveau le processus qui doit présider à la formation et à la sélection des élites militaires.

 

Si nous acceptons de relire l’organisation des armées à l’aune de ce principe, nous y trouverons la clef d’une autorité plus juste, d’une défense plus dynamique et efficace. En revanche, si les restructurations et les mutualisations conduisaient à centraliser davantage les leviers de l’action et de la décision, nous passerions à côté de cette chance. Ne nous sommes-nous pas dangereusement approchés de ce point? À trop éloigner les fonctions supports du lieu de l’action concrète, on retire au subordonné les leviers de son commandement, on vide de sa substance l’autorité qu’on lui confie. Sa responsabilité devient essentiellement virtuelle. De ce point de vue, la rationalisation n’est pas forcément raisonnable. Elle le deviendrait à condition de placer la subsidiarité au centre des réformes.

 

Privilégier l’exercice d’une autorité subsidiaire, c’est enfin accepter de prendre le risque de valoriser la parole des subordonnés. Au-delà des débats sur la condition du personnel, l’armée y trouverait une vraie force dans un dialogue du commandement renouvelé. Elle ferait alors l’expérience de sa propre richesse et de la capacité de ses cadres à penser et faire autrement

 

[1] Martin Blumenson, «Les carnets secrets du Général Patton», éditions Nouveau monde.

[2] Hannah Arendt, «La crise de la culture», Folio.

[3] Julien Freund, «L’essence du politique», éditions Dalloz.

[4] Henri Hude, «L’éthique des décideurs», Presse de la renaissance.

[5] Edmond Rostand, «L’aiglon», Folio.

[6] Chantal Delsol, «L’État subsidiaire», PUF.

[7] Général Von Molkte, cité dans «Le testament de Moltke», Sigismund Von Schlichting,ISC.

[8] Général Desportes, ib id.

[9] Citons par exemple l’adaptation du canon de 88 mm anti-aérien en arme anti-char durant la Seconde Guerre mondiale ou, dans un autre registre, la création du SAS britannique.

[10] Colonel Michel Goya, post du 18 septembre 2012 du blog La voie de l’épée.

[11] Maréchal Foch, «Des principes de la guerre», Économica.

[12] Général Alain de Boissieu, «Espoir»,1994.

[13] L’exercice du commandement dans l’armée de terre, fondements et principes.

 

Saint-cyrien de la promotion du «Bicentenaire de Saint-Cyr» (1999-2002), le Chef de bataillon EPSTEIN a servi successivement comme chef de patrouille HAP au 6ème RHC, commandant d’unité TIGRE au 4ème RHFS, puis officier traitant au cabinet du ministre de la Défense.

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Titre : Avant de dépyramider, renversons la pyramide ! Apologie de la subsidiarité
Auteur(s) : le Chef de bataillon Bertrand EPSTEIN
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