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Chronos, dieu de la guerre ?

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Le temps est une donnée relative et irréversible. C’est pourquoi sa gestion demande une véritable réflexion de la part du décideur afin d'être maîtrisée et d'être ainsi un facteur de domination de l'adversaire.


Contrairement à Mao, Che Guevara pensait que les idées révolutionnaires triompheraient sans tenir compte des circonstances. Le succès du premier et l’échec du deuxième montrent l’influence du temps sur l’action. D’ailleurs, pour le Général Yakovleff, «la maîtrise du temps – ennemi et ami – est donc l’essence de l’art militaire»[1].

Bien que relatif et irréversible, le temps demande une véritable réflexion de la part du décideur afin d'être maîtrisé et d'être ainsi un facteur de domination de l'adversaire.

Pour s'imposer, le décideur doit chercher à maîtriser le temps en disposant d'un système de décision réactif, en imposant son rythme à l'adversaire et en appréhendant le temps de manière globale. Mais pour être totalement efficace, cette réflexion doit intégrer le temps dans la réalité du champ de bataille, notamment en s’appuyant sur les notions de réserve de temps, de relativité et d’opportunité.

 

Maîtriser le temps pour dominer l'adversaire

La réactivité du système de décision est capitale pour dominer l'autre. Cette idée repose sur la théorie développée par John Boyd selon laquelle le processus décisionnel peut être modélisé sous la forme d'un cycle appelé boucle OODA (observation, orientation, décision, action)[2].

 

Or Clausewitz définit la guerre comme une interaction entre deux camps. Lorsqu’un adversaire agit, son ennemi peut réagir à tout moment. Cela risque alors de rendre caduque la décision ou l’action. De plus, le Général Desportes affirme que la guerre «demeure le royaume de l’incertitude»[3]. De ce fait, chaque étape du cycle risque d'être imparfaite (observation incomplète, décision fausse…). Cette interaction avec l’adversaire et cette incertitude obligent à ajuster en permanence les choix qui sont faits en fonction de l’évolution de la situation et à recommencer une boucle OODA.

Celui qui a le cycle de décision le plus rapide pourra ainsi affiner ses choix plus vite que l’adversaire. Il pourra même rendre inutiles les actions de l’ennemi si ce dernier prend des décisions en chaîne trop tardives. Ce fut le cas en mai 1940, lorsque les contre-attaques françaises tombèrent dans le vide parce qu’elles avaient été déclenchées trop tard. À propos de la rupture du front de la Meuse par les Allemands, le Général Weygand conclut que «la rapidité et la violence de cette exploitation paralysent les efforts tentés pour ressouder le front rompu; les contre-attaques échouent ou ne peuvent même pas être montées»[4].

Le décideur doit ensuite définir le rythme de déroulement de son action, de façon à maximiser le potentiel de ses forces tout en minimisant le potentiel de l’adversaire. La modification de la vitesse d’exécution de l’action est en effet un levier à double action.

La première action consiste à rendre l’effort ami plus efficace. À titre d’exemple, lors d’une mission offensive en zone urbaine, le chef pourra tirer parti d’une alternance de rythme. Après la saisie d’un quartier par une unité, il prévoira une phase de reconstitution de son potentiel (ravitaillement, réorganisation) avant de renouveler l’opération dans un quartier suivant. La pertinence de cette adaptation du rythme a été démontrée par les Américains lors de la bataille de Falloujah[5].

La deuxième action permet de diminuer l’efficacité de l’adversaire voire d'entraîner sa dislocation. Jeu tactique, le rugby illustre parfaitement cette idée. Dans ce domaine, la France fait porter son effort sur les phases statiques et l’épreuve de force. À l’inverse, l’Australie a développé un style très dynamique sur toute la durée du jeu. Or, parce qu’ils imposent leur tempo, les Australiens parviennent à faire craquer physiquement l’équipe de France et dominent depuis dix-sept ans.

 

Ainsi, comme cela est précisé dans The Battle Staff de l’US Army, «controlling or altering that rate is necessary to retain the initiative»[6]. À l’instar du terrain et des forces ennemies, le temps doit faire l’objet d’une analyse approfondie afin de déterminer les faiblesses de l’adversaire et de les exploiter.

Le chef doit aussi penser le temps dans sa globalité. En effet, l'homme est capable d'appréhender les trois temps ‒ passé, présent, futur ‒ car il est doué de facultés telles que la mémoire et l’imagination.

Cette capacité permet au décideur de se projeter dans l'avenir et d’anticiper les problèmes et les actions possibles de l’adversaire. À partir de différentes hypothèses, le chef imaginera les réponses à apporter. Il faut «considérer l’action sous la forme d’une série d’actes dont chacun peut être mis en échec par les réactions adverses. Le problème ne consiste pas seulement à prévoir le cas d’échec, mais surtout à prévoir les contre-réactions qui pourraient être opposées à l’adversaire pour maintenir l’action dans le sens voulu»[7]. Ce travail d'anticipation va faire gagner du temps au chef lorsque la difficulté va surgir. Il va aussi diminuer l'effet de surprise dont les conséquences sont souvent désastreuses pour une troupe.

L'homme peut aussi chercher à déceler dans le présent les indices d'événements à venir. Le présent contient les causes ou les signes avant-coureurs des choses futures. «Lorsque j'aperçois l'aurore, je prévois aussitôt que le soleil va se lever: ce que j'aperçois est présent, et ce que je prédis est à venir»[8].

Appréhender le temps de manière globale évite de se retrouver enfermé dans le moment présent et donc dans l'éphémère. Cela donne à l'homme une profondeur temporelle, une nouvelle dimension où il peut anticiper les coups et retrouver une marge de manœuvre.

Cependant, cette approche théorique et chronologique du temps est insuffisante pour rendre totalement compte de la réalité. C'est notamment pour cette raison que les armées occidentales ne parviennent pas systématiquement à dominer leurs adversaires bien qu'elles possèdent le cycle de décision le plus rapide. Pour être efficace, la réflexion sur le temps doit tenir compte des circonstances.

 

Intégrer le temps dans la réalité du champ de bataille

L'une des réalités du champ de bataille est la friction qui fait que rien ne se déroule comme prévu. Il s'agit alors moins de décider plus vite que l'adversaire que de décider plus juste.

Dans le cadre d'une force composée de plusieurs unités, différentes étapes sont nécessaires. Cela suppose tout d'abord d'évaluer de façon précise la durée nécessaire à une unité pour accomplir une tâche. À partir de là, il convient de synchroniser les tâches de chaque unité afin d’obtenir une action d’ensemble cohérente et de maximiser le travail de chacun. Cela demande ensuite d’intégrer la notion de friction dans son calcul du temps nécessaire à l'action, car malgré la précision des calculs, l’exactitude n’existe pas. En effet, ainsi que l'expose Clausewitz dans «De la guerre», le général ne doit pas «escompter une précision d'horlogerie là où précisément elle est impossible à cause des frictions»[9]. Le chef doit dès lors intégrer dans son étude les retards possibles. Pour cela, il est nécessaire de disposer d'une réserve de temps au même titre que le chef doit disposer d'une réserve de force pour réagir à l'imprévu. Ces marges temporelles prévues dans la manœuvre permettront de s'adapter à la réalité. Elles éviteront de dérégler la synchronisation des unités au moindre retard. De ce point de vue, le temps est considéré comme une ressource qu'il faut gérer.

Finalement, pour pouvoir mener à bien son action malgré les imprévus, il faut disposer de trois réserves: une réserve de force, une réserve logistique et une réserve de temps.

 

De plus, le temps est une notion relative. Décider plus vite s’avère parfois inutile (notamment lorsque les deux adversaires n'ont pas le même type de cycle de décision).

Or le temps des amis ne sera pas forcément le temps de leurs adversaires. C’est typiquement le cas de l’Afghanistan, où le temps de la coalition n'est pas le temps de l'insurgé. Alors que l’action alliée s’inscrit dans le temps court, celle des insurgés s’inscrit dans le temps long. Cela leur permet de créer une asymétrie temporelle pour contrebalancer l’asymétrie matérielle.

Oublier cette notion de relativité fait courir le risque d’être déconnecté de la réalité. Pour éviter cela, il est nécessaire de déterminer le référentiel où l'on se situe et celui où se situe l'adversaire. Ce référentiel sera fonction de nombreux paramètres tels que l'espace, la culture, le système politique... Il permettra de prendre en compte la relativité du temps et d'éviter de prendre des décisions ne contribuant pas à atteindre le but fixé.

 

Il s'agit aussi de décider au bon moment, lorsque les circonstances sont favorables.

Une fois de plus, il est possible que la rapidité de la décision ne soit plus l'unique critère de qualité. Hervé Coutau-Bégarie, dans son «Traité de stratégie», donne ainsi l'exemple du Maréchal Pétain qui, lors de la première guerre mondiale, sut attendre le moment favorable: «J'attends les Américains et les chars». Ici encore, cette capacité à attendre le bon moment pour agir permet de s'adapter à la réalité du champ de bataille.

Cette idée rejoint la notion grecque de kairos, c’est-à-dire du temps de l’occasion opportune. Le kairos est une dimension du temps différente de la dimension chronologique. Le temps n’est alors pas considéré comme linéaire et régulier mais comme une suite de moments plus ou moins favorables. Vu sous cet angle, le rôle du décideur est alors de réussir à saisir les opportunités lorsqu’elles se présentent.

 

Temps politique, temps militaire: l'action politique est caractérisée par l'immédiateté tandis que l'action militaire s'inscrit dans la durée. Dès lors, le soldat est le plus souvent limité à l'inutilité tactique ou contraint à la guerre éclair.

Inutilité tactique lorsque le déploiement militaire constitue un signe politique suffisant ou que l'emploi de la force s'avère contre-productif. La vertu de prudence, au sens aristotélicien, aidera alors le chef à discerner si l'action militaire est efficace ou s'il doit se résigner à l'inaction sur le plan tactique.

Guerre éclair afin de quitter la scène médiatique grâce à un succès tactique rapide et symbolique. N'étant plus dans le temps politique, il est alors possible de continuer la guerre dans ce qu'elle a de long et de difficile. Ce type d’action a été mené par les Américains lors de la deuxième bataille de Falloujah. La phase de conquête de la ville ne dura qu’une semaine et fit l’objet de toute l’attention du gouvernement américain. La phase de nettoyage dura un mois mais elle se déroula dans un cadre médiatique moins contraignant[10].

Penser l'action au travers du prisme du temps politique impose donc au chef militaire l'immobilisme ou la vitesse extrême. Dans les deux cas, le caractère, vertu des temps difficiles selon le Général de Gaulle[11], est indispensable.

 

[1] Général Yakovleff, «Tactique théorique», Économica, 2007, p 137.

[2] John Boyd, Patterns of conflict.

[3] Général Desportes, «Comprendre la guerre», Économica, 2001.

[4] Général Weygand, «Histoire de l'armée française», Flammarion, 1961, p. 400.

[5] Les fantômes furieux de Falloujah, CDEF. «Le GTIA 3-5, en limite ouest, résiste à la tentation de la vitesse et préfère avancer de manière très méthodique de ligne en ligne […] La progression s’arrête tous les jours vers 16h00 afin de tirer des enseignements «à chaud» de la journée, de planifier précisément celle du lendemain et de permettre aux hommes de se reposer. Après un repas chaud, les compagnies s’installent en positions défensives pour la nuit et n’effectuent pas de patrouilles à pieds. Ce bataillon a finalement eu moins de pertes que les autres».

[6] US Army, The Battle Staff, The Lightning Press, p 1-19.

[7] Général Beaufre, «La stratégie de l’action», L’Aube, p.114.

[8] Saint Augustin, «Les confessions», Garniérite Frères, 1865, p 455.

[9] Clausewitz, «De la guerre», Tempus, 2011, p.105.

[10] Retour d’expérience du Colonel GOYA.

[11] Général de Gaulle, «Le Fil de l’épée», Berger-Levrault, 1944.

 

 

Saint-cyrien de la promotion «de la France combattante», le Chef de Bataillon RONDET a servi comme chef de section et commandant d’unité au 3ème régiment de parachutistes d’infanterie de marine. Dans ce cadre, il a participé à plusieurs missions de courte durée au Gabon et en Nouvelle-Calédonie, à une intervention en République démocratique du Congo et à deux missions en Afghanistan. Il a également servi au 2ème régiment de parachutistes d’infanterie de marine de la Réunion et au détachement d’assistance opérationnelle pour la préparation des unités partant en Afghanistan. Il est breveté de la 126ème promotion du CSEM.

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Titre : Chronos, dieu de la guerre ?
Auteur(s) : le chef de bataillon Geoffroy RONDET
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