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Conseil et armées: le chant des sirènes

Cahiers de la pensée mili-Terre
Défense & management
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Les armées recourent de plus en plus fréquemment à des cabinets de conseil externes. Ces recours donneraient l’assurance des meilleurs choix possibles et de réformes réussies. En réalité, l’utilisation de ressources en interne serait souvent plus pertinente que la sollicitation d’organismes privés.

«Le conseil, drogue innocente à celui qui la donne, rarement salutaire à celui qui la prend».

Simon de Bignicourt, Pensées et réflexions philosophiques (1755)

 

 


Les armées recourent de plus en plus à des cabinets de conseil dans le but de restructurer l’organisation, d’améliorer les procédures, d’inclure les dernières technologies performantes[1]… Ces recours paraissent simples et donneraient l’assurance de réformes réussies. La réalité paraît plus complexe: l’utilisation de ressources en interne serait souvent plus pertinente que la sollicitation d’organismes privés.

 

La spécificité militaire, une limite pour les cabinets de conseil

 

En dépit de sa volonté, un cabinet de conseil aborde les problématiques des armées comme il aborderait celles d’une entreprise ou d’un organisme public. Nul ne peut lui en faire le reproche, chacun dispose de compétences qui lui sont propres.

Or, le métier militaire revêt de nombreuses spécificités. Une solution parfaitement efficace dans un contexte civil peut devenir inopérante lorsqu’appliquée au domaine militaire. Prenons par exemple la récente réorganisation des armées en bases de défense. À l’époque de cette réforme, de nombreux cabinets vendaient leurs services pour mutualiser, optimiser, regrouper, rationnaliser[2]… C’était à la mode, la possibilité de faire mieux avec moins grisait les esprits. Nombreux étaient les conseillers qui parcouraient les couloirs des différents ministères dont celui de la Défense. Leurs expertises étaient considérées comme une opportunité dans le contexte pressant de la RGPP. Ainsi, les services furent regroupés et mutualisés.

Mais, lors de l’opération au Mali, cette réforme montra ses limites. Une spécificité de notre métier revint brutalement sur le devant de la scène: la nécessité de pouvoir se projeter rapidement avec toutes les capacités et de soutenir une force dans la durée. Pour réaliser une telle mission, la réactivité était de mise et une diversification sans égale aux plus bas niveaux était nécessaire: non seulement des armes, mais aussi des services où se retrouvaient pêle-mêle aumôniers et cuisiniers, juristes et armuriers, ingénieurs et transmetteurs, médecins, mécaniciens et maîtres-chiens... Aucune autre institution, aucune entreprise n’a besoin de disposer d'une telle palette de capacités en un temps si court. Or, cette nécessité de corps expéditionnaire aux fonctions exhaustives et rapidement projetable se heurta à la mutualisation. En définitive, les difficultés furent surmontées en s’affranchissant des règles et procédures prévues. La réforme était faite pour une administration, pour le temps de paix; elle devenait une gêne lorsque l’urgence opérationnelle survenait. Les conseils des cabinets trouvaient là leur limite: il ne s’agissait pas d’une administration routinière.

Mais nul besoin d’accuser les conseillers. Ils ont fait leur travail. En matière de réforme et de réorganisation au sein des armées, seul le militaire reste l’expert en dernier recours et pas le conseiller spécialisé dans la réorganisation. Nul ne peut dès lors accuser le rapport d’un cabinet de conseil pour se dédouaner.

Le chant des sirènes a toujours mené les navires sur des récifs, et les bons capitaines savent qu’il vaut mieux s’attacher au mât pour rester droit dans ses bottes que céder à cette mélodie. Or, le chant des sirènes des cabinets de conseil opère souvent. Comment?

 

Le chant des sirènes des cabinets de conseils

 

La première des raisons tient à la pauvreté de notre humanité. La sollicitation d’un cabinet de conseil et les relations qui s’ensuivent ne sont pas anodines pour le militaire. L’officier pourra trouver une certaine satisfaction à établir une relation privilégiée avec des conseillers du monde privé. Ce monde du conseil est sélectif, exigeant et socialement assez valorisant. Côtoyer les meilleurs, s’en réjouir, en parler autour de soi est déjà le début d’une perte de recul. 

De surcroît, un conseil extérieur amène des idées neuves enthousiasmantes. Après des années d’expérience militaire pendant lesquelles chacun est confronté aux mêmes pesanteurs de l’institution, les idées modernes et rapides des conseillers donnent parfois le sentiment d’une bouffée d’oxygène dans un monde bureaucratique que l’on souhaiterait voir évoluer. Illusion! La pesanteur existe partout sous des formes différentes, et la bouffée d’oxygène peut aussi contenir une dose de gaz toxique d’idées inadaptées à notre métier, comme nous l’avons vu précédemment.

 

Logique commerciale et service de l’institution

 

Il ne faut pas perdre de vue que les cabinets sont formés à conquérir et à courtiser. Cette capacité à commercialiser est au cœur de leur métier. Elle permet d’emporter des appels d’offre, une condition indispensable pour maintenir ou augmenter un chiffre d’affaire. Sans émettre aucun jugement de valeur, cette composante commerciale, avec tout ce qu’elle comporte comme codes, jargon et astuces, n’appartient pas du tout au champ des compétences des militaires. Plus habitué à des relations hiérarchiques et directes, novice dans le domaine commercial, l’officier peut peiner à décrypter les offres et leurs fondements réels. Quels sont les grands écueils?

La logique commerciale conduit certains cabinets de conseils à se ménager une mission supplémentaire dans les conclusions de leur rapport. L’objectif est de créer un «effet dominos», chaque mission entraînant la suivante. Par exemple, un cabinet qui est spécialisé en réorganisation et en déploiement de solutions informatiques suggérera habilement, dans les conclusions d’une mission de réorganisation, de modifier le système informatique selon un déploiement correspondant parfaitement à ses compétences particulières. Habitué à travailler avec le prestataire, le client reconduira le cabinet pour la mission que le cabinet s’est lui-même façonné.

Recourir à un cabinet de conseil consiste parfois à se voir proposer des solutions toutes faites qui ne donneront pas pleinement satisfaction. En effet, les cabinets sont des inventeurs de concepts. Lorsqu’ils sont confrontés à une difficulté nouvelle dans une institution ou une entreprise, ils vont chercher une solution adaptée et perdront sans doute un peu d’argent sur cette première confrontation. Une fois le modèle de solution trouvé et éprouvé, ils reproduiront à satiété cette solution auprès de très nombreux clients. Pour faire un maximum de bénéfices, cette solution sera modifiée à la marge pour s’ajuster au client. In fine, c’est plus le client qui devra s’adapter à la solution et non l’inverse.

Ces concepts s’accompagnent souvent d’une logique de mode qui peut être pernicieuse. C’est la logique du «Vous ne pouvez pas ne pas…», «Vous ne pouvez pas ne pas faire du développement durable, de la mutualisation, de la digitalisation…». L’officier peut être sensible à cet argument en voulant «dépoussiérer l’institution» ou bénéficier des meilleures innovations. Mais il s’agit souvent d’une nouvelle sirène qui chante… Par exemple, aujourd’hui, le concept à la mode est la digitalisation des entreprises. Or ces solutions innovantes sont peu matures, parfois peu performantes et le recul en la matière est faible. Les offres fleurissent, aussi différentes les unes que les autres. Le concept du digital est mal défini et recouvre tout et son contraire. La prudence est donc de mise.

Mais ne caricaturons pas: la majorité des cabinets de conseil sont dans une logique de relation de prestataire à client et leur objectif reste la satisfaction de ce dernier. Malheureusement, la recherche de cette satisfaction comporte également des risques. Un cabinet peut se borner à mettre par écrit les idées de ses mandants sans réellement apporter une plus-value. Ceci est particulièrement vrai dans le cas où un client a une idée préconçue à laquelle il tient. Le cabinet de conseil ne luttera pas au-delà d’une certaine limite pour préserver de bonnes relations dans une perspective commerciale. Pire, il arrive souvent aux cabinets de conseil d’être confrontés à des dirigeants qui ne veulent pas prendre la responsabilité d’imposer une réforme difficile. Ils utilisent alors un cabinet de conseil pour se dédouaner. Le chef, adossé à un rapport de spécialistes, donne alors le sentiment de transférer des ordres dont il n’est pas la cause. Si la mise en œuvre échoue, il pourra alors accuser les conseillers devant ses chefs comme devant ses subordonnés. Dans ce cas, le recours au conseil devient pernicieux.

Une autre difficulté de taille existe lors d’un appel d’offre. L’institution doit réaliser un cahier des charges, ni trop précis ni trop large dans son mandat. Dans un cas, l’étroitesse du sujet ne permettrait pas de tirer le meilleur parti des conseillers et, dans l’autre, il existerait un risque de dispersion qui conduirait à une mission sans fin. L’allongement des missions résulte la plupart du temps d’un mauvais mandat de départ. Or, le coût des conseillers reste particulièrement élevé. En moyenne, la présence d’un associé sera facturé 1.000 euros la journée, celle d’un jeune junior au moins 400 euros. Lorsque l’équipe est volumineuse, l’allongement de la durée de la mission pose vite un problème financier. À l’inverse, le recours à des officiers en interne ne coûte rien!

 

Conseil externe ou interne?

 

En dépit des apparences, le recours à un conseil externe reste donc un moyen compliqué et onéreux.

Actuellement, la plupart des entreprises se dotent de cellule de conseil interne afin d’éviter tous les écueils précédemment décrits. Les conseillers internes coûtent beaucoup moins cher et ils connaissent parfaitement les spécificités de l’entreprise. La sollicitation de conseil externe ne se fait que pour des problèmes pointus auprès de cabinets experts du domaine. Dans ce cas, les conseillers internes accompagnent les conseillers externes durant toute la durée de la mission.

Un même mouvement avait eu lieu il y a quelques années avec le développement de l’audit[3] interne. Suivant le mouvement, les armées se dotèrent également de leur propre force d’audit à travers la création du centre d’audit des armées. 

Pour ce qui est du conseil, les armées considèrent que les organismes d’inspection s’en occupent (inspection de l’armée de Terre, inspection des armées…). Mais en réalité, il est difficile d’être à la fois sur le front du conseil et de l’inspection. De surcroît, ces organismes n’assurent pas l’interface avec les cabinets de conseil externe.

Alors, pourquoi ne pas créer le cabinet de conseil interne des armées?

Finalement, «Le conseil d'un véritable ami est plus efficace que tous les avis des hommes les plus éclairés»[4] 

 

 

[1] Presque inexistant au début des années 2000, le conseil au secteur public représente aujourd’hui en France 10% du marché du conseil.

[2] «Les cabinets de conseil à l'assaut de l'État» – Le Figaro, novembre 2007

[3] Un écueil consiste à confondre conseil et audit. L’audit est la vérification par rapport à un référentiel donné du respect des procédures, des règles, des comptes… ou également la réalisation d’un état des lieux face à un problème donné. En langage militaire c’est la réponse à la question de Foch: «de quoi s’agit-il?». C’est aussi la partie 1 de la MEDO où tout est analysé. De cette analyse résulte des recommandations qui sont autant d’impératifs de contraintes, d’orientations… L’ensemble de ces conclusions, et c’est là la force de l’audit, sont toutes démontrables. C’est ce qui s’appelle la «piste d’audit», la capacité d’aller de la preuve sur le terrain à la recommandation d’une manière scientifique. C’est donc un travail rigoureux qui ne souffre pas de créativité mais sur lequel on peut solidement s’appuyer. A contrario, le conseil s’apparenterait plus à la partie 2 de la MEDO. C’est la création et le choix de mode d’action. Cela implique plus d’expérience que de science et une créativité importante. Et c’est là que la compréhension de la spécificité de l’activité du client est essentielle.

[4] Francis Bacon, «Essais» (1625)

 

Saint-cyrien et officier de l’arme des troupes de marine, le Lieutenant-colonel Le GOUVELLO a effectué son temps de commandement au RICM. Il a ensuite servi à l’inspection puis au centre d’audit des armées avant de rejoindre l’École de guerre. Il est auditeur du mastère spécialisé de l’ESCP en stratégie conseil et organisation.

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Titre : Conseil et armées: le chant des sirènes
Auteur(s) : le Lieutenant-colonel Jobic Le GOUVELLO
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