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De l’utilité du concept de Design, «Cogito ergo praesum»

cahier de la pensée mili-Terre
Défense & management
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Méthodologie visant à exercer esprit critique et créativité, le Design est l’art de structurer un environnement opérationnel complexe afin d’identifier et de résoudre le problème clef qu’il représente. Inspiré de la méthode systémique et enrichi des enseignements d’Iraq et d’Afghanistan, le Design propose de discerner tout d’abord la nature du problème avant de le résoudre. Loin des effets de mode, il s’agit d’un concept intellectuellement travaillé qu’il convient d’observer et d’étudier, parce qu’il constitue une approche adaptée à un environnement opérationnel en mutation.


Découvert par les officiers français ayant récemment servi au contact de l’armée de Terre américaine ou intéressés par ses travaux, le concept de Design est une méthode ambitieuse et brillante introduite officiellement en 2010 dans la doctrine des opérations de l’US Army[1]. Suscitant un fort engouement intellectuel ainsi qu’un débat doctrinal intense dans les rangs de nos alliés, cette méthode vise à raisonner les problèmes complexes, en affirmant la place centrale du chef dans la réflexion de l’état-major et en stimulant la créativité.

Consistant en un processus initial puis complémentaire à la planification opérationnelle, le Design mérite d’être étudié afin d’institutionnaliser une méthode originale, susceptible de faciliter le dialogue civilo-militaire et la compréhension des environnements complexes.

Aussi cet article se propose de présenter au lecteur les origines et les tenants du Design, d’en exposer les principes majeurs ainsi que le profit que pourraient en tirer les forces armées françaises.

 

Aux origines du Design

Avant de décrire la genèse du concept, il convient de remarquer que la traduction française de Design est problématique. Certains proposent le terme de «conception», qui a le défaut d’évoquer la bien connue «conception opérationnelle». Or cette conception est déjà un ordre et travestit donc la réalité du concept. La définition d’«architecture opérationnelle», si elle sonne plutôt mal, aurait le mérite étymologique d’en embrasser la nature profonde. N’est-elle pas l’attribut du chef (archè, commandement), tout comme une modélisation intellectuelle de l’environnement opérationnel (tekton, construction)?

L’émergence du concept de Design aux USA coïncide avec la prise de conscience que les chefs militaires ont et auront à combattre des menaces hybrides, au sein d’environnements complexes dont les dynamiques sont difficilement prévisibles[2]. En outre, les objectifs politiques des divers acteurs sont profondément influencés par l’identité et les valeurs d’individus ou de groupes aux agendas multiples. Dans ce contexte, les structures sociopolitiques, au sein desquelles agit la force, constituent des systèmes complexes et évolutifs (Complex Transformative Systems)[3]. Or, les groupes humains interprètent les événements en fonction de valeurs généralement stables, mais d’intérêts spécifiques susceptibles d’évoluer dans le temps. Pour cette raison, les systèmes humains complexes génèrent des problèmes que ne peuvent résoudre une approche intuitive ou une méthode analytique[4].

Non seulement le Design s’inscrit dans un contexte opérationnel changeant, mais il représente aussi une évolution organisationnelle majeure de l’armée américaine, consciente des insuffisances de ses chefs à comprendre et réagir aux situations d’incertitude rencontrées lors de l’opération Iraqi Freedom[5]. Prenant acte de dysfonctionnements (difficultés cognitives du chef à imaginer une solution contre-intuitive, rigidité des méthodes de planification ne permettant pas d’anticiper les évolutions de situation), l’armée américaine s’est associée en 2005 avec OTRI, think-tank israélien influencé par le Général Naveh[6]. Le but était alors d’étudier l’approche systémique (Systemic Operational Design, SOD) employée par le gouvernement israélien et ses forces de sécurité pour traduire une orientation politique en stratégie militaire[7]. Mise en concurrence avec l’approche basée sur les effets (Effects Based Operations, EBO) et la méthode de raisonnement tactique (MDMP) lors de jeux de guerre annuels (Unified Quest) entre 2005 et 2009, l’armée de Terre américaine remarquait l’efficacité de cette méthode (dans une version cependant simplifiée) et la nécessité d’une officialisation dès 2010[8]. Pour en résumer l’objet, «le Design encourage le chef et son état-major à étudier la complexité avant d’essayer d’imposer la simplicité […]. Il transforme ainsi la puissance intellectuelle en puissance de combat»[9].

 

La méthodologie

Le Design s’applique à examiner trois dimensions qui définissent chacune une étape de la réflexion de l’état-major: compréhension et visualisation de l’environnement (Environment Framing), formulation du problème (Problem Framing) et expression d’une approche en vue de résoudre ce problème (Framing of the Operational Approach). Le produit final (Design Concept) assure, quant à lui, le lien entre réflexion purement conceptuelle et détails de la planification[10].

La description de l’environnement opérationnel s’attache tout d’abord à étudier l’état actuel de l’environnement dans lequel se déploie la force. Cette étape permet au chef de décrire de la manière la plus fidèle possible l’état observé (principaux acteurs, motivations, interactions) et l’état souhaité (assimilable à l’état final recherché, EFR). Il s’agit, pour l’état-major, de disposer d’une vision globale et commune des perceptions et des motivations des différents acteurs, tout en réfléchissant à leur tendance à agir d’une certaine manière. La pratique d’un dialogue constructif et critique doit permettre de limiter les réponses déterministes. L’appel à des experts peut, en outre, éviter que le filtre de la culture ne fausse cette description. Un schéma simple, privilégiant une représentation graphique assortie de données textuelles minimales, doit permettre d’imprégner chacune des spécificités de l’environnement opérationnel.

Une fois qu’une vision commune est établie au sein de l’état-major, il convient alors d’identifier les zones de tension et de compétition, tout comme les opportunités que la force peut raisonnablement exploiter afin d’assurer la transition de l’état observé vers l’état final recherché. L’analyse capacitaire, tout comme le dialogue interarmées et entre agences, doit permettre, à ce stade, d’établir a priori une répartition des périmètres de responsabilité. La mise en cohérence entre capacités réelles et effets attendus par la force sur l’environnement permet d’identifier le problème critique.

La dernière étape consiste à schématiser les domaines d’action pour lesquels la force consentira à employer ses capacités afin de résoudre ou de minimiser le problème identifié. Le produit est généralement représenté sous la forme de lignes d’effort ou d’opérations, mais cette représentation n’est pas exclusive. La clarté des conditions de succès et des objectifs à atteindre doit faciliter la planification détaillée en établissant une liste de principes clés du chef. Ainsi, «les [étapes du Design] permettent, au chef de mettre en perspective sa pensée et de l’expliquer clairement à ses subordonnés»[11].

Le tableau 1 (voir l’annexe) schématise le Design en un processus cyclique continu. En effet, l’environnement peut évoluer et créer de nouvelles tensions ou opportunités, qui nécessiteront d’adapter le concept (Reframing) et initieront un nouveau cycle de réflexion. Cette phase est certainement la plus importante car elle permet au chef d’anticiper tout changement du plan de campagne, d’identifier les transitions ou d’atténuer les effets d’une surprise stratégique en facilitant une adaptation plus rapide des modes d’action.

 

Quelle voie pour les forces armées françaises?

La première génération d’officiers formés au Design peuple depuis peu les bureaux du Pentagone ainsi que les états-majors déployés en Iraq et en Afghanistan. À court terme, il est donc difficile de mesurer son efficacité sur le processus de planification américain et d’évaluer l’opportunité d’une intégration dans la doctrine française. De plus, sa mise en œuvre se heurte naturellement aux frictions d’une organisation en proie au changement. Aussi un débat intellectuel intense anime-t-il les forces armées américaines: le Design a-t-il une vocation exclusivement stratégique? Quelles sont ses relations avec des méthodes plus traditionnelles de réflexion tactique? Tous les planificateurs peuvent-ils être des Designers? Autant de questions qui, pour l’instant, reçoivent des réponses parfois divergentes. Il convient donc d’être prudent et d’observer avec soin les futurs résultats de l’US Army ainsi que ses retours d’expérience dans le domaine. Quoiqu’il en soit, le Design apparaît aujourd’hui comme une étape préalable fiable du processus de planification opérationnelle qu’il complète, en combinant des approches et des méthodes de raisonnement qui s’enrichissent mutuellement (voir le tableau 2 de l’annexe).

Sans mentionner les nécessités d’interopérabilité avec nos alliés occidentaux, qui ont pratiquement tous adopté le Design, il convient de considérer avec attention une méthode de raisonnement qui offre de nombreux avantages. D’une part, le Design systématise l’engagement personnel du chef dans le travail de l’état-major et stimule sa réflexion au contact de ses subordonnés. Mais il est aussi une manière d’institutionnaliser un outil qui permet de traduire des orientations politiques en solutions militaires. D’autre part, il apporte une aide considérable afin de faciliter le dialogue stratégique. En effet, les étapes du Design ne revêtent pas la forme traditionnelle de la planification militaire, souvent méconnue des dirigeants civils. Aisément compréhensible par des non praticiens, le Design est ainsi un outil de collaboration civilo-militaire. Il offre un cadre informel où chacun peut analyser et interpréter l’environnement opérationnel à l’aune de l’expertise, des intérêts et de la culture propre de chaque ministère. Il est, par la même, un forum où les objectifs de campagne et les moyens pour les atteindre peuvent être discutés et définis en commun. Quant à la nécessaire acculturation, elle pourrait être grandement facilitée en comparant les mécanismes du Design aux principes de la prospective. Cette dernière vise à anticiper les ruptures en analysant la question des marges de manœuvre (démarche capacitaire), du projet (vision) et de la stratégie (moyens), qui constituent in fine les étapes du Design. Or, la révision générale des politiques publiques (RGPP) impose à chaque ministère de disposer d’une cellule de prospective, qui pourrait servir d’interface naturelle à la mise en œuvre du concept.

Constatant la complexité croissante des opérations actuelles (et à venir), le Design est un procédé intellectuel animé par le chef visant à comprendre la nature du problème avant de le résoudre. Articulé en trois étapes (visualisation de l’environnement, formulation du problème et expression d’une approche opérationnelle), le Design est le pont entre analyse conceptuelle et planification détaillée. Au niveau stratégique, il est un facilitateur du dialogue civilo-militaire en assurant la traduction de directives politiques en actions militaires. Au niveau opératif et tactique, il est un outil de compréhension des environnements complexes et de partage d’une vision opérationnelle entre le chef et son état-major.

Impliquant des exigences fortes de préparation de la mission, le Design traduit le fait qu’il est fondamental de penser avant de planifier, car l’expérience individuelle ou collective est rarement capable de produire des solutions contre-intuitives. Plus que jamais, la réflexion est l’apanage et le moyen d’affirmation du chef; cogito ergo praesum: «Je pense, donc je commande».

 

 

 

[1]Headquarters, Department of the Army, Field Manual FM 5-0, The Operations Process (Washington, DC, Department of the Army Publications, March 2010). Le concept de Design a d’ailleurs été introduit de manière partielle dans la doctrine OTAN sans prendre en compte l’étendue des transformations qu’il implique pour les forces armées américaines (philosophie de commandement [Mission Command], techniques collaboratives, présentation de solution [Packaging] et optimisation du processus C6 [Context, Consultation, Collaboration, Coordination, Control, Unity of Command].

[2]Frank G. Hoffman, “Conflict in the 21st Century: the Rise of Hybrid Wars (Arlington, VA: Potomac Institute for Policy Studies, 2007).

[3]Les systèmes complexes sont caractérisés par la multiplicité des acteurs et la fréquence des interactions entre ces acteurs. Pour plus d’informations, lire l’article d’Alex Ryan, The Foundation for an adaptive Approach, Insights from the Science of Complex Systems, Australian Army Journal, Vol. VI, No. 3 (2009), 69-90.

[4]Méthode analytique linéaire du type MEDO (méthode d’élaboration de la décision opérationnelle) ou MDMP (Military Decision Making Process).

[5]Paul Yingling, “A Failure in Generalship”. Armed Forces Journal, 2007, http://www.armedforcesjournal.com/2007/05/2635198.

[6]L’institut de recherche sur la théorie opérationnelle (OTRI) est un des think-tanks qui participent à l’élaboration de la doctrine stratégique de l’État hébreu. Se réclamant de la pensée de Gilles Deleuze ou de Bernard Tschumi, OTRI a naturellement développé le Design à partir des thèmes de l’architecture appliqués au combat urbain dans les territoires palestiniens. Concernant le Général de brigade Shimon Naveh, voir le lien http://haaretz.com/weekend/magazine/dr-naveh-or-how-i-learrned-to-stop-worrying-and-walk-through-walls-1,231912.

[7]Maj. William T. Sorrells, “Systemic Operational Design: An Introduction” (Monograph, School of Advanced Military Studies, U.S. Army Command and General Staff College, 2005).

[8]Le Général James N. Mattis (chef de l’US Joint Forces Command) concluait d’ailleurs à l’abandon du principe d’EBO comme procédé central de planification, jugé plus adapté au cycle de ciblage de l’US Air Force qu’à l’emploi de grands ensembles interarmées à dominante terrestre.

[9]Lire le bulletin du détachement de liaison français aux USA, Colonel Jean-Claude Bréjot, «Le Design, nouvelle étape de la planification opérationnelle», 4ème trimestre 2010.

[10]L’article du Colonel John J. Marr offre une illustration historique du concept de Design en décrivant les efforts entrepris par le Chief of Staff Supreme Allied Commander (COSSAC) pour planifier la reconquête de l’Europe occupée par les forces allemandes. Design the Victory in Europe, Military Review, No.4, July-August 2011, 62-68.

[11]Colonel Jean-Michel MILLET, L’Operational Design ou la réflexion avant la planification d’une opération complexe, Héraclès, N°.42 (Avril 2011), 6-7.

 

Saint-cyrien et cavalier de la promotion «Général Lalande» (1996-1999), le Chef d’escadrons GENNEQUIN a commandé un peloton de chars au 501-503ème régiment de chars de combat, puis un escadron au 1er-11ème régiment de cuirassiers. Instructeur aux Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan, il est breveté du Cours supérieur d’état-major et de l’US Army Command and General Staff College. Stagiaire de l’enseignement militaire supérieur scientifique et technique de l’armée de Terre (EMSST), il suit actuellement un 3ème cycle de relations internationales à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).

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Titre : De l’utilité du concept de Design, «Cogito ergo praesum»
Auteur(s) : le Chef d’escadrons Philippe GENNEQUIN
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