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Défense et illustration de la langue française dans notre armée

cahier de la pensée mili-Terre
Défense & management
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L’usage souvent abusif de l’anglais et une visible déférence à l’égard de la culture militaire américaine, dont font assez régulièrement preuve les militaires français, sont symptomatiques d’une certaine fascination envieuse pour la superpuissance militaire de ce pays et de l’intériorisation de leur subordination militaire, doctrinale et stratégique.


Devant un parterre de hautes personnalités françaises et internationales, le président de la République française déclarait récemment avec force, en visant implicitement mais clairement la culture et la langue américaines: «Le monde, aujourd’hui, ne doit pas s’aplatir derrière une seule culture, une seule langue, une seule identité»[1]. Ainsi, Monsieur Nicolas Sarkozy, chef des armées, appelait à résister à la suprématie culturelle américaine, au «tout-anglais», et à défendre activement notre identité.

Pourtant, début 2011, dans son adresse aux lauréats de l’armée de Terre du concours 2010 de l’École de guerre, un officier supérieur, utilisant lui-même nombre de termes anglais, affirmait que l’armée française pouvait largement prétendre à recevoir le prix de la Carpette anglaise[2].

Au vu de ces déclarations qui semblent paradoxales, il apparaît légitime de s’interroger sur la question centrale de la langue dans l’institution militaire et plus particulièrement dans l’armée de Terre. En effet, il convient d’être conscient de ce que révèlent la fréquence et la constante augmentation des emprunts du langage militaire à l’anglais.

Cette question, quelque peu iconoclaste mais loin d’être oiseuse, est éminemment culturelle, identitaire et politique, et a des implications sur l’évolution comme sur l’identité de notre armée. Est-ce l’intérêt de l’armée de parler un sabir franglais? Quelles sont les conséquences tactiques et doctrinales de cette anglicisation aussi rapide que perceptible du langage? Enfin, quels en sont les enjeux symboliques, stratégiques et politiques?

L’usage souvent abusif de l’anglais et une visible déférence à l’égard de la culture militaire américaine, dont font assez régulièrement preuve les militaires français, est symptomatique d’une certaine fascination envieuse pour la superpuissance militaire de ce pays et de l’intériorisation de leur subordination militaire, doctrinale et stratégique.

 

Un «franglais» militaire en très nette progression

En préambule, il convient de préciser que n’est pas niée, ici, l’importance de savoir communiquer en anglais avec nos alliés lors des opérations multinationales que nous menons. Pour autant, la tendance lourde et récente à parler un franglais comme jargon professionnel mérite que l’on s’attarde sur ce phénomène révélateur.

Tout d’abord, il faut souligner le fait que le français n’est pas toujours la langue utilisée entre Français, en opérations notamment. En Afghanistan, la Task Force[3] La Fayette (sous commandement d’une division américaine) rédige en anglais tous les ordres transmis à ses échelons subordonnés appelés Battle Groups[4], et pourtant tous français. De retour d’Afghanistan l’été 2011, un chef de bureau opérations-instruction reconnaissait, dans le domaine tactique, «l’importance de la précision sémantique malgré l’américanisation galopante» et regrettait «la perte de cette précision sémantique unique de la langue française» dans les ordres rédigés en anglais[5]. De fait, la rupture linguistique ne s’effectue qu’au niveau des GTIA, qui rédigent leurs ordres, en interne, en français.

Ainsi, les militaires font montre d’un certain empressement ostentatoire à parler «la langue internationale et opérationnelle» que serait par excellence et par définition l’anglais. Non seulement celui-ci est employé dans des cas où le français suffirait parfaitement ou conviendrait mieux, mais il est désormais militairement correct d’émailler le moindre propos d’anglicismes, la moindre intervention d’acronymes anglo-saxons. C’est ainsi que le militaire français est persuadé que «un drill ASAP, un manning pertinent, des inputs idoines, sans oublier un warm up approprié, garantissent la réussite du CAX »[6].

Enfin, le théâtre afghan est un abondant pourvoyeur d’anglicismes et d’acronymes anglo-saxons qui ont littéralement envahi le langage des militaires français. Aussi, un florilège poétique mais pas si irréaliste, pourrait donner ceci: «Bien qu’ayant le lead de l’opération et bénéficiant des EOD, d’une WIT, voire d’une STU pour contrer la menace IED, ainsi, of course, que du JFAC, du CAS et du CCA des Tigres on call mais risquant les TIC avec les AAF, nous ne sommes pas à l’abri de KIA et de WIA»[7]. L’utilisation de l’anglais n’apporte ici évidemment aucune plus-value, tactique ou d’un autre type.

 

Une langue française écornée et concurrencée par l’anglais

En outre, le plus souvent, les acronymes ne sont même pas explicités en anglais et encore moins traduits, car il semble aller de soi que tout un chacun comprend parfaitement la langue et les acronymes anglo-saxons puisque tout militaire «a fait  l’Afghanistan» (the place to be aujourd’hui pour espérer se faire entendre sur l’agora militaire). Or, la signification de ces derniers est loin d’être bien maîtrisée par la majorité des militaires.

Aussi est-il permis de se demander pourquoi le commandement s’ingénie à baptiser nos opérations en Afghanistan de noms anglais comme Blacksmith’s Hammer et certains de nos Battle Groups Raptor, Black Rock ou encore Musketeer ? On constate ainsi, dans les opérations multinationales, une visibilité et une résonance moindres, mais également un effacement et recul encouragés de la langue française. Analysant ce phénomène, le linguiste Claude Hagège dénonce «le renoncement» et «la soumission à un prétendu réalisme»[8] de nos diverses élites.

Ainsi, l’interopérabilité est trop souvent le prétexte à nos renoncements et à nos reculs, linguistiques entre autres. «Il faut arrêter de voir l’interopérabilité avec les forces armées américaines, à tous les niveaux, dans tous les domaines, comme un bien et une nécessité absolue»[9] prévient le gGénéral (2°s) Vincent Desportes. Or, presque toujours les anglicismes ou les américanismes altèrent et appauvrissent notre langue par substitution. Des mots anglais sont ainsi importés sans même aucune recherche de traduction. On peut citer manning, rehearsal ou encore compound, qui a par ailleurs donné le barbarisme «compoundisation». Dans ce contexte, certains linguistes n’hésitent plus à parler de «pollution linguistique» anglophone.

 

Un anglo-américain qui véhicule une culture militaire spécifique

Parler une langue étrangère n’est pas anodin. Une langue n’est pas qu’un simple outil de communication, neutre et interchangeable. Parler une langue, c’est utiliser des mots exprimant des sentiments, des idéaux, des schémas de pensée intériorisés, des notions et des concepts propres à cette culture. Il existe donc une relation intime entre la langue et la pensée. Aussi, à travers la langue française s’exprime bel et bien l’identité, la souveraineté et la culture du peuple français. Ainsi ne peut-on utiliser régulièrement une langue sans être largement imprégné par son imaginaire et sa culture.

C’est pourquoi, les identités militaires, les cultures, tactiques comme stratégiques, françaises et américaines sont profondément différentes. Pour sa part, l’anglo-américain est porteur d’une vision messianique et hégémonique, d’une tradition stratégique fondée sur «le paradigme central de la destruction» [10]  et le «technologisme» ainsi que d’une façon très capitalistique de faire la guerre. Or, de plus en plus, «notre propre pensée stratégique et militaire, l’évolution de nos propres armées sont très largement sous l’influence des États-Unis qui dominent la "bataille des normes": doctrinales, technologiques, structurelles…»[11].

Par conséquent, la très forte pénétration de la langue française par l’anglo-américain véhicule logiquement les méthodes et concepts militaires américains. Il n’est donc pas surprenant qu’actuellement, comme le confiait récemment un ancien officier américain travaillant auprès de l’ambassade américaine à Paris, tous les efforts soient faits par les militaires français pour rapprocher leur doctrine tactique et leur pensée stratégique de celle des États-Unis. En outre, chacun sait bien que ce sont très largement les États-Unis qui dictent leurs concepts, leur doctrine et leurs procédures à l’OTAN. On comprend mieux ainsi les limites et les dangers d’une acculturation poussée des militaires français à la pensée militaire américaine.

 

La séduction et la fascination du modèle militaire américain

Il existe manifestement une certaine fascination, voire une fascination certaine, pour la superpuissance militaire américaine chez les militaires français. Ce sentiment d’envie pour le modèle militaire américain dominant s’explique notamment par ses moyens humains et technologiques colossaux et sans aucune mesure avec les nôtres. L’académicien Jean Dutourd avait déjà montré qu’«il y a en France une espèce de consentement ou d’adhésion» à la domination linguistique et culturelle américaine[12]. Ainsi, toute contestation de l’omniprésence de l’anglais et toute résistance à la suprématie linguistique écrasante de l’anglais court le risque d’apparaître comme ringarde et chauvine, out, voire (horresco referens!) américanophobe.

Aussi, lorsque le général de Gaulle imposait que le «No smoking» dans la Caravelle présidentielle soit remplacé par un «Ne pas fumer», l’exemple était donné par le premier des Français qui était parfaitement conscient des enjeux majeurs de la défense de notre langue. En effet, celui qui avait empêché in extremis, après la Seconde Guerre mondiale, que la France ne soit placée sous protectorat américain et donc administrée en langue anglaise[13], et avait créé le Haut comité pour la défense et l’expansion de la langue française[14], considérait que l’extension de l’anglo-américain était un des chevaux de Troie de la volonté de domination de la superpuissance et de ses visions stratégiques.

Dans la guerre des perceptions et des symboles, la langue n’est pas le moindre des enjeux. Ces enjeux tiennent à la souveraineté, au symbolique, au politique et à la géopolitique. En effet, la défense de la France sur la scène internationale ne peut se passer de la défense du français sur son sol et de la francophonie à l’extérieur, garants de notre rayonnement et outils irremplaçables de notre influence dans le monde. La vigueur de la langue française est un des éléments primordiaux de la «puissance douce» de notre pays. Or, la promotion et la préservation du français ne suscitent guère que l’indifférence. L’écrivain Jean Dutourd n’hésitait plus à parler de «démission collective»[15].

 

Une défense active de notre langue pour le rayonnement de notre identité militaire

La langue est bien une arme, car elle est un instrument redoutable d’influence et d’hégémonie culturelle. Le champ linguistique et le champ sémantique sont toujours un champ de bataille dans la guerre du sens que nous avons à gagner. C’est la raison pour laquelle le combat pour la langue va bien au-delà de la langue. Le mot de «combat» n’est pas exagéré puisqu’il était employé par le Président Jacques Chirac lui-même : «La France […] se bat depuis longtemps pour affirmer la présence du français; […] au sein de l’Union européenne, à l’ONU, nous nous battons pour notre langue. C’est l’intérêt national […]»[16]. Pourquoi donc ne pas se battre pour notre langue au sein de l’OTAN? Dans ce combat, qui est tout le contraire d’un combat d’arrière-garde, le militaire a un rôle à jouer. Sans tomber dans le purisme linguistique, tout militaire, «ambassadeur de l’armée de Terre et de la France»[17], et à plus forte raison tout officier, se doit de promouvoir notre langue et donc notre spécificité militaire, sur notre sol comme en opérations extérieures.

Par ailleurs, le lien armée-nation (passablement distendu) dont on se gargarise, en sort-il renforcé quand l’homme d’armes s’éloigne un peu plus des autres citoyens en usant d’une langue de plus en plus hermétique et «jargonisante»? Le représentant armé de la nation qu’est tout militaire n’a-t-il pas un rôle et une responsabilité à assumer dans le bon usage et la défense de la langue de sa patrie? En outre, dans le cadre de la francophonie, ce ne serait pas la moindre de nos contradictions que nous soyons les moins ardents à défendre notre langue maternelle que nous avons en partage avec des millions de locuteurs, à qui nous l’avons d’ailleurs pour beaucoup imposée lors de la colonisation.

Aussi, ne peut-on que suggérer le bon sens dans l’usage de l’anglais. Il est quasiment toujours possible de privilégier les expressions et termes français à leurs équivalents anglo-saxons. Il conviendrait également que non seulement la littérature militaire traduise systématiquement les termes anglo-saxons dont elle s’inspire, mais encore que les militaires en situation de responsabilité et de commandement adoptent une «pratique offensive de leur langue»[18].

 

Pour conclure, il apparaît que, de manière générale, les militaires français sacrifient trop massivement, parfois allègrement et avec empressement, à l’anglicisation et au franglais. Ils semblent consentir à l’expansion de l’anglais et au recul de leur propre langue nationale. Cette acceptation paraît liée à la fascination, assez répandue, des militaires français à l’égard de la puissance militaire américaine et à l’intériorisation de leur subordination militaire, doctrinale et stratégique.

En écrivant ce plaidoyer pour notre langue, le rédacteur de ces lignes, qui reconnaît lui-même céder parfois à certains travers cités (tant le conformisme et la reproduction des habitudes sont puissants), est conscient de n’être qu’une «vox clamantis in deserto». Il reste néanmoins convaincu que tout militaire, et plus particulièrement tout officier, doit s’efforcer de prendre une part active dans la «défense et l’illustration de la langue française»[19]  au sein de notre armée et de notre société. En ces temps de crises et d’incertitudes, il se pourrait que pour le soldat comme pour tout citoyen, comme l’affirmait l’écrivain Francis Ponge, «la meilleure façon de servir la République (soit) de redonner force et tenue au langage»[20].

 

 

[1] Discours prononcé lors de l’inauguration de la Maison de la francophonie à Paris, le 18 mars 2011.

[2] Créé en 1999 par quatre associations de défense et de promotion de la langue française. Ce «prix d’indignité civique», est remis annuellement à une institution ou une personnalité qui s'est particulièrement distinguée par «sa soumission» et sa docilité «à promouvoir la domination de l'anglo-américain […] au détriment de la langue française». 

[3] Force d’intervention.

[4] Groupements tactiques interarmes ou GTIA.

[5] Il rejoint ainsi Antoine de Rivarol qui soulignait la clarté et la précision de notre langue. «De l'universalité de la langue française», Paris, 1784.

[6] Traduction libre: «un entraînement dès que possible, une répartition pertinente des rôles, des données d’entrée idoines, sans oublier un «échauffement» approprié, garantissent la réussite de l’exercice assisté par ordinateur».

[7] Traduction libre: «Bien qu’ayant le commandement de l’opération et bénéficiant des équipes d’intervention sur engins explosifs, d’une équipe de renseignement sur l’armement, voire d’une unité de recherche pour contrer la menace des engins explosifs improvisés, ainsi, bien évidement, que du contrôleur aérien avancé interarmées, de l’appui aérien rapproché et de l’appui feu hélicoptères par les Tigres sur demande, mais risquant d’être pris à partie par les tirs des forces anti-afghanes, nous ne sommes pas à l’abri de morts et de blessés au combat».

[8] Claude Hagège, «Combat pour le français. Au nom de la diversité des langues et des cultures», Odile Jacob, Paris, 2006.

[9] Entretien accordé par le Général (2°s) Vincent Desportes, le 6 avril 2011, au politologue Joseph Henrotin, à l’occasion de la sortie de son livre «Le piège américain. Pourquoi les États-Unis peuvent perdre les guerres d’aujourd’hui», Économica, Paris, 2011.

[10] Ibid.

[11] Ibid.

[12] Jean Dutourd, «Scandale de la vertu», Ed. du Fallois, Paris, 1997.

[13] Washington avait prévu d’imposer à la France un statut de protectorat, régi par un Allied Military Government of Occupied Territories (Amgot) où toute souveraineté aurait été abolie.

[14] Créé en 1965.

[15] Jean Dutourd, op.cit.

[16] Conférence de presse du Président Jacques Chirac à Bruxelles, à l’issue du Conseil européen, le 24 mars 2006. Il poursuivra en déclarant que «fonder le monde de demain sur une seule langue et une seule culture […] serait une régression dramatique».

[17] Code du soldat de l’armée de Terre.

[18] Claude Hagège, op. cit.

[19] Pour reprendre et rendre hommage à la Défense et illustration de la  langue française de Joachim de Bellay, écrit en 1549.

[20] Francis Ponge, «Pour un Malherbe», Gallimard, 1965.

 

 

Saint-cyrien ayant servi dans le génie combat blindé au 19èmeRG puis au 13èmeRG lors de sa première partie de carrière, le Capitaine POZZER est actuellement stagiaire au Cours supérieur d’état-major. Il est détenteur d’un Master 1 de sociologie.

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Titre : Défense et illustration de la langue française dans notre armée
Auteur(s) : le Capitaine POZZER
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