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Des racines profondes de l’État islamique (EI) en Irak et au levant

Cahiers de la pensée mili-Terre n° 43
Histoire & stratégie
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Le 29 juin 2014, Abou Bakr al-Baghdadi, chef de l’État islamique (EI), s’attribuait le titre de Calife, terme inusité depuis presque un siècle. L’auteur recherche dans l’histoire du monde arabo-musulman des précédents qui éclairent les agissements de l’État islamique. Il souhaite montrer que ce califat autoproclamé s’inscrit plus dans la radicalisation de l’islam politique que dans la tradition califale.


L’EI a d'abord été considéré comme un feu de paille. Or, ce groupe terroriste accentue aujourd’hui son emprise contre toute attente et se veut même une menace contre l’Occident. Il convient donc de rechercher les sources profondes de cet acteur à l’importance géostratégique majeure.

En effet, depuis 1924, date de l’abolition du califat par Atatürk et du renversement du chérif Hussein par Ibn Séoud, plus personne n'avait revendiqué le titre de Calife jusqu'à l'auto-proclamation d’Abou Bakr al-Baghdadi, chef de l'État islamique le 29 juin 2014.[1]

Rappelons que depuis la mort de Muhammed en 632 de notre ère, le calife est le lieutenant du Prophète, son successeur, titre appliqué par le Coran à Adam et au roi David (Daoud en arabe). Le calife est en quelque sorte investi d'une vice-royauté divine sur l'univers, un pape qui serait aussi empereur universel. Successeur du Prophète, il est le chef temporel et spirituel de l'islam. Les quatre premiers califes, Muhammed et, après lui, Abou Bakr (632-634), Omar, Othman et Ali (656-661), sont les califes dits orthodoxes. Le grand schisme de légitimité viendra ensuite, séparant les chiites, fidèles du calife assassiné Ali, et les sunnites.

L’Académie française définit l’islamisme comme un «mouvement politique et religieux prônant l'expansion de l'islam et la stricte observance de la loi coranique dans tous les domaines de la vie publique et privée. Aujourd'hui, il désigne plus particulièrement un mouvement politique et idéologique se réclamant des fondements de l'islam et qui peut prendre un caractère extrémiste».

Y a-t-il, dans l’histoire de la sphère arabo-musulmane, des précédents qui éclairent les agissements de l’État islamique? Il semble que si l’EI revendique son appartenance à la tradition califale, il n’en emprunte que les pires aspects et s’inscrit plus classiquement dans le phénomène de radicalisation de l’islam politique.

 

Pour s’en assurer, nous passerons en revue deux antécédents historiques de l’EI: l’État almohade dans l’occident musulman médiéval puis, plus près de nous à l’échelle du temps, l’État wahhabite en Arabie. Pour terminer, nous déterminerons les enjeux géostratégiques majeurs posés par ce dernier califat autoproclamé.

 

L’État almohade: de l’émergence au déclin via l’apogée espagnole

 

D’origine berbère, les almohades ont formé une dynastie musulmane qui a étendu sa domination sur l’Afrique du nord et l’Espagne aux XIIème et XIIIème siècles. L’État almohade est fondé par Muḥammad Ibn ʿAbd ʾAllāh Ibn Tūmart. Après des études en Orient, il retourne au Maroc vers 1110 et dénonce les mœurs jugées contraires à la loi musulmane et le «clergé» des fuqahā mālikites, ces docteurs en science religieuse, ossature de la dynastie almoravide.

Ibn Tūmart prêche des idées réformatrices dirigées surtout contre le relâchement des Almoravides. Son intransigeance lui vaut des ennemis, mais sa parole persuasive, son savoir et sa piété touchent les cœurs. À bien des égards, l’attitude et l’action du chef actuel de l’EI peuvent être comparées à celles d'Ibn Tūmart.

Le mot arabe al-muwaḥḥidūn, qui a donné «almohades», signifie «ceux qui professent l'unicité de Dieu». Il illustre l'idéal rigoriste de la théologie d'Ibn Tūmart qui, par la foi en un dieu unique, veut créer l'unité temporelle des croyants unis par la seule loi de l’islam. Ibn Tūmart sut modeler sa doctrine de manière judicieuse car, pour lui, «les impératifs pratiques commandent les démarches théoriques»[2].

Surtout, Ibn Tūmart emprunte au chiisme la notion de mahdī (ce qui signifie le «bien-guidé par Allāh»). Le mahdī est celui dont les actions sont les répliques de celles du Prophète. «Le retour passionné à l'idéal religieux du ǧihād, guerre dirigée contre les ennemis de la vraie foi, fussent-ils musulmans de nom, marque bien le caractère de ce mahdīsme, mouvement […] soucieux surtout de reconstituer les conditions de l'activité guerrière autant que missionnaire du prophète Muḥammed»[3]. Prenant ainsi exemple sur Muhammed, Ibn Tūmart s’autoproclame le mahdī d’une communauté dont il consolide sans cesse l’unité par la discipline de fer et l’élimination des dissidents. 

À la mort du mahdī, son fidèle disciple ʿAbd al-Muʾmin Ibn ʿAlī (1094-1163) lui succède et poursuit sa volonté de conquête: après le Maroc, c’est tout le Maghreb central et oriental qui est conquis. Figure immense de l'occident musulman, sa psychologie est complexe, son intelligence politique incontestable: «réserve et piété, sens du compromis et esprit de conservation, mais aussi énergie, détermination et cruauté»[4].

  • Les Almohades en Espagne. Appelé dès 1145 au nord de la méditerranée, ʿAbd al-Muʾmin Ibn ʿAlī installe son pouvoir en Andalousie occidentale. Il décide de rompre avec le système collégial du mahdī et transforme ainsi profondément son empire. Il établit une dynastie, prend le titre de commandeur des croyants, «amīr al-muʾminīn» et instaure un califat almohade qui rejette la suzeraineté du califat «central» des ʿabbāsides à Bagdad.

La transformation de l’État almohade en un califat s’accompagne du rejet du puritanisme du mahdī en faveur d’un attrait marqué pour le luxe et les arts. La culture connaît son heure de gloire: philosophie avec Ibn Ṭufayl et Ibn Rušd (Averroès), musique et architecture. Certains chefs d’œuvre impressionnent encore, comme la forteresse de Rabat, la Kutubiyya et la mosquée de la Kasbah à Marrakech, la Giralda de Séville ou encore l’Alhambra de Grenade.

 

  • Le déclin almohade. Après une phase de persécution contre les juristes mālikites, les juifs et les philosophes (dont fit les frais Averroès, exilé par les gardiens de la tradition), l’empire s’écroule peu à peu. Des pirates almoravides des Baléares s'unissent à des tribus pastorales arabes et fomentent un large foyer d'opposition jusque vers 1226. De leur côté, les chrétiens d'Espagne mènent la Reconquista. Affaibli par les succès chrétiens, le pouvoir almohade en Espagne est remplacé par des petits royaumes musulmans. Au Maroc, des Berbères mérinides progressent jusqu’à la prise de Marrakech en 1269.

Plus près de nous, au milieu du XVIIIème siècle, l’alliance entre un prédicateur et un chef politico-militaire donne naissance à un autre État islamique, sur la péninsule arabique cette fois.

 

Le royaume d’Arabie saoudite et la prédication wahhabite

 

Le royaume d'Arabie saoudite est «wahhabite», c’est-à-dire qu’il est adepte de la réforme islamique prêchée au XVIIIème siècle par Muḥammad Ibn ʿAbd al-Wahhāb (1720 – 1792) prônant un retour rigoriste et littéral à la charia. Mais le royaume d'Arabie saoudite ne prétend pas au califat. Il est le gardien de Médine et La Mecque, deux des trois lieux saints du sunnisme, avec Jérusalem.

Les disciples de Muḥammad Ibn Abd al-Wahhāb préférent l’appellation de Ahl al-Tawḥīd, ce qui signifie «les gens de l'unicité» [de Dieu] à celle de wahhabites. L'orientaliste Henri Laoust définit le wahhabisme comme un «mouvement à la fois religieux et politique, arabe et musulman, [qui] s'est assigné essentiellement pour but [...] de construire un État sunnite qui se fût étendu [...] à l'ensemble des pays arabes, de restaurer l'Islam dans sa pureté première, en luttant contre toutes les innovations et [...]en se laissant de larges possibilités d'expansion comme au temps des compagnons [du Prophète]»[5].

Dans ces franges de l'Empire ottoman et de Perse, Muḥammad Ibn Abd al-Wahhāb juge que l'islam s'est perverti parmi des populations sédentaires et superstitieuses et des aristocraties attirées par le luxe. Par ses qualités oratoires et ses constantes références coraniques, Muḥammad Ibn Abd al-Wahhāb répand rapidement sa parole. D’une grande sévérité, il condamne toutes les formes de culte invoquant des intercesseurs, telles les réunions autour des tombes d'hommes saints et les cérémonies d'exaltation mystique du Chiisme et du soufisme. Il fait abattre des arbres sacrés et détruire les coupoles des sépultures vénérées.

 

  • «Le sabre et le Coran». Pour réduire les résistances, Muḥammad Ibn Abd al-Wahhāb rallie Muḥammad Ibn Suūd, l'émir de Riyad. Cette alliance a permis jusqu’à présent à la dynastie des Saoud de légitimer son autorité: «En 1744, l’amīr et le théologien se juraient une fidélité réciproque pour faire triompher, fût-ce par les armes, le règne de la parole de Dieu»[6]. Ce pacte, toujours observé, marque donc la naissance de l’État wahhabite et a érigé une petite principauté bédouine en une théocratie instituée de manière légale.

En 1801, les wahhabites pillent le sanctuaire chiite de Karbalā, s'emparent de Médine en 1805 puis de La Mecque en 1806, au détriment de l'autorité du sultan ottoman, «protecteur et serviteur» des lieux saints de l'islam. De 1811 à 1818, les troupes de Mehmet Ali, pacha d'Égypte, reprennent le contrôle du Hedjaz et de La Mecque au nom du sultan, refoulant les Saoud jusqu'à Riyad.

  • L’actuelle Arabie saoudite. C’est dans cette ville de Riyad que naît en 1879 Ibn Saoud, le fondateur de l’actuelle Arabie saoudite. Dès 1901, Ibn Saoud mène son premier raid avec des combattants portés par leur foi islamique. Il reprend l'oasis de Riyad et son aire familiale et tribale. Allié à des tribus voisines, il tisse progressivement un réseau de solidarité renforcée par le message transcendant et unitaire de l'islam.

À partir de 1926, il porte le titre de roi du Hedjaz et du Nadjd. Le congrès islamique de La Mecque du 7 juin 1926 souligne le devoir du nouveau roi de garantir l'unité de l'islam. L'attribution de cette fonction religieuse sous-tend une ambition politique mondiale, et réaffirme que l'Arabie est bien le centre de la communauté des croyants musulmans. Depuis 1932 et la proclamation du royaume unifié sous le nom d'Arabie saoudite, le nouvel État a pour loi la charia et pour constitution le Coran. Depuis la mort d'Ibn Saoud en 1954, ses successeurs ont toujours été choisis parmi ses fils. La famille des Al al-Cheikh, religieux descendants d'Ibn ʿAbd al-Wahhāb, continue également de jouir d’une grande influence en dirigeant le royaume aux côtés des Saoud. Prôné par cette monarchie théocratique qui tire elle-même puissance et prospérité des revenus du pétrole, le wahhabisme s’en trouve du même coup soutenu. Il alimente les courants du fondamentalisme sunnite au sein des communautés musulmanes dans le monde.

 

Enjeux géostratégiques de l’État islamique, califat auto-proclamé

 

Le 13 octobre 2006, réagissant au projet d'un État fédéral en Irak, les insurgés sunnites proches de l'organisation terroriste al-Qaʿida annoncent la création, dans le «triangle sunnite» situé dans le centre du pays, d'un «État islamique d'Irak».

Comme al-Qaida et de nombreux mouvements islamistes, l’EI se développe sur un terreau social marqué par la déception populaire face à l’absence de développement économique, la corruption, le clientélisme et les guerres à répétition. Il exploite également le fort ressentiment des populations à l’égard de l’Occident, accusé d’imposer ses modèles d’organisation économique et ses idéologies contraires aux perceptions de l’islam. Prônant une renaissance spirituelle ou une réforme doctrinale, l’objectif de ces militants islamistes est la reprise en main d’une société musulmane en passe d’acculturation et d’occidentalisation.

Le «califat» d’Al-Baghdadi, pour sa part, interprète le Coran de manière fruste, violente et absolument littérale. Il veut imposer le sunnisme et un ordre totalitaire aux minorités religieuses comme les yaziris et les chrétiens, qu’il n’hésite pas à persécuter. De plus, il cherche à briser l'alliance chiite, décrite sous la forme d’un «arc chiite» qui unit le Hezbollah libanais à l'Iran – république islamique depuis 1979 –, en passant par les alaouites d'Assad en Syrie et par l'Irak.

Son universalisme en est une caractéristique majeure: installé de facto dans une région bien identifiée, il prétend s’accroître pour constituer un empire universel, ce que recouvre la notion de califat. Il procède de manière très efficace et moderne pour recruter ses soldats via une médiatisation parfaitement maîtrisée. Les frappes aériennes de la coalition, pour utiles qu’elles puissent être aux échelles tactiques et opératives, doivent donc être doublées d’actions politico-stratégiques avec les acteurs locaux et internationaux. S’opposer à l’EI passe ainsi nécessairement par un soutien à ses adversaires irakiens, mais aussi syriens et kurdes.

 

Leçons à tirer

 

Les pétro-monarchies du Golfe ont un rôle qui peut être qualifié pour le moins d’ambigu. D'abord bailleuses de fonds et fournisseuses des djihadistes, elles semblent actuellement inquiétées par la perspective d'un califat rivalisant avec leurs intérêts et leur légitimisme islamiste. De même, la Turquie islamiste et ottomane d'Erdogan semble vouloir réveiller le souvenir historique du califat de Constantinople.

Ces enjeux de puissance ne sont pas seulement régionaux, mais aussi idéologiques, ancrés dans les esprits. La force du discours d’Ibn Tumart au XIIème siècle ou d’Ibn Abd al-Wahhab au XVIIIème se retrouve dans celle des chefs de l’EI d’aujourd’hui et dans leur capacité de propagande et de recrutement dans les pays à fortes minorités musulmanes. Il convient ainsi d’éviter des considérations à courte vue, comparables à la question cynique posée par Staline: «Le Vatican, combien de divisions?»

Finalement, l’État islamique ainsi qu’Al-Qaida reflètent le divorce entre les tenants d’une prédication puritaine de l’islam et des princes que le pouvoir et le luxe ont détourné de l’alliance fondatrice, tant chez les almohades que chez les wahhabites. Pour les soutiens et les responsables de l’EI, la dynastie almohade, ainsi que la famille royale saoudienne, se sont peu à peu détournées du lien initial avec le religieux. Né comme eux autour d’un projet politique fondé sur une vision rigoriste de l’islam, l’État islamique pourrait donc finir par se retourner contre ses anciens alliés.

 

 

[1] C’est aussi le 29 juin 2014 que l’«État Islamique en Irak et au Levant» se transforme en «État Islamique».

[2] Roger Arnaldez, «Ibn Tūmart Muhammad Ibn Abdallāh - (1080-1130) , Encyclopædia Universalis consultée le 23 nov. 2014. url : http://www.universalisedu.com/encyclopedie.

[3] Id.

[4] Jean-Louis Miège, «Abd Al-Mu'min (entre 1094 et 1106-1163)», Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 24 nov. 2014. url : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/abd-al-mu-min/

[5] Laoust, H. «Ibn ʿAbd al-Wahhāb», Encyclopédie de l’Islam. Brill Online, 2014. Université de Strasbourg. 23 novembre 2014

[6] Laoust, H. op cit.

 

Saint-cyrien de la promotion «Général Vanbremeersch», le Chef de bataillon TRÉGUIER a servi au 1er régiment d’infanterie puis à l’ENSOA. Commandant d’unité au 110ème régiment d’infanterie, il a servi comme officier traitant à l’état-major de la 2ème brigade blindée. Lauréat du concours 2013 de l’École de guerre, il a débuté sa scolarité en arabe à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) en septembre 2014.

 

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Titre : Des racines profondes de l’État islamique (EI) en Irak et au levant
Auteur(s) : le Chef de bataillon TRÉGUIER
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