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Enseigner la haute intensité

Revue militaire général n°58
Histoire & stratégie
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Il faut travailler, toujours travailler pour nous tenir au courant, car les moyens évoluent, les solutions sont chaque jour différentes. Faire la guerre prochaine avec les procédés de la dernière, quelle utopie !

Ferdinand Foch, conférence à l’école navale, 1920.

Pour permettre à l’officier d’affronter les situations complexes qui caractérisent un conflit de haute intensité, les formations proposées à l’école d’état-major doivent nécessairement évoluer. L’adaptation, l’actualisation et la diversification de leur contenu ne viennent cependant pas remettre en cause les fondamentaux du travail en état-major, dont la maîtrise reste plus que jamais un gage de succès.

 


Afin de « faire face aux chocs les plus rudes jusqu’à l’affrontement majeur », « forger des hommes capables de combattre jusque dans les champs les plus durs de la conflictualité[1] » : telle est l’intention du CEMAT pour les années à venir. La ligne de conduite est claire : l’armée de Terre doit se préparer à s’engager dans un combat de haute intensité, entendu comme une « confrontation très violente et soutenue entre forces, dans tous les champs et les milieux, et susceptible d’entraîner une attrition importante[2] ».

L’atteinte de cet objectif passe évidemment par la formation des chefs et des soldats, et l’école d’état-major (EEM), socle de l’enseignement militaire supérieur, est directement impliquée. Sa vocation première est bien de livrer les fondamentaux du travail d’état-major, mais le durcissement des engagements et la résurgence possible d’un conflit majeur remettent-ils en question le contenu de ses formations ?

Face aux nouvelles formes de conflictualité, l’instruction tactique proposée par l’EEM doit effectivement évoluer : l’enseignement de la haute intensité nécessite un élargissement du socle à travers l’intégration dans les formations de domaines jusqu’ici délaissés. Il reste néanmoins centré sur l’apprentissage de procédures adaptables à tout type de situation.

Enseigner la haute intensité : déjà une réalité ?

L’affrontement majeur est déjà le support de la plupart des thèmes d’instruction étudiés au cours des différents stages organisés à l’EEM. Force est cependant de constater que, pour qu’ils restent accessibles et pédagogiques, l’école a choisi d’en occulter certains aspects, ce qui aujourd’hui les éloigne sensiblement de la réalité.

L’EEM s’appuie déjà depuis de nombreuses années sur des scénarios durs qui donnent lieu, en simulation, à des affrontements violents aux taux de pertes élevés. Si elle laisse parfois un souvenir ému aux stagiaires qui la conçoivent, la « grande guerre patriotique » menée dans les Ardennes face à l’ennemi Pourpre s’inscrit bel et bien dans le cadre d’un conflit de haute intensité.

De fait, un scénario de ce type se révèle être un cadre particulièrement favorable à l’apprentissage des bases du travail d’état-major. D’une part, les modes tactiques offensifs et défensifs qui y sont mis en œuvre sont plus faciles à aborder que la sécurisation ou l’assistance, en ce sens qu’ils permettent de mieux mettre en évidence - et de façon plus dynamique - l’application des principes de tactique générale. D’autre part, l’ennemi qui y est décrit agit conformément à une doctrine connue et utilise des méthodes conventionnelles plus simples à conceptualiser et à décrire.

Cependant, si elle semble s’en approcher, l’instruction dispensée aujourd’hui à l’EEM reste en réalité très éloignée, par différents aspects, des nouvelles conflictualités décrites précédemment.

Ainsi, les thèmes-supports mettent en jeu un adversaire régulier, mais faiblement symétrique. La force amie possède systématiquement une supériorité technologique très avantageuse (supériorité aérienne, aptitude au combat de nuit, portées de l’artillerie, etc.) et met en œuvre des volumes de force bien supérieurs à ce que l’armée de Terre serait capable de déployer dans la réalité, afin de ne pas confronter les stagiaires à des problèmes de rapport de force trop importants. A l’inverse, les structures ennemies sont peu manœuvrières (systèmes de commandement peu réactifs, unités presque toujours ternaires) et agissent de façon relativement prévisibles (en termes de modes d’action, mais également d’articulation et d’échelonnement).

En outre, les domaines sensibles d’un conflit de haute intensité moderne (logistique, guerre électronique, menace aérienne, NRBC, etc.) ne sont que peu voire pas pris en considération, du fait de leur grande complexité. C’est également pour cette raison que les modes d’action choisis n’intègrent que rarement la notion de ruse (actions de déception notamment).

Enseigner la haute intensité : quelles évolutions nécessaires ?

Armer le futur officier d’état-major afin qu’il puisse tenir son rang au cours d’un conflit majeur semble donc nécessiter une évolution de la formation. Celle-ci passe en premier lieu par une redéfinition de l’ennemi. Elle requiert également un changement de mentalité, tant dans la façon de penser et de planifier la manœuvre qu’à travers l’appropriation et l’emploi de nouveaux outils.

Le confort tactique que procure la confrontation avec un ennemi technologiquement moins avancé, reflète mal la réalité que peut revêtir un conflit de haute intensité. Ainsi, une évolution de l’ennemi d’instruction a déjà été initiée, qui pourra donner lieu, dans certains scénarios, à des difficultés tactiques jusqu’ici ignorées : remise en question de la supériorité technologique, contestation de la supériorité aérienne, emploi massif de drones ou encore recours systématique à la guerre électronique[3]. Ce changement majeur, outre le fait qu’il complique le travail d’analyse de l’ennemi (manœuvrabilité des structures adverses, désormais quaternaires voire quinaires), va également confronter les stagiaires à la réalité de notre modèle : absence d’infanterie mécanisée chenillée, moyens spécifiques comptés (anti-char, défense sol-air ou génie) par exemple, qui rend plus complexe la recherche d’une solution tactique viable.

Mais préparer à la haute intensité ne se limite pas à la réécriture de l’ennemi d’instruction. Il peut encore s’agir de conduire un véritable changement culturel en passant d’une réflexion tactique aujourd’hui centrée sur la manœuvre, le choc et le combat des unités de mêlée à, demain, une plus grande attention portée aux phases préalables à l’engagement d’une part, et à l’environnement du champ de bataille (renseignement, actions connexes) d’autre part. Cette évolution pourrait permettre de (re)découvrir certains aspects du combat qui jusqu’à présent n’étaient évoqués que pour mémoire, à l’instar de la dimension logistique de la manœuvre (gestion des pertes humaines et matérielles notamment). Elle sera nécessairement accompagnée par l’appropriation et l’emploi d’outils qui faciliteront l’engagement et la prise de décision dans un contexte de haute intensité (systèmes d’information opérationnels et de communication, moyens de guerre électronique, capteurs renseignement spécialisés, drones, etc.).

Enseigner la haute intensité : quelle ambition ?

Les changements évoqués précédemment sont lourds de conséquences en ce sens qu’ils durcissent considérablement les exercices d’instruction et qu’ils exigent un volume de connaissance bien supérieur à ce qui est aujourd’hui demandé au stagiaire de l’EEM. Il est donc opportun de définir clairement l’objectif vers lequel doivent tendre les formations d’état-major.

La multiplicité des champs d’action et la complexité que peuvent revêtir les affrontements de haute intensité demandent une connaissance plus étendue des principales capacités et ressources disponibles. En parallèle, elles impliquent une spécialisation poussée des différents acteurs et nécessitent des formations complémentaires plus denses, qui rendent illusoire l’idée d’inculquer un savoir universel. Il convient donc, sans confondre enseignement et préparation opérationnelle, d’élargir le socle des connaissances générales exigées des stagiaires. Cette entreprise ne pourra être menée à bien qu’au travers d’une modification des programmes d’instruction, soit en renonçant à certains modules décrits dans le format actuel des formations, soit en allongeant la durée de celles-ci.

Face à la diversité des formes d’affrontement possibles, il est cependant indispensable de renforcer l’adaptabilité de l’officier d’état-major afin qu’il puisse faire face à tout type de situation, quelle que soit l’intensité du conflit dans lequel il sera engagé ou le niveau de difficulté auquel il sera confronté. A l’accroissement des connaissances décrit précédemment, s’ajoute donc l’importance de développer davantage l’apprentissage des fondamentaux du travail en état-major : analyser, synthétiser, concevoir et proposer pour faciliter la décision du chef.

L’acquisition d’automatismes dans ce domaine, la maîtrise des procédures opérationnelles et l’apprentissage du travail collaboratif demandent sans doute - tout en revisitant les supports d’instruction pour les rapprocher de la réalité des engagements futurs - des simplifications essentielles à une assimilation efficace. Former à la haute intensité est un travail de longue haleine qui nécessite un délai de maturation important[4] et qui ne peut être que progressif.

 

En définitive, la perspective d’un affrontement majeur vient donc bien remettre en question la façon dont l’EEM enseigne la haute intensité. Si les fondamentaux du travail d’état-major restent le contenu de base de la formation dispensée, il n’en demeure pas moins que des évolutions importantes doivent être envisagées, tant dans la construction et la mise en œuvre des thèmes d’instruction que dans une prise en compte plus large des différents champs de conflictualité, qu’ils soient physiques ou immatériels.

C’est là tout le défi : rehausser le niveau de connaissance, d’exigence et de réalisme tout en déterminant le degré de simplification qui permettra de faire acquérir le savoir-faire fondamental dont l’officier a besoin au sortir de sa qualification interarmes.

Former des officiers aptes à servir au sein d’un état-major opérationnel, y compris dans les opérations les plus dures, reste la vocation de l’école d’état-major, pour le chef et pour le soldat[5].

 

 

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[1] Vision stratégique du chef d’état-major de l’armée de Terre, avril 2020, pp. 2-3.

[2] CIA 01 - Concept d’emploi des forces, 2020, p.14.

[3] Cet ennemi puissant et symétrique ne doit cependant pas faire oublier l’hybridité de la menace et la persistance d’adversaires asymétriques ou dissymétriques.

[4] Le séquencement de la formation proposée à l’école d’état-major avec une qualification interarmes à deux niveaux, trouve ici toute sa pertinence.

[5] Duci et militi, devise de l’école d’état-major.

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Titre : Enseigner la haute intensité
Auteur(s) : Colonel Philippe TROISTORFF
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