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Entre soutien de l’âme et référence morale: pour un rôle affirmé de l’aumônerie militaire

cahier de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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Alors que les forces armées se recentrent sur la conduite des opérations, cœur de leur métier, on peut s’interroger sur la pertinence du maintien d’une aumônerie militaire. Or c’est dans les opérations qu’elle trouve sa justification. Par le statut original qu’elle confère à ses membres, elle possède aujourd’hui la capacité de donner du sens à l’action du soldat en opération.


S’il devait exister une institution qui illustre une façon pacifiée et concrète de vivre la laïcité en France, l’aumônerie militaire serait un cas d’école. Sans bruit, le toilettage initié en 2005 par la réforme du statut général de militaires (SGM) a contribué à doter les armées d’un ensemble organisé et cohérent, qui représente les religions, et qui peut fournir à tout militaire le conseil, les sacrements ou l’accompagnement qu’exige sa foi. 300 aumôniers des différents cultes assurent aujourd’hui cette mission. Ils relèvent conjointement de leur aumônier-en-chef pour ce qui concerne les questions relatives à leur culte, et de l'autorité militaire pour ce qui concerne les modalités d'exercice de leurs missions au sein des formations de la Défense.

Pour autant, en ces temps budgétaires contraints, où la pression financière pèse sur les institutions et oblige celles-ci aux choix du recentrage sur la mission et sur le cœur du métier, ce rôle visible n’est plus suffisant. La démarche globale de rationalisation et de restructuration en cours dans les armées devrait logiquement toucher aussi les aumôneries militaires en tant qu’elles sont au service de la Défense et financées par son budget. On est donc aujourd’hui en droit de s’interroger sur l’opportunité de maintenir une telle composante dans les armées, sauf à prouver son apport dans les opérations qu’elles mènent aujourd’hui puisque tel est là le cœur de leur métier.

Et c’est bien là, au cœur des opérations, que l’aumônier militaire, homme de culte et soldat subordonné à sa hiérarchie, trouve la justification de son statut. Par sa vision originale, indépendante et institutionnelle à la fois, il est celui qui peut donner du sens à l’action du soldat en opération.

A travers les interrogations du soldat en opération, à travers la mission qu’il conduit et la vision plus globale de la pratique du métier des armes, on étudiera ici la contribution de l’aumônerie militaire.

 

Donner un sens au questionnement personnel

La sociologie du soldat est aujourd’hui marquée par une grande pauvreté de repères philosophiques ou théologiques. La plupart des jeunes engagés ignore tout de la signification des cultes religieux et ne parvient pas à démêler les approximations enseignées à l’école de la république des poncifs médiatiques. Pourtant, dans un cadre général de perte de repères, l’appartenance religieuse intrigue, les racines philosophiques questionnent. Cette question ignorée, refoulée ou tue en métropole émerge à l’heure du danger, face à l’ennemi et face à la mort. Cette violence et ce feu de l’action, librement choisis par le soldat, le distinguent. L’expérience du danger ou sa perspective n’en demeurent pas moins traumatisantes, et rendent prégnantes les questions qu’il se pose sur son identité, la foi de ses parents, ou même sur l’existence de l’au-delà. C’est donc ici une manière de se définir dans son groupe mais aussi par rapport à son ennemi.

Ce questionnement personnel est sain parce qu’il construit l’homme, le conforte dans ses positions et le rend stable. Encore faut-il qu’il trouve une oreille disponible, formée et suffisamment neutre pour qu’elle ne soit que conseil, c'est-à-dire non partisane, sans relation hiérarchique, et pas un avis technique médical.

Le rôle privilégié de l’aumônier militaire s’exprime ici avec une grande acuité. Oreille attentive il est «écoute» auprès de tous. Sa place, à coté de la hiérarchie, le rend accessible aux plus humbles comme au chef qui bien souvent voit en lui un palliatif à sa solitude. La disponibilité dont il témoigne, puisque tout tourné vers la communauté militaire, la paix du lieu auquel il est associé attirent celui qui se cherche et lui offrent les éléments d’une réponse toute personnelle.

Il est aussi «référence» parce que homme de Dieu et aussi homme de science de Dieu. Sa voix porte ainsi sur tout ce qui a trait au religieux indépendamment de la religion qu’il sert. Il est donc un garant de l’orthodoxie de la pratique de la foi et, en quelque sorte, un garde-fou contre tout excès ou toute pratique nuisant à la mission des forces armées et au respect des autres sensibilités. La proportion croissante de jeunes engagés de confession musulmane confirme le caractère prégnant de ce rôle. Il permet ainsi d’éviter, ou du moins d’encadrer les regroupements spontanés en organisant le culte à bord du porte-avions Charles de Gaulle, par exemple.

Rôle d’écoute et autorité de référence s’ajoutent aux exigences du culte dont il a la charge et permettent à l’aumônier militaire de soutenir l’âme de tous les soldats en opération. Cette mission est en somme une naturelle prolongation de ses attributions en métropole. Il importe maintenant d’aller plus loin et de lui confier la tâche de donner du sens à la mission.

 

Donner un sens à la mission

La mission est l’apanage du soldat, sa raison d’être, sa finalité, son culte pour ainsi dire. Pourtant, l’aumônier militaire semble en être écarté, comme si celle-ci se déroulait dans une parenthèse temporelle à laquelle il n’aurait pas accès. Il est pourtant présent en opération et il poursuit dans les FOB[1] le travail initié en métropole. Mais à l’heure de la mission, il semble s’interdire de prendre part à son déroulement comme s’il existait un risque de compromission à s’impliquer trop dans l’action.

Or il y a toute sa place. Comme militaire et comme pasteur, si son action ne peut s’inscrire dans la furie des combats, c’est bien dans leur préparation et dans leur lecture que son action pourrait être déterminante.

Lyautey, dans son œuvre de pacification du Maroc, eut ce mot célèbre «Je ne suis pas venu régner sur un désert, ni annexer des terres, mais rallier des âmes. Être colonial, c’est faire de l’amitié». Alors que les armées françaises sont engagées en Libye, en Afghanistan ou au Liban, comment pourrions nous nous passer d’un rabin, d’un imam ou d’un prêtre catholique pour apprendre à connaître la philosophie des populations sunnites, chiites, juives ou maronites auprès desquelles nous oeuvrons. Parce que l’acculturation au pays passe par la compréhension du ou des cultes qui le baignent, les mises en condition pour la projection (MCP) des unités partant en OPEX pourraient avantageusement profiter de l’intervention d’un aumônier partageant la foi de la population dans laquelle elles seront immergées. Le soldat, par des mesures très pratiques, en tirerait un comportement conforme aux rites et usages.

Et puis lorsque l’action a eu lieu et que certains sont morts, il s’agit d’expliquer, de donner ou de rappeler le sens de cette vie offerte. Par le verbe, l’aumônier a ce pouvoir. Sa voix porte dans le cercle resserré parce qu’il a partagé les conditions de la mission. Sa voix porte au-delà parce qu’en marge, son propos n’est pas institutionnel. «Alors que certains s’interrogent sur l’opportunité d’aller mourir pour les Afghans, voire pour rien, nous répondons inlassablement: c’est pour la France que nous mourons» martelait avec force Monseigneur Ravel, évêque aux armées, lors de l’hommage aux sept soldats tués en Afghanistan en juillet 2011.

Soutien des âmes et soutien de la mission, l’aumônier voit son rôle essentiel en opération sous-tendu par une formation essentielle à l’éthique.

 

Donner un sens moral à l’exécution du métier des armes

Largement affecté par le rationalisme, l’efficacité au moindre coût, ou par une vision essentiellement comptable, l’exercice du métier des armes ne porte pas le soldat à se pencher sur le sens moral de son exécution. Avoir largement banni la réflexion philosophique de notre système de formation apparaît comme une faille lourde qui fait à terme le lit de la perte de sens et de repères qui déjà nous ronge aujourd'hui.

Or, être capable de discernement personnel suppose d’avoir été instruit au préalable. Centrée sur une approche essentiellement juridique, la formation militaire à un usage maîtrisé de la force ne peut, en effet, se désintéresser d’une formation plus globale de la personne sur le plan éthique et comportemental. C’est le souci et un des rôles du commandement. C’est là que résiderait une justification d’une aumônerie militaire en métropole, investie dans la formation morale des jeunes cadres. Elle pourrait enfin, au niveau politico-militaire, faire valoir son opinion sur la justesse de l’engagement armé.

Les aumôniers pourraient ainsi contribuer à la formation morale et à l’affinement des consciences des militaires dans les unités où ils sont affectés. Une conscience formée et des repères éthiques clairs restent sans doute une base solide pour une appréciation intelligente des règles de droit et leur application courageuse. Il s'agit là d'une question essentielle et préalable, en vue notamment d'affronter les violences du monde et de légitimer l'action militaire au service de la paix. Les militaires, et d'abord leurs cadres ou futurs cadres, auraient à cœur de ne pas se contenter d'un petit vernis éthique, mais de considérer comme une responsabilité grave d'engager une réflexion susceptible de leur faire découvrir et de les faire adhérer en profondeur à la doctrine de la loi naturelle et à ses enjeux.

Au-delà, l’aumônerie militaire en tant que garante d’une pluralité de conscience possède un regard croisé sur l’engagement de notre pays dans la confrontation armée. Ce regard ne peut-être taxé de partisan. Il est au contraire le reflet d’une sagesse universelle, alourdi par le crédit de la disparité et du nombre des philosophies qui le soutiennent. En faire part à la hiérarchie suppose une retenue et une discipline intellectuelle en dehors de toute voie médiatique. Néanmoins, celle-ci aurait tout à gagner de disposer là d’une vision éclairée et éclairante, dont elle pourrait arguer si l’engagement armé qu’on lui demandait contrevenait aux règles de la simple loi naturelle, ou si la guerre redevenait le seul fait du prince.

Les armées vivent un paradoxe. Si la dilution du fait religieux ne semble que le fait de la vieille Europe, les théâtres dans lesquels elles mènent leurs opérations sont quant à eux marqués par une influence importante des religions. L’aumônerie militaire y trouve un rôle majeur et sa contribution, en donnant du sens à l’action, bénéficie directement à la capacité opérationnelle des soldats. Ce rôle pourrait s’affirmer en prenant à son compte, de la formation au conseil, le nécessaire crédit moral que revêtent les actions qu’ils mènent.

La montée des communautarismes en France et la multiplication des fractures sociales interdisent d’exclure une intervention des forces armées sur le territoire national. Riche de sa diversité, l’aumônerie militaire trouve là un défi à la hauteur de ses capacités.

 

 

[1] Forward Operation Base: base d’opération avancée d’où les unités de la coalition lancent leurs opérations en Afghanistan.

 

Officier de l’armée de Terre, le chef de bataillon Matthieu MOLLET a servi durant sa première partie de carrière dans les troupes de marine en métropole et à Djibouti. Il a ensuite été instructeur aux écoles de Saint Cyr-Coëtquidan. Il suit l’enseignement du Cours supérieur d’état-major depuis septembre 2011.

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Titre : Entre soutien de l’âme et référence morale: pour un rôle affirmé de l’aumônerie militaire
Auteur(s) : le Chef de bataillon Matthieu MOLLET
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