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Jean Claude Éléonore Le MICHAUD d’ARÇON: le corps royal du génie et la défense de l’héritage de Vauban au XVIIIème siècle

cahier de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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Brillant officier et ingénieur du corps royal du génie du XVIIIème siècle, le Chevalier d’Arçon, théoricien brillant de l’art des fortifications, mais également tacticien et chef de guerre habile, demeure pourtant largement méconnu. Il fut un défenseur de l’héritage de Vauban, et ses idées annoncèrent le futur système Séré de Rivières. Le Capitaine Roussel, contributeur régulier des Cahiers, nous livre ici une biographie érudite et enthousiaste de cet officier-ingénieur.


Poliorcète réputé de la fin du XVIIIème siècle jouant un rôle clé dans l’organisation des armées de la République, le Chevalier d’Arçon demeure un théoricien largement méconnu. La mutation de l’art de la guerre durant les guerres de la Révolution et de l’Empire éclipse l’étude des fortifications qui se trouve confinée aux «hommes de l’art», une tendance renforcée par l’abandon définitif du tracé bastionné après 1873. Ainsi, seuls deux officiers du génie, Girod de Chantrans[1] et Rochas d’Aiglun[2] ont consacré des notices biographiques exhaustives à d’Arçon. Citons également les travaux de deux promoteurs de la fortification polygonale, le Général de Blois[3] et le Colonel Vauvilliers[4], évoquant tous deux l’influence de sa théorie des points d’appui. Plus récemment, il est évoqué au sein des études d’Anne Blanchard[5] ou Hélène Vérin[6] relatives au corps royal du génie, ainsi que dans celles de Jean-Marie Thiébaud et Gérard Tissot-Robe[7], mais il est surtout redécouvert comme continuateur de Bourcet pour son apport à la cartographie[8]. Cependant, ses théories sur les ouvrages avancés exercent une influence déterminante sur une génération d’ingénieurs incarnée par Carnot[9], Gay de Vernon[10], Bousmard[11] et Chasseloup-Laubat[12]. Ainsi, la carrière et l’œuvre d’Arçon exigent une approche renouvelée dans la mesure où elles offrent un témoignage remarquable des mutations du génie au XVIIIème siècle et de son rôle dans la controverse tactique contemporaine. En outre, ses théories tendent à défendre et sauvegarder l’héritage de Vauban et Cormontaigne en démontrant la compatibilité de ce marquant stratégique de l’absolutisme avec l’idéologie révolutionnaire et le nouveau système de guerre.

Jean Claude Eléonore Le Michaud, seigneur d’Arçon, naît le 18 novembre 1733. Ce fils de juriste bisontin primitivement destiné aux ordres nourrit très tôt l’ambition d’embrasser l’état d’ingénieur militaire. En 1754, il est admis à l’École royale du génie de Mézières puis est nommé lieutenant et reçu ingénieur ordinaire l’année suivante. Il intègre un corps dont Carnot a parfaitement saisi l’essence dans son Éloge de Vauban[13], les «jésuites de l’armée», dépourvus de troupes, contraints à une défensive intellectuelle et corporative face à l’artillerie et aux ingénieurs géographes. Le département des fortifications connaît alors un lent processus de «militarisation» jusqu’à l’ordonnance du 31 décembre 1776 créant le corps royal du génie[14]. Ses missions se limitent principalement à la conduite des sièges puis, en temps de paix, à la surveillance des fortifications et à la cartographie des frontières.

Durant la guerre de Sept ans, d’Arçon est affecté au «service en campagne», d’abord à l’armée d’observation des côtes de Bretagne puis en Allemagne en 1760. Il se distingue au siège de Dillenburg, prépare la défense de Göttingen et participe aux opérations des deux blocus de Cassel[15]. Promu capitaine et ingénieur de première classe à la fin des hostilités, il est affecté au «service des places», d’abord à Sedan puis au château de Joux. Désormais ingénieur en chef, il est chargé entre 1774 et 1778 de poursuivre la cartographie de la Provence et du Dauphiné débutée par Bourcet. Puis, promu sous-brigadier du génie, il entreprend celle des frontières de l’est dans le Jura et les Vosges de 1779 à 1786[16]. Cette mission demeure inachevée faute de crédits; elle conduit cependant d’Arçon à former des théories avant-gardistes sur la formation du relief[17]. En dépit de son rang subalterne, d’Arçon est fréquemment appelé par les directeurs du génie à se prononcer sur la pertinence de nouveaux systèmes de fortifications fondés sur le principe de flanquement direct. Ainsi, en 1767, il récuse le «tétragone» de Boisforet puis, l’année suivante, il publie son premier ouvrage «Lettre d’un ingénieur à un de ses amis»[18], réfutant les neuf systèmes de Trincano[19], où il se livre à un dialogue imaginaire entre Vauban et Coehoorn analysant l’œuvre et la pérennité des deux maîtres. En 1774, invité par le secrétaire d’État à la Marine à présenter ses vues sur la défense de l’île Maurice, il s’oppose au marquis de Montalembert, chef de file du «système perpendiculaire»[20]. Ce dernier obtient l’autorisation de publier ses théories en 1776[21], mais d’Arçon n’entreprend leur réfutation qu’après ses attaques contre les ouvrages de la rade de Cherbourg[22]. Ce duel intellectuel se prolonge jusqu’en 1793 lorsque Montalembert se lance dans une ultime attaque contre le système bastionné[23]. La réplique d’Arçon, tout en reconnaissant le conservatisme du génie et le potentiel du «système à caponnière» de Montalembert, démontre que sa réflexion basée sur des prémices exactes avait cependant engendré des conclusions erronées, et propose des casemates de sa conception intégrées à la ligne bastionnée[24]. Mais cette controverse ne représente qu’une facette de la remise en question générale de l’héritage de Vauban.

Dans les années 1770, d’Arçon publie quatre brochures intitulées «Réflexion d’un ingénieur en réponse à un tacticien»[25], puis «Correspondance sur l’art militaire»[26], «Réflexions sur la lettre à un ami»[27] et «Défense d’un système de guerre national»[28] où il prend parti en faveur de Mesnil-Durand contre Guibert. L’auteur de l’Essai général de tactique condamne les places fortes imposant aux États l’entretien d’un appareil militaire coûteux et une guerre de siège où l’on privilégie les engagements limités au détriment de la bataille décisive. D’Arçon, qui intègre les points d’appui comme une composante du système général des forces de la nation, évoque au contraire les vertus dissuasives d’une fortification conforme au génie national. Celle-ci épargne l’entretien d’effectifs plus utiles au développement économique de la France lui permettant de consolider sa suprématie tout en préservant la paix. En 1786, Choderlos de Laclos, acquis aux thèses de Montalembert, relance la controverse en critiquant l’éloge de Vauban proposé au concours de l’Académie arguant que l’ingénieur expert dans l’attaque des places s’est montré incapable d’innovation dans l’art défensif, initiant de surcroît un vaste programme de fortifications grevant les finances du royaume sans garantie de sûreté[29]. Bravant la censure du Maréchal de Ségur, d’Arçon répond en publiant ses «Considérations sur l’influence du génie de Vauban dans la balance des forces de l’État»[30]. Pour l’auteur, la dichotomie instaurée entre attaque et défense des places est sans fondement, il s’agit des deux facettes d’un même art: un siège n’est rien d’autre qu’une fortification qui progresse, alimentée en troupes et matériels, contre une autre cernée. La fortification inexpugnable est une chimère, en définitive l’art est toujours vaincu par la supériorité du nombre. Vauban a normalisé et porté à la perfection des principes toujours valides sans progrès significatifs des matériels d’artillerie. Il lègue ainsi l’unique système permanent de la «force publique» permettant de maintenir l’«équilibre des forces» avec les puissances voisines. Dans le même temps, le Conseil de la guerre suggère parmi différentes mesures budgétaires une refonte du système défensif et publie en 1788 un Recueil de quelques mémoires sur la trop grande quantité de places fortes qui subsistent en France, présenté comme Extraits des manuscrits de feu le maréchal Vauban, où 99 places sont proposées au désarmement. Épaulé par Carnot[31], d’Arçon réfute ces propositions dans ses «Considérations militaires et politiques sur la réforme projetée d’un grand nombre de nos places de guerre» et ses «Observations sur les fragments de mémoires attribués au maréchal de Vauban, au sujet de la question des places fortes»[32]. L’ingénieur, s’appuyant sur la guerre de Succession d’Espagne, démontre que les places d’Alsace et de Flandres, formant les cases d’un échiquier stratégique, servirent successivement de positions de sûreté, de pivots d’opérations puis de magasins permettant à Villars de préparer le redressement de Denain.

À cette époque, d’Arçon passe pour l’un des premiers ingénieurs d’Europe; paradoxalement, cette réputation repose sur son rôle dans l’échec du Grand Siège de Gibraltar. À l’été 1781, il est affecté aux opérations du siège à la demande du comte d’Aranda. L’assaut terrestre comme le bombardement naval de l’enclave britannique étant regardés comme impossibles, l’ingénieur soumet donc un projet d’attaque combinant un assaut terrestre depuis San Roque, le débarquement d’un corps amphibie à l’anse des Remedios et des batteries insubmersibles et incombustibles[33].

Ces dix batteries, appuyées par des chaloupes canonnières, devaient s’embosser sur deux lignes en quinconce et battre à défilement les ouvrages du vieux môle. Approuvé, le projet d’attaque est confié au duc de Crillon malgré ses réserves. La phase terrestre débute mi-août 1782 par l’exécution d’une sape volante et d’une grande parallèle. Début septembre les batteries avancées sont démasquées et appliquent des tirs à revers et en enfilade sur le vieux môle. Mais Crillon précipite l’assaut après l’arrivée de l’escadre de couverture. Le 13 septembre, les batteries appareillent; trois d’entre elles manquent leur embossage et les autres s’échouent hors de portée sur des bancs de sable. En fin de journée, les départs d’incendie s’avèrent incontrôlables sur les deux seules batteries engagées. Crillon annule les opérations de remorquage et ordonne la destruction des prames. Cet échec porte un coup décisif au moral des assiégeants. Malgré les gratifications reçues à son retour en France en octobre 1782, d’Arçon en conçoit un profond dépit. D’abord censuré par le secrétaire d’État à la guerre, il fait imprimer en Espagne un mémoire justificatif[34], suivi du Conseil de guerre privé sur l’événement de Gibraltar[35] où il intègre ses expérimentations sur la résistance du chêne aux boulets rougis[36].

Franc-maçon et gagné aux «idées nouvelles», d’Arçon est élu député de la noblesse de Pontarlier aux États généraux puis commandant de la Garde nationale de Besançon en 1790. Promu maréchal de camp et nommé inspecteur général des fortifications en 1791, il assiste à ce titre le comte de Narbonne dans sa tournée d’inspection des places frontières et collabore à la rédaction du premier rapport à la Nation sur son outil de défense[37]. Appelé à siéger au comité de fortification par Duportail, il est chargé d’une reconnaissance de la frontière des Alpes en 1792, puis du pays de Porrentruy l’année suivante. En février 1793, d’Arçon est affecté à l’armée du Nord à la demande de Beurnonville[38]. Le nœud de l’opération projetée par Dumouriez consiste à percer le triangle formé par Berg-op-Zoom, Breda, Geertruidenberg et Willemstad, des places couvertes par des inondations, pourvues de garnisons nombreuses, d’une puissante artillerie et bien approvisionnées[39]. Chargé du commandement de la division de l’aile droite, d’Arçon mène une série de sièges éclairs ne déplorant que de faibles pertes: Breda, investie le 15 février, capitule le 27 février après quatre jours de bombardement; les ouvrages détachés de Geertruidenberg sont enlevés par une série de coups de main dès le 1er mars et la garnison capitule après un duel d’artillerie de trois jours… Nommé général de division le 2 mars 1793, mais souffrant de rhumatismes universels et inquiet de la dégradation du climat politique, il sollicite sa mise en disponibilité. Dès 1792, d’Arçon est suspecté de menées contre-révolutionnaires; chargé de remanier les défenses de Besançon, il est accusé d’œuvrer à la chute de la place. Charles de Hesse[40] réclame sa destitution et le fait condamner par le tribunal de district malgré la publication d’une adresse de l’ingénieur à ses concitoyens[41]. De nouveau suspect après la défection de Dumouriez, Carnot intervient en sa faveur[42] et l’associe au Comité de la guerre dont il communique les rapports au Comité de salut public. Il conçoit notamment le plan de campagne de janvier 1794 avec Laffite-Clavé et Rivière[43]. En 1796, d’Arçon se retire à Voray où il se consacre à la rédaction d’un traité intitulé De la guerre conservatrice des empires dont le manuscrit demeure inédit. Le chevalier d’Arçon meurt le 1er juillet 1800 au château de la Tuilerie à Auteuil, alors qu’il venait d’être nommé au Sénat conservateur.

                En 1795, Carnot confie à d’Arçon la leçon inaugurale du cours de fortification de l’École Centrale des travaux publics[44]. Cette synthèse de l’ensemble de son œuvre théorique est immédiatement publiée sur ordre du gouvernement sous le titre de Considérations militaires et politiques sur les fortifications[45]. Conscient du rôle de l’opinion publique dans la conduite des opérations, l’auteur plaide pour lui inspirer une «confiance éclairée» dans ses défenses et lui révéler le potentiel réel des fortifications. L’ouvrage analyse dans un premier temps les principes généraux de la fortification, puis les règles guidant la distribution des ouvrages aux frontières; enfin l’auteur envisage l’avenir des fortifications en demeurant fidèle aux «bases indélébiles» fixées par Vauban. Il offre ainsi un traité didactique au caractère prédictif où il défend une politique défensive destinée à assurer une paix durable et conceptualise la sanctuarisation d’un État-forteresse parvenu à son optimum territorial.

                Acteur du passage de la guerre des princes à la guerre des peuples, d’Arçon a l’intuition que la «crise révolutionnaire» favorise l’émergence d’une nature double de la guerre. Il annonce que la nouvelle forme de guerre caractérisée par le recours systématique à la «masse du peuple» et aux «ressources extraordinaires de dévastation» présente un danger majeur pour la France dans la mesure où la nation ne pourra prolonger indéfiniment l’effort consenti durant les campagnes de la première coalition. L’état de belligérance permanent conduira ainsi à l’avènement d’un «gouvernement militaire», à la décadence de l’«esprit militaire» et la France sera progressivement réduite à une «défensive absolue». D’Arçon s’affirme ainsi comme un théoricien de la guerre limitée et d’une stratégie bipolaire pour éviter une défaite qu’il regarde comme inéluctable face à l’«Europe militaire conjuguée».

                Les théories défendues par d’Arçon, intégrant les principes d’économie des moyens et des forces, reposent sur le postulat que les «dispositions générales conservatrices» de la nation et la défense des places obéissent à des lois similaires. Quelle que soit la valeur d’une organisation défensive, son «invulnérabilité» repose sur la combinaison de l’«inertie matérielle» des ouvrages et de la «mobilité des moyens actifs» qui contribuent à transformer les places et rideaux défensifs en «masses vivantes agissantes». Donc, si la puissance d’un État émane d’une «force militaire régulière incorporée à la Nation», les fortifications constituent les «accessoires» incontournables du «génie guerrier». Elles instaurent un équilibre des forces dissuasif avec les puissances frontalières et forment aux frontières des «boulevards insensibles» aux crises politiques intérieures, offrant l’«unité d’intention» qui contribue au ralliement des forces. L’auteur voit ainsi dans le génie l’«arme par excellence de la liberté», destinée à régénérer l’esprit militaire de la nation et favorisant la mise en place d’un modèle d’armée citoyenne où l’infanterie bénéficiera d’une prépondérance décisive. Aux plans opératif et tactique, l’auteur subordonne la liberté d’action et l’initiative à l’appui des points fortifiés et à leur fréquence. Il réfute donc l’efficacité d’un système de «guerre ouverte», lui préférant les «opérations prévues et combinées» fondées sur le concept de «fortifications militarisées». Dans la tradition de Vauban, d’Arçon propose une stratégie d’attrition et de maîtrise des risques visant à optimiser une défense active tout en limitant la portée d’éventuels revers. Il conçoit les places comme les foyers des forces morales, des pôles attractifs autour desquels gravite la «dangereuse mobilité de l’offensive», servant tour à tour de points de sûreté, de grands dépôts et de pivots d’opérations selon l’issue des combats. Les fortifications canaliseront ainsi la témérité propre au génie national, réservant les troupes pour les actions décisives. Ainsi l’«industrie conservatrice» préservera l’équilibre de l’initiative tout en permettant de préparer les moyens de le rompre en faveur de l’État agressé.

                La valeur de ces fortifications militarisées doit correspondre à un canevas de «trois lignes effectives et contiguës». En première ligne, des places étendues nécessitant le déploiement des plus grands appareils de siège, puis des «places de dépôts» en seconde ligne et, en troisième ligne, les «places de ressources», armées seulement lors de l’entrée en campagne. Les intervalles entre les places seraient définis de façon à menacer les communications de l’ennemi. Le dispositif serait complété par des positions d’attente et d’observation à hauteur de la seconde ligne, des camps retranchés permettant aux armées de déboucher en offensive sur la ligne avancée. Ce modèle-type de rideau défensif devra être adapté pour seconder le relief, l’hydrographie, etc. La position, la nature des ouvrages et la force de leurs garnisons seront déterminées en fonction de l’esprit du gouvernement des puissances frontalières, des forces dont elles disposent, des lignes d’opérations potentielles, du nombre et de la nature des communications, du rapport local de l’attaque et de la défense, de la nature des sols, du climat et, enfin, du temps nécessaire à l’exécutions des «retours offensifs». Concernant l’assiette des places et le tracé bastionné, d’Arçon pérennise les principes de défilement, de flanquement, d’échelonnement dans la profondeur et d’étagement des feux normalisés par Vauban et Cormontaigne. Il privilégie les «emplacements masquants» facilitant la manœuvre logistique et critique l’usage excessif de la manœuvre d’eau. Enfin, il exhorte les armées françaises à renouer avec les arts de l’attaque et de la défense des places qui avaient installé leur supériorité tactique au XVIIème siècle. Il plaide ainsi pour l’adoption d’un combat interarmes où la manœuvre sera liée aux organisations défensives pour favoriser les entrées en territoire ennemi et la sûreté des retours.

                Les fortifications militarisées permettront la mise en œuvre d’une «défensive couverte» puis d’une «défensive attaquante» continues dans le temps. Les «contreforts avancés» de la première ligne permettront d’identifier les objectifs de campagne de l’agresseur, le contraindront à abandonner les opérations actives et annuleront l’infériorité numérique initiale du défenseur. L’armée en défensive, depuis sa position préparée en seconde ligne, bénéficiera de communications assurées, de l’ascendant moral et préservera sa liberté d’action. Elle saisira l’initiative lorsqu’elle disposera de la supériorité numérique lui permettant d’imposer la bataille tout en jouissant d’une retraite assurée en s’appuyant sur les positions attenantes aux places de seconde ou troisième lignes. D’Arçon escompte que l’agresseur sera contraint de mener plusieurs campagnes pour parvenir à réaliser une trouée significative dans une frontière défendue par des fortifications militarisées; il aura alors épuisé son potentiel offensif et ses communications seront menacées par les places sur ses flancs. Les fortifications militarisées formant des bases d’opérations se prêteront également aux «mouvements offensifs» de l’«attaque positive» en permettant la formation de diversions ou de grands détachements menaçant les communications et la base d’opérations ennemies. Au-delà d’une marche en territoire adverse, l’auteur préconise de jalonner les communications de points d’appui et de soutenir les «têtes avancées» par des «places du moment» occupant de fortes positions pour couvrir les «positions d’observations centrales». Ces «points de force» doivent être distribués de façon à manœuvrer dans leurs intervalles, à couvrir les communications et préparer l’établissement des quartiers en sûreté. Enfin, concernant le point particulier de la défense des frontières maritimes et des possessions d’outre-mer, il recommande d’accorder la priorité aux infrastructures portuaires civiles et militaires vitales en recommandant une combinaison des forteresses, batteries côtières, escadres de vaisseaux de haut-bord et patrouilles maritimes.

L’auteur consacre ses ultimes chapitres à l’avenir des fortifications et répond au problème posé par les progrès de l’artillerie. Il propose des ouvrages autonomes destinés à occuper les «dehors éloignés et peu éloignés» de l’enceinte de sûreté où ils servent de pivots à la «guerre des assauts» menée par la garnison de la place. Illustration maçonnée du principe de défense active, les lunettes élevées dans les prolongements des bastions et demi-lunes acculturent les thèses de Montalembert au tracé bastionné et perfectionnent le principe d’échelonnement en optimisant l’utilisation des «masses couvrantes» et des «feux réservés préparés à couvert». Ces ouvrages comprennent:

  • Un retranchement de rempart terrassé triangulaire dont la gorge est battue par les feux de la place. Il forme des «masses de glacis» défilant entièrement les «moyens d’organisation»; ouvert à la gorge et commandé par les feux rasants des parapets, il est précédé d’un fossé dont l’escarpe et la contrescarpe sont revêtues.
  • Un «cavalier-plate-forme», formé par:
    • Un terre-plein à deux faces et deux flancs doté de postes de tirs à barbette pour l’infanterie; il est fermé à la gorge par une courtine percée d’une poterne et munie de créneaux de fusillade.
    • Une «casemate extérieure» disposée en capitale au niveau du terre-plein préfigurant la traverse-abri. Ce corps de garde est constitué d’un abri voûté à l’épreuve des bombes et recouvert d’un massif terrassé. Il participe au défilement de l’ouvrage et protège la plate-forme des tirs d’enfilade ou d’écharpe tout en tenant constamment la garnison en défensive.
    • Une tour-réduit circulaire maçonnée placée en saillie à la gorge du terre-plein et dérobée aux vues et à l’artillerie de l’assaillant. Cette caserne défensive compte deux niveaux voûtés à l’épreuve des bombes et est recouverte d’un toit charpenté démontable. Son étage est doté d’un plan de feu perfectionné pour armes portatives.
    • Une «casemate à feux de revers» intégrée à la contre-escarpe au saillant du retranchement, préfigurant le coffre de contre-escarpe double. Munie de créneaux de fusillade, elle est destinée au flanquement du fossé et permet à l’ouvrage de se soutenir par lui-même sans la protection des ouvrages en arrière.
    • Des «communications furtives» formées par une galerie de service reliant la casemate à feux de revers, la traverse-abri, la tour-réduit, voire le chemin-couvert du glacis de la place.
    • Les «places d’armes des mineurs» formées de galeries de contre-mines maçonnées destinées à la manœuvre des «feux souterrains»; elles sont disposées au niveau de la tour-réduit, de la galerie de service et de la casemate à feu de revers.

 

Le chevalier d’Arçon apparaît comme l’un des plus brillants ingénieurs militaires de sa génération. Auteur prolifique, ses théories annonçant le système Séré de Rivières constituent le fer de lance de la défense de l’expertise du génie dans la seconde moitié du XVIIIème siècle. Sa pensée inscrite dans le rationalisme des Lumières dépasse le simple cadre de la poliorcétique en cherchant à isoler les causes de la chute des nations. Il s’affirme ainsi comme un stratège de la dissuasion en fondant sa réflexion sur l’impact du progrès scientifique. Défenseur de la notion d’optimum territorial, il contribue enfin à forger une nouvelle image de Vauban, celle d’un «guerrier citoyen» visionnaire.

 

 

[1]Girod de Chantrans (Justin), Notice sur la vie et les ouvrages du général d’Arçon, Besançon, Daclin, an IX [1801].

[2]Rochas d’Aiglun (Albert de), «D’Arçon ingénieur militaire. Sa vie et ses écrits», Paris, J. Dumaine, 1867.

[3] Blois de la Calende (Étienne Gabriel de), «De la fortification en présence de l’artillerie nouvelle», 2 vol., Paris, Dumaine, 1865.

[4] Vauvilliers (Louis-Henri-Chrétien), «Essais sur de nouvelles considérations militaires», Paris, Gaultier-Laguionie, 1843.

[5]Blanchard (Anne), Les ingénieurs du roy de Louis XIV à Louis XV. Étude du Corps des Fortifications, Montpellier, Université Montpellier III-Paul Valéry, 1979.

[6]Vérin (Hélène), «La Gloire des Ingénieurs: l’intelligence technique du XVIème au XVIIIème siècle», Paris, Albin-Michel, 1993.

[7] Thiébaut (Jean-Marie) et Tissot-Robe (Gérard), «Élisabeth Le Michaud d’Arçon,. Maîtresse de Napoléon», Cabédita, 2006; Choffat (Thierry), Thiébaut (Jean-Marie) et Tissot-Robe (Gérard), «Les Comtois de Napoléon. Cent destins au service de l’Empire», Cabédita, 2006.

[8] Pelletier (Monique), «De Cassini de Thury à Le Michaud d’Arçon: les militaires français et la triangulation dans la seconde moitié du XVIIIème siècle», Bibliothèque royale de Belgique, 2006.

[9] Carnot (Lazare), «De la défense des places fortes. Ouvrage composé pour l'instruction des élèves du Corps du Génie», Paris, Courcier, 1810.

[10] Gay de Vernon (Simon-François), «Traité élémentaire d'art militaire et de fortification: à l'usage des élèves de l'École polytechnique, et des élèves des écoles militaires», 2 vol., Paris, Allais, 1805.

[11] Bousmard de Chantereine (Henri Jean-Baptiste de), «Essai général de fortification et d’attaque et de défense des places», [], 4 tomes, Berlin, George Decker, 1797-1803.

[12] Chasseloup-Laubat (François, comte de), «Essais sur quelques parties de l’artillerie et des fortifications», Milan, J.J. Destefanis, 1811.

[13] Carnot (Lazare), «Éloge de M. le Maréchal de Vauban», Dijon et Paris, A. Jombert Jeune, 1784.

[14] Mémoire du corps du génie, 1776 [], Bibliothèque municipale de Besançon, Ms. 491, 11°, 135 feuillets.

[15] Relation du siège de Cassel, Bibliothèque municipale de Besançon, Ms. 491, 1°.

[16] Corvisier de Villèle (Marie-Anne) et Ponnou (Claude), La France vue par les militaires. Catalogue des cartes de Frances du Dépôt de la Guerre, Château de Vincennes, 2001, t.1.

[17] Essay d’une théorie sur la formation et contexture des montagnes, Bibliothèque municipale de Besançon, Ms. 491, 9°, 14 feuillets.

[18] Le Michaud d’Arçon (Jean Claude Éléonore), «Lettre d’un ingénieur à un de ses amis», Amsterdam-Paris, Le Breton, 1768, in-12°, 219 pages.

[19] Trincano (Didier Grégoire), «Éléments de fortifications, de l’attaque et de la défense des places; contenant les systèmes des auteurs les plus célèbres, neuf systèmes de l’auteur, l’analyse et la comparaison de tous ces systèmes […]», Paris-Versailles, J.B.G. Musier et Lefevre, 1768.

[20] Montalembert dénonce la faiblesse du flanquement d’une enceinte bastionnée, son manque de profondeur, la proximité des ouvrages avec l’habitat ainsi que la dispersion et la vulnérabilité de l’artillerie sur les terre-pleins des bastions. Selon Montalembert, le tracé bastionné voué à une défense rapprochée est dépassé par les progrès de l’artillerie: celle-ci doit désormais constituer la base de la défense afin de stopper les progrès de l’assaillant et interdire les sièges en règle. Montalembert simplifie le tracé pour enfermer les cités dans un polygone à angle droit réduisant les directions d’attaques potentielles. Cette fortification continue formant un camp retranché est complétée par une ligne de défense extérieure constituée de forts de ceinture polygonaux concentrant la majorité des moyens de défense ; ils se présentent comme de vastes batteries casematées et ventilées à plusieurs étages de feux offrant un flanquement perpendiculaire à la ligne de feu de façon à déployer une artillerie surclassant celle de l’assiégeant et fournir un appui mutuel des ouvrages. 

[21] Montalembert (Marc-René de), «La Fortification perpendiculaire, ou essai sur plusieurs manières de fortifier la ligne droite, le triangle, le quarré et tous les polygones, de quelqu’étendue qu’en soient les côtés, en donnant à leur défense une direction perpendiculaire», 5 vol., Paris, Philippe-Denys Pierre, 1776-1784.

[22] Montalembert (Marc-René de), Supplément au tome cinquième de la Fortifications perpendiculaire, contenant de nouvelles preuves de la grande supériorité du système angulaire sur le système bastionné. L’on y a joint I° un supplément relatif aux affûts à aiguille propre à monter l’artillerie des vaisseaux; II° un supplément au chapitre IXème du cinquième volume, qui traite des différentes méthodes à employer pour la défense d’une rade, 1786.

[23] Montalembert (Marc-René, marquis de), «L’Art défensif supérieur à l’offensif, ou la Fortification perpendiculaire, contenant de nouvelles preuves de la grande supériorité du système angulaire sur le système bastionné, divers mémoires avec une addition à la théorie des embrasures, donnée au chapitre cinquième du deuxième volume», Paris, Firmin Didot, 1793.

[24] Le Michaud d’Arçon (Jean Claude Éléonore), «Des fortifications et des relations générales de la guerre de siège, pour servir de réponse au dernier Ouvrage de Marc-René Montalembert; par le citoyen Michaud, Inspecteur des fortifications», Paris, Magimel, An II [1794].

[25] Le Michaud d’Arçon (Jean Claude Éléonore), «Réflexion d’un ingénieur en réponse à un tacticien», Amsterdam, s.n., 1773.

[26] Le Michaud d’Arçon (Jean Claude Éléonore), «Correspondance sur l’art de la guerre, entre un colonel de dragons et un capitaine d’infanterie», Bouillon-Besançon, s.n., 1774.

[27] Le Michaud d’Arçon (Jean Claude Éléonore), «Réflexions sur la “Lettre à un ami”, par l’auteur de la «Correspondance sur l’art de la guerre”», s.l., s.n., 1775.

[28] Le Michaud d’Arçon (Jean Claude Éléonore), «Défense d’un système de guerre national, ou analyse raisonnée d’un ouvrage intitulé: réfutation complète du système de M. de Mesnil-Durand», Amsterdam, 1779.

[29] «Lettre à MM. de l'Académie françoise, sur l'éloge de M. le maréchal de Vauban, proposé pour sujet du prix d'éloquence de l'année 1787» par P.-A.-F. Choderlos de Laclos, capitaine d’artillerie de l’Académie de La Rochelle, Paris-Amsterdam, Durand neveu, 1786.

[30] Le Michaud d’Arçon (Jean Claude Éléonore), «Considérations sur l’influence du génie de Vauban dans la balance des forces de l’État», in-8°, Strasbourg, s.n., 1786.

[31] Carnot (Lazare), «Mémoire présenté au Conseil de la Guerre au sujet des places fortes qui doivent être démolies ou abandonnées, ou Examen de cette question: Est-il avantageux au Roi de France qu'il y ait des places fortes sur les frontières de ses États?», Paris, Barois l'Aîné, 1789.

[32] D’Arçon dénonce dans ses écrits l’argumentation spécieuse du Conseil de la guerre, dont le Recueil est essentiellement constitué d’écrits apocryphes. Concernant les passages authentiques, il met en avant leur caractère conjoncturel. En revanche le Conseil néglige les écrits de 1705 et 1706 où Vauban propose pour la première fois un classement des places tout en réclamant la fortification de Paris, Lyon, Marseille, etc.

[33] Dix vaisseaux sont armés à Cadix puis Algésiras entre mai et septembre 1782 en batteries à un ou deux ponts, par l’adjonction d’une charpente de chêne vert en forme de toit à l’épreuve des bombes et recouverte d’un blindage de cordages, sacs à terre et peaux de bœufs. D’Arçon s’emploie à prévenir les incendies causés par les boulets rougis en supprimant le combustible et le comburant: les agrès sont réduits au minimum, un système de pompage ménage une circulation d’eau continue saturant les charpentes exposées aux tirs et un calfatage soigné réduit la circulation de l’air. Servies par 5.260 pramistes, ces batteries alignent 142 bouches à feu. Début septembre, seules trois batteries sont achevées; les essais révèlent des défauts de calfatage et les bouées de reconnaissance, de mouillage ainsi que les ancres de secours et grelins destinés à la retraite ne sont pas prêts.

[34] Le Michaud d’Arçon (Jean Claude Éléonore), «Mémoires pour servir à l’histoire du siège de Gibraltar, par l’auteur des batteries flottantes», in-8°, Cadix, Hernill frères libraires, 1783.

[35] Le Michaud d’Arçon (Jean Claude Éléonore), «Conseil de guerre privé sur l’événement de Gibraltar en 1782 pour servir d’exercice sur l’art des sièges», veuve Philippe Gaultier, 1785.

[36] «Histoire de l’Académie royale des Sciences. Année M.DCCLXXXIV. Avec les Mémoires de Mathématiques et de Physique pour la même année, tirés des registres de cette Académie», Paris, Imprimerie Royale, 1787, p. 18.

[37] Narbonne-Lara (Louis-Marie, comte), «Discours du Ministre de la Guerre, sur l’état actuel des frontières et les dispositions de l’armée. Du 11 janvier 1792», in Collection générale des Décrets rendus par l’Assemblée nationale, Paris, Baudouin, 1792, vol. 25, pp. 40-65.

[38] Aulard (François Alphonse) (éd.), Recueil des actes du Comité de Salut Public avec la correspondance officielle des représentants en mission et le registre du conseil exécutif provisoire, Paris, Imprimerie Nationale, 1911, t. II, pp. 49, 64-66, 73-74.

[39] Dumouriez (Charles-François du Périer), «Mémoires du général Dumouriez, écrits par lui-même», Francfort et Leipzig, 1794, pp. 1-47.

[40] Chuquet (Arthur), «Un prince jacobin. Charles de Hesse ou le général Marat», Paris, Albert Fontemoing, 1906, pp. 180-201.

[41] Le Michaud d’Arçon (Jean Claude Éléonore), «Adresse du maréchal de camp Darçon, à ses concitoyens du département du Doubs. De l’armée française aux ordres du général Montesquiou, le 6 octobre 1792, le Ier de la République française», Besançon, imprimerie Simard, 1792.

[42]  Carnot (Hyppolite), «Mémoires sur Carnot par son fils», Paris, Pagnerre, 1861, t.1, pp. 126-154 et 425-426.

[43] Michel (André) éd., «Correspondance inédite de Malet du Pan avec la cour de Vienne (1794-1798), publiée d’après les manuscrits conservés aux archives de Vienne», Paris, Plon, Nourrit et Cie, 1884, t. I, p. 77, t. II, p. 44 ; The Manuscripts of J.B. Fortescue, preserved at Dropmore, Vol. II, bulletin n°16, p. 547.

[44] Journal de l’École Centrale des travaux publics, 1er cahier, An III. Archives de l’École polytechnique, X 2 b 329.

[45] Le Michaud d’Arçon (Jean Claude Éléonore), «Considérations militaires et politiques sur les fortifications, par le Cen Michaud (Darçon), ancien Général de division et Inspecteur des fortifications. Imprimé par ordre du Gouvernement», Paris, Imprimerie De la République, an III [1795].

 

Le Capitaine Roussel est officier sous contrat, historien, actuellement professeur d’histoire aux Écoles militaires de Saint-Cyr-Coëtquidan. Il a tenu auparavant les fonctions d’adjoint de conservation au département artillerie et emblèmes du musée de l’Armée à Paris, puis de professeur d’histoire-géographie à l’École nationale des sous-officiers d’active. Il est titulaire d’un DEA de l’Université de Paris IV Sorbonne «L’art opératif dans l’œuvre d’Antoine-Henri Jomini, fondements et héritages», (réalisé sous la direction d’Olivier Chaline), et est doctorant à la même université «Aux fondements de l’art opératif: Antoine-Henri Jomini et la guerre de Sept ans, de la pratique historique à la théorie stratégique», (toujours sous la direction d’Olivier Chaline).

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Titre : Jean Claude Éléonore Le MICHAUD d’ARÇON: le corps royal du génie et la défense de l’héritage de Vauban au XVIIIème siècle
Auteur(s) : le Capitaine Antoine ROUSSEL
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