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L’abandon de la composante terrestre du bouclier anti-missiles en Pologne, tenants et aboutissants

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Histoire & stratégie
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Le 17 septembre 2009, Barack Obama a annoncé officiellement l’abandon du projet visant à déployer des missiles anti-missiles à longue portée[1] sur le territoire polonais[2] et un radar qui devait leur être associé en République Tchèque.

Cette décision témoigne de la vision pragmatique du président américain et de sa volonté de mener une politique étrangère plus souple que précédemment, mais il semble prématuré, à maints égards, de parler de véritable «revirement stratégique américain»[3].

Cela explique en partie pourquoi la Pologne continue, malgré tout, de miser sur les États-Unis comme garants de sa sécurité.

 

[1] Ou encore GBI (Ground Based Interceptors)

[2] Accord conclu le 20 août 2008, en pleine crise géorgienne.

[3] Expression tirée du Monde du 19 septembre 2009. Le titre de l’article annonce que «Les États-Unis renoncent au bouclier antimissile» (sic).


La décision du président américain était prévisible car pertinente.

Elle a d’ailleurs été accueillie de manière très positive par la majorité des pays occidentaux et – on pouvait s’y attendre – par la Russie. Elle ne traduit pas, toutefois, un véritable «revirement stratégique», mais plutôt une adaptation pragmatique de la stratégie aux réalités.

En effet, le rapport coût-efficacité du système était, d’emblée, sujet à caution. Le nombre d’intercepteurs prévus (10) n’aurait pu contrer une hypothétique attaque massive et une fiabilité d’interception de 100% n’était pas garantie. Du reste, on peut supposer qu’un pays détenant des armes intercontinentales dispose également d’une technologie suffisante pour développer aussi des systèmes de leurrage et de furtivité ad hoc. Dans un contexte de crise économique mondiale, dans lequel la maîtrise de coûts est devenue une préoccupation majeure, on comprend que ce programme n’ait pas été considéré comme prioritaire.

 

De plus, ce système ne semblait pas réellement adapté à la menace.

Si la possession de missiles intercontinentaux par la République Islamique d’Iran a été estimée improbable à court et moyen terme, les États-Unis considèrent toujours ce pays comme une menace potentielle. Le pays dispose en effet de vecteurs de courte et moyenne portées (Shahab-3 valorisés) capable d’atteindre, par exemple, Israël ou certains pays arabes. On conçoit alors qu’un déploiement d’intercepteurs en Pologne apparaît peu opportun[1], mais que la poursuite d’un programme nucléaire iranien, aux possibles applications militaires, demeure source d’inquiétude[2].

Or, ce dernier dossier semble actuellement dans l’impasse. Les États-Unis sont conscients qu’ils ont besoin de l’appui russe pour le relancer. La Russie a su réaffirmer sa position de partenaire incontournable[3], d’autant qu’elle entretient avec l’Iran des relations stratégiques et économiques significatives[4]. Si Moscou a salué la décision américaine et annoncé l’abandon du déploiement de missiles dans l’enclave de Kaliningrad[5], il semble donc peu probable qu’il s’aligne de manière inconditionnelle sur Washington.

Il convient enfin de rappeler que ces intercepteurs ne constituaient qu’un des éléments du bouclier anti-missiles américain[6]. Le concept de National Missile Defense est maintenu, comme l’a rappelé le Secrétaire à la Défense Robert Gates[7], mais selon une approche plus souple, mobile et donc réactive. Le déploiement de missiles anti-missiles SM-3, de portée intermédiaire, demeure envisagé en Europe Centrale et du Sud à l’horizon 2015[8].

 

En résumé,

la décision de Barack Obama témoigne de pragmatisme, d’une réelle volonté d’assouplissement des relations avec la Russie, mais ne traduit pas la renonciation des États-Unis à leurs ambitions stratégiques de grande puissance.

 

Son annonce a suscité peu d’étonnement en Pologne. Les responsables politiques ont manifesté cependant une certaine déception puisqu’ils en ont été informés par voie de presse et qu’aucune consultation préalable n’a eu lieu, ne serait-ce que pour la forme.

D’autre part, le hasard a fait qu’elle est intervenue le jour même où l’on y commémorait le 70ème anniversaire de l’invasion soviétique. Fait anodin en apparence, il le devient nettement moins lorsqu’on considère que la préoccupation sécuritaire majeure de la Pologne n’est pas le programme nucléaire iranien mais bien ce qu’elle qualifie de «politique hégémonique russe».

Quoique la nouvelle administration démocrate lui paraisse moins favorable, la Pologne continuera donc de «jouer la carte américaine». Le maintien d’une coopération bilatérale privilégiée avec les États-Unis[9] pourrait lui permettre d’asseoir son influence au sein de l’OTAN face aux pays occidentaux de l’«Ancienne Europe».

Plus encore, elle espère ouvertement que le renoncement au déploiement de GBI incitera les États-Unis à respecter avec zèle les autres accords conclus dans le cadre du «partenariat stratégique étendu»[10]: livraison de batteries de missiles Patriot PAC-3 valorisés, déploiement à terme de SM-3 de portée intermédiaire, formation de cadres et surtout contribution américaine significative à la modernisation des équipements des forces armées polonaises.

Car la situation actuelle de l’armée polonaise est préoccupante et l’appui américain demeure considéré comme vital pour sa pérennité. La professionnalisation de ses effectifs n’a pas encore porté pleinement ses fruits, notamment en ce qui concerne le recrutement de militaires du rang et sa situation matérielle est médiocre, y compris celle des éléments engagés actuellement en Afghanistan[11]. À ceci s’ajoutent des scandales liés à la mauvaise gestion du budget de la défense, aux incohérences des politiques d’achats comme à l’incompétence et la corruption de certains hauts fonctionnaires civils du ministère de la Défense polonais[12]. Ces éléments jouent un rôle amplificateur dans un contexte politique intérieur par ailleurs délétère, marqué par une cohabitation gouvernementale orageuse[13].

Il convient enfin de souligner que l’appui américain que la Pologne espère, face à la Russie principalement, dépasse le cadre strict des questions de défense. Les relations déjà tendues entre Russie et Pologne ont été aggravées par la conclusion de l’accord de 2008, alors que cette dernière est largement dépendante des approvisionnements énergétiques russes.

Comme on le constate, l’abandon de la composante terrestre du bouclier anti-missile en Pologne ne remet pas véritablement en question les lignes directrices de la stratégie de défense des États-Unis. Semblant privilégier actuellement, sur la forme, une attitude de soft power, ils n’en conservent pas moins, sur le fond, les moyens nécessaires à un hard power.

De même, la Pologne demeure fortement attachée au lien transatlantique. Il est toutefois possible qu’elle ait réalisé qu’il lui sera plus aisé, à l’avenir, de manifester cet attachement par le biais de l’OTAN, aux côtés de ses partenaires européens, en se montrant parfois moins critique vis-à-vis de certains d’entre eux, que de manière purement bilatérale.

 

 

[1] Un déploiement en Turquie, membre de l’OTAN, serait plus rationnel sur le plan technique. Cependant, la politique de rapprochement régional avec la Syrie et l’Iran que mène actuellement Ankara est pour le moins inquiétante.

[2] Quoique l’on conçoive mal que l’Iran décide de s’exposer à des représailles massives et disproportionnées des États-Unis par une frappe en premier contre eux ou contre tout autre pays qui leur est lié par des accords de défense. L’État israélien prend cependant très au sérieux cette menace et n’exclut pas la possibilité d’une frappe préventive. Cette option serait  probablement plus déstabilisante, voire catastrophique, pour la région que pleinement efficace, comme de hauts responsables militaires américains et français l’ont récemment réaffirmé au CEMA israélien, le général Gaby Ashkenazy. .

[3] alors qu’arrivent aussi à expiration les traités START (décembre 2009) et celui de Non-Prolifération (2010).

[4] Les missiles sol-air protégeant les infrastructures nucléaires de l’Iran sont, d’ailleurs, de fabrication russe.

[5] SS-26 ISKANDER de portée intermédiaire

[6] Les bases d’intercepteurs de Fort Greely en Alaska et de Vandenberg AFB en Californie demeurent opérationnelles, comme les radars déployés en Grande-Bretagne et au Groënland.

[7] Dans une interview accordée le 19 septembre au New York Times

[8] Le déploiement d’une plate-forme navale, équipée du système d’interception AEGIS-SM3, au profit de l’Europe, pourrait intervenir encore plus rapidement. Contrairement aux GBI, le missile SM 3 a déjà démontré sa fiabilité lors d’un tir réussi sur un satellite hors d’usage.

[9] Réaffirmée par le ministre des affaires étrangères polonais, Radoslaw Sikorski, le 22 septembre 2009, dans une interview accordée au quotidien Rzeczpospolita.

[10] Déclarations faites le 19 septembre 2009 par le ministre de la Défense Bogdan Klich à Rzeczpospolita.

[11] Ceci ne concerne pas que les équipements lourds. À titre d’exemple, et jusqu’à récemment, les soldats polonais devant être engagés en Afghanistan devaient se procurer à leurs frais les équipements individuels de protection balistique!

[12] Les polémiques ont été en grande partie déclenchées, durant l’été 2009, par le chef d’état-major de l’armée de Terre polonaise lui-même, par le biais de déclarations peu empreintes de réserve à la presse polonaise. Le général Skrzypczak a ensuite présenté sa démission.

[13] La «mésentente cordiale» entre le président conservateur Lech Kaczynski et le premier ministre libéral Donald Tusk est de notoriété publique.

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Titre : L’abandon de la composante terrestre du bouclier anti-missiles en Pologne, tenants et aboutissants
Auteur(s) : le chef de bataillon Jérôme TATIN
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