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L’artillerie du Camp Retranché de Paris en1914

cahier de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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Paris, camp retranché, est défendue en 1914 comme le prévoit l’instruction sur la guerre de siège de 1909. L’application de ce texte à Paris est un peu particulière puisque la ville est entourée par une triple ceinture de fortifications : l’enceinte continue d’environ 32 kilomètres de tour comprenant 94 bastions puis, à une distance variable une première ceinture de forts, dits détachés, construite en même temps que l’enceinte, de 1840 à 1845. Enfin s’ajoute la ceinture de forts Séré de Rivières construite de 1874 à 1880. Citons quelques noms pour préciser les localisations : forts d’Issy, de Vanves et de l’Est par exemple pour les premiers, forts de Vaujours, de Saint-Cyr et de Villeneuve-Saint-Georges pour les seconds.


Les forts Séré de rivières ont été construits après la guerre de 1870 pour interdire l’implantation de batteries d’artillerie ennemies comme l’avaient fait, fin 1870, les Prussiens. L’artillerie de 1870 n’était déjà plus celle de 1840 et les forts détachés n’ont pas empêché les batteries prussiennes[1] de tirer sur la ville (surtout la partie sud).

 

Que vaut cette triple couronne de forts ou d’ouvrages fortifiés en 1914 ? Pas grand-chose, pour plusieurs raisons. L’enceinte continue[2] est constituée d’un fossé continu de 10 m de profondeur et de 15 m de large dont les parois, escarpe et contrescarpe, sont prolongées par des surfaces horizontales formant glacis et parapets. Elle entaille la ville de 1914 qui s’est étendue de part et d’autre faute de n’avoir pu trouver ailleurs l’espace nécessaire à sa croissance. Depuis 1870, et même un peu avant, les propriétaires spoliés par les interdictions de construire dans les zones de servitudes se sont regroupés en ligues et syndicats pour faire pression sur l’autorité civile, et indirectement militaire, pour déclasser l’enceinte et récupérer les terrains. La ville de Paris est toute prête à profiter de l’aubaine et envisage d’ailleurs de juteuses opérations immobilières à condition de payer les terrains le moins cher possible[3] au Ministère de la guerre.

Les forts détachés sont construits en pierres (meulière), hourdés à la chaux et ne résistent pas à l’artillerie moderne. Les forts Séré de Rivières sont eux aussi construits en pierres mais on a enterré les casernes et protégé les œuvres vives par des couches de terre de 3 à 4 m d’épaisseur. Les canons, de 30 à 60 pièces, sont en principe posés à même le dessus des forts, à l’air libre, et protégés latéralement par des traverses. En même temps qu’on construit de nouveaux forts, on étudie, puis on réalise, de nouveaux canons destinés à les armer. Ce sont les de Bange, canons longs de 120 mm, longs de 155 mm, mortiers de 220 mm et même de 270 mm.

En 1886, alors que les derniers forts Séré de Rivières finissent de se construire, un chimiste de concours Lépine, Turpin, invente un explosif très brisant : la mélinite. Elle était connue depuis longtemps mais Turpin réussit à la stabiliser sans l’empêcher de détoner. Des expériences sont faites sur un fort tout neuf, celui de la Malmaison. Les maçonneries sont disloquées, les voûtes s’effondrent et les canons sur les «crêtes» d’artillerie sont démontés et détruits ; quelques obus suffisent pour rendre les forts intenables. Dès 1890 Paris ne peut plus se mettre à l’abri derrière ses fortifications.

Que faire ? Plusieurs solutions sont possibles : sortir les canons des forts et les installer en batteries détachées de 4 à 6 pièces, améliorer la protection des forts en utilisant le béton et, mieux, le béton armé qui vient d’apparaître, enfin conserver de l’artillerie dans les forts mais installée dans des tourelles, des «cuirassements» dit-on à l’époque, armées de une à deux pièces. Ces tourelles en fonte aciérée sont tournantes bien sûr, mais aussi à éclipse. On fera un peu tout cela mais la facture est telle qu’à Paris on ne fait rien ou presque rien sauf à installer 5 tourelles sur certains forts : Palaiseau par exemple. Le bétonnage des structures est réservé aux forts de l’est : Verdun, Toul, etc.

Il fallait donc conceptualiser une défense des places[4] qui tienne compte des nouvelles contraintes ; ce sera l’objet de deux instructions successives sur la guerre de siège, celle de 1895 et celle, donc, de 1909, qui codifient la façon d’attaquer et de défendre les places. Et la défense de Paris, camp retranché mais aussi place de guerre, sera étudiée et mise en oeuvre suivant les préceptes des textes réglementaires.

En avril 1914 le dernier plan de défense de Paris qui a connu de nombreux avatars est approuvé par M. Étienne alors Ministre de la Guerre. Il prévoit de constituer tout autour de Paris, sur un peu moins de 200 kilomètres de circonférence trois zones : nord, est, sud-ouest séparées par trois intervalles : sud (vallée de la Haute-Seine), ouest (vallée de la Basse-Seine) et nord-est (région de Roissy, tracé de l’actuelle autoroute A1). Chacune de ces zones est divisée en secteurs, huit au total, plus un neuvième regroupant tous les intervalles.

L’organisation défensive autour de Paris fin août 1914.

Les batteries d’artillerie sont disséminées dans les secteurs et portent un numéro commençant par le numéro du secteur. Par exemple, dans le secteur 5 allant de l’actuelle autoroute A4 à Villeneuve-Saint-Georges, il y a seize batteries numérotées de 501 à 516 dans le sens trigonométrique.

L’artillerie doit être dispersée tout autour de la Capitale à une distance variable de 12 à 14 kilomètres dans des batteries de 4 à 6 pièces. Un peu en avant se trouvent des tranchées, protégées par des réseaux de fil de fer et occupées et défendues par des divisions d’infanterie territoriale.

On commencera à installer et disperser les batteries dès le 3 août 1914. Tout est à faire, le temps de paix interdisant de travailler sur des terrains qui sont presque exclusivement privés. Les pièces viennent des parcs de Place, de Versailles, de Vincennes et des forts où elles sont, pour certaines encore, stockées et doivent être conduites à poste par des attelages. Si, par suite des nombreuses reconnaissances effectuées depuis des années, on sait parfaitement où on va les mettre en batterie, rien n’est fait à cette date et les terrains n’ont connu aucune préparation.

Parallèlement à l’installation des pièces il faut aménager des magasins à munitions : centraux, de secteurs et de batteries. L’approvisionnement doit se faire par trains circulant sur des voies de 0,60 m ou 0,50 m. Ces trains sont tractés par des chevaux, voire à bras d’hommes mais aussi par des locomotives spéciales dites locomotives Péchot du nom du colonel Péchot qui a conçu le système[5]. Toutes ces voies doivent être posées directement sur les routes, chemins et sentiers.

Les personnels sont, pour l’essentiel, fournis par la réserve de l’armée territoriale (RAT). Ils vont arriver au compte gouttes dans les quinze premiers jours de la mobilisation. Il est prévu d’utiliser 8 batteries de réservistes et 17 de territoriaux à chacune 315 hommes qui seront renforcées par 25 compléments de 200 hommes pour amener les batteries à 500 hommes. Les personnels de l’artillerie ont un triple rôle : installer les batteries et magasins (y compris les terrassements nécessaires mais en coopération avec le génie), installer la voie de 0,60 et enfin servir les pièces.

Et ce n’est pas une sinécure ! Installer les pièces signifie : creuser 4 ou 6 terre-pleins d’environ 2 m de profondeur. Chacun est flanqué de murs de refends en terre (qui, jouant le même rôle que les traverses des forts, portent le même nom) revêtus de clayonnages pour éviter l’éboulement des terres et est terminé par un épaulement de même hauteur derrière lequel la pièce sera mise en batterie. Puis il faut installer sur le terre-plein une plate-forme constituée de trois lits de madriers superposés qui pèse environ 6 tonnes et qui demande pour être parfaitement réglée au moins 6 heures de travail. Le canon vient se loger derrière l’épaulement sur la plate-forme. En 1914 les plates-formes sont toutes équipées d’un frein hydraulique fixé sur une sellette dont nous allons reparler plus loin.

Tout autour de la pièce on va installer divers ouvrages : PC du commandant de batterie, tranchées de protection, enfin magasins de batteries (en principe 100 coups par pièce, un peu moins pour les calibres plus importants) et observatoires le plus proche possible des pièces pour ne pas avoir à utiliser des lignes téléphoniques rares et peu fiables.

Au total il faut au moins une quinzaine de jours pour installer complètement une batterie. Il n’est donc pas question de changer d’emplacement. Une différence essentielle entre une artillerie lourde de campagne et une artillerie de siège est l’absence presque totale de mobilité de la seconde par rapport à la première. L’instruction prévoit d’ailleurs un ou deux emplacements, pas plus, avant l’attaque finale dans le cas du siège et aucun dans la défense des places. Autant dire que les batteries installées sur leurs positions sont faites pour y rester quoi que fasse l’ennemi.

Tant que la voie de 0,60 m n’est pas posée et les magasins terminés, rien n’est achevé et il est impossible de tirer faute d’obus et de gargousses à part les quelques coups qui accompagnent les pièces. Ce sera la tâche la plus difficile à accomplir. La voie de 0,60 est abondante dans le camp retranché (carrières notamment) mais, désireux de ne pas arrêter toute activité industrielle, le Ministre prendra beaucoup de temps pour autoriser la réquisition et il faudra un quasi tour de force pour que le 30 août le commandement de l’artillerie puisse annoncer que chaque pièce est approvisionnée à environ 30 à 40 coups soit à peu près deux heures de feu mais sans pouvoir reconstituer les stocks.

Quels sont les canons ? Essentiellement des 120 et 155 mm L[6] de Bange. On trouvera aussi quelques 155 mm C[7] de Bange et plus rarement des 95 mm Lahitolle. Les 155 et les 120 se ressemblent comme des frères ; ils sont en acier et se chargent par la culasse. Le premier pèse en ordre de marche environ 2.700 kg et le second 5.700 et pour les transporter il faut les scinder en fardeaux séparés ; la partie rayée a une longueur d’environ 20 calibres dans les deux cas. Le projectile du 155 pèse 43 kg (ce qui «éreinte» les servants) et la portée peut atteindre environ 8 km (à l’époque ; on fera mieux plus tard). Le projectile du canon de 120 ne pèse que 20 kg, va aussi loin et la pièce est beaucoup plus maniable ce qui explique sa plus grande diffusion. Ces canons, bien servis, tirent théoriquement environ 1 coup/minute.

Le grand challenge de la fin du XIXème siècle est la maîtrise du recul. Les de Bange sont équipés d’un frein hydraulique constitué d’un piston lié à la fois à la plate forme (sellette) et à la crosse de l’affût. Il comprime un liquide, par définition incompressible, qui ne peut s’échapper que par des ajutages soigneusement calibrés. Le canon recule alors d’environ 90 cm et, en reculant, monte sur des coins de recul qui font office de récupérateur puisque le canon revient par gravité à sa position de batterie (voir image ci-dessus).

Sur quoi tirent les canons ? Sauf à faire du tir sur zone, généralement inefficace et consommateur de munitions, tous les objectifs sont repérés : carrefours, ponts, routes, lisières de forêt, etc…Il est impensable de tirer sur un objectif qui se dévoilerait subitement parce qu’on ne sait pas le faire. L’affichage des éléments de tir est une opération longue et délicate où on utilise des outils, notamment pour la mise en direction des canons, aussi précis que des barres à mines !! On ne sait faire des tirs masqués que depuis une vingtaine d’années mais beaucoup d’artilleurs doutent encore de leur intérêt. Le pointage pratiqué reste le traditionnel pointage «à la hausse» qui nécessite de voir l’objectif. Le manque d’une cartographie «ad hoc», notamment, au début de la guerre, l’absence de carroyage, interdit de repérer les points du terrain par des coordonnées !! On rajoutera rapidement un carroyage sur les cartes mais comme les origines ne sont pas les mêmes il est impossible de raccorder deux carnets de tir. La projection utilisée est la projection de Bonne-Panthéon (méridien de Paris), celle de la carte d’état-major. Plus tard on fera appel systématiquement pour toutes les armées françaises à la projection Lambert.

Le réglage à vue interdit pratiquement les tirs à plus de 3 à 4 km et encore, à condition que les conditions météo le permettent. Assez vite cependant on utilisera l’observation aérienne pour observer et corriger les tirs, dès la fin septembre 1914, dans le Camp Retranché. La portée théorique des de Bange n’a donc pas grand sens[8] d’autant plus que, dans le Camp retranché, aucun coup de canon n’a jamais été tiré, ni aucun réglage effectué. En cas d’attaque allemande tout était à faire. La voie de 0,60 mettra beaucoup de temps à être déployée et elle atteindra un maximum de 250 km fin 1914.

Finalement quel fut le résultat ? Le 26 août 1914, 73 batteries étaient en place ; en octobre, donc bien après que le danger soit passé, ce sont 99 batteries représentant 534 pièces qui sont installées sur tout le pourtour de Paris et il n’y en aura pas plus. Avec quelle efficacité ? Voici ce qu’écrivait le général Desaleux commandant l’artillerie du Camp Retranché quelques mois après la Marne.

«Si, à cette date, presque toutes les pièces avaient pu être mises en batteries, si la plupart d’entre elles pouvaient effectivement tirer avec un approvisionnement restreint, le retard subi par l’organisation du tir et le manque d’instruction et d’expérience du personnel ne permettaient d’escompter que des résultats fort incertains».

Il est évident que les Allemands auraient pu s’emparer relativement facilement de Paris. Les préceptes de la guerre de siège appliqués réglementairement sans aucune nuance par Gallieni empêchaient de renforcer les défenses face aux directions dangereuses. Pas un canon n’a manqué au dispositif prévu dans l’intervalle de la Haute-Seine qui n’a jamais été menacé. À vouloir se protéger dans toutes les directions on ne se protégeait nulle part !

C’est la bataille de la Marne et la manœuvre qui ont sauvegardé Paris. Le Camp Retranché n’y est pour rien mais il faudra attendre 1917 pour qu’on se rende compte de la faillite d’un concept fabriqué sur mesure pour sauver ce qui pouvait l’être de la fortification permanente. Parenthèse fragile puisque la même hérésie renaîtra de ses cendres quelques années plus tard et trouvera son épanouissement dans la ligne Maginot avec les conséquences que l’on sait.

 

 

 

[1] Canons en acier et se chargeant par la culasse pour les Prussiens.

[2] Sur l’emplacement de laquelle a été construit le périphérique.

[3] Il a existé à l’époque une sorte de «Mission pour la Réalisation des Actifs Immobiliers».

[4] Personne ne sera assez audacieux pour tirer un trait définitif sur la fortification permanente. En 1914, 23% des effectifs mobilisés le sont dans les places fortes. Contrairement à ce qu’affirment tous les thuriféraires de la fortification, ce n’est pas une doctrine offensive qui «plombe» l’armée française au début de la guerre mais bien le poids du passé !

[5] C’est bien d’un système dont il s’agit avec de nombreux équipements qu’il n’est pas question de décrire ici.

[6] Long.

[7] Court.

[8] La quasi exclusivité du 75 mm au détriment d’une artillerie lourde n’était pas, en 1914, aussi absurde qu’on a bien voulu le dire.

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Titre : L’artillerie du Camp Retranché de Paris en1914
Auteur(s) : le général de corps d’armée (CR) André BOURACHOT
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