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La bataille du renseignement en contre guérilla urbaine: L’exemple de la bataille d’Alger

cahier de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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Au moment où l’armée de terre s’apprête à diffuser un manuel de contre-rébellion, traitant notamment des spécificités des engagements en zone urbaine, il semble intéressant de s’interroger sur la pertinence de certains modes d’action développés par l’armée française lors de la lutte contre l’appareil politico-militaire du FLN[1] en 1957, à Alger.

Objet de nombreuses controverses, la recherche du renseignement fut un succès global en Algérie et mérite une attention particulière à l’heure où certaines armées occidentales sont d’ores et déjà confrontées à ce type d’opérations, notamment au Moyen-Orient (Irak, Territoires Palestiniens…).

Si l’usage de la torture est inacceptable, il reste néanmoins certain que les méthodes d’infiltration et de déstabilisation des réseaux adverses, de collecte, de partage et de synthèse du renseignement mises en œuvre en Algérie pourraient nourrir une réflexion pratique qui pourrait être développée dans l’avenir.

 

 

[1] Front de Libération Nationale


Rappel du contexte

Le 7 janvier 1957, après une vague d’attentats sanglants contre la population algéroise, le Ministre résidant Robert Lacoste convoque le Général Massu, commandant la 10ème division parachutiste, de retour de l’opération avortée sur le canal de Suez, et lui attribue tous les pouvoirs de police normalement impartis à l’autorité civile.

Le général Massu est désormais détenteur de pouvoirs discrétionnaires dont le contrôle de la circulation des personnes et des biens, l’institution de zones réglementées et interdites, l’assignation à résidence, surveillée ou non, l’autorisation de perquisitions à domicile de jour comme de nuit. Les soldats français, parachutistes et zouaves pour l’essentiel, appuyés par les policiers et les gendarmes se lancent dans de nouvelles missions, très éloignées des modes d’action appliqués dans le reste du territoire contre la guérilla du FLN. Notons dès à présent que certains officiers seront, dès le début, extrêmement réticents face à cet engagement[1].

 

Le contrôle de la population d’Alger

Pour remplir cette mission, l’armée française établit un contrôle étroit de la population via le dispositif de protection urbaine (DPU), mis en place par un des adjoints de Massu, le Lieutenant-colonel Trinquier. Chaque maison est numérotée, une fiche est établie par maison, cette fiche précise le nombre et le nom des occupants, leur position (absent, présent). «Un responsable par maison doit tenir la fiche à jour et expliquer les absences. Les chefs d’îlots surveillent ce recensement permanent qui veut enserrer la population dans un gigantesque filet»[2]. Lorsqu’un habitant est absent ou qu’une personne n’habitant pas dans l’îlot est présente, le chef d’îlot doit en rendre compte aux autorités. Cette mesure visait à contrôler les mouvements de la population algéroise et à limiter les possibilités d’hébergement et de déplacements des activistes du FLN. Dans la Casbah, la 10ème division parachutiste dispose d’une compagnie du 9ème régiment de zouaves, sous les ordres du Capitaine Sirvent, algérois de naissance, parlant couramment l’arabe. «Ses hommes, en revanche, sont des appelés métropolitains, surtout des ruraux originaires des départements du Nord. Ils s’adaptent vite à la mission, déambulent dans la Casbah pour en découvrir les coins et les recoins, discutent avec les commerçants et les tenanciers de cafés maures, quand ils ne veillent pas aux chicanes ou n’assurent pas la protection des perquisitions effectuées par la PJ. Ils sont dotés de talkies-walkies les reliant à leur capitaine qui a organisé un efficace réseau radio depuis le palais Klein, sur le toit duquel il a installé un phare sur pivot qui permet de surveiller les terrasses»[3]. Cette compagnie fournit aux unités d’intervention des renseignements d’ambiance et reste en mesure de «donner le pouls» de cette zone clé d’Alger.

L’ensemble de ces actions est coordonné lors de réunions quotidiennes tenues à la préfecture rassemblant les commandants d’unités, les commandants de secteurs et les responsables civils qui participent au maintien de l’ordre: les polices judiciaires et urbaines, les renseignements généraux et la DST. Le Général Massu obtiendra aussi le détachement d’inspecteurs de police auprès des officiers renseignement des régiments. Il propose de leur faire porter la tenue de combat, certains le feront.

 

Le Capitaine Léger et la «bleuite»

Simultanément, le Lieutenant-colonel Trinquier s’attache les services d’un jeune capitaine, ancien des services spéciaux, ayant servi en Indochine au sein des régiments parachutistes coloniaux, rompu aux techniques de subversion et de contre-guérilla, le Capitaine Paul-Alain Léger.

Celui-ci  comprend rapidement que les exactions du FLN peuvent être utilisées pour retourner des personnes contre lui. «Parmi les hommes au nez coupé, aux lèvres coupées, parmi les veuves de ceux qui ont été égorgés, il y en a beaucoup qui brûlent de se venger»[4]. Léger va «travailler» la population en exploitant au maximum les renseignements fournis, en privant l’adversaire de ses moyens d’information. Il va retourner contre le FLN ceux qui en ont été victimes, complices ou agents.

Il crée dans un premier temps le groupe renseignement exploitation (GRE) et s’installe dans la Casbah près du PC de Sirvent. Le GRE est composé de 5 personnes, renforcées rapidement pas deux anciens membres du FLN (dont une ancienne activiste du FLN emprisonnée après avoir été dénoncée par son époux). Le GRE va remplir deux missions:

  • lutter contre les groupes qui imposent les règles du FLN à Alger (interdiction des jeux dans les cafés maures, interdiction de l’alcool et du tabac…). «En juillet 1957, l’objectif était atteint. Les habitants de la Casbah fumaient, jouaient aux dominos, écoutaient la radio comme dans le passé»[5],
  • utiliser les transfuges pour identifier parmi la population, en surveillant les issues de la Casbah, les membres de l’appareil politico-militaire du FLN à Alger. Les hommes du GRE, cachés, rendaient compte aux zouaves du Capitaine Sirvent qui intervenaient pour arrêter les rebelles ainsi démasqués.

Progressivement, le capitaine Léger, sous la direction du colonel Godard, va noyauter l’organisation de la zone autonome d’Alger (ZAA), nom donné à la structure politico-militaire du FLN dans la capitale, avec pour objectif d’en faire tomber le chef puis de la détruire pour mettre un terme aux attentats aveugles. Le 24 septembre 1957, l’arrestation de Yacef Saadi, chef des poseurs de bombe du FLN à Alger marque le succès total des méthodes du GRE et une victoire déterminante des militaires français dans leur lutte contre la guérilla urbaine.

Les actions du GRE vont également être conduites hors d’Alger. L’une d’entre elles mérite une attention particulière: la zone rebelle de la Wilaya III, en Kabylie, va être intoxiquée par ce qui est encore aujourd’hui appelé la «bleuite»[6].

Les rebelles capturés, originaires de cette wilaya sont retournés, manipulés puis renvoyés dans leurs unités pour y collecter des renseignements. Léger parvient si bien à infiltrer la structure de commandement qu’il dispose finalement d’un de ses hommes à la tête de la Wilaya III! Pendant six mois, les officiers français contrôleront l’ensemble des activités du FLN à Alger. Les dirigeants rebelles se demanderont d’ailleurs à de nombreuses reprises pourquoi le nombre d’attentats et d’attaque était si faible.

À la fin de l’année 1958, Léger introduit un virus mortel, le virus de la «bleuite». Il explique à d’authentiques maquisards à quel point les maquis sont infiltrés, use de pseudo-messages radio puis favorise ensuite l’évasion de ces maquisards «intoxiqués». La manipulation sera renforcée par l’abandon de faux ordres de mission français sur des cadavres de vrais maquisards. Le chef de la Wilaya III, Amirouche, convaincu de l’existence de traîtres dans les rangs de sa Wilaya, va alors se lancer dans une purge aveugle qui aurait coûté plus de 2.000 combattants au FLN.

 

Enseignements

Même s’il convient de rester prudent et de ne pas chercher à calquer de façon mécanique ces modes d’action, plusieurs enseignements pourraient être utilisés lors de futures opérations de contre-rébellion en zone urbaine.

  • Le renseignement constitue la première exigence de ce type d’engagement. L’exemple de la bataille d’Alger souligne l’impérieuse nécessité d’une coordination du renseignement (collecte, analyse, synthèse, diffusion) autour du commandant de l’opération, quelle que soit son origine (tactique, opérative ou stratégique). De plus, l’appui de spécialistes de lutte contre les crimes en zone urbaine (policiers, gendarmes) est indispensable pour organiser le quadrillage d’une zone urbaine, l’analyse du renseignement.

Il existe aujourd’hui une réelle volonté de pallier cette difficulté, la création attendue d’une base de donnée centrale, l’organisation régulière de comité de renseignement de théâtre (CRT), la définition de mesures de «déconfliction» par les G2X vont dans ce sens. Cependant, le respect d’une certaine étanchéité reste prégnant pour assurer la sécurité des opérations.

  • Le contrôle de la population, à l’image du DPU du Lieutenant-colonel Trinquier, semble également indispensable. L’établissement de pièces d’identité peut permettre de recenser l’ensemble de la population et d’en contrôler les mouvements, l’objectif étant d’isoler les rebelles et terroristes, de les identifier puis de les neutraliser. Le recensement pourrait être effectué avec des prétextes variés (téléphone, vivres, internet…). L’action des opérations psychologiques (psyops) pourrait être déterminante.

Néanmoins, une réflexion pourra être initiée sur les contraintes politiques et stratégiques qui pourraient peser sur la force engagée en contre-rébellion au regard du respect de certaines libertés fondamentales comme la libre circulation, la libre expression… Le poids et le rôle des médias ne peut également pas être occulté.

  • L’efficacité du GRE et des «bleus de chauffe» du capitaine Léger montre qu’il est possible de «retourner» des victimes de la rébellion et de les utiliser soit pour comprendre l’organisation des groupes rebelles, leurs motivations, leurs modes d’action, soit pour collecter du renseignement au sein de la population. La force pourrait utiliser ce type d’auxiliaires pour lancer des campagnes d’action psychologiques répondant exactement aux messages des rebelles et aux attentes de la population locale.

Les officiers «traitant» ce type de source devront avoir été formés en amont à ce type d’action.

Afin d’éviter de potentielles dérives, ces manipulations ne pourront être mises en œuvre qu’au plus haut niveau (stratégique et opératif) et s’inscrire dans la durée en s’affranchissant des discontinuités crées par les relèves.

  • Enfin, l’emploi de groupes locaux, d’unités constituées de forces locales pourrait être envisagé. Ils permettraient de s’affranchir de barrière culturelle, linguistique et d’avoir des éléments «amis» immergés au sein des quartiers et de préparer un désengagement. À l’aune de l’exemple actuel des tribus sunnites, armées, rétribuées par l’armée américaine en Irak, le problème du contrôle de ces unités, de leur financement, de leur collusion éventuelle avec des groupes rebelles, de l’impact politique et stratégique de leurs actions devront être étudiés avec une attention certaine.

En amont de la crise ou de l’intervention, un travail d’identification des groupes, des leaders associé à de possibles coopérations ou aides ponctuelles pourra préparer l’engagement dans la zone urbaine. Pilotées par des spécialistes du renseignement, ces actions auraient trois formes:

  • assistance et conseil (OMLT),
  • soutien de maquis d’opposants (Alliance du Nord en Afghanistan),
  • constitution de commandos de ralliés (Algérie avec le commando Georges).

 

Conclusion

Les enseignements qui peuvent être tirés de la bataille d’Alger peuvent donc nourrir une réflexion sur les particularités de la lutte contre une rébellion en zone urbaine.

Ces enseignements doivent être tempérés à l’aune de la permanence de la présence française dans la principale ville d’Algérie. Les réseaux de renseignements, la connaissance du milieu, l’hétérogénéité relative de la population locale (population d’origine européenne nombreuse) facilitaient l’action des forces françaises.

De telles opérations supposeraient donc aujourd’hui de bénéficier du temps nécessaire à l’obtention de résultats durables parfois opposés au besoin de résultats rapides induits dans les opérations actuelles.

Pourtant, est-il réellement possible de vaincre une guérilla urbaine et de stabiliser une grande agglomération en temps contraint?

 

 

[1] Le Colonel Godard, chef d’état-major de la 10èmeDP, déclara au Général Massu, dès le 7 janvier, «ce n’est pas une mission pour nous» et suivra de très loin la première bataille d’Alger. Il fut opposé à l’usage de sévices physiques et apporta un soutien sans faille aux activités du Capitaine Sirvent commandant la compagnie de zouaves, déployée dans la Casbah.

[2] «La bataille d’Alger», Jean Delmas, Editions Larousse, page 117

[3] Jean Delmas, op. cit., pages 40-41.

[4] Alger – Eté 1957, une victoire sur le terrorisme, Général Maurice Schmitt, éditions L’harmattan, page 64.

[5] Général Maurice Schmitt, op. cit., page 65

[6] Cette expression vient de l’uniforme porté par les hommes du GRE, des bleus de chauffe.

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Titre : La bataille du renseignement en contre guérilla urbaine: L’exemple de la bataille d’Alger
Auteur(s) : le Chef de bataillon Pascal IANNI
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