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La formation dans les armées: décryptage d’un système modèle

cahier de la pensée mili-Terre
L’Armée de Terre dans la société
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Alors même que le système éducatif, pourtant décrété priorité nationale, semble peiner à faire sortir la France de ses difficultés, les armées déploient un système de formation qui pourrait faire figure d’exemple et qui mérite d’être préservé malgré la forte pression budgétaire actuelle.


L’enseignement en France est tiraillé entre deux grandes tendances qui, historiquement, ont structuré tous ses progrès: la nécessité d’accroître la connaissance propre à générer le progrès, d’une part, la volonté humaniste d’augmenter le niveau de connaissance des masses, d’autre part, la première tendance favorisant l’élitisme et la recherche de performance, la deuxième la vulgarisation des connaissances et l’égalité des chances. Ce tiraillement crée un paradoxe: des professeurs, issus d’un système essentiellement élitiste, sélectionnés par concours (ESPE, CAPES, agrégation) sur la base de leurs connaissances, mais qui doivent déployer des trésors pédagogiques pour atteindre le plus grand nombre. Et force est de constater la faiblesse de leur préparation en la matière, les débats étant plus souvent idéologiques que méthodologiques.

La crise économique et le recul des puissances d’Europe occidentale dans un contexte mondial de plus en plus oppressant ajoutent une pression supplémentaire sur l’enseignement: face à la désindustrialisation de la France et à l’hyper-compétitivité des pays émergents, le pouvoir politique mise sur le savoir et l’avance technologique pour retrouver une situation économique forte et la croissance. Cette politique passe par la volonté, réaffirmée par les différentes lois d’orientation de ces dernières années, de faire accéder une grande partie de la population à l’enseignement supérieur. Ainsi, celle du 23 avril 2005 fixe comme objectif au système éducatif français de faire acquérir le niveau du baccalauréat à au moins 80% d’une classe d’âge et de conduire 50% à un diplôme de l’enseignement supérieur[1]. Or le rapport PISA[2], publié le 3 décembre 2013, qui place la France à la 18ème place des pays de l’OCDE, souligne les difficultés rencontrées dans la réalisation de ces objectifs.

Le système éducatif français, qui fait pourtant l’objet de réformes régulières, semble ainsi devoir être repensé en profondeur, tant pour la formation des plus jeunes que pour la «formation tout au long de la vie», qui relève aujourd’hui encore de la gageure.

Alors même que le système éducatif, pourtant décrété priorité nationale, semble peiner à faire sortir la France de ses difficultés, les armées déploient un système de formation qui pourrait faire figure d’exemple et qui mérite d’être préservé malgré la forte pression budgétaire actuelle.

L’objet du présent article n’est pas de décrire le dispositif de formation du ministère de la Défense, mais de décrypter les ressorts essentiels de sa réussite au travers de la comparaison avec les recommandations des penseurs de la pédagogie et de l’andragogie[3]. Ceci afin de conserver à l’esprit ce qui en constitue les atouts principaux dans la conduite des restructurations dont fait l’objet l’ensemble du ministère de la Défense.

 

De la tradition à la formation

 

Si les armées peuvent aujourd’hui se prévaloir d’une réelle expertise dans le domaine de la formation, c’est parce qu’elles ont su capitaliser sur la tradition, c'est-à-dire la transmission par les anciens des savoir-être et des savoir-faire aux plus jeunes, à la façon des maîtres et apprentis.

La standardisation des pions de manœuvre et de leurs procédés d’exécution dès l’antiquité ont fait apparaître très tôt la nécessité d’une formation commune. Ainsi, les jeunes recrues des légions romaines suivaient une formation selon un programme normalisé, dans des lieux et avec des matériels dédiés à l’instruction. Cette formation était complétée par un entraînement collectif à la manœuvre avec des armes réelles revêtues de fourreaux pour éviter les accidents. Les légionnaires rejoignaient ensuite leurs unités où les plus jeunes (hastati) vivaient et combattaient avec leurs aînés (principes). Au niveau supérieur, l’enseignement de la tactique a longtemps été lié à l’étude des batailles du passé et à l’apprentissage de schémas que seuls certains généraux parvenaient à dépasser pour assurer la victoire. Le développement d’une formation tactique et stratégique efficace, après avoir été longtemps freiné par les aspects honorifiques et politiques prévalant pour ces niveaux de responsabilité, a connu un essor fulgurant à la fin du XVIIIème siècle. L’influence de Napoléon 1er  et la richesse de la réflexion de cette période ont entraîné la création d’écoles d’officiers (Royal Military Academy de Woolwich en 1741, Royal Military College de Sandhurst en 1801, École spéciale militaire de Saint-Cyr en 1802…). S’y sont alors développées des formations capables de tirer le meilleur parti de l’étude du passé, mais aussi de techniques et de doctrines innovantes. L’ère industrielle et celle de l’information ont accentué la nécessité d’atteindre un haut niveau de connaissances techniques pour maîtriser des systèmes d’armes et des situations toujours plus complexes.

De fait, l’histoire militaire nous montre que les armées ont depuis toujours capitalisé sur la formation, en dotant chaque niveau hiérarchique de connaissances dans le domaine de la pédagogie: chaque cadre, du chef d’équipe (caporal) au général, est donc chef, éducateur et formateur.

 

Pédagogie militaire: un référentiel de valeurs et de procédés structurant

 

Selon Philippe Meirieu, «l’expérience pédagogique est, fondamentalement, expérience de la résistance de l’autre au projet que je développe sur lui: l’autre ne désire jamais vraiment ce que je voudrais; il ne souhaite pas nécessairement apprendre ce que j’ai programmé pour lui, ni se plier aux stratégies d’apprentissage que je lui propose»[4]. L’adhésion à un objectif commun est donc un facteur essentiel, qui peut faire défaut notamment dans l’enseignement primaire et secondaire, dont l’usager est décrit comme «captif» de par son caractère obligatoire. Cette adhésion est d’autant plus difficile à obtenir que l’usager est aussi «pluriel», l’appréciation des parents étant naturellement à prendre en compte, et qu’il appartient à un «groupe classe» dont la cohérence relève de l’«alchimie»[5].

Or, une force de la formation dispensée dans les armées réside dans l’existence d’un référentiel commun de valeurs et d’un esprit de corps qui facilitent cette adhésion. Le sentiment d’appartenance à un groupe social à part, au cœur de la problématique du lien armée-nation, est, dans ce cas, un ressort important de la pédagogie militaire. La formation prend alors une dimension d’initiation.

Les conditions d’apprentissage étant donc plus favorables, les objectifs clairs de par l’impératif opérationnel qu’ils déclinent, il reste à dispenser la formation elle-même. Dans ce domaine encore, les armées ont su transformer une faiblesse en véritable atout. En effet, le fait même que les formateurs ne soient pas des professionnels de la formation, mais des opérationnels temporairement sortis de leur cœur de métier, garantit, d’une part l’adaptation permanente à la réalité des unités et a obligé, d’autre part, les armées à développer des procédures et des méthodes pédagogiques de qualité. Cette réflexion a conduit à la rédaction de textes réglementaires tels que le Manuel de pédagogie militaire (TTA 193), véritable référence méthodologique indispensable du formateur, mais aussi à la généralisation et à la standardisation des pratiques dans ce domaine (parcours normés, continuum de formation…).

 

Le rôle essentiel des écoles de formation initiale 

 

Le philosophe Alain[6] souligne l’importance de l’école comme lieu neutre, dépassionné, loin de la tyrannie des sentiments qui régit la cellule familiale, et donc plus propice à l’apprentissage. C’est là toute la force des écoles de formation initiale de nos armées: un lieu où l’élève n’est ni sous le regard de ses supérieurs ni sous celui de ses subordonnés. Un lieu propre à stimuler la créativité et à se risquer à la prise de décision, préalables nécessaires dans l’apprentissage de l’autonomie et du commandement. Dans un tel environnement, l’erreur devient féconde, et même si le but visé reste bien de l’éradiquer en vue d’obtenir les résultats opérationnels futurs, il est nécessaire, selon Jean-Pierre Astolfi[7], de la laisser apparaître, voire quelquefois de la provoquer. Elle constitue de plus un indicateur précieux dans le processus d’apprentissage. La principale difficulté réside dans le fait que les enseignants militaires, comme les professeurs civils, mais dans une mesure accrue par le «culte de la mission» qui les anime habituellement, sont réticents devant l’erreur, qui leur renvoie une image désagréable de leur travail pédagogique. Ce sentiment est trop souvent amplifié par la perception négative que peuvent en avoir les chefs hiérarchiques.

Ainsi, les écoles de formation initiale restent le lieu privilégié pour apprendre l’autonomie et le sens des responsabilités, à condition d’accepter de conférer une certaine liberté d’action aux formateurs pour accompagner leurs élèves dans leurs expérimentations. Ces conditions d’apprentissage sont essentielles pour garantir la conservation de l’originalité de la pensée tactique française, caractérisée notamment par l’autonomie des différents échelons hiérarchiques (principe de subsidiarité).

 

Une formation continue efficiente

 

Alors que le système éducatif français peine à promouvoir concrètement la «formation tout au long de la vie», les armées accompagnent leur personnel, toutes catégories confondues, tout au long de parcours professionnels lisibles et variés.

L’expertise des armées dans le domaine de l’andragogie apparaît clairement en comparant les parcours professionnels dans les domaines civils et militaires. Le ressort de cette réussite réside, d’une part, dans le fait que les armées, attachées à la jeunesse de leur ressource humaine, poussent à la progression professionnelle en permanence, et, d’autre part, dans le souci de compétence lié aux fréquents changements de poste qu’une telle politique induit. Il y a là une différence fondamentale avec le monde de l’entreprise où la progression professionnelle se fait généralement sous la seule impulsion de l’intéressé. Or la formation continue concerne une population expérimentée pour qui la remise en question que constitue la présentation à un examen ou concours, ou encore le retour à la qualité d’étudiant, ne va pas forcément de soi.   

Selon Roger Muchielli, l’andragogie a une forte dimension écologique[8]. Son postulat de base est que le réel, pour les adultes, correspond à leur vie avec leurs responsabilités professionnelles et futures, leurs aspirations et leur horizon temporel. Il préconise donc que la formation continue s’organise par rapport à des situations professionnelles concrètes et un comportement pratique bien défini. Les armées s’inscrivent parfaitement dans ces mécanismes en dispensant des formations sur mesure et en s’appuyant sur l’expérience des formateurs, tous issus des unités opérationnelles, ainsi que sur celle des élèves eux-mêmes, notamment à travers les travaux en collaboration et la création de dynamiques de groupe.

Aujourd’hui, la pression budgétaire fait sentir ses effets dans le domaine de la formation continue comme ailleurs, se traduisant par la tentation de la validation d’expérience et du remplacement des scolarités par l’enseignement à distance. Or il convient de mesurer l’impact de ces deux mesures.

Selon le modèle andragogique décrit par Malcolm Knowles, les apprenants adultes ont un besoin de reconnaissance et d’autonomie accru qui les prédispose à aborder l’enseignement à distance favorablement[9]. Néanmoins il est aujourd’hui admis que ce modèle, teinté d’un certain angélisme concernant la population des apprenants adultes et sa motivation réelle, doit être nuancé. Mais surtout, l’enseignement à distance prive les apprenants de la plus-value du travail en groupe et notamment du partage de l’expérience. Or ce partage est essentiel pour élargir sa propre vision des choses et ancrer ses connaissances dans le concret. Enfin, l’enseignement à distance relève d’une démarche individuelle qui va à l’encontre de la volonté de promouvoir des méthodes et des procédures communes au sein de l’institution militaire. Cette critique peut-être effectuée de la même façon à l’encontre de la validation d’expérience si elle n’est pas assortie d’un recalage dans un organisme centralisé. Ces dispositifs, tentants par l’économie qu’ils peuvent représenter, peuvent ainsi générer une vraie perte en qualité d’apprentissage.

 

Le cas particulier des mises en scolarité dans le civil

 

Le dispositif de formation continue des armées est complété par la possibilité d’effectuer des scolarités dans le milieu civil, notamment pour les officiers. Cible de réductions drastiques pour raisons budgétaires, ces mises en scolarité se révèlent pourtant d’une grande fécondité pour les armées.

Tout d’abord, elles constituent une plus-value indispensable pour tous les emplois qui servent d’interface entre les mondes civil et militaire. En cela, ces formations s’inscrivent totalement dans la logique de compétence professionnelle décrite supra, à travers l’acculturation au secteur du monde civil ciblé par la scolarité.

De plus, elles constituent une source d’inspiration pour alimenter la pensée militaire. En effet, ces scolarités sont un moyen privilégié d’enrichir le référentiel méthodologique et de connaissances des armées afin de maintenir la performance des procédures et des actions conduites.

Enfin, ces mises en scolarités vont jusqu’à la création de véritables partenariats avec des grandes écoles d’ingénieurs (telles que Supélec ou Centrale), mais aussi de sciences politiques (IEP) ou de commerce (HEC). Elles permettent ainsi le rayonnement des armées dans les secteurs clés de la société civile que sont l’enseignement supérieur, d’une part, et le monde de l’entreprise ou de la politique, d’autre part.

 

Stratégie et contrôle: deux éléments au service de l’évaluation des actions de formation

 

Si les grandes écoles, solidement ancrées dans le marché du travail par leurs réseaux d’anciens élèves, parviennent à fixer des objectifs clairs, elles font figure d’exception dans le système éducatif dont une des caractéristiques principales est la grande dispersion des élèves à leur sortie. Cette caractéristique induit une difficulté réelle pour le système éducatif à évaluer son action, à cause notamment du manque de retour d’expérience de la part des employeurs, mais aussi du modèle de fonctionnement des établissements scolaires.

Les armées possèdent là encore des atouts indéniables. En effet, les établissements scolaires fonctionnent en général sur le modèle de la «bureaucratie professionnelle» décrit par Henry Mintzberg, marqué par une ligne hiérarchique faible et une autorité peu développée[10]. À ce modèle peu enclin à l’évaluation, les armées opposent la structure extrêmement hiérarchisée des organismes de formation de la défense, où les procédures militaires de conduite de l’action placent le contrôle comme une dimension essentielle et acceptée. De plus, pour faire face aux difficultés de l’adaptation nécessaire de leurs procédures au domaine particulier de la formation, les armées, sous l’impulsion des états-majors en charge de la formation, ont su inscrire leurs organismes dans une démarche d’amélioration continue, notamment à travers la certification ISO 9001.

 

 

Le système de formation des armées a comme atout principal d’être ancré solidement dans la culture même de tous les acteurs de la défense. Son dispositif s’organise autour d’une dynamique inhérente au métier militaire lui-même, qui permet aujourd’hui aux ressortissants du ministère de la Défense de disposer d’un système de formation modèle, moteur d’ascension sociale et facteur de rayonnement dans une société qui peine à développer un système éducatif efficient.

Ce constat montre l’intérêt pour les armées à communiquer plus sur leur conception de la formation et de la pédagogie. Enfin, cela constitue une opportunité pour servir les intérêts du pays et l’avenir de la nation, en alimentant la réflexion dans ces domaines.

 

 

[1] Loi n° 2005-380 du 23 avril 2005 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école.

[2] Rapport PISA, publié le 3 décembre 2013, 2012, enquête 2012 du programme international pour le suivi des acquis des élèves de l’OCDE.

[3] Andragogie: formation des adultes. Ce terme est généralement utilisé pour désigner les actions de formation continue, voire de reconversion.

[4] «La pédagogie, entre le dire et le faire», Philippe Meirieu, 1995, éd. ESF.

[5] «100 fiches pour comprendre le système éducatif», P.Deubel, J.-M. Huart, M. Montoussé, D. Vin-Datiche, 2007, éd. Bréal.

[6] «Propos sur l’éducation», Alain, 1961, éd. presses universitaires de France.

[7] «L’erreur, un outil pour enseigner», Jean-Pierre Astolfi, 1997, éd. ESF.

[8] «Les méthodes actives dans la pédagogie des adultes», Roger Mucchielli.1991, éd. ESF.

[9] «L’apprenant adulte», Malcolm Knowles, 1973, éd. D’organisation.

[10] «Structure et dynamique des organisations», Henry Mintzberg, 1982, éd. D’Organisation.

 

Le Chef d’escadron Augustin OTTAVI est Saint-cyrien de la promotion du «Bicentenaire de Saint-Cyr» (1999-2002). Après sept ans au 402ème régiment d’artillerie, il a servi trois ans à l’école nationale des sous-officiers d’active (ENSOA) de Saint-Maixent-l’École en qualité de commandant de compagnie d’élèves puis d’adjoint du bureau conduite de la formation. Ancien stagiaire de l’enseignement militaire supérieur scientifique et technique (EMSST), il a suivi un master spécialisé en management de projet ingénierie systèmes à Supélec, avant de rejoindre la section technique de l’armée de Terre, à Satory, en septembre 2014.

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Titre : La formation dans les armées: décryptage d’un système modèle
Auteur(s) : le Chef d’escadron Augustin OTTAVI
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