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La montée vers la haute intensité, analyse comparée du rugby et des forces terrestres

Revue de tactique générale - Le feu
Tactique générale
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Les parallèles entre le rugby et l’engagement au combat ont fait l’objet de nombreux écrits1, mettant l’accent sur les parallèles tactiques, sur les forces morales, nécessaires tant au rugby qu’au combat, sur les principes communs. Tous ces points sont parfaitement pertinents. Le rugby est de toute évidence un sport très proche de la « tactique » telle qu’elle est entendue dans l’armée de Terre : conquête et maîtrise du terrain, spécialisation de « fonctions opérationnelles » dédiées, articulation, échelonnement, etc. Les principes de la guerre définis en France trouvent pleinement à s’y exprimer.


 

L’objet de cet essai est de compléter ces analyses, en abordant la question de la remontée vers la haute intensité et le retour de la perspective d’un conflit majeur. Depuis la professionnalisation du rugby, en 1995, les changements dans ce sport ont été non seulement nombreux, mais également très profonds et rapides. On a réellement assisté à une transformation du jeu. Pour les forces armées, les évolutions technologiques des dernières années bouleversent un certain nombre d’habitudes et introduisent, là aussi, des changements déterminants.

Les évolutions dans les deux sphères, rugby et fait guerrier, sont bien entendu indépendantes les unes des autres. Pourtant, certains facteurs possèdent une origine commune et procèdent des mêmes logiques.

 

 

Rapport de force et gestion des espaces

 

En une génération, la préparation physique des joueurs a provoqué une mutation profonde des morphologies : la masse moyenne a considérablement augmenté, avec des statures athlétiques façonnées par des entraînements extrêmement ciblés. Dans le même temps, l’endurance et la vitesse ont, elles aussi, augmenté. Pour le dire en termes militaires, on assiste donc à la fois à une capacité de choc et de résistance accrue, mais pas au détriment de la manoeuvrabilité, bien au contraire. Ces données et ces normes s’imposent à toutes les équipes : une équipe qui ne parviendrait pas à tenir la course à la performance individuelle et collective serait durablement balayée.

 

Depuis le début des années 2000, les engagements de l’armée de Terre française ont pour caractéristique de toujours présenter un rapport de force tactique et technique très favorable. Que ce soit en Afghanistan ou au Sahel, aucun ennemi n’est à la mesure de nos capacités sur le plan tactique. Dans l’éventualité du retour de la conflictualité de haute intensité, face à des adversaires structurés, équipés et formés de façon symétrique ou presque, et alors que mondialement les dépenses militaires augmentent d’année en année, il importe de redonner toute sa place à la notion de rapport de force. À la fois en termes de performance individuelle : instruction tactique et technique, matériels à la pointe de la technologie, garantissant à la fois capacité d’agression et sauvegarde des occupants (c’est l’ambition du programme SCORPION), mais aussi de masse : entraînement collectif, masse de manoeuvre, par la capacité à concentrer les effets et les moyens localement et ponctuellement, sans oublier cependant la masse numérique en tant que telle (contre un adversaire à parité technologique, le nombre est une qualité par lui-même).

 

Cette notion de rapport de force est étroitement liée à l’utilisation des espaces : au sol (2D), en l’air (3D) et dans l’espace cyber-électromagnétique (5D).

 

Le terrain a son importance. Au rugby, on est généralement plus performant sur le sien, grâce à la présence d’un public plus nombreux et connu mais aussi parce que l’on y a ses repères, l’habitude d’y évoluer, la connaissance physique de ses caractéristiques : la nature du sol, la profondeur de l’en-but, soit bon nombre de détails insignifiants enregistrés par le corps humain qui font gagner la fraction de seconde nécessaire. Le rugby moderne se manifeste par un rapport au terrain en évolution, avec des rééchelonnements et des réarticulations beaucoup plus rapides qu’auparavant entre lignes défensives et offensives, d’où une façon nouvelle de couvrir l’espace. C’est également l’ambition du combat SCORPION :

permettre non seulement une connaissance plus fine et plus rapide du terrain, mais aussi une plus grande rapidité dans les bascules d’effort d’un compartiment de terrain à un autre.

 

Le rugby moderne a par ailleurs développé une façon plus dynamique et précise de s’approprier l’espace de la 3e dimension, par une utilisation plus importante des coups de pied par exemple, qui sont une façon de s’affranchir des contraintes et des frictions au sol pour déplacer la ligne de confrontation et perturber les arrières adverses. Là aussi, les parallèles avec les forces terrestres sont intéressants, puisque les opérations actuelles, et plus encore celles de demain, font la part belle à la 3D. Cet espace est réellement un démultiplicateur des actions au sol : que ce soit l’aérocombat, qui fait ses preuves2 dans l’opération Barkhane, ou encore l’utilisation de multiples drones par les unités terrestres. La très basse couche est un milieu naturel d’évolution pour les forces terrestres, intrinsèquement liée à ce qui se passe au sol.

 

 

Apports de la technologie numérique : la 5D

 

Le rugby a, comme d’autres sports, pris le parti d’intégrer les nouvelles possibilités technologiques dans son fonctionnement, reposant sur la collecte et sur le traitement de données massives (capteurs permettant le suivi en temps réel de l’état physiologique des joueurs en cours de match, enregistrement des matchs, statistiques individuelles et collectives, etc.). Les entraîneurs peuvent ainsi optimiser la gestion individualisée de leurs joueurs, les employer au moment le plus opportun (dans le déroulement tactique du match), les remplacer à temps pour préserver leur potentiel physique dans la durée (avec une notion de projection dans la durée opérative, celle de la saison). Par ailleurs, la connaissance de l’adversaire, souci permanent, est favorisée par l’exploitation fine des données des matchs, mais aussi de renseignements de source ouverte, dans une sorte de « processus RETEX » permanent.

 

Au sein des forces terrestres, la 5e dimension (cyber, guerre électronique, gestion de l’information, traitement de données) porte les mêmes dynamiques, à la différence près, pour des raisons évidentes, que l’accès à l’information est bien plus difficile, y compris pour l’ami. Un terrain de rugby, espace restreint et fini, permet non seulement un blue force tracking3 parfait, mais également une transparence sur les positions adverses. Pour autant, les forces terrestres sont engagées dans une dynamique d’appropriation de la 5D dont l’objectif est bien de contribuer à la domination sur tout adversaire potentiel, en étant capable de décider plus vite et mieux, sur la base de données précises et en saturant si nécessaire le système informationnel adverse.

 

Dans les deux cas, que ce soit au rugby ou à la guerre, les limites sont également les mêmes. Le rôle du chef (ou de l’entraîneur) est double : connaître les limites de son système technologique, et les dépasser par une certaine intuition et un sens de la décision, dans le feu de l’action, mais également dans le temps long de la préparation de son « outil de combat ». Une technologie ne peut donner son plein rendement que si elle est intériorisée par une organisation, dans ses structures, ses processus et qu’elle fait l’objet d’une réflexion.

 

Les forces morales : préserver les siennes, anéantir celles de l’adversaire

 

La dynamique collective à l’oeuvre dans une équipe de rugby se retrouve également dans toute unité militaire. Construction humaine aux interactions complexes, lancée dans un environnement chaotique où il s’agit de réagir face à un adversaire qui est déterminé à imposer sa volonté, une équipe de rugby comme une unité des forces terrestres sait qu’elle peut affronter la violence. Certes, le niveau potentiel de violence est très différent, mais les mécanismes humains restent les mêmes : dans les deux cas, il faut montrer du courage physique et moral, rechercher le contact, dans un élan qui repose sur la bonne volonté individuelle, transcendée par le collectif sous l’impulsion d’un meneur, d’un chef.

 

Demain comme aujourd’hui, ni la masse accrue (gabarit des joueurs ou protection des véhicules) ni les technologies numériques ne pourront éviter le moment décisif de l’affrontement brutal. Pour autant, il est possible et souhaitable d’atténuer l’effet du choc, voire de le retarder, en influant sur la combativité de l’adversaire. Dans le champ guerrier comme dans le champ sportif, la domination ne consiste pas uniquement en une supériorité physique ou technique, mais en la capacité à détruire la cohésion nécessaire au groupe adverse pour fonctionner, en instillant le doute sur les capacités à vaincre, en créant une sidération telle qu’elle annihile la résistance, en coupant le lien de confiance indispensable entre le groupe et ses meneurs, voire entre une population et son armée… ou un public et son équipe. L’action psychologique et la déception par média et réseaux sociaux interposés sont des pratiques courantes et même indispensables pour prendre l’ascendant ou leurrer l’adversaire sur ses intentions. Le célèbre haka est d’ailleurs la transposition dans le champ du sport d’un rituel initialement profondément guerrier, visant précisément à galvaniser les troupes et à intimider l’adversaire.

 

Au sein des forces terrestres, c’est tout l’enjeu de la consolidation des métiers de l’influence (la chaîne X94). Leur champ d’application est précisément la sphère du moral, de la perception, afin, idéalement, de démultiplier à moindre frais les effets des unités de manoeuvre : dans la plupart des armées occidentales, la professionnalisation a fortement limité le volume des unités de mêlée, longues à former et difficiles à régénérer. Affaiblir la volonté de combattre de l’adversaire contribue donc directement à la préservation du potentiel ami.

 

En ce qui concerne les principes du maintien du moral des troupes amies, en situation de combat comme au rugby, beaucoup a été écrit. Aussi suffira-t-il de rappeler qu’au-delà de la capacité des chefs ou des entraîneurs à motiver en amont de l’action, ce sont des succès immédiatement tangibles, dans le feu de l’action, qui permettent au groupe de rester soudé ; une équipe de rugby ou une unité militaire qui devrait encaisser des reculs sévères, des pertes, une pression intense, peut avoir le plus grand mal à conserver son allant et sa volonté de vaincre. C’est tout l’intérêt, pour les forces terrestres engagées dans la haute intensité, de disposer des capacités et de l’entraînement nécessaires à une prise d’ascendant d’emblée.

 

Les forces terrestres et le rugby sont confrontés à une montée en intensité dans leurs champs respectifs. L’irruption de technologies de pointe, reposant en particulier sur le traitement de données toujours plus nombreuses, entraîne une mutation rapide d’activités (sportives et guerrières) auparavant soumises à des évolutions plus lentes. L’optimisation de facteurs toujours plus précis, permise par la technologie, modifie les structures, la préparation de l’action, la conduite de l’action proprement dite et l’exploitation après action. La technologie numérique, continuant en cela une tendance générale très ancienne, s’impose d’elle-même : tant dans le sport que dans les forces, refuser une technologie, volontairement ou non, entraîne mécaniquement un déclassement fatal dans un contexte compétitif. Ce n’est d’ailleurs pas la technologie en tant que telle qui permet de surclasser l’adversaire, mais l’usage que l’on en fait.

 

L’aspect humain doit donc rester au coeur des préoccupations et il serait dangereux de croire que la technologie permettrait de s’en affranchir. D’une part, parce que chaque technologie nécessite et provoque une adaptation humaine, dans les processus, les modes d’action, mais aussi plus fondamentalement, dans les mentalités. Il faut donc former les individus pour tirer au mieux parti de la technologie. D’autre part, parce que, quelle que soit la technologie, l’action reste conduite in fine par des hommes et femmes. Au rugby comme au combat, c’est le groupe le plus soudé, le plus solide, celui qui ne flanche pas, qui l’emporte, et plus l’intensité de l’engagement augmentera, plus cet axiome trouvera à s’appliquer.

 

                                                       

 

1 Récemment, deux billets sur le blog La Voie de l’épée, ou encore dans les publications de l’École de guerre – Terre.

2 Bien qu’il faille encore affiner les procédures, notamment en termes de C2 et d’interaction avec les unités terrestres.

3 Suivi en temps réel des positions amies, par remontées automatiques de coordonnées géographiques.

4 « X9 » pour la chaîne fonctionnelle d’état-major (J9, G9, S9) traitant d’influence militaire et d’actions sur les perceptions.

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Titre : La montée vers la haute intensité, analyse comparée du rugby et des forces terrestres
Auteur(s) : Général de corps d’armée Vincent GUIONIE, commandant des forces terrestres
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