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La nuit de Thaï Binh (3 décembre 1953)

cahier de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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Dès sa prise de commandement effective en Indochine, le 16 mai 1953, le général Navarre s’est lancé dans une vaste tournée d’inspection de ses territoires et de ses unités; le rapport de cette inspection, soumis à l’approbation des instances gouvernementales, est passé à la postérité sous l’appellation de «Plan Navarre»[1]. Fondé sur une attitude expectative visant à contenir le corps de bataille vietminh durant la campagne 1953-1954, correspondant à la saison sèche, ce plan visait au Tonkin, à protéger le Delta et à le mettre à l’abri d’une aggravation de son «pourrissement» en s’opposant à toute action en force de la part du Vietminh. Ce n’est qu’au cours de la campagne suivante, 1954-1955 que le commandant en chef envisageait de prendre l’offensive visant la destruction du corps de bataille ennemi.

 

[1] Pour une connaissance exhaustive de ce plan, le lecteur pourra se reporter à Georgette Elgey, in La République des contradictions Fayard 1968, pages 551 et suivantes où elle a publié en annexe l’intégralité du rapport de la commission d’enquête sur la défaite de Dien Bien Phu présidée par le général Catroux qui débute par une exégèse serrée du «plan Navarre».


Pour être en mesure de s’opposer à une intrusion en force vietminh dans le Delta, le commandement français devait, localement, réaliser un rapport de forces sinon favorable, au moins équilibré. Or, depuis 1950, le «pion de manœuvre» était demeuré inchangé; il s’agissait du groupe mobile[1], soit un ensemble regroupant un état-major et une compagnie légère de transmissions, trois bataillons d’infanterie, un groupe d’artillerie et une compagnie de mortiers[2]. La menace constituée par le corps de bataille vietminh se mesurait en 1953 à l’échelle de l’engagement d’une ou plusieurs divisions. Il s’avérait donc impératif pour le général Navarre de réarticuler son propre corps de bataille en constituant, à partir de la ressource du corps expéditionnaire, un ou plusieurs de ces échelons de combat. C’est ce à quoi s’attela l’état major de Saigon. Dès l’automne 1953, deux «échelons divisionnaires» étaient d’ores et déjà opérationnels au Tonkin[3]: ils regroupaient quatre groupes mobiles actionnés par un fort échelon de commandement constitué autour d’un état-major[4], un commandement d’artillerie divisionnaire, une compagnie de quartier général et une compagnie lourde de transmissions. Les deux premiers commandants désignés de ces «échelons divisionnaires» furent les colonels de Castries et Vanuxem[5].

Fin août, début septembre 1953, le dispositif ennemi, jusqu’alors largement réparti entre le pays Thaï, la Moyenne et la Haute Région a peu à peu été resserré par Giap autour du Delta en deux masses principales: l’une exerçant sa pression depuis la face nord et l’autre depuis la face sud-est. Dans le Delta lui-même, l’ennemi infiltrait plusieurs régiments réguliers de part et d’autre du fleuve Rouge à l’est d’Hanoï. Il ne faisait pas de doute pour le 2ème bureau de Cogny, commandant les forces terrestres du Nord Vietnam que l’intention de Giap visait à isoler Hanoï d’Haiphong, ce qui constituait un danger mortel pour le maintien des communications du corps expéditionnaire au Tonkin. Pour parer cette offensive, l’intention de Cogny visait à détruire les bases[6] de cette masse de manœuvre ennemie dans le cadre d’une opération préventive. Ce fut la genèse de l’opération «Mouette» qui allait mettre en œuvre les deux échelons divisionnaires (huit G.M), deux groupements blindés, deux groupements amphibies et d’importants moyens des Réserves générales. L’appui aérien était fourni à partir de moyens déployés sur les bases de Gia Lam et Bach Maï, à un quart d’heure de vol de leur zone d’intervention.

Déclenchée le 15 octobre le jour même où – le commandement français en était assuré – l’offensive viet devait déboucher, l’opération française surprit totalement le commandement vietminh dont les réactions furent décousues. Le général Gilles commandant l’affaire[7] manœuvrera avec méthode et précision: débouchant de la trouée de Cho Ganh et contrôlant rapidement la RP 59 à hauteur de Laï Cac à 25 km, il lance dans les semaines suivantes les divisions Castries et Vanuxem en plusieurs raids dans la jungle pour y détruire les dépôts viets. Voulant éviter la surprise et les embuscades dans ce terrain favorable à ce mode d’action ennemi, il veille scrupuleusement à ne jamais engager ses formations d’infanterie ou blindées au-delà de la portée efficace de ses feux d’artillerie et d’aviation qui, remarquablement coordonnés, matraquent systématiquement les positions ennemies au fur et à mesure qu’elles se dévoilent. Le succès couronna cette méthode: la seule division 320 vietminh perdit 1081 tués, 182 prisonniers et près de 3.000 blessés.

Le but que se proposait le général Navarre était atteint: les divisions 320 et 304 ne purent effectuer d’infiltration profonde dans le Delta et, qui plus est, étaient quasiment hors de combat pour deux mois. Les 6 et 7 novembre, l’opération «Mouette» était suspendue, les unités quittèrent la zone et se replièrent. Le général Gilles rejoignit rapidement Hanoï pour prendre le commandement du groupement aéroporté chargé de l’opération «Castor»[8]. Les unités furent, pour certaines réarticulées, et, les états majors divisionnaires, placés au repos au terme de quelques opérations de détails aux franges du Delta.

C’est alors que, faute de protection efficace, ou même en l’absence de toute protection, le PC de la division de Castries subit ce qu’en langage militaire, on dénomme pudiquement un «pépin». Placé au repos dans la région de Thaï Binh, à proximité de Nam Dinh, privé de son chef et de son entourage immédiat, partis relever Gilles au commandement de Dien Bien Phu le 1er décembre, il était provisoirement placé sous le commandement de son adjoint feux, le Colonel Piroth[9]. Installés dans les infrastructures de la ville, mêlant bazars, restaurants, bistrots, épiceries et hôtels louches, les différents services de l’état-major et des unités de soutien[10] et de quartier général y connaissaient le repos du guerrier des fins d’opérations et les délices de Capoue.

Totalement imbriqués avec la population, celle-ci faisait quand même l’objet de surveillance de la part des officiers du 2ème bureau, puisque, le 3 décembre, quelques «pêcheurs locaux» au comportement peu en rapport avec ce genre d’activité avaient été arrêtés et discrètement placés à l’ombre. Observateurs ou espions ennemis? Mais, tant que les autochtones vaquaient à leurs occupations supposées habituelles, ils n’étaient nullement inquiétés!

Le 3 vers minuit, les popotes vidées des derniers joueurs de bridge ou de poker, l’attaque se déclenche sans appui d’armes lourdes: franchissant l’arroyo qui se jette dans le Song Thaï Binh (voir croquis), neutralisant les quelques rares sentinelles statiques, un commando vietminh s’infiltre dans le dispositif, incendie les véhicules, s’approche des tentes où dorment les cadres et les personnels et les prennent sous un feu nourri d’armes automatiques. La surprise est totale. Le colonel Piroth ne peut que sauter de son camion en flammes et se trouve dans l’impossibilité de coordonner efficacement aucune parade. Les Viets s’emparent de personnels s’extrayant des tentes mitraillées, les entravent et les emmènent. Les personnels indemnes tentent de fuir individuellement de la zone battue par les feux viets.

Depuis la tour de guet de ce qui fut un poste, un fusil mitrailleur prend en enfilade l’arroyo, tentant ainsi d’entraver le repli du commando viet minh qui cherchait à rejoindre son élément de recueil, installé sur les diguettes aux lisières sud du village. En une demi-heure, au terme d’un désordre absolu, les regroupements s’effectuent et les mesures d’urgence sont prises. Le secteur envoie immédiatement deux compagnies soutenues par quelques blindés pour contrôler le village dont le chef a évidemment subitement disparu. Le médecin[11] met en place les premiers triages et commence ses interventions. Le bilan est lourd: vingt tués, quinze par balles, cinq par arme blanche, cinquante blessés et quinze prisonniers.

Le PC s’est laissé totalement surprendre. Pourtant, il était constitué de personnels aguerris et au caractère trempé qui, en outre, venaient d’effectuer toute une série d’opérations fructueuses et même victorieuses. Ce qui montre bien, qu’aucune troupe, quelle que soit sa valeur ne se trouve à l’abri de ce genre de «pépin».

Un simple précaution, par minage relevable des points de passage de l’arroyo, tous connus, aurait permis sinon d’éviter cet incident, du moins de bénéficier de délais d’alerte. Quant au contrôle de la population, sauf à le systématiser comme cela sera effectué plus tard lors du conflit algérien, il s’avère toujours aléatoire.

Par ailleurs, il est significatif de constater que, parfaitement renseigné, le commando viet ne s’en est pas pris à la tour du guet, une simple construction de circonstance réalisée en bambou, mais protégée à sa base par un réseau de barbelés miné. Ainsi, un simple aspect physique de protection a suffi à dissuader l’assaillant de s’y attaquer.

Enfin, le déploiement des services de l’état-major au milieu de la population était un choix discutable, car il constituait une vulnérabilité majeure: au vu et au su de la population locale, n’importe qui pouvait, en toute impunité, transmettre au commandement local viet minh des renseignements d’objectifs de première main.

Le Vietminh local avait parfaitement raisonné son affaire: en s’attaquant à un PC, par essence disposant de peu de moyens de combat, qui plus est au repos au terme de toute une série d’opérations, il savait parfaitement qu’il s’attaquait à une cible de choix qui constituait un maillon faible du dispositif français. Ce sont toujours ces maillons faibles, PC, déploiements logistiques, installations de télécommunication qui doivent faire l’objet du maximum d’effort de protection.

Enfin, last but not least, même au terme d’opérations réussies, l’attention du commandement ne doit pas se relâcher et si les organismes humains, tant physiques que psychiques ont besoin de phases de décompression, celles-ci ne doivent pas être assimilées à un relâchement généralisé de toute mesure de précaution.

 

[1] Pour connaître la genèse de la création de ces groupes mobiles, le lecteur pourra se reporter à Boyer de La Tour in Le martyre de l’armée française, de l’Indochine à l’Algérie Les Presses du Mail, 1962, page 173.

C’est ce général qui les mit sur pied en novembre 1950 alors qu’il exerçait pour quelques mois seulement le commandement des Forces terrestres au Nord Vietnam. (ex zone opérationnelle du Tonkin).

[2] Quant aux moyens blindés, regroupés dans six régiments, ils n’étaient jamais répartis au sein de ces groupes mobiles, mais conservés en tant que Réserves générales.

[3] Général Navarre: l’agonie de l’Indochine Plon 1956. Page 150.

[4] Constitué par le «dégraissage» des états majors de Saigon et d’Hanoï.

[5] Le choix de colonels anciens, certes chevronnés, pour exercer le commandement de ces véritables divisions – 12 bataillons – illustre bien la dramatique pénurie du corps expéditionnaire en officiers généraux.

[6] Ces bases étaient constituées par des villages ou des groupes de villages fortifiés à l’intérieur desquels étaient déployés d’importants dépôts camouflés d’armements, de munitions et d’approvisionnements de toute nature; In Navarre op cit. page 160.

[7] Un jeune brigadier commandait donc deux divisions, plusieurs groupements blindés et exerçait son contrôle opérationnel sur trois escadres aériennes, ce qui illustre encore le sous-encadrement chronique du corps expéditionnaire.

[8] La main mise sur le carrefour de Dien Bien Phu, point de passage obligé pour une attaque vietminh en direction du Laos.

[9] Le futur artilleur de Dien Bien Phu au destin tragique.

[10] Notamment l’antenne chirurgicale du commandant Grauwin dont les souvenirs publiés dans J’étais médecin à Dien Bien Phu France Empire 1954 pages 159 constituent la source essentielle du récit de l’attaque du PC de la division. Le titre de cet article a été même emprunté au titre d’un chapitre de cet ouvrage.

[11] Grauwin, un «vieux soldat», a réussi à s’exfiltrer de son cantonnement mitraillé grâce à l’aide d’un de ses infirmiers supplétif.

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Titre : La nuit de Thaï Binh (3 décembre 1953)
Auteur(s) : le lieutenant-colonel Claude FRANC
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