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La part de l’idéologie dans les campagnes de la Révolution et de l’Empire ou qu’est-ce qui pousse le soldat à aller au combat ?

Revue militaire générale n°56
Histoire & stratégie
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Alors qu’en 1789, la notion d’esprit guerrier semble absente de la toute nouvelle nation française, cette dernière s’engage d’abord dans une lutte pour sa survie. L’insistance d’une partie de l’Europe à s’opposer au développement des idées révolutionnaires, puis à l’impérialisme français, conduit à des guerres quasi ininterrompues vingt-trois ans durant. L’auteur se propose d’expliquer la nature des mécanismes ayant permis au soldat de la Révolution puis de la Grande Armée d’endurer, voire de tirer avantage, de cette ère de conflits.  

« La France s’est faite à coups d’épée. »1 Charles De Gaulle


Tout au long du XVIIIe siècle en France, la société civile se défie du militaire : souvent un mercenaire étranger auquel tous les lieux publics ne sont pas ouverts... Mais peu avant la Révolution, le peuple découvre que ses soldats sont surtout des Français, généralement recrutés dans la partie la plus humble de la population et dont le sort reste peu enviable. Louis XVI, qui n’est pas un homme de guerre, veille d’ailleurs à ce que son armée ne lui coûte pas trop cher. Les militaires ont donc quelques sujets de mécontentement, notamment des conditions d’existence contraignantes, une discipline « à la prussienne » et des accès à l’épaulette rendus plus difficiles depuis l’Edit de Ségur2.

À partir de 1789 et progressivement, les militaires deviennent des acteurs de la geste révolutionnaire. La troupe fait son devoir lorsqu’elle est chargée de mater les troubles populaires récurrents orchestrés par les mauvaises récoltes. Mais le Peuple fait des militaires « les héros » de la prise de la Bastille, tandis que bientôt, c’est une révolte militaire qui empêche les aristocrates de mener à bien la contre-Révolution. En 1792, la victoire militaire de Valmy (20 septembre) permet, deux jours plus tard, la naissance de la première République. Enfin, après avoir permis, puis garanti l’assise des institutions politiques, l’armée va jusqu’à se substituer au pouvoir exécutif le 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799) ; une situation qui va perdurer seize années.

La France de 17893 se caractérise par un esprit si peu guerrier qu’elle refuse, deux ans plus tôt, de venir au secours de son alliée la Hollande, envahie par l’armée prussienne. D’autre part, elle est berceau de la philosophie des Lumières qui, au travers des Rousseau, Voltaire et Montesquieu4, prônent « le bonheur sur terre ». Comment peut-on expliquer qu’elle se soit lancée dans une aventure militaire de près d’un quart de siècle de luttes quasiment ininterrompues avec tous les pays d’Europe ?

Rien n’aurait été possible si les acteurs n’avaient subi l’influence d’une savante alchimie mêlant boussole idéologique, émergence de valeurs nouvelles dans l’exercice du commandement militaire et ressorts psychologiques.

 

Une « boussole des valeurs » qui donne une légitimité à l’action

 

Une exception française

 

Ce 14 juillet 1789, la France s’embrase. De la révolte anarchique (grandes révoltes paysannes du XVIIe siècle, « la guerre des famines » de 1775), on passe à la Révolution. Une prise de conscience s’opère. Des objectifs précis sont formulés dans les cahiers de doléances : la fin du régime féodal et l’appropriation du sol. Les principes de liberté, d’égalité (idée de progrès social) et de partage de la souveraineté voient le jour. Aujourd’hui, on a du mal à s’imaginer cette exception française et son retentissement. Il s’agit alors de la plus grande révolution sociale qu’on ait pu voir dans le monde. Dès ce jour et les mois qui suivent, il n’y a plus en France qu’une seule loi, une seule nation, une seule famille et un seul titre, celui de citoyen français. Désormais, la « barrière » qui séparait les individus (la naissance) depuis le haut Moyen Âge n’est plus. Aucun peuple n’avait jusqu’alors donné l’exemple d’un élan si généreux et si sublime. Plusieurs nations d’Europe en rêvaient, la France l’avait fait. Mais si l’égalité des droits est confirmée la nuit du 4 août 1789, cette grande révolution sociale n’est que le prélude de la Révolution française.

Les armées de l’Europe entière sont bientôt aux portes de la France. L’Assemblée législative lance le 11 juillet 1792 : « […] des troupes nombreuses s’avancent vers nos frontières. Tous les ennemis de la liberté s’arment contre notre Constitution […] ». La patrie est en danger ! On voit alors des hommes mariés, des fils uniques, des vieillards, des séminaristes… s’engager pour défendre la patrie.

 

Une nouveauté née de la Révolution : l’esprit patriotique

 

Avant la Révolution française, la notion de patrie n’existe pas. Celle qui prévaut est l’État qui s’incarne dans la personne du roi ; rappelons-nous de la célèbre formule : « l’État c’est moi ! ». L’identité et l’union nationale se font autour du souverain. Avec la mort de Louis XVI, disparaît cette modalité de la célébration de l’union nationale et avec elle surgit le risque d’explosion de la cohésion du peuple de France. Une entité singulière se fait alors jour : la patrie et son culte. C’est en effet une sorte « d’idée religieuse » qui envahit le coeur des hommes. C’est cette image de la patrie qui rassemble tout à la fois un héritage de biens matériels comme immatériels, qui se dresse devant les bataillons pour soutenir le courage des soldats et préserver les défaillances. La Révolution permet donc de créer entre ces derniers un lien nouveau qui, par sa force et son caractère, a le pouvoir d’engendrer des hommes héroïques. Sans doute, la discipline est-elle un moteur indispensable dans une armée. Mais pour que cette dernière soutienne avec constance des guerres longues et difficiles, endure des privations extraordinaires, brave le nombre de ses ennemis, il faut à l’esprit de sacrifice une base morale plus élevée que la discipline. Pour exposer sa vie, le soldat doit avoir une haute idée du motif qui la lui fait risquer. Qui voudrait mourir inutilement ? C’est le sentiment patriotique qui véhicule les raisons d’un sacrifice qui peut être suprême : antagonisme de nationalités, glorieuse réputation à soutenir, revanche à prendre, haine de l’aristocratie, anticléricalisme, ou encore pérennité des acquis (sociaux, politiques). Être né ne suffit pas, « on doit » aux parents, aux siens, au pays quelque chose de sacré qui met en jeu sa propre vie ; c’est le ciment mémoriel. Tels sont les puissants auxiliaires de l’esprit guerrier qui introduisent les notions de « devoir » et de « dette ». Ce sont ces manifestes qui fortifient le sentiment de la résistance dans les armées républicaines. Aux yeux de ces hommes pétris de « générosité », la défense de la patrie5 mérite tous les sacrifices et il devient beau de mourir pour elle.

 

Avec Bonaparte, l’émergence de notions nouvelles : l’honneur et la gloire

 

Dès son arrivée au pouvoir, on observe que Bonaparte met en exergue de nouvelles valeurs qu’il associe à la patrie. Ainsi en 1802, il crée la Légion d’honneur dont la devise est « honneur et patrie ». De même en 1804, Napoléon donne un statut militaire à la toute nouvelle école polytechnique, destinée à fournir au pays de nouvelles élites. Il lui assigne une devise forte : « pour la patrie, les sciences et la gloire ». Ces deux valeurs nouvelles sont destinées à étayer une notion de patrie vouée à s’estomper à la faveur de conquêtes de plus en plus lointaines. Il est en effet difficile pour Napoléon d’expliquer à ses soldats, en majeure partie prolétaires, que les entraîner au fin fond de la Pologne, en Espagne, ou en Russie consiste à défendre le « sanctuaire » et ses valeurs. Pourtant, les hommes de la Grande Armée ne cessent d’être les héritiers idéologiques d’une Révolution partant en guerre contre la vieille Europe monarchique. En effet, elle reste une armée plébéienne en lutte contre des gouvernements aristocratiques, au nom de la liberté et de la fraternité. Mais de bouclier de la Révolution, l’armée française devient un véritable vecteur idéologique qui va, petit à petit, contribuer à catalyser les sentiments patriotiques en Europe. « Notre glorieuse patrie est désormais le pilote du vaisseau de l’humanité »6 signale l’historien Michelet. Napoléon reste donc tout au long de son règne, le principal propagateur des principes de la Révolution. Rarement, l’ensemble d’une armée s’est sentie autant motivée et galvanisée pour porter les armes en territoire ennemi, parce qu’il est systématique que son chef donne à toute nouvelle entreprise, une légitimité à son action.

 

Le charisme du chef

 

Le mythe du sauveur

 

La jeune République est bientôt réduite aux rivalités intestines. Au fil du temps, on finit par s’alarmer des excès de la Révolution (crimes de la Terreur ; les orateurs descendent de la tribune pour monter à l’échafaud !). On considère bientôt que les bienfaits de la liberté sont chèrement payés. Tandis qu’aux frontières des armées en haillons font front face aux forces coalisées de l’Europe au nom de la patrie, en Vendée des seigneurs et des paysans tiennent tête à ces armées au nom du roi ! C’est le chaos et l’anarchie. Lorsque parti d’Alexandrie le 23 août 1799, Bonaparte débarque sur les côtes de Provence, cette situation perdure depuis sept ans. Le retour de ce général rendu célèbre par ses victoires en Italie et en Égypte (c’est le seul général jusqu’alors qui n’a pas été vaincu) provoque dans les armées une joie générale7 que souligne, par exemple, Bigarré qui sert alors dans l’armée d’Helvétie : « […] chacun regarda cet événement comme le précurseur de beaucoup d’autres qui rétabliraient la gloire et les affaires de la République, et chacun voyait dans Bonaparte l’homme qui devait sauver la France en terminant la Révolution »8. Ce dernier semble d’ailleurs fortement plébiscité. Selon le capitaine Laugier qui est loin d’être un fervent bonapartiste : « Nous désirions qu’un de nos généraux se frayât l’épée à la main le chemin au gouvernement d’un seul : ce qu’aucun n’osait tenter. Souvent on disait : si nous avions Bonaparte au milieu de nous, il mettrait un bon ordre en France » et le militaire ajoute : « Ces désirs étaient répétés dans la classe laborieuse du peuple »9, ce qui indique un certain consensus de la société française, du moins au début de l’aventure.

 

La supériorité du raisonnement

 

Si les soldats reconnaissent la bravoure chez de nombreux généraux de la République, ils ont tôt fait de discerner chez Bonaparte, le génie militaire. Son esprit, tendu vers la manoeuvre et la surprise, voit se réaliser sur la carte ce qu’il veut faire. Il « colle » au terrain, sait prendre des risques. Dès que son adversaire révèle ses intentions, il a le coup d’oeil, la maîtrise de soi, les réflexes foudroyants qui permettent d’exploiter ses erreurs. Il attaque le jour, la nuit. Dans sa proclamation d’Austerlitz, le souverain des Français n’hésite pas à révéler à ses soldats le piège qu’il tend à ses ennemis : « Les positions que nous occupons sont formidables et, pendant qu’ils marcheront pour tourner ma droite, ils me présenteront le flanc ». Dans une autre proclamation qui précède la capitulation d’Ulm (1805), il proclame : « Soldats, la journée de demain sera cent fois plus célèbre que celle de Marengo (1800) ; j’ai placé l’ennemi dans la même position ». Il se montre « sûr de son coup ». La déclaration vise à renforcer la détermination du grognard en démontrant la supériorité du plan de l’armée française. En agissant de la sorte, Bonaparte remporte la « bataille du moral ». Devant les jeunes phalanges républicaines se dressent des armées d’Ancien Régime engoncées dans une doctrine surannée et poussiéreuse largement inspirée de Frédéric II et ses « Principes Généraux de la Guerre ». On peut y lire la prohibition des marches et des attaques de nuit, l’interdiction d’établir un campement près d’une forêt, celle de tout déplacement de soldats pour opérer des réquisitions, ainsi qu’éviter, autant que possible, les marches forcées qui disloquent les unités. Dans ces armées-là, les capitaines ont cinquante ans, que dire des généraux ! Colli a 61 ans, Souvorov 69 ans, Melas 70 ans, Beaulieu 74 ans… En 1799, Bonaparte a 30 ans, Murat 32, Lannes 30... Il ne fait aucun doute dans l’esprit du soldat, qu’avec de pareils chefs, on ne peut être que victorieux et les succès s’enchaînent.

 

L’homme de communication

 

Napoléon c’est d’abord une silhouette que chacun peut reconnaître de loin. Au milieu des maréchaux et des aides de camp aux habits chamarrés, il porte l’habit sobre de colonel des chasseurs à cheval de la Garde, coiffé de son bicorne en peau de castor noir et sur les champs de bataille il est revêtu de sa célèbre redingote grise. Il excelle en termes de communication. Ses proclamations10, un peu à l’identique des empereurs romains, restent d’une force prodigieuse. Globalement, cela lui permet d’exalter l’honneur : « Vous égalez aujourd’hui par vos services l’armée conquérante de la Hollande et du Rhin », de vanter la gloire : « Vous avez en quinze jours remporté six victoires, pris 21 drapeaux, 50 pièces de canons, plusieurs places fortes… vous brûlez de porter au loin la gloire du peuple français ! » de prodiguer l’amour de la patrie : « la patrie reconnaissante vous devra en partie sa prospérité […] la patrie a droit d’attendre de vous de grandes choses. Justifierez-vous son attente ? », de prô­ner la valeur de l’exemple, ce qui n’est pas systématique dans ses allocutions « […] il est une condition qu’il faut que vous juriez de remplir c’est de respecter les peuples que vous délivrez […] nous n’en voulons qu’aux tyrans qui nous asservissent » et de réclamer la fidélité à sa personne : « à votre amour pour la patrie et pour moi […] ». Par ailleurs, Napoléon ne cesse d’entretenir une proximité psychologique avec ses hommes par une présence constante au milieu de la troupe. Le souverain montre l’intérêt qu’il leur porte grâce à des revues d’inspections. Une revue de l’Empereur peut durer jusqu’à sept heures ! Il passe au pas sur le front de la troupe, épingle des décorations, fait ouvrir les rangs, interroge le soldat, reconnaît un visage, questionne le grognard sur ses campagnes, lui demande son avis sur la soupe, goûte son pain de guerre, écoute ses doléances, fait ouvrir des havresacs, en vérifie le contenu, examine les effets (les souliers de rechange), s’attarde sur une giberne, contrôle l’état des cartouches, veille à la présence des pierres à fusil, etc. En campagne, il entretient la même proximité avec ses hommes. En Espagne et en Russie, il partage la même misère que ses hommes et le soir de la victoire de Montmirail (1814), sa tente est dressée sur le champ de bataille au milieu de sa Garde.

Si on peut faire à Napoléon le reproche de n’avoir pas su faire profiter ses maréchaux de son expérience du combat, en fin connaisseur de la psychologie humaine et de la mentalité du soldat, il incite ses officiers généraux et supérieurs à appliquer ses méthodes de motivation pour tirer le meilleur parti de leurs combattants. Il y va d’ailleurs de l’intérêt des chefs. Dans ses mémoires, le général Marbot raconte qu’une inspection de l’Empereur reste un exercice particulièrement redoutable… pour le colonel ! : « outre les questions d’usage sur la force numérique en hommes et en chevaux, l’armement, il adressait, coup sur coup, une foule de questions imprévues auxquelles on n’était pas préparé à répondre. Par exemple : combien avez-vous d’hommes de tel département depuis deux ans, quelle est la moyenne d’âge de vos soldats, de vos officiers, de vos chevaux […] » et le général d’ajouter : « celui qui hésitait était mal noté dans l’esprit de l’Empereur ».

 

L’environnement psychologique favorable

 

L’esprit de corps

 

Dans cette armée en guerre permanente, ne tarde pas à s’instaurer l’organisation d’une société en réduction. Cette dernière a sa hiérarchie, ses codes, son vocabulaire. Être guerrier, c’est entrer dans des mécanismes de cohésion qui permettent de surmonter la dureté de la vie de soldat. Le conscrit napoléonien regrette d’abord son village et sa famille. Mais, à mesure qu’« il avance », sa tristesse se dissipe. Les sergents content leurs aventures guerrières… Finalement, le jeune conscrit quitte une famille pour en trouver une autre grâce à l’entraide et à la cohésion qui règnent dans son régiment. Peu à peu, ce dernier devient un nouveau repère essentiel au point de constituer une cellule affective de substitution au sein de laquelle les liens de camaraderie sont primordiaux. Le régiment devient une « famille militaire11 ». C’est ce facteur de cohésion qui donne du sens à la victoire. On se bat pour venger son camarade, mais aussi pour sauvegarder l’intégrité du groupe. Dans les armées napoléoniennes, le style de commandement est fraternel et fondé sur l’émulation. Jusqu’au grade de capitaine il n’est pas rare que le soldat tutoie ses officiers. Sous l’Empire en effet, on estime à soixante-dix-sept le pourcentage des cadres français sortis du rang et les soldats persistent à les considérer comme étant des leurs. D’ailleurs depuis 1790, les châtiments corporels sont interdits12. L’armée française est une grande fratrie dans laquelle les échelons se côtoient et partagent les mêmes valeurs13. Rien de tel chez les coalisés, ou une séparation claire et nette dissocie les officiers de la troupe. Si on en croit les spécialistes de Wellington, ce dernier professe à l’égard de ses soldats un mépris non dissimulé.

 

La reconnaissance des services rendus

 

Aux motivations collectives qui développent l’esprit guerrier, il convient d’ajouter les nombreux témoignages de reconnaissance individuels qui s’offrent au soldat. La Révolution ouvre désormais les carrières aux intelligences et récompense le dévouement par l’obtention du grade. Parallèlement, sitôt les rênes du pouvoir en main, Bonaparte réinstaure les décorations que la Révolution a abolies, par la distribution d’armes d’honneur (sabre, fusil, carabine, baguette, hache d’abordage, etc.). Mais en temps de paix, ces armes d’honneur ne se voient guère. En instituant la Légion d’honneur (la croix des braves) qui ne fait pas de distinction entre officiers et soldats (ni entre civils et militaires), on peut dès lors identifier en permanence ces héros qui terrassent l’étranger. L’avancement au seul mérite s’instaure et désormais, selon l’expression consacrée : « chaque soldat a dans sa musette son bâton de maréchal ». Le « fait d’armes » permet également de rejoindre la compagnie d’élite régimentaire et de porter ses insignes distinctifs. Au bout de quelques années le grognard peut également espérer le versement dans la Garde impériale, honneur suprême et convoité.

Si la Royauté octroie aux vétérans blessés les Invalides, la Convention malgré des lois humanitaires, les délaisse à moitié, tandis que le Directoire les oublie lamentablement. Les militaires, notamment amputés, dénués de toute ressource, mendient dans Paris, traînent leurs béquilles en province. Au contraire, Napoléon a de la sollicitude pour ses vieux soldats. Il tient à montrer aux familles que l’on revient de l’armée et que l’on en revient pourvu. Des succursales sont créées pour les accueillir. Quant aux invalides, il leur ouvre l’administration, notamment forestière, des postes, des tabacs, des contributions. C’est encore Bonaparte qui en septembre 1802, pose en principe que les femmes et les enfants des militaires morts au champ d’honneur ont droit à une pension.

 

La confiance mutuelle

 

Enfin, Napoléon instaure tout un « climat » de confiance environnant le soldat dont le plus symbolique est l’emblème régimentaire. D’un carré d’étoffe destiné au ralliement de la troupe et à l’indication de la place du chef, il crée tout à la fois, une fresque retraçant la gloire des régiments et un symbole du pouvoir. Alors qu’il commande l’armée d’Italie, Bonaparte fait remettre à ses demi-brigades14 le 14 juillet 1797, de nouveaux drapeaux sur lesquels figurent des phrases simples qu’il a pu prononcer et destinées à souligner la valeur des corps. Ainsi, pour la 18e demi-brigade : « Brave 18e, je te connais ; l’ennemi ne tient pas devant toi », pour une autre : « La 25e s’est couverte de gloire », ou encore « j’étais tranquille, la brave 32e était là15 ». Au revers de l’emblème, il fait écrire en lettres d’or les batailles auxquelles le régiment s’est distingué. Devenu empereur, il fait de l’emblème régimentaire un objet de culte. Il est désormais unique au sein d’un corps (1808) et sa hampe est surmontée d’une aigle en bronze doré, symbole du pouvoir. Ainsi donc, chaque régiment est dépositaire du pouvoir, donc de la personne de l’Empereur. D’ailleurs, sur l’avers de l’emblème est inscrit : « L’Empereur Napoléon au Xe régiment ». L’emblème est désormais un objet sacré. Gloire et pouvoir sont désormais irrémédiablement liés. Le général Lejeune reconnaît : « Notre petit Caporal, disaient les soldats, a ordonné cela ; il faut donc que je réussisse. Tel était le sentiment de confiance gravé dans le coeur de tous les hommes et ils répétaient le mot impossible, qu’il avait rayé de son vocabulaire16 ».

À la fin de l’Empire après la catastrophe de Russie, Napoléon surjoue de son charisme en passant systématiquement en revue les régiments de nouvelle formation, dont les recrues (les Marie-Louise) n’ont pas encore vingt ans. Nées alors que Bonaparte obtient ses premiers succès, elles ont été bercées toute leur enfance, par les bulletins de l’armée et les récits de victoires plus brillantes les unes que les autres. Elles ne tardent pas à tomber sous le charme de cette « ombre », véritable Dieu vivant auquel elles vouent un culte qui ne se dément pas en 1815, pendant les Cent-Jours. Ainsi, le duc de Broglie qui assiste à une parade à Paris ne peut s’empêcher de réprimer un frisson : « En défilant devant l’Empereur, leurs regards [aux soldats] brillaient d’un feu ardent et sombre. On croyait voir errer sur leurs lèvres moreturi te salutante17 ».

Napoléon semble alors tout « absorber ».

 

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1 Gaulle (Charles, de) : La France et son armée, Paris, Plon, 1938.

2 Ségur (Philippe-Henri, marquis de) secrétaire d’État à la Guerre de Louis XVI. Son édit, du 22 mai 1781, porte un coup sévère aux roturiers qui servent dans les armées royales. Quatre quartiers de noblesse sont désormais nécessaires pour gagner l’épaulette.

3 La France ne connaît aucun conflit depuis les traités de Paris et de Versailles de 1783.

4 Rousseau popularise l’égalité sociale, Voltaire la liberté de penser et Montesquieu la liberté politique.

5 On le voit ici, le « patriotisme » va bien au-delà de la protection du territoire. C’est égale­ment la défense de valeurs liées à l’histoire du pays et qui ont forgé son identité, telles que l’attachement à la démocratie et à la défense des libertés individuelles.

6 Michelet (Jules) : Le peuple, 1846.

7 Cette dernière dépasse les confins de l’armée. Il suffit pour s’en convaincre de consulter les mémoires de Boulart : Mémoires militaires du général baron Boulart sur les guerres de la République et de l’Empire, Paris, Émile Collin, s. d., qui décrit à Avignon, comment Bonaparte est accueilli par la population : « La foule était immense […] l’enthousiasme fut à son comble, l’air retentit d’acclamations et du cri de vive Bonaparte […] dès cette époque, on le regardait comme appelé à sauver la France de la crise où l’avait jeté le pitoyable gouvernement du Directoire et les revers de nos armées ».

8 Bigarré (Auguste) : Mémoires du général Bigarré, aide de camp du roi Joseph, 1775-1813, Paris, Giovanangeli, 2002.

9 Laugier (Jérôme-Roland) : Les cahiers du capitaine Laugier, Aix, Remondet-Aubin, 1893.

10 Consulter utilement à ce propos « les proclamations et harangues de Napoléon Bonaparte, avec le sommaire des événemens (sic) qui ont donné lieu à chacune d’elles », recueillies par Th. D., Paris, 1835.

11 Challand de La Guillanche (colonel) : Mémoires du capitaine Bertrand. Grande Armée, 1805- 1815, Paris, librairie des deux Empires, 1999.

12 Ces derniers restent en usage jusqu’en 1881 dans l’armée britannique. D’ailleurs, l’obéissance sous la menace est de rigueur au sein des armées européennes. Un arsenal de sanctions existe à la disposition des officiers, qui doit permettre d’imposer à leurs soldats une crainte supérieure à celle du feu ennemi.

11 Challand de La Guillanche (colonel) : Mémoires du capitaine Bertrand. Grande Armée, 1805- 1815, Paris, librairie des deux Empires, 1999.

12 Ces derniers restent en usage jusqu’en 1881 dans l’armée britannique. D’ailleurs, l’obéissance sous la menace est de rigueur au sein des armées européennes. Un arsenal de sanctions existe à la disposition des officiers, qui doit permettre d’imposer à leurs soldats une crainte supérieure à celle du feu ennemi.

14 Ancêtres des régiments.

15 Andolenko (Serge) : Recueil d’historique de l’infanterie française, Paris, Eurimprim, 1969.

16 « Mémoires du général Lejeune (1792-1813) », Paris, éditions du Grenadier, 2011.

17 Cité par Thierry Lentz dans « Waterloo 1815 », A.C.L., de Broglie, « Souvenirs (1785-1870) ».

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Titre : La part de l’idéologie dans les campagnes de la Révolution et de l’Empire ou qu’est-ce qui pousse le soldat à aller au combat ?
Auteur(s) : Lieutenant-colonel Georges Housset
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