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La résilience psychologique, un atout décisif pour le combat urbain.

cahier de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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Au-delà de l’oppression physique que peut faire vivre l’environnement urbain (cages d’escalier, tunnels, souterrains), et de la grande proximité du danger mortel, le Chef de bataillon Frédéric Chamaud montre que le théâtre urbain peut être considéré comme un espace catalyseur de stress, exposant l’ensemble des unités de combat et de soutien à de multiples sources de blessures psychologiques. Plus qu’ailleurs, il est donc crucial de savoir identifier les risques, de s’en prévenir et de s’assurer au plus tôt de l’appui d’unités spécialisées.


«Nous sommes désormais enveloppés d’une bulle de détonations, claquements, sifflements, impacts. Impuissant devant les barbelés, un marsouin regarde, hébété, sa cuisse perforée, un autre a deux doigts sectionnés... Deux autres gars sont vidés de toute énergie par la violence qui les entoure, ils sont comme des mannequins inertes. Le groupe est hors de combat. Mon plan a tenu deux minutes trente à l’épreuve des faits»[1].

 

Bien que le stress soit une réalité dans toutes les opérations, celles se déroulant en ville demandent aux combattants des ressources psychologiques encore plus importantes. L’environnement urbain est en effet très menaçant. L’espace se vit en trois dimensions depuis lesquelles les opposants peuvent ouvrir le feu. Les positions de tir sont innombrables et le feu peut être déclenché de très près. Si en général la distance d’engagement est inférieure à 150 mètres, elle peut même être réduite au contact physique lors d’opérations offensives ou de nettoyage. À cause de la présence des civils, les règles d’engagement doivent la plupart du temps inclure une confirmation visuelle de la nature des objectifs. Ces caractéristiques ont longtemps éloigné des villes les chefs militaires et leurs armées. Sun Tzu, comme la doctrine soviétique, envisageait le combat en ville en dernier recours, lorsque toutes les autres alternatives auraient été épuisées.

Aujourd’hui, les forces modernes dotées de technologie semblent imbattables en terrain ouvert. Le pouvoir égalisateur de technologie de la ville est donc recherché lors des conflits asymétriques actuels par les adversaires ne possédant pas d’équipements modernes[2]. Afin de vaincre dans ces conditions, il est évident que les fondamentaux du combat interarmes (tir, manœuvre, prise d’initiative) permettent de faire la différence; ils doivent donc être maîtrisés à un niveau d’excellence que seuls la préparation et l’entraînement permettent d’acquérir. Cela est bien compris par la plupart des armées occidentales qui disposent de très nombreux moyens d’entraînement complémentaires (couvrant les différents aspects tactiques et opératifs de la guerre urbaine). Cependant, cet entraînement ne saurait se limiter à endurcir les capacités tactiques, techniques et physiques; il doit aussi envisager la résilience psychique de nos soldats par une préparation mentale et par des mesures adaptées à l’engagement en zone urbaine.

 

Le risque psychique au combat

 

Le stress est un état de tension nerveuse et émotionnelle causé par les situations de combat. Les réactions de stress au combat sont normales, elles sont observées depuis l’antiquité. Si le stress possède des effets positifs comme l’hyper vigilance, ses effets négatifs amènent Charles Ardant du Picq à estimer au XIXème siècle que le soldat «n’est capable que d’une certaine quantité de terreur»[3]. Ce sont l’évolution et l’aggravation de l’état de tension qui peuvent avoir un impact non négligeable sur une unité. Par exemple, le stress dépassé (agitation stérile, prostration, réaction en automate) peut se manifester par des réactions individuelles ou collectives de «fuite panique» vers l’arrière et même en direction de l’ennemi comme cela a été observé pendant la Première Guerre mondiale[4]. Des exemples plus récents peuvent être identifiés dans le récit du Lieutenant Heluin décrivant les combats de Verbanja: «Pour franchir les barbelés, nous avions prévu deux portes, pauvre expédient à l’absence de matériel spécifique. Elles sont restées dans les véhicules. Tant pis. Nous ferons sans. […] Je ressens le besoin d’ouvrir le feu mais mon Famas refuse obstinément de fonctionner... À aucun moment il ne me vient à l’esprit que j’ai peut-être oublié d’armer mon fusil d’assaut»[5].

Au delà des effets immédiats du stress, les effets à plus long terme sont également importants et peuvent prendre la forme d’un trauma. Pour tout un chacun, un trauma psychique résulte de la confrontation à la réalité de la mort pour soi ou pour un proche «géographique». Pour le militaire, cela est différent car il n’est pas en opération intérieure ou extérieure par hasard, il s’est préparé. Il y est acteur de la situation. Il est même possible d’affirmer qu’il éprouve de la satisfaction à être sur le terrain. Il est pleinement conscient de ce à quoi il peut être confronté et il en assume la responsabilité. Pour cette raison, lorsque la situation lui échappe et que les conséquences contredisent le sens de son engagement, alors le dommage «collatéral», la perte civile, l’ouverture du feu sur un civil ou sur un enfant entraînent une aggravation du stress se traduisant par des troubles psychologiques. 

 

À la proximité de la mort s’ajoute l’émotion ressentie. Les sensations olfactives, tactiles, visuelles, auditives ou encore cénesthésiques agissent en laissant dans la mémoire des soldats le souvenir des situations de confrontation avec la mort. Ces traces mnésiques sont liées au souvenir d’une émotion ressentie, telle que la couleur des yeux ou plus encore les odeurs.

 

Dans les situations les plus désespérées, ou ressenties comme telles, pour lesquelles le soldat admet qu’il n’a plus aucune chance de s’en sortir, une issue favorable peut s’accompagner de troubles psychiques causés par la souvenance brute de la confrontation à la mort. Pour celui qui ne voyait plus d’autre issue que la mort, sa survie n’est pas forcément analysée par son esprit comme un souvenir. Par exemple, au cours de la bataille de Fallouja en 2003, un soldat américain raconte s’être retrouvé isolé dans un bâtiment, sous le feu ennemi. Après plusieurs heures de combat, ce dernier, à cours de munitions, était résolu sur son sort. Il s’en est pourtant sortit, ayant été récupéré par ses camarades au cours d’une contre-offensive locale. Ce soldat a fait l’objet par la suite de troubles psychologiques importants car il était persuadé – à tort – d’avoir été abandonné à une mort certaine par le reste de ses camarades.

 

Les blessures psychologiques, peuvent rendre le soldat inapte au combat à vie et affaiblir à long terme le potentiel de combat d’un pays. Afin de les prévenir, leur taux prévisible étant de l’ordre de 20 à 30% du total des soldats blessés, il est essentiel de mieux les connaître, d’apprendre à les détecter et à les gérer. À plus forte raison dans les situations de combat urbain qui, par nature, représentent un niveau de risque bien supérieur aux autres. 

 

Particularités du théâtre urbain 

 

Au-delà de l’oppression physique que peut faire vivre l’environnement urbain (cages d’escalier, tunnels, souterrains), la réputation de la ville comme un lieu de combat où les pertes sont importantes est déjà en soi un facteur de stress particulier. À raison, le théâtre urbain, avec ses espaces confinés, la canalisation des mouvements qu’il impose, ses angles de tir multiples et aussi l’hypothèse forte de combat à très courte distance voire au corps à corps, accentue les risques d’être tué ou sérieusement blessé. Cette grande proximité du danger mortel et l’hypothèse de corps à corps impliquent une confrontation potentielle exacerbée avec la mort. En effet, à la forte dose d’imprévu du combat, le corps à corps ajoute une dimension intime avec son adversaire. Dans ce type d’affrontement, chacun se regarde les yeux dans les yeux, sent la respiration de l’autre, en sachant que l’un des deux va mourir[6].  

De plus, en zone urbaine, le stress est partagé par tous les types d’unités y compris les unités de soutien, car le combat implique un engagement au plus prêt des forces de contact et donc une exposition aux risques bien supérieure à celle connue en terrain ouvert, comme le confirment les nombreux cas de captures de soldats américains appartenant à des unités de soutien en Irak entre 2003 et 2011.

 

La manière dont le soldat perçoit son environnement est certainement plus importante que la réalité complexe de ce dernier. Le niveau de danger perçu, ressenti, imaginé, a une influence directe sur la capacité du soldat à garder son calme et à se concentrer sur sa mission. Le Lieutenant Heluin, dans son récit de l’assaut de Verbanja, décrit une manière de limiter le stress en maintenant ses hommes dans l’action afin de ne pas leur laisser l’opportunité d’anticiper ce qui pourrait se passer: «Je regarde mes marsouins. Ils sont calmes et silencieux. Comme eux, je me sens étrangement serein. Il est vrai que depuis mon réveil, il y a trois heures, je n’ai pas eu une minute pour penser au danger»[7]

 

La configuration du théâtre urbain impose que les unités opèrent dans un espace de combat en trois dimensions: au dessus, au niveau et en dessous du sol. La plupart des soldats ne se verront pas entre eux et ressentiront d’autant plus une impression d’isolement liée à la méconnaissance de la position de leurs camarades qu’elle sera renforcée par un sentiment d’oppression physique résultant de l’environnement bâti. L’effet de cette sensation d’isolement est direct sur le moral de l’unité. Ainsi, il est fondamental, d’une part, de cultiver, dès le temps de paix, même en dehors de l’entraînement, l’esprit de corps, un style de commandement fait de subsidiarité, d’autonomie et d’initiative, et d’autre part, de rassurer les soldats par une juste dose d’information. Sans cela, les unités risquent de perdre leur combativité.

 

Enfin, la guerre urbaine impose la plupart du temps aux soldats de côtoyer la population civile. Or, cette dernière semble représenter un facteur aggravant dans l’occurrence de blessures psychologiques. En effet, les acteurs amis ou passifs peuvent se révéler être des terroristes ou des espions voire peuvent être instrumentalisés par l’ennemi (bouclier humains, suicide bomber). Les soldats sont alors dans des situations particulières ne correspondant pas à celles pour lesquelles il se sont engagés et parfois préparés.   

 

Canaliser et diminuer les effets du stress

 

En 1973, lors de la guerre du Kippour, les Israéliens n’avaient pas jugé utile de prendre en compte l’expérience des Alliés au cours de la Seconde Guerre mondiale. Ils ont été confrontés à des taux de blessures «psychologiques» pour plus de 35% des blessés, dont beaucoup se sont inscrites dans la durée. Lors de l’invasion du Liban en 1982, Tsahal avait préparé les soldats. Les pertes psychologiques israéliennes ont été de l’ordre de 25% des blessés, soit 600 des 2.400 blessés recensés.

La prévention du stress est aujourd’hui une réalité dans la plupart des armées occidentale. Les programmes d’instruction permettent d’informer, d’instruire, d’éduquer et d’entraîner aux risques psychologiques.

En France, les stages commando aident à mieux appréhender le danger. Les activités collectives physiques exigeantes apportent de la cohésion aux unités, et un sentiment d’appartenance au groupe qui protège contre l’illusion d’être abandonné et favorise les comportements d’entraide et de solidarité[8]

Le critère de la confiance étant également déterminant, il s’entretient en permanence. Si les soldats sont persuadés qu’ils sont bien soutenus, bien équipés, parfaitement entraînés (techniquement et tactiquement) et commandés par des chefs en lesquels ils ont confiance, ils seront sans aucun doute plus solides face au stress.

 

Le manque de préparation des troupes russes et de nombreuses erreurs de commandement, en particulier lors des deux premières guerres de Tchétchénie, ont amplifié les pertes psychologiques. Une étude montre que 72% des soldats russes engagés en 1995 auraient souffert de symptômes psychologiques.

 

Dans le cadre de la préparation au combat, plusieurs projets et études sont en cours afin d’améliorer le réalisme des situations d’entraînement et d’en mesurer les effets sur les performances des combattants. Ainsi, le programme CERBERE et le nouveau simulateur de tir de combat (STC APC) vont permettre aux unités françaises de s’entraîner dans des conditions extrêmement réalistes. Par exemple, les effets des armes de gros calibres seront représentés par des dégagements de fumée, des flashs lumineux et des bruits sourds, y compris à l’intérieur des bâtiments du CENZUB[9]. Les soldats auront à leur disposition des trousses de sauvetage au combat interagissant avec leurs équipements de simulation. Il est également question d’utiliser des simulateurs d’odeurs. L’armée américaine a mené une étude approfondie dans le domaine du réalisme des situations de combat à l’entraînement (simulation de cadavres ou de blessés avec odeurs et utilisation d’animaux morts) et de l’effet psychologique obtenu. Ses conclusions montrent que l’exposition des troupes à de telles situations doit être réalisée avec parcimonie et sans surenchère (montrer le strict minimum pour limiter la surprise). Il ne faut pas non plus oublier qu’un entraînement trop réaliste risque de faire ré-émerger des souvenirs traumatiques pour bon nombre de soldats aguerris.

 

Au premier rang des champs immatériels protégeant le soldat français, l’éthique au combat inculquée dès la formation initiale et entretenue tout au long de la carrière représente une protection indéniable face au risque de blessure psychologique. Les principes d’éthique permettent aux chefs de trouver des moyens pour donner du sens aux actions de leurs troupes, d’expliquer pourquoi une mission qui, a priori, n’a pas de sens pour les soldats, doit être réalisée. Les principes de l’éthique au combat seront d’autant plus efficaces que le commandement aura élaboré des règles d’engagement simples à comprendre et à appliquer. 

 

Au cœur des opérations, la satisfaction des besoins physiologiques du soldat (sommeil, alimentation, hydratation) permet aussi de limiter les risques psychologiques. Les batailles de Grozny nous montrent qu’il faut envisager un certain degré d’usure psychologique des unités. Intervenant plus rapidement en zone urbaine, cette usure impose que les unités soient désengagées pour se régénérer[10]. Ces relèves doivent être réalisées avec discernement, sans pour autant mettre à mal la cohésion et la connaissance mutuelle des unités, gages de leur efficacité immédiate.

 

Enfin, il est indispensable que le plus grand nombre de combattants sache identifier les signes physiques et psychiques de la blessure psychologique. Une bonne coordination avec les unités spécialisées dans le soutien psychologique déployées sur le terrain permet de réduire les risques d’aggravation. La cellule d’intervention et de soutien psychologique de l’armée de Terre (CISPAT) occupe ce rôle avec efficacité depuis de nombreuses années. Présente avec les unités déployées sur le terrain, elle peut ainsi intervenir sans délais afin de préserver la santé mentale des soldats. Les équipes de cette cellule ont effectué un travail remarqué lors de l’opération Sangaris en République centrafricaine, et en particulier à Bangui.

 

En somme, le théâtre urbain peut-être considéré comme un espace catalyseur de stress, exposant l’ensemble des unités de combat et de soutien à de multiples sources de blessures psychologiques. Plus qu’ailleurs, il est donc crucial de savoir identifier les risques, de s’en prévenir et de s’assurer au plus tôt de l’appui d’unités spécialisées.

Demain, l’infovalorisation, véritable clé de voûte du programme SCORPION, va permettre à l’armée française d’accélérer le rythme du combat grâce à la diffusion en temps réel de l’ensemble de l’information disponible à la fois sur l’ennemi et sur les amis. Au-delà des limites posées par la nécessaire sécurité des informations, il semble indispensable d’envisager de mesurer les effets psychologiques induits par cette potentielle omniscience de chaque soldat.

 

 

 

[1] Témoignage du Lieutenant Heluin dans Colonel Michel Goya, «Sous le feu-La mort comme hypothèse de travail», Tallandier, 2014.

[2] Colonel Pierre Santoni, Chef de bataillon Frédéric Chamaud, «L’ultime champ de bataille, combattre et vaincre en ville», Pierre de Taillac, 2016.

[3] Colonel Charles Ardant du Picq, «Études sur le combat», Économica, 2004.

[4] «Seize leçons sur le trauma», Louis Crocq, Odile Jacob, 2012.

[5] «Sous le feu - La mort comme hypothèse de travail», Colonel Michel Goya, Tallandier, 2014.

[6]Falluja!, David Bellavia, Movie planet, 2009.

[7] «Sous le feu - La mort comme hypothèse de travail», Colonel Michel Goya,Tallandier 2014.

[8] «Les traumatismes psychiques de guerre», Louis Crocq.

[9] Centre d’entraînement en zone urbaine

[10] Lester W. Grau, “Changing Russian Urban Tactics: The Aftermath of the Battle for Grozny

 

 

Le Chef de bataillon Frédéric CHAMAUD a passé l’essentiel de sa carrière dans l’infanterie de marine. Il a été instructeur au Centre d’entraînement aux actions en zones urbaines – 94ème RI, puis officier de programme à la section technique de l’armée de Terre, responsable de CERBERE et du volet «préparation opérationnelle-simulation» du programme SCORPION. Il est passionné par le combat interarmes et la zone urbaine.

 

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Titre : La résilience psychologique, un atout décisif pour le combat urbain.
Auteur(s) : le Chef de bataillon Frédéric CHAMAUD
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