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La tentation technologique

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Sciences & technologies
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Les investissements dédiés aux équipements militaires de haute technologie permettent aux hommes de moins s’exposer à l’ennemi tout en continuant à lui infliger des dommages de plus en plus importants. Cependant, aussi séduisantes que puissent paraître les avancées technologiques, elles génèrent de nouvelles problématiques tant sur le plan économique et logistique que dans le rapport à l’humain, pouvant au final conduire le militaire à s’interroger sur son action. Il ne s’agit pas de nier l’intérêt et la nécessité de moderniser les capacités technologiques des armées, mais d’en cerner les limites dès lors que la technologie appliquée aux armées se veut un substitut à la confrontation entre les hommes


Le système d’arme LECLERC pèse chaque année lourdement sur le budget alloué au maintien en condition opérationnel. Le système FELIN pèse quant à lui sur les épaules de nos soldats engagés en opération. Les drones armés, dont la France n’est certes pas encore dotée, pèsent sur l’appréciation de l’action militaire tant dans l’opinion publique que parmi les populations bénéficiant de l’intervention militaire. Au final, la place qu’occupe la technologie n’est pas neutre pour les armées.

Certes les investissements consentis pour doter l’armée française en équipements de haute technologie permettent aux hommes de moins s’exposer à l’ennemi tout en continuant à lui infliger des dommages de plus en plus importants. Aussi séduisantes que puissent paraître les avancées technologiques, elles génèrent cependant de nouvelles problématiques tant sur le plan économique et logistique que dans le rapport à l’humain. L’effet de distanciation procuré par les nouvelles technologies crée en effet un nouveau rapport à la guerre tant dans l’opinion publique que parmi les soldats en dépersonnalisant l’adversaire, en particulier dans une confrontation «du fort au faible». De sorte que le militaire peut en arriver au final à s’interroger sur son action.

Il ne s’agit bien évidemment pas de nier l’intérêt et la nécessité de moderniser les capacités matérielles des armées, mais de s’interroger sur les limites dès lors que la technologie appliquée aux armées se veut un substitut à la confrontation entre les hommes.

La technologie au service de la puissance militaire

Guerre et technologie sont indissociables. Il suffit pour s’en convaincre de se référer à l’histoire passée ou récente. D’un côté, la volonté de puissance inhérente à l’existence d’une force armée ne s’affirme que par la maîtrise d’outils permettant la domination de l’autre. De l’autre, la recherche du succès militaire, dont la survie d’un État a parfois dépendu, représente un formidable moteur dans la quête vers l’innovation technologique. Les innovations trouvent alors souvent par la suite des applications dans le secteur civil. Il suffit de constater les bonds technologiques dont les tragiques épisodes des deux conflits mondiaux ont été les accélérateurs, en favorisant notamment le développement de l’aéronautique (durant le premier) ou de la puissance nucléaire (au cours du second). Il n’est dès lors pas surprenant de voir se renforcer un tropisme technologiste, tant ses atouts semblent répondre aux exigences de puissance à la fois de manière directe et indirecte.

Directement d’abord, car il renforce la conviction d’emporter la décision rapidement. La technologie répond précisément au double enjeu qui consiste à frapper l’adversaire en limitant sa propre exposition aux coups ennemis. Que ce soit les longbows[1] anglais à Crécy en 1346 ou la GBU-12[2] en Afghanistan, l’idée reste la même. Cette plus-value technologique destinée à surpasser l’adversaire se retrouve également dans les moyens ISR[3], qu’il s’agisse de satellites, d’avions ou de drones. La puissance démultiplicatrice que procure directement la technologie n’est donc plus à démontrer.

En outre, à l’heure de l’hypermédiatisation, le recours à la technologie permet de minimiser la part de l’impondérable humain. Un missile lancé depuis un drone n’est-il pas plus sûr qu’un assaut mené au sol? D’une part, le risque de pertes amies est écarté, lesquelles s’avèrent de plus en plus difficiles à faire accepter à l’opinion publique. D’autre part, ce choix met à l’abri d’éventuels comportements choquants et destructeurs pour notre action, tels ces soldats américains urinant sur les cadavres de rebelles en Afghanistan. Autrement dit, le recours à la technologie réduit le risque de dérapage du «caporal stratégique» dans la guerre médiatique en l’écartant de la «scène».

Indirectement, le caractère dissuasif des équipements de haute technologie est à même d’apaiser les ardeurs bellicistes d’un adversaire potentiel. La démonstration de savoir-faire technologiques appliqués à la puissance militaire constitue ainsi une assurance contre toute confrontation directe. La maîtrise du nucléaire en est une parfaite illustration.

Investir sur la technologie militaire s’apparente ainsi à une assurance-vie pour l’État. Elle lui fournit à la fois une capacité dissuasive et une réserve de puissance en cas d’engagement. Pour autant et aussi paradoxal que cela puisse paraître, le tropisme «technologiste» porte en lui les germes de l’affaiblissement militaire, s’il n’est pas borné.

Le handicap technologique – le mieux, l’ennemi du bien

Le choix de la sophistication se justifie en partie pour deux raisons: conserver l’ascendant technologique sur l’adversaire potentiel, et fournir à ses hommes les outils les plus aptes à leur apporter la victoire. A contrario, ce choix crée un nouveau carcan qui représente in fine une entrave au succès militaire.

N’échapperont à personne les visées économiques des entreprises militaro-industrielles nationales, dont l’objectif est autant d’équiper les forces nationales que de remporter des marchés à l’exportation. Le premier marché: les armées nationales, servant de vitrine technologique favorisant des débouchés beaucoup plus lucratifs à l’extérieur. Les performances du Rafale lors des opérations Harmattan en Libye et dans une moindre mesure Serval au Mali finiront-elles par vaincre les dernières réticences des Émirats arabes unis et assurer le contrat avec l’Inde? Si la qualité des savoir-faire français en la matière est remarquable (que ce soit le char Leclerc, l’hélicoptère Tigre ou dernièrement le système FELIN), il n’en demeure pas moins qu’elle a un coût. Le budget de la Défense étant ce qu’il est, il est évident que l’acquisition de matériels extrêmement sophistiqués se fait au détriment d’autres besoins. Or il est bien plus porteur en termes d’exportations pour l’État de valoriser le savoir-faire technologique de la France à travers le développement d’un Rafale ou d’un Leclerc plutôt que d’un successeur au VAB (pourtant entré en service en 1976). Faut-il que l’appétit technologique obère certaines capacités militaires à travers le non-renouvellement de matériels dont l’intérêt et l’usage intensif ne se sont pourtant pas démentis durant les dernières décennies? Le prestige français et notre fierté nationale doivent-ils trouver satisfaction dans la détention d’un char technologiquement «en pointe» mais finalement peu déployé en opération, alors que dans le même temps les véhicules logistiques terrestres n’ont pas bénéficié (jusqu’aux cinq dernières années et encore, à doses homéopathiques et pour un théâtre précis) de la plus élémentaire des protections blindées? Dans la confrontation asymétrique (qui correspond à la forme des engagements actuels), il n’y a pas à chercher longtemps pour déterminer nos faiblesses et savoir quels sont, pour nos adversaires, les objectifs les plus rentables en termes d’image, mais également pour désorganiser la manœuvre de l’avant. Ce n’est par exemple pas remettre en question l’utilité d’une composante blindée lourde, qui demeure incontournable, que de s’interroger sur une répartition plus équilibrée de l’effort technologique. C’est bien cet équilibre qui doit nous permettre de couvrir le spectre d’engagements le plus large, depuis la guerre conventionnelle jusqu’au conflit asymétrique. Le risque est donc celui d’une ambition technologique qui, confrontée au réalisme budgétaire, conduirait à la fragilisation de certaines capacités militaires jugées non prioritaires.

Cela est d’autant plus pertinent qu’une fois un matériel de pointe livré, les implications de ce choix ne s’arrêtent pas là. Viennent à l’esprit les problématiques de coût du soutien, dont la PEGP[4] tente tant bien que mal de venir à bout en regroupant les matériels et en rationalisant leur maintenance et leur emploi. La comparaison entre le coût de l’heure de vol d’une Gazelle et celui, dix fois supérieur, d’un Tigre est bien connue. Plus pénalisant est l’impact de ces matériels dernier cri une fois déployés en opération. Ces nouveaux matériels induisent une empreinte logistique alourdie. Ils rendent le soutien de théâtre plus délicat et plus coûteux compte tenu des spécificités techniques requises.

Autre dérive liée à la détention de matériels sophistiqués: leur nature même. Pour ces matériels onéreux à l’achat et à l’emploi, les décideurs politiques et militaires ne réfléchiront-ils pas à deux fois avant de les engager en opérations, dès lors que nos intérêts vitaux ne sont pas directement en jeu? Lorsque les matériels et les budgets sont comptés, la question n’est-elle pas susceptible de se poser, aussi saugrenue qu’elle puisse sembler au premier abord ? La vitrine technologique ne sera-t-elle pas condamnée à un rôle purement dissuasif en se trouvant plus fréquemment cantonnée au territoire national?

Le dilemme est d’autant plus grand qu’en parallèle la supériorité technologique rassure autant le politique qu’elle satisfait le militaire en renforçant la confiance en la victoire. Tandis que les effectifs militaires diminuent, que les menaces demeurent, la technologie ne va-t-elle pas s’imposer toujours plus comme un palliatif donnant l’illusion du maintien de nos capacités à un niveau égal? De ce fait, la supériorité technologique ne va-t-elle pas s’affirmer insidieusement comme la finalité, prenant le pas sur la réflexion stratégique? Cette confiance excessive dans la supériorité procurée par la technologie n’est pas sans rappeler «l’autisme stratégique»[5] dont ont fait preuve les États-Unis avec la Revolution in Military Affairs (RMA). La France n’en est pas là, mais n’y a-t-il pas eu de précédent chez nous? La maîtrise de cet instrument technologique de puissance absolue qu’est l’arme nucléaire n’a-t-elle pas limité la réflexion stratégique militaire durant quelques décennies?

C’est pourtant tout l’inverse qu’il faut rechercher, c’est-à-dire subordonner la technologie à nos besoins réels. Comme en toute chose, il est nécessaire de distinguer l’essentiel du superflu et donc de maintenir la réflexion concernant la typologie de nos engagements futurs. Tandis que nos budgets sans cesse réduits déterminent ce que pourront être nos capacités, la réflexion stratégique doit tenir toute sa place pour définir nos justes besoins technologiques. Il faut probablement accepter des matériels certes modernes mais plus rustiques, autrement dit moins sophistiqués et donc moins onéreux à l’achat comme à l’emploi. À cela s’ajoutent les avantages d’une formation moins complexe et donc moins longue pour le personnel servant ces matériels ainsi que pour les maintenanciers, ce qui là encore se traduit en économies budgétaires. L’idée est de sortir d’une course à la technologie qui s’autoalimente sous la pression d’États dotés de budgets de défense bien supérieurs au nôtre, pour allouer nos moyens au maintien des effectifs et à l’entraînement. Le soldat doit rester au centre de nos préoccupations. De lui dépend le succès tactique, mais également stratégique, par son action directe contre l’adversaire comme indirecte sur la population locale et l’opinion publique nationale.

Un rapport à l’engagement militaire altéré

L’intrusion du facteur technologique dans la conduite d’un conflit ne peut pas être neutre, tant il modifie la nature de celle-ci. La puissance, la capacité à frapper à distance, la précision, la discrétion sont autant d’éléments bouleversant la vision de la guerre.

La mise en avant des capacités technologiques donne une vision tronquée de la mission des armées et plus particulièrement des risques liés à l’engagement de leurs hommes. La valorisation de l’apport technologique contribue à nier le facteur de risque inhérent à la confrontation, cette dernière apparaissant moins directe. Les protections, les capacités d’observation et de frappe à distance ainsi que la puissance détenue ne donnent-elles pas l’illusion d’une moindre exposition au danger, lorsque l’adversaire ne dispose pas, quant à lui, de ces mêmes atouts? Nous sommes loin de l’idée du zéro mort, cependant ne faut-il pas s’interroger sur la capacité démythificatrice de la technologie? En rassurant notre population quant à la préservation du potentiel humain de son armée, la technologie n’écorne-t-elle pas la notion de sacrifice? Ne donne-t-elle pas une vision erronée du risque, faisant de la perte d’un soldat l’exception liée à une faille dans l’attirail technologique, au lieu de mettre en avant le courage et le dévouement face à un danger toujours réel? En somme, l’attachement que peut ressentir un peuple pour ceux qui sont prêts au sacrifice ne risque-t-il pas de s’émousser jusqu’à aller à l’indifférence?

À l’inverse, cette même approche «technologiste» rend l’acceptation des morts au combat plus difficile pour l’opinion publique, trompée par des discours rassurants. Sa capacité à interférer dans la gestion politique d’un conflit n’en devient que plus grande. La poursuite des opérations militaires peut en être remise en cause.

En dehors de la seule sphère nationale, le recours toujours plus important aux moyens technologiques n’amène-t-il pas le militaire à se couper davantage de la population au service de laquelle il intervient? Le soldat français est connu pour sa capacité à entretenir le contact avec la population dans les pays où il est engagé. Pourtant, l’armement moderne et les moyens de détection et de renseignement permettent aisément de se couper de la population et de s’épargner les risques d’une interaction avec la population. Mais, même pour une population libérée, la présence de cet ami invisible qui vient détruire et reste enfermé dans ses bases n’est-elle pas a minima frustrante? «Gagner les cœurs» passe par une interaction avec la population, ce qui ne va pas de soi lorsque les écoutes téléphoniques, les drones ou les bases isolées favorisent le maintien à distance et le repli sur soi. Si la technologie est un atout en phase d’intervention, elle peut donc se transformer en handicap en phase de stabilisation en éloignant l’un des acteurs essentiels au succès durable de l’opération.

Enfin, qu’il s’agisse de cette distance établie à l’égard de la population à laquelle il vient en aide ou de l’effet pervers de la minimisation du risque auprès de l’opinion publique, le soldat ne risque-t-il pas de s’interroger sur le sens de son engagement? Confronté d’une part à une population locale pouvant en arriver à le considérer comme un envahisseur, d’autre part à une population nationale qui ne mesure pas les risques encourus, il peut s’ensuivre un questionnement sur le sens de son engagement qui ne bénéficierait ni du soutien national espéré ni de celui du peuple au profit duquel l’armée interviendrait. Pour ceux dont le succès est garanti par leur capacité à frapper en sûreté et dont la prise de risque est inexistante, tels les opérateurs de ces drones armés, le questionnement n’est-il pas pire, avec en toile de fond l’idée qu’«à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire»? Le doute du soldat quant à la mission confiée serait alors la marque de l’affaiblissement de nos armées, mais plus encore de notre nation.

 

L’exemple américain, dont la doctrine reste fondée sur la supériorité de l’outil militaire et donc sur la suprématie technologique, témoigne de ces dérives qui font de la technologie une finalité. Pourtant, confrontés lors de leurs engagements en Irak et en Afghanistan aux limites de ce modèle symbolisé par la RMA, ils ont entamé ces dernières années une réflexion sur la place de la technologie. Si la France ne semble pas être exposée à un tel risque compte tenu des moyens budgétaires alloués à la Défense, le tropisme technologiste n’en demeure pas moins attractif. Il est cependant nécessaire d’aborder la question technologique dans ce qu’elle peut apporter en complément à l’action du soldat. Ce dernier reste «l’instrument premier du combat» dans une logique qui d’emblée place la technologie dans la position qui doit être la sienne, à savoir celle d’une subordination tant vis-à-vis de la pensée stratégique que de la réflexion tactique.

Enfin, s’il fallait encore s’en convaincre, les conflits actuels de nature asymétrique viennent nous rappeler que la guerre est avant tout l’affrontement de deux volontés. Dans ceux-ci, le facteur humain reste central tant il contribue à équilibrer le rapport de forces entre les belligérants, en particulier alors que la bataille décisive est désormais souvent médiatique.

 

[1] arc médiéval très puissant, d’environ deux mètres de long.

[2] bombe guidée laser.

[3]Intelligence, Surveillance and Reconnaissance

[4] Politique d’emploi et de gestion des parcs

[5]«La guerre au XXIème siècle»; Colin Gray

 

Saint-cyrien de la promotion «Bicentenaire de Saint-Cyr» (1999-2002) le Commandant Thierry KUNTZMANN a servi au 1er RMAT de Woippy avant de commander la compagnie de maintenance de la 13ème DBLE à Djibouti. Affecté à la division emploi opérations du SMITer en 2010, il a rejoint le CSEM en 2013 en tant que stagiaire à l’issue d’une projection à Kandahar au sein de l’état-major du RC-sud.

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Titre : La tentation technologique
Auteur(s) : le Commandant Thierry KUNTZMANN
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