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Le bilan de la présence britannique en Irak (2003-2008)

cahier de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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«On fait la guerre quand on veut. On la termine quand on peut»

Machiavel

 

L’histoire du Royaume-Uni est la plus riche en «petites guerres», conquêtes coloniales, contre-guérillas ou opérations de stabilisation. Forts de cette culture les Britanniques avaient l’ambition de faire de Bassorah et des quatre provinces du Sud-Est irakien, un modèle pour le reste de l’Irak. Après cinq ans de présence et 175 soldats tués, le bilan apparaît pourtant mitigé. Cette expérience est néanmoins riche d’enseignements au moment où nous nous engageons fortement auprès des Américains dans une difficile opération de contre-guérilla.


La participation impuissante

Après une courte période euphorique où les patrouilles étaient applaudies dans les rues de Bassorah, les soldats britanniques se sont vite rendu compte de leur manque de prise sur les évènements. Les forces et de Sa Majesté ont été employées de manière à obtenir le meilleur rapport coût/gains politiques. Cela s’est traduit d’abord par un volume de forces très réduit par rapport à la population à contrôler (de 8000 en 2003 à 5000 fin 2007, soit la moitié de la division Sud-Ouest, pour contrôler 5 millions d’habitants dont la moitié à Bassorah) et un engagement financier du même niveau (soit environ 5% du total de la Coalition).

Cet effort a minima a bien sûr entravé l’action des forces, comme le reconnaissait le général Jackson dès décembre 2006 («il n’y a aucun rapport entre ce que nous faisons et les moyens qui sont mis à notre disposition pour le faire»), mais n’a pas permis non plus d’avoir la taille critique qui aurait permis au Royaume-Uni de cogérer l’Irak comme l’autorisait le Conseil de sécurité. De fait, la direction de la Coalition a été laissée aux Américains et les Britanniques ont été condamnés à suivre leur puissant allié avec ses objectifs ambitieux et ses maladresses initiales. La marge d’initiative s’est même encore réduite avec le transfert d’autorité au gouvernement provisoire irakien en juin 2004.

Sur le terrain, les militaires britanniques ont fait de grands efforts pour rétablir un niveau de sécurité acceptable en s’appuyant sur les pouvoirs tribaux et en s’efforçant de gagner l’estime de la population par une attitude courtoise, un usage minimal de la force et le respect du droit. Mais cette action militaire n’a pas été relayée par des organisations civiles britanniques lentes à mettre en œuvre la reconstruction et elle a été polluée par une multitude d’acteurs sur lesquels les Britanniques n’avaient que peu de prises: convois américains, ONG (dont certaines distribuant des bibles), sociétés privées, milices chiites, etc. Elle est donc restée très superficielle.

La surprise de la révolte mahdiste de 2004 a été le premier révélateur de la faiblesse du contrôle allié sur la région Sud. Puis, par les scrutins de 2005, l’Assemblée suprême de la révolution islamique en Irak et ses alliés sont parvenus à obtenir la majorité des sièges dans toutes les provinces chiites, à l’exception de celle de Bassorah conquise par Mohammed al-Waeli, membre du parti Fadhila. Celui-ci s’est empressé d’installer une «kleptocratie» très lucrative et très autonome par rapport au pouvoir central, en association avec l’armée du Mahdi qui a poursuivi sa politique d’infiltration de tous les organes de sécurité et de contrôle des milieux populaires. Les militaires britanniques sont totalement impuissants à empêcher cette progression souterraine d’autant plus qu’à l’approche des élections législatives (mai 2005), le gouvernement de Tony Blair ne veut prendre aucun risque de dissiper l’illusion d’une force bien acceptée par la population et contrôlant Bassorah.

 

Perte de contrôle

La réalité de la perte de contrôle britannique éclate finalement au grand jour à Bassorah le 19 septembre 2005 après la capture par «l’Unité des crimes majeurs», ou Jameat (un «escadron de la mort» mahdiste) de deux soldats SAS agissant en civil. Cet incident faisait suite à de nombreux accrochages et à l’assassinat du journaliste américain Steven Vincent, aussi les Britanniques décident de marquer les esprits en libérant de force les deux SAS par un raid mécanisé sur le quartier général de la Jameat. Au moment du repli, les blindés sont encerclés par une foule de plusieurs milliers de personnes et des miliciens qui les bombardent de cocktails molotov. Les images des soldats s’échappant des blindés en flammes détruisent définitivement le discours officiel. De son côté, le gouverneur Waeli fait suspendre toute coopération avec les Britanniques pendant neuf mois.

Pour la majorité de la presse britannique, il est alors évident que l’opération Telic a échoué. Le Guardian parle d’un «fiasco sans équivalent dans l’histoire britannique récente». Le Daily Mail conservateur évoque «l’effondrement catastrophique de la politique britannique en Irak» et le Daily Express réclame le retour des soldats. Les critiques s’adressent au gouvernement et non à l’armée, dont les difficultés ont engendré un courant de sympathie.

Le temps de la «conquête des esprits et des cœurs» est fini et la priorité est désormais le retrait d’Irak avec le moins de dégâts politiques possibles. Les Mahdistes le comprennent bien qui multiplient les attaques par IED afin d’interdire tout déplacement non protégé et de couper définitivement la force d’une population qu’ils terrorisent (le nombre mensuel de meurtres double de novembre 2005 à février 2006). Le 5 mai 2006, un hélicoptère est abattu au-dessus de Bassorah et la mission de récupération des corps des cinq soldats tués et de la carcasse de l’appareil doit se faire au milieu de tirs et de manifestations particulièrement violentes. Le 31 mai 2006, le Premier ministre irakien déclare l’état d’urgence et envoie une division rétablir l’ordre mais l’armée irakienne ne fait pas le poids face aux milices. Bassorah sombre dans la violence. En septembre 2006, les Britanniques tentent de reprendre l’initiative en lançant l’opération «Sinbad». Chacun des dix-huit districts de Bassorah fait l’objet d’une opération de bouclage de 48 heures suivie d’une occupation de deux semaines par les troupes irakiennes, puis d’un mois de contrôle par une équipe de policiers militaires britanniques. Le 18 février 2007, «Sinbad» prend fin et son succès proclamé sert de prétexte au retrait progressif britannique de Bassorah sur l’aéroport à l’ouest de la ville[1].

Le 21 février 2007, estimant que la mission britannique a atteint ses objectifs, le Premier ministre Tony Blair annonce un contingent réduit à 5.500 hommes à l’occasion de la relève de juin 2007 et un retrait total avant la fin de l’année 2008. En octobre 2007, pour sa première visite en Irak, Gordon Brown, annonce une nouvelle réduction de 1.000 hommes pour la fin décembre et encore 2.000 de plus au printemps 2008 (décision reportée depuis).

À partir du printemps 2007, les Britanniques s’orientent vers des missions de soutien aux forces irakiennes, de protection des axes logistiques et, prétextant l’influence croissante et négative de l’Iran, de contrôle des frontières. Ils y développent des modes d’action nouveaux (patrouilles de Land rover ravitaillées par air) très médiatiques mais tactiquement peu utiles tant la tâche est immense. L’ensemble du dispositif, comme celui des autres alliés non-américains (dont le volume des forces a été divisé par deux en cinq ans et qui ont perdu 135 tués) est très vulnérable en cas de confrontation directe avec l’Iran.

 

Enseignements

Les 80.000 soldats britanniques qui se sont succédés en Irak ont fait preuve d’un grand professionnalisme. Cette compétence tactique n’a pu cependant, et c’est une constante historique, se substituer au manque de moyens et surtout à une vraie stratégie puisque l’ampleur de la tâche dépassait les moyens du Royaume-Uni et la stratégie, chaotique, était le fait des Américains.

Rétrospectivement, la seule solution aurait sans doute été de mettre en place un véritable «imperium» avec une administration directe, militaire et civile, sous une direction unique, du style du ministère de l’Irlande du Nord. Cela supposait une légitimité et des ressources humaines et financières non seulement plus importantes que celles dont disposaient les Britanniques mais aussi employées de manière plus réactive pour réussir une «paix éclair» avec le rétablissement rapide de la sécurité et des fonctions économiques.

Cette administration directe aurait comporté une composante permanente avec un personnel fixe pendant les années nécessaires au passage à la phase de normalisation et une composante tournante d’unités militaires et de cellules civiles. Les unités militaires britanniques auraient elles-mêmes été renforcées puis remplacées par une armée de type Légion arabe ou Armée des Indes, à recrutement ethnique, à fort esprit de corps et avec un solide encadrement britannique (permanent lui  aussi). Ces méthodes présentaient toutefois l’inconvénient de trop ressembler à celles de la conquête coloniale, ce qui ne pouvait à terme que susciter l’irritation des Irakiens et l’incompréhension de l’opinion publique britannique persuadée d’assister à une opération de stabilisation identique à celle réalisée dans les Balkans depuis 1995.

Mais, même ainsi, l’objectif de normalisation était pratiquement inatteignable car le sort de la zone de responsabilité britannique était lié à celui de l’ensemble de l’Irak. Dans les opérations multinationales de stabilisation de grande ampleur comme en Irak et en Afghanistan, le succès général dépend du succès des Etats-Unis[2]. Cela induit un raisonnement de type «dilemme du prisonnier» chez tous les autres alliés puisque chacun d’eux a le choix entre s’impliquer fortement ou non. S’il s’implique fortement, le coût humain et financier va augmenter très vite alors que les gains espérés dépendent surtout d’une victoire des Etats-Unis. Or celle-ci est à la fois très aléatoire car les Américains sont très mal préparés à la contre-guérilla et très longue à se dessiner car ces mêmes Américains disposent de beaucoup de moyens et d’une forte motivation dans la lutte contre le terrorisme.

La tendance générale est donc à l’adoption d’un profil minimum pour être crédible et durer en attendant un succès des Américains, tout en limitant les coûts. Dans ce contexte, les considérations de politique intérieure l’emportent vite, surtout si l’opération a été imposée à une opinion publique réticence et qu’elle est scrutée par une opposition en manque d’autre terrain d’affrontement.

Les seuls véritables objectifs sont alors la limitation des pertes et des bavures puis le retrait dans l’honneur si la situation devient trop coûteuse pour un espoir de victoire américaine nul. Le détachement britannique Telic s’est ainsi coupé de la population par la «force protection» puis par le regroupement dans une base à l’extérieur de Bassorah, pour ensuite s’engager dans des opérations («Sinbad», surveillance de la frontière, soutien à l’armée irakienne) surtout destinées à donner l’illusion d’un repli maîtrisé. Les pertes diplomatiques qui ont résulté de cette politique à l’encontre de celle des Américains ont été compensées par une implication plus forte en Afghanistan.

Au niveau tactique, la crainte d’une enquête judiciaire vient s’ajouter au stress du combat pour induire des effets très négatifs sur le moral et le recrutement, en particulier chez les réservistes. Les problèmes de stress rencontrés par l’armée britannique en Irak sont les plus importants rencontrés depuis la Seconde Guerre mondiale et entre 1 et 2% des soldats qui reçoivent l’ordre de partir en Irak préfèrent déserter.

 

 

[1] Les derniers éléments ont quitté la ville en septembre 2007.

[2] L’Afghanistan est la première véritable opération de contre-guérilla à laquelle les Français participent sans être nation leader.

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Titre : Le bilan de la présence britannique en Irak (2003-2008)
Auteur(s) : le Lieutenant-colonel GOYA
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