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Le cérémonial des « morts au feu »

une tradition singulière de l’armée de Terre
Histoire & stratégie

le monument des morts au feu à l'état-major de Champerret, BSPP/BCOM
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L’identité du sapeur-pompier de Paris est liée à sa vocation opérationnelle et son héritage historique. Unité militaire singulière aux valeurs audacieuses. Cette identité s’exprime à travers le cérémonial et s’incarne dans les traditions. L’appel des morts au feu est l’expression même de l’ADN du pompier de Paris et de sa devise : « Sauver ou Périr ». Ce cérémonial a plusieurs finalités : culte du souvenir, exaltation du sens du devoir, vigilance opérationnelle, et esprit de corps. Créée en 1881, cette (néo)tradition perdure aujourd’hui. Loin d’être un vestige du passé, elle évolue et s’adapte.


 

 

« La Brigade, son esprit de corps, son identité, elle va puiser dans son Histoire, elle va puiser dans ses valeurs, les fondamentaux qui lui serviront dans le brouillard… c’est la capacité de ses chefs à donner un sens à l’action, dans le chaos face à l’indicible ». Général de division Jean-Claude Gallet.

 

L’identité du sapeur-pompier de Paris est liée à sa vocation opérationnelle et son héritage historique. S’engager à la BSPP, c’est assimiler son Histoire et la faire vivre par différents moyens. La Brigade c’est un groupe social bien défini, avec ses codes, ses rites, ses valeurs. Une identité collective puissante assimilable aux légionnaires. La solidarité, la bienveillance, le courage, le dévouement, le dépassement, tout cela le pompier en hérite, le fait vivre et le transmet. C’est donc un tronc de valeurs pérennes. Les valeurs du métier sont en permanence énoncées, écrites, chantées, mises en scène dans les discours, les cérémonies, les stèles, les symboles, et autres objets de commémoration. Son patrimoine renforce son identité et suscite admiration, fierté et cohésion, car l’imaginaire et la symbolique du pompier sont très imprégnées dans la société. Cette identité s’exprime à travers le cérémonial et s’incarne dans les traditions. Voyons désormais l’élaboration de ce processus mémoriel.

 

Cette tradition émane de la volonté du colonel Paris, commandant alors le Régiment depuis 1879. Ce dernier, dans un courrier daté du 6 juillet 1880 adressé au Préfet de la Seine, annonce son souhait de voir des plaques de marbres apposées sur les murs de casernes, rappelant le nom des officiers et des soldats du Régiment morts dans l’exercice de leurs fonctions. Quelles sont les circonstances qui ont permis l’émergence de cette nouvelle tradition ? On peut affirmer que c’est la conjoncture de plusieurs évènements.

 

Le premier, c’est la mystification du sapeur-pompier. Depuis 1868, un homme est érigé en héros par Napoléon III : le caporal Thibaut. Son nom ne vous dit peut-être rien, mais chaque sapeur-pompier le connaît. Son nom est cité tout au long d’une carrière, de l’instruction au Fort de Villeneuve St-Georges aux différentes cérémonies. La renommée de ce personnage traverse l’Histoire et est encore très imprégnée aujourd’hui. Pourquoi ? Parce qu’il incarne le modèle que chaque sapeur doit être, il illustre à lui seul les valeurs du pompier : Sauver ou Périr ! Ce 8 août 1868, il aurait réalisé une dizaine de sauvetages avec son échelle à crochet, agrès mythique du SP, au péril de sa vie, en façade du bâtiment en feu, donc à la vue des badauds. Cet évènement est largement relayé par la presse de l’époque, si bien que l’Empereur le décore une semaine plus tard de la légion d’Honneur. Dès lors, le sapeur-pompier de Paris est un héros.

 

Le second, c’est la remise en cause virulente du statut militaire du corps des pompiers de Paris à laquelle le colonel fait face. Notamment lors de la séance du 13 mars 1880, où les élus pointent l’inutilité de l’armement des pompiers ainsi que son organisation purement militaire.

 

Le troisième, c’est la mort du sapeur Havard survenu lors de l’incendie des magasins du Printemps le 9 mars 1881. Il mourut brûlé et enseveli alors que ces camarades avait sauté du balcon pour échapper aux flammes. C’était sa première bataille contre le feu, il n’avait pas beaucoup d’ancienneté, était du dernier contingent, et est mort très jeune. Cette tragédie provoque un émoi particulier dans la presse. A ce moment, Havard est le seizième pompier mort au feu.

 

Autant d’éléments, autant d’arguments qui ont pesé dans la balance. Ainsi donc, le conseil municipal, lors de la séance du 26 juillet 1881, accepte et vote le crédit. La première de ces plaques commémoratives est posée à la caserne Rousseau le 22 octobre. Ensuite, chaque caserne s’en voit doté (19). Dans son Ordre du Régiment N°69, le colonel Paris déclare : « M. le ministre de la Guerre a bien voulu approuver et le conseil municipal voter le crédit nécessaire à l’érection, dans chacune des casernes, d’une plaque commémorative portant le nom des sapeurs-pompiers de tous grades morts au feu, qui est le champ d’Honneur du Régiment. Les militaires dont les noms figurent sur ces plaques seront inscrits en tête du contrôle des compagnies auxquelles ils appartenaient, et l’on se conformera, à l’avenir, aux dispositions suivantes : a toutes les réunions de la compagnie, après la sonnerie de l’appel, le sergent-major fera porté les armes aux hommes armés, les militaires en casque sans armes feront le salut militaire, ceux en képi se découvriront. Le sergent-major appellera les noms placés en tête de contrôle et le sergent de semaine répondra « mort au feu ».

 

Outre les plaques, est instauré l’appel des morts au feu. Par conséquent, c’est un binôme mémoriel, singulier, composé d’objets commémoratifs et d’un cérémonial militaire qui se met en place chez les pompiers de Paris en 1881. En application de la loi du 4 avril 1873, un monument aux morts sera érigé au cimetière Montparnasse le 4 mai 1883. C’est une cérémonie intimiste puisqu’elle se déroule dans les murs de la caserne, où seuls sont présents la garde du jour. Pareillement pour les plaques posées dans les casernes, rarement visibles pour le public. Ce cérémonial militaire s’exprime selon un rituel codifié : tous les lundis matin, lors du rassemblement hebdomadaire, après la levée des couleurs et de la marseillaise, le chef de garde énonce les noms des soldats et un sapeur désigné répond « mort au feu ». S’en suit une minute de silence. Aujourd’hui, cette liste commence par le sapeur Rémy, le premier mort au feu de l’ère Brigade, depuis 1968. Tous les lundis matins, 26 noms retentissent dans chaque caserne au même moment. C’est une communion collective. Les symboles de ce cérémonial sont multiples. Ce rite participe à la formation morale du sapeur-pompier. Ce rite a plusieurs finalités.

 

La première, évidente, c’est le culte du Souvenir. Cela fait partie de la culture doloriste du militaire : célébrer ses morts. Au-delà du devoir de mémoire, c’est un hommage solennel aux frères d’arme tombés, un témoignage de reconnaissance, une occasion de s’imprégner du souvenir des Anciens, de s’en montrer digne. C’est également un vecteur de transmission des traditions. On ne peut que remarquer la linéarité temporelle de ce rite plus que centenaire.

 

Revenons. La deuxième finalité, c’est la notion de forces morales définies plus tard par Foch et Lyautey : une mise en exergue du sens du devoir et du sacrifice suprême magnifié par la symbolique mémorielle. Le métier de pompier à un rapport à la mort sous une forme héroïque que lui confère la notion de sacrifice. Ces victimes symbolisent l’exemple du devoir courageusement accompli. Il s’agit d’haranguer le courage des sapeurs pour « attaquer le feu à brûle moustache », qui vous l’aurez compris instaure une chaleureuse proximité avec les flammes.

 

La troisième, tempère la précédente : c’est une piqûre de rappel sur la dangerosité du métier. L’appel des morts au feu a une finalité opérationnelle : maintenir la vigilance des sapeurs, et la nécessité de la préparation opérationnelle quotidienne (manœuvres, etc.). Cet appel rappelle à chacun ainsi son devoir, les valeurs essentielles à leur vocation et à leur sacrifice éventuel. L’esprit guerrier cher au général Bosser.

 

La quatrième et dernière finalité, c’est l’esprit de Corps. L’appel des morts au feu alimente ce dernier. Jean Jaurès disait : « la tradition ne consiste pas à conserver des cendres, mais bien à entretenir une flamme ». Cette flamme, c’est l’identité « pompiers de Paris ». La notion d’identité collective est bien présente puisque toutes les casernes le font. On revient toujours au même raisonnement : les fondamentaux. Donner un sens à l’engagement, donner un sens à l’action, en puisant dans son héritage. 

 

Vous l’aurez compris, ce cérémonial n’a rien du folklore. Il est l’expression, le résultat de notre devise : Sauver ou Périr, officialisée en 1941. Rappelons que lors de l’éloge funèbre du sapeur Havard, mort au feu en 1881, le colonel Paris clame : « l’esprit de complète abnégation qui honore notre corps et fait que nous savons mourir plutôt que de reculer ». Là est l’origine de notre devise. Mourir plutôt que de reculer ! En tant que militaires, mourir plutôt que d’abandonner son poste. Le bilan des sauvetages réalisés sur intervention, mais aussi la liste des morts au feu, confirment la pertinence de cette devise. Elle caractérise les risques du métier. Mais le sapeur-pompier ne doit pas oublier qu’il a obligation : secourir toute personne en danger de mort immédiat et qu’à ce titre, il a le devoir de prendre des risques. Ces valeurs sont chantées par tous les SP.

 

« Je veux te SAUVER ou PERIR
Telle est notre devise
Et dans nos yeux
L‘honneur d'être soldat du feu
Pour te sauver je veux même vaincre les dieux

Je vaincrai même les dieux

On en est fier et on le crie
Fier d’être pompier de Paris ! »

 

Est-ce que pour autant, cette pratique centenaire est remise en question ? Ce cérémonial est-il source de dissidence ? On peut attester que l’impact n’est pas le même sur chaque sapeur-pompier. Pour certaine jeunes recrues, c’est une coutume militaire, « on apprend qu’il faut le faire, alors on le fait, point ». Pour d’autre, cela touche l’affect. « Je l'ai bien connu, donc quand j’entends son nom, ça me prend aux tripes ». Cependant, l’abbé Lacour, aumônier Brigade, écrivit en 1953 : « la pierre garde les noms mais on ne sait plus pourquoi ». C’est pourquoi, depuis plusieurs années, avant l’appel, est lu un recueil circonstancié différent chaque semaine. C’est pourquoi, depuis 2015, chaque nouvelle recrue avant de signer son contrat assiste à une visite de l’espace mémoire & tradition. Il s’agit d’éduquer et de donner du sens à leur engagement. Quel est le devenir de cette symbolique ? Les traditions militaires, loin d’être des vestiges du passé, sont vivantes. Pour autant, l’intégrité de ce cérémonial n’a jamais fait l’objet d’une remise en cause de la part du commandement. L’appel des morts au feu fait partie des traditions des Sapeurs-Pompiers de Paris. Le rite est imprescriptible.

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Titre : Le cérémonial des « morts au feu »
Auteur(s) : LTN (esr) Grenèche Damien
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