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Le lien armée-nation est un non-sens

cahier de la pensée mili-Terre
L’Armée de Terre dans la société
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Le terme lien armée-nation conduit à particulariser le monde militaire par rapport au monde civil, sans inclure l’un dans l’autre. Cette approche risque de provoquer un phénomène de communautarisme et de repli sur soi d’une armée perçue alors comme une microsociété qui se placerait volontairement à part de la nation, au détriment de l’intérêt de cette dernière. L’auteur de cet article donne des éléments de réponse à ces risques possibles, même s’il le fait, comme il le dit lui-même, de manière iconoclaste.


Quelle audace, dira-t-on, d’affirmer que le terme «lien armée-nation» n’a pas de pertinence aujourd’hui! Au risque de paraître un tantinet iconoclaste, les faits sont là: il n’y a pas de lien armée-nation parce que l’armée française toute entière n’est pas face à la nation. Au contraire, elle innerve cette dernière. L’une est incluse dans l’autre. Pourtant, force est de reconnaître qu’il faut bien une formulation pour évoquer la responsabilité qu’ont les forces armées de peser dans la réflexion nationale sur le devenir de la société française. Si l’expression «lien armée-nation» semble communément admise, elle n’a de sens que si elle s’entend non pas en termes de lien mais d’influence quotidienne de chacun de ses membres pris individuellement face à la société civile.

 

Le terme «lien armée-nation» conduit à particulariser le monde militaire par rapport au monde civil sans inclure l’un dans l’autre. Cette approche risque de provoquer un phénomène de communautarisme et de repli sur soi d’une armée perçue alors comme une microsociété qui se placerait volontairement à part de la nation, au détriment de l’intérêt de cette dernière.

 

La France traverse une triple crise, sévère et durable, à la résolution de laquelle le militaire pourrait humblement mieux contribuer s’il saisissait quotidiennement les occasions, légitimes et réglementaires, de mettre en valeur un corpus de valeurs éprouvées mais encore trop peu partagées dans la communauté nationale.

 

 

Une triple crise, sévère et durable…

 

La nation française, comme d’autres pays en Europe, traverse une triple crise, alors qu’aucune solution politique ne semble laisser entrevoir un retour rapide à la cohésion nationale et à la croissance économique.

 

Une crise des valeurs, d’abord, qui fait disparaître le sens de l’intérêt général et la compréhension de l’intérêt supérieur de la nation. Cette crise n’est pourtant pas nouvelle. Elle existe depuis plusieurs décennies et traduit une perte d’adhésion, progressive mais inéluctable, des hommes et femmes de la nation aux valeurs de respect et de travail, ainsi qu’une incompréhension, voire un refus de toute notion d’autorité familiale ou institutionnelle. Les conséquences sont facilement repérables chez les plus jeunes générations. Le classement PISA[1] et le diagnostic peu optimiste posé récemment sur l’éducation nationale en France sont révélateurs de cette tendance au travers de laquelle chacun peut observer un certain nivellement par le bas des performances au travail des jeunes Français, associé à un égalitarisme un peu naïf.

 

Une crise identitaire ensuite, qui souligne la perte du sentiment d’appartenance à une communauté nationale qui protège et rassure. La société française semble aujourd’hui en effet désorientée dans son identification et sa quête de sens dans l’action quotidienne. Ce sentiment réconfortant d’appartenance à une grande communauté française ne peut se bâtir que si son élément de base, la famille, reste préservé. Or, aujourd’hui, cette dernière est sérieusement mise à mal avec le phénomène d’individualisme dans lequel les intérêts de l’individu priment sur ceux de son groupe social ou professionnel[2]. Le rôle de la famille décroît parce que l’éloignement géographique de ses membres se généralise, notamment en raison de contraintes professionnelles de mobilité plus importantes[3]. Il décroît aussi car il a été supplanté par la recherche permanente de nouveaux droits visant la satisfaction des besoins de l’individu.

 

Une crise économique, enfin, qui, après les Trente Glorieuses et les différents chocs pétroliers, a progressivement mis en évidence la fragilité du modèle économique et social du pays. Cette crise, dont les effets durables datent de l’automne 2008 et dont on ne sait pas encore avec certitude si le pays va se sortir, accentue aujourd’hui les dérives de la société de consommation: consumérisme, matérialisme, recherche du gain facile, création du besoin par la publicité et la sollicitation systématique. C’est en creux la notion d’argent-roi qui transparaît dans ce malaise économique. Ainsi, puisque tout semble se monnayer, il n’y aurait plus de place pour le goût de l’effort gratuit, celui qui donne simplement la satisfaction d’avoir agi en vue de la préservation d’intérêts supérieurs à l’individu.

 

Ce cadre morose, mais bien réel, auquel les forces armées n’échappent pas complètement, traduit la problématique de la résilience nationale. Alors qu’il est de la responsabilité de l’institution militaire, de ses hommes et de ses femmes, de protéger la nation et ses intérêts vitaux, l’armée peut apporter sa contribution au projet que représente une reconstruction progressive mais solide de la cohésion nationale qui semble faire tant défaut aujourd’hui.

 

…à la résolution de laquelle le militaire pourrait humblement mieux contribuer…

 

L’armée, en tant qu’institution, véhicule un corpus de valeurs, de savoir-faire et de savoir-être qui imprègne peu la société française. À ce titre, elle communique officiellement avec l’agora nationale afin de mettre en valeur l’expertise, le sérieux et le dévouement des hommes et femmes qui la servent.

 

D’une manière générale, le rayonnement des armées et des services de la défense constitue une mission à part entière des organismes militaires, notamment les écoles ou les unités opérationnelles. Le rayonnement passe aujourd’hui par une multitude d’activités destinées à communiquer avec les membres de la communauté nationale, du citoyen au décideur politique. Au travers des parrainages d’unités, les corps créent des liens solides avec les collectivités qui les entourent et trouvent là l’occasion de mettre en valeur les qualités intrinsèques du soldat, innées ou plus souvent acquises à force d’entraînement: discipline, rigueur, esprit de corps ou encore goût de l’effort. Plus largement, les campagnes de recrutement destinées aux jeunes Français cherchent à donner du sens à un engagement volontaire pour une profession fière de ses particularités. Grâce à l’expertise de la DICOD[4] et d’autres spécialistes de la communication et du recrutement, les leitmotive tels que «Devenir soi-même»[5] sont désormais célèbres et semblent contribuer à l’efficacité du recrutement dans l’armée, nécessaire au maintien dans ses rangs d’une moyenne d’âge basse.

 

De plus, 75% des militaires étant sous contrat, les forces armées rayonnent dans le monde civil, autrement dit dans la nation, par les secondes parties de carrière, imposées ou choisies. Le militaire a plutôt bonne presse et bonne réputation sur le marché de l’emploi. Il est globalement perçu comme ponctuel, travailleur, opiniâtre et respectueux des consignes données[6]. Il n’est pas étonnant dans ce cadre de constater que les employeurs ne sont généralement pas réticents à recruter, en CDI éventuellement, d’anciens militaires ayant servi leur pays pendant de nombreuses années. Une fois reconverti, soutenu par l’ARD[7], l’ancien militaire contribue à maintenir haute l’image et la popularité de l’armée française, directement au sein du tissu économique du pays. En continuant d’être exemplaire dans son comportement et de tout faire pour atteindre les objectifs, remplir la mission, il peut diffuser individuellement et humblement ce corpus de valeurs et une certaine manière de gérer les hommes. Le management opérationnel est-il le commandement des hommes? Au-delà de la bataille sémantique, les fondamentaux restent les mêmes: souci du subordonné ou du collaborateur, volonté de susciter l’adhésion à des objectifs déclinés par un chef ou un manager.

 

Tous ces dispositifs institutionnels permettent bien de faire connaître et reconnaître l’institution avec tout ce qu’elle a de particulier. Une question surgit alors. Sont-ils suffisants pour réellement avoir une influence durable sur la société civile? Ne seraient-ils pas encore trop discrets, dus peut-être à un complexe d’infériorité du militaire, à une humilité proche de l’effacement ou encore à une habitude confortable d’obéissance très formelle au monde civil?

 

…s’il saisissait personnellement toutes les occasions de mettre en valeur un corpus de valeurs encore trop peu partagées

 

Puisqu’il y a là un enjeu majeur de cohésion nationale, et puisqu’il qu’il est nécessaire d’éviter à tout prix toute forme de corporatisme militaire, il semble indispensable d’améliorer l’intégration du soldat dans la nation, en dépassant le cadre restrictif d’un lien qui différencie et particularise.

 

Dès lors qu’il s’agit de décliner les intérêts suprêmes de la nation, c’est l’éducation et l’instruction de nos enfants, symboles de l’avenir et de la pérennité de la nation, qui arrivent intuitivement en premier. L’éducation nationale en France va mal, c’est un fait communément admis[8]. Les raisons en sont multiples: désengagement perceptible des parents dans l’éducation de leurs enfants, manque de formation adaptée des enseignants, relations hiérarchiques et fonctionnelles complexes au sein des établissements[9]. Pour se garantir des générations d’enfants convenablement instruits, prêts à s’engager dans la vie active et à éduquer pareillement leurs propres enfants, la France doit puiser dans un vivier humain volontaire, intransigeant sur les valeurs de respect et de travail, et rompu aux particularités de l’instruction en conditions difficiles. Là, chaque militaire ou ancien militaire peut agir, s’il y est autorisé. Pourquoi, afin de renverser la spirale de l’échec scolaire, ne pas introduire progressivement dans nos écoles républicaines d’anciens cadres militaires, sélectionnés pour leurs aptitudes pédagogiques? Les postes budgétaires récemment créés, mis en parallèle des suppressions de ceux du ministère de la Défense, doivent pouvoir garantir un résultat satisfaisant et peu onéreux sur le long terme. Concernant la formation des enseignants, la mise en place de cours de pédagogie, ceux que nous appelions FEXA[10] ou FCM[11] à Coëtquidan, au sein des ESPE[12], pourrait également être une partie de la solution. Le pays y gagnerait, la jeunesse y gagnerait et ce serait là l’occasion de dynamiser la diffusion de l’esprit de défense et l’action des trinômes académiques[13].

 

Ensuite, il pourrait être opportun de mettre à profit les récentes et importantes mesures de réorganisation du ministère de la Défense. Les baisses attendues d’effectifs, notamment chez les officiers supérieurs, pourraient donner l’occasion aux armées de mettre plus en valeur l’ensemble des savoir-faire acquis sur de nombreuses années de service[14]. Non pas qu’il faille souhaiter voir partir les meilleurs d’entre nous, mais dans le domaine du management, les officiers des armes peuvent certainement insuffler un esprit particulier dans les entreprises françaises. C’est d’ailleurs ce qui commence à se faire via des groupes tels que la fondation Saint-Cyr, qui organise des stages d’acculturation aux problématiques de la défense et à ses méthodes de résolution de problèmes complexes au profit de jeunes ou moins jeunes, étudiants ou employés de l’industrie française. Un ouvrage récent titrait: «Management: l’armée, un modèle à suivre?»[15] Preuve, s’il en est besoin, de l’attirance ressentie par une société civile, désormais exempte de service national, pour l’esprit et le style militaires. Donc, puisque les effectifs fondent, autant rentabiliser ce capital expérience et de savoir-faire au profit de la santé économique et sociale du pays. Même rayé des contrôles, l’officier qui débute une deuxième carrière doit prendre conscience de sa responsabilité dans la transmission tous azimuts des valeurs qui ont orienté son action quand il était d’active. À cette condition peut-être, et pour peu que l’effort soit global et quotidien, les malaises sociétaux du pays, tels l’individualisme, pourraient voir leur progression stoppée pour laisser la place à plus de solidarité dans l’effort ou d’adhésion naturelle à un but commun.

 

Enfin, il serait vain d’évoquer la cohésion nationale, son ciment, ainsi que la résilience de la société, sans parler du rôle fondamental des décideurs et penseurs politiques, et plus largement des acteurs de la vie publique. Ce sont bien ces derniers qui donnent les impulsions nécessaires aux grandes réformes sociétales et économiques. Dans ce cadre, le militaire devrait s’impliquer plus dans la vie publique, ne serait-ce que localement, au sein de sa commune. Il ne s’agit pas là d’une question de possibilité, mais plutôt de volonté. Le statut général des militaires, ainsi que le devoir de réserve, ne sont pas incompatibles avec une implication plus grande dans les réseaux associatifs relevant de l’utilité publique. Ce faisant, le militaire, d’active ou retraité, contribuerait à la visibilité de l’institution militaire au plus proche de la population afin, peut-être, de peser progressivement sur les réflexions de société qui jalonnent les échéances électorales et le temps politique. L’officier, en particulier, doit jouer son rôle, social en l’occurrence. L’idée n’est pas neuve: le Maréchal Lyautey le disait déjà très bien en 1891[16]. Tout officier peut et doit interagir avec les personnes publiques de sa commune et de son environnement immédiat. Il doit, à tout le moins, se faire connaître de ces derniers, communiquer et échanger des points de vue. Le Maréchal de Mac-Mahon avait dit qu’il rayerait du tableau d’avancement tout officier dont il lirait le nom sur la couverture d’un livre. Les temps ont heureusement changé, et il est demandé aujourd’hui aux officiers de s’exprimer en publiant. Mais publier n’est pas influencer, encore moins agir. Pour cela, il faut s’assurer d’être lu et compris, et pas par le seul monde militaire, public souvent déjà convaincu par les opinions exprimées.

 

 

 

En définitive, le terme «lien armée-nation» a probablement conduit à systématiquement particulariser le monde militaire par rapport au monde civil, au risque de provoquer un phénomène de communautarisme au sein d’une armée perçue comme une microsociété qui se placerait volontairement à part de la nation. À défaut de changer d’expression, il serait pertinent de revoir la manière dont les militaires, d’active, réservistes ou retraités, interagissent avec leurs homologues civils, hommes et femmes publics ou simples citoyens. Puisque nous, soldats, sommes fiers de nos valeurs, de nos traditions et de nos savoir-faire, puisque nous sommes convaincus qu’ils sont une réponse possible au mal-être français ambiant, diffusons-les sans honte et sans fausse modestie. Faisons-le au quotidien, auprès de nos amis, connaissances, voisins ou élus locaux. Au-delà de la simple acceptation par l’opinion de la chose militaire, il y a là un enjeu de cohésion nationale dont le décideur politique est très certainement conscient. Plus tard, les décideurs entreprendront peut-être de redéfinir les statuts qui régissent l’exercice du métier politique. Est-ce d’ailleurs bien un métier à part entière, avec formation particulière et parcours de carrière normé garantissant une progression quels que soient les résultats des urnes? La position d’homme ou de femme public pourrait-elle constituer un statut temporaire, une sorte de service citoyen pour quiconque voudrait agir pour le bien-être de la nation française, l’observation des lois et le succès économique et diplomatique du pays? Autant de questions qui restent posées et qui devraient trouver réponse sans tarder.

 

 

[1] Programme for International Student Assessment: ensemble d’études menées par l’OCDE visant à mesurer les performances des systèmes éducatifs.

[2] Comme le souligne notamment la philosophe Fabienne Brugère dans son ouvrage «La politique de l’individu», Seuil, 2013.

[3] Ibid.

[4] Délégation à l’information et à la communication de la défense.

[5] Initié par DRHAT/recrutement, «Devenirsoimême.com» a été développé contractuellement par une agence de publicité.

[6] «Management: l’armée, un modèle à suivre?», Patrice Huiban et Hugues Marchat, collection Focus RH, 150 pages.

[7] Agence de reconversion de la défense.

[8] Le dernier rapport PISA de 2013 fait notamment apparaître un creusement des inégalités entre les meilleurs et les moins bons élèves.

[9] Rapport de la Cour des comptes de mai 2013: «Gérer les enseignants autrement».

[10] Formation à l’exercice de l’autorité.

[11] Formation au comportement militaire.

[12] Écoles supérieures du professorat et de l’éducation, nouveau nom des IUFM, instituts universitaires de formation des maîtres, depuis la rentrée 2013.

[13] Depuis 1988, les trinômes académiques regroupent des représentants de l’éducation nationale, de la défense et de l’IHEDN, et sont destinés à promouvoir l’esprit de défense dans l’enseignement scolaire.

[14] Notamment par une facilitation de l’accès aux emplois réservés dans la fonction publique.

[15] Ouvrage de Patrice Huiban et Hugues Marchat, collection Focus RH, 150 pages.

[16] «Du rôle social de l’officier dans le service militaire universel», article non signé, paru dans la revue des Deux-Mondes.

 

 

Saint-cyrien et breveté de l’École de guerre, le Chef d’escadron (TA) Tony GARNIER est actuellement en scolarité à SUPELEC et suit l’enseignement du mastère spécialisé «Management de projets et ingénierie des systèmes». Artilleur, il a servi au 12ème régiment d’artillerie et à l’état-major du corps de réaction rapide-France. Il a également été projeté au Liban, en Bosnie-Herzégovine et en Afghanistan.

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Titre : Le lien armée-nation est un non-sens
Auteur(s) : le Chef d’escadron Tony GARNIER
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