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Le mouvement des «jeunes turcs» (1907-1915)

cahier de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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Le mouvement dit des Jeunes Turcs, survenu en France quelques années seulement avant la Grande guerre, est atypique dans l’histoire de la pensée militaire dans la mesure où il est né, non pas d’un désastre mais de l’anticipation de celui-ci par de jeunes officiers hostiles au pouvoir politique et déçus par la paralysie de leur haute hiérarchie. Ce mouvement a débouché sur une hystérie collective qui sous le nom de l’«offensive à outrance» à été la cause de grands massacres mais aussi, peut-être, de la volonté de fer qui a permis de surmonter les échecs initiaux.

À l’heure où s’engagent des réformes profondes dans un contexte général de doute, il n’est peut être pas inutile de voir pourquoi et comment un tel mouvement a pu naître et s’imposer.


Les sources du malaise

Le mouvement Jeunes Turcs est né en premier lieu d’un divorce entre l’armée et l’élite intellectuelle du pays à l’orée du XXème siècle. Cette période est celle où se répand l’idée que la guerre entre les nations européennes est révolue du fait de l’interpénétration des économies, du triomphe de la raison positiviste et de la dissuasion des armements modernes[1]. Mais simultanément, et pour la première fois dans l’Histoire, les classes aisées et les intellectuels sont appelés au service militaire[2]. Elles y rencontrent une institution dont la culture est encore héritée du Second Empire, voire de l’Ancien Régime, époque où «le soldat est recruté dans la partie la plus vile de la nation» (L’Encyclopédie). De cette rencontre naît, chose inédite, une littérature de la vie en caserne, souvent peu flatteuse pour l’armée[3]. Ce mouvement critique (qui suscite en réaction des articles comme «Le rôle social de l’officier» de Lyautey en 1891), vire à l’antimilitarisme après l’affaire Dreyfus (1898).

Ce divorce prend une nouvelle tournure avec l’arrivée au pouvoir des Radicaux en 1899, bien résolus à transformer un corps d’officiers «recrutés dans les milieux traditionalistes et catholiques et vivant en vase clos, jaloux de leur autonomie et attachés au passé» (Waldeck Rousseau). L’affaire des fiches (1904) fait éclater au grand jour cette politique d’épuration et jette d’un coup la suspicion sur le corps des officiers généraux nommés sous ce pouvoir politique. Simultanément, soucieux de toucher les «dividendes de la paix», le gouvernement diminue drastiquement les dépenses d’équipement (950 millions de francs pour les achats de matériels neufs sur 12 milliards de budget de 1900 à 1912). Pire encore, en l’absence de forces spécialisées, l’armée est massivement employée dans des missions de sécurité intérieure, dans le cadre des inventaires des congrégations (1905), des grèves des mineurs du Nord (1906) et des viticulteurs (1907). L’antimilitarisme se répand dans les milieux populaires. Il y a 17.000 insoumis en 1909.

Le moral des officiers s’effondre. Les candidatures à Saint-Cyr et Saint-Maixent chutent. Les départs se multiplient notamment chez les Polytechniciens, pour qui la voie militaire sera désormais marginale.

 

Une rébellion intellectuelle

Mais cette «contestation par la fuite» se double d’une colère rentrée contre un «haut commandement vieilli dans des idées périmées, rendu méfiant par une période de politique agitée, sceptique et impuissant» (Joffre). En 1905, le capitaine Jibé écrit dans L’armée nouvelle : «la génération actuelle des capitaines, voire des officiers supérieurs, est fort étonnée de constater combien ses idées tactiques cadrent peu avec celles de la majorité de nos généraux». En 1907, au cours d’un exercice, le Lieutenant-colonel de Grandmaison déclare au général Percin: «Nous sommes un certain nombre de jeunes officiers très convaincus de la justesse de nos idées, de la supériorité de nos théories et de nos méthodes, et bien résolus à les faire prévaloir envers et contre tous[4]».

Ce «petit noyau militaire, travailleur, instruit, audacieux, ayant le culte de l’énergie et de la maîtrise du caractère» (Joffre) va finalement pouvoir s’exprimer à partir de 1911 avec le changement de gouvernement et surtout la montée rapide des périls qui changent d’un coup la perception que l’on a de l’emploi des forces. Aussi sûrement que la paix était certaine, à peine quelques années plus tôt, la guerre apparaît désormais comme inévitable. Or, l’armée française n’est plus prête à la guerre (c’est même une des raisons pour laquelle cette guerre survient, l’Allemagne voulant profiter de l’opportunité de la faiblesse française).

Constatant l’absence de projet de la part du corps des généraux, les Jeunes Turcs[5] décident de prendre les choses en main, non pas par la contestation politique, qu’ils exècrent, mais en investissant le champ intellectuel doctrinal, rigide depuis la fin du XIXème siècle. Le premier coup est donné par les deux conférences données en 1911 par le Lieutenant-colonel Loiseau de Grandmaison, du 3ème Bureau de l’État-major de l’armée, aux stagiaires du Centre des hautes études militaires, de création récente. Grandmaison est alors très représentatif des jeunes officiers brevetés qui participent à la pensée militaire non institutionnelle. Saint-cyrien, il n’a aucune sensibilité technique, ce qui lui fait manquer toutes les innovations technologiques de son temps (mitrailleuses, aéroplanes, automobiles), mais en revanche il se passionne pour les pré-sciences humaines de l’époque, notamment «la psychologie des foules». Aussi les facteurs moraux, «les seuls qui comptent à la guerre» selon lui, constituent un leitmotiv. Ces fameuses conférences battent en brèche la doctrine officielle, jugée par beaucoup comme trop rigide et incarnée alors par Foch, directeur de l’École supérieure de guerre[6]. Au contraire du règlement de service en campagne de 1895, Grandmaison prône l’audace, la décentralisation du commandement et «la prise à la gorge» de l’adversaire par un assaut immédiat et direct.

 

Une psychose collective

Les conférences de Grandmaison ayant rencontré un vif succès et ne suscitant aucune opposition, les Jeunes Turcs se sentent encouragés à s’exprimer en profitant pleinement des «réunions d’officiers», librairies militaires et multiples revues qui sont à leur disposition. Ils vont même bénéficier de l’appui du Général Joffre, nouveau général en chef, qui n’a pas confiance dans ses généraux et préfère confier la redéfinition de la doctrine à ses jeunes officiers d’état-major, ce qui aboutit aux règlements de 1913-1914 où «l’armée française, revenue à ses traditions, n’admet plus dans la conduite des opérations d’autre loi que l’offensive».

Par ondes concentriques, les idées des «Jeunes Turcs», qui coïncident avec le renouveau spiritualiste et nationaliste de l’époque, se répandent dans le reste du corps des officiers. Un chroniqueur de La Gazette de l’Armée du 28 mars 1912 constate que «Cette réaction salutaire, née des dangers de l’heure incertaine et d’un grand frisson de patriotisme, a su gagner tous les cœurs, tous les milieux, se faire sentir jusque dans les plus petits rouages de l’armée, secouer les règlements assoupis dans un pédantisme aveugle». Mais en se diffusant, les idées se simplifient et prennent un tour extrême. Pour le Lieutenant-colonel Montaigne, dans «Vaincre» (1913), «le salut est dans la révolte de la volonté contre la raison». De son côté, dans «L’offensive française» (1912), le Lieutenant (breveté) Laure rejette «le progrès de la science et des idées qui développe au sein des nations les plus civilisées le microbe des utopies et le germe de la défaillance des caractères». Cet état d’esprit débouche, surtout chez le tiers de Saint-cyriens issu de l’enseignement catholique[7], sur l’exaltation du sacrifice. Le rôle des officiers est alors, selon le Capitaine Billard[8] de faire des soldats «des gens qui veuillent bien se faire tuer». Et effectivement, 600.000 Français vont se faire tuer avant que l’emprise intellectuelle des Jeunes Turcs ne se relâche définitivement, à la fin de 1915.

 

Enseignements

La pensée institutionnelle construit les modèles d’emploi ou d’organisation des forces. Elle est capable de les améliorer mais éprouve généralement de grandes difficultés à les réfuter lorsque ceux-ci ne sont plus adaptés. Il est donc nécessaire de pouvoir s’appuyer sur des idées alternatives qui pour être neuves doivent être libres et donc sortir du champ institutionnel. La pensée fait libre fait alors office d’«opposition» par rapport à la «majorité» dominante. Toute la difficulté réside alors dans l’alternance qui peut être «douce» ou au contraire s’opérer par des coups d’État.

Or la culture française souffre à cet égard de plusieurs défauts. Dans la tradition cartésienne, les concepts sont d’abord des constructions intellectuelles à peu près complètes que l’on confronte ensuite aux faits (voire que l’on illustre par des faits)[9]. Dans la tradition aristocratique, ces constructions sont aussi largement le monopole de ceux qui ont un «titre» adéquat (titre universitaire, officiers supérieurs, si possible brevetés, et surtout généraux), d’autant plus que le chef d’identifie souvent à l’institution qu’il représente.

Critiquer une idée revient donc à critiquer un chef, ce qui ne manque pas de susciter de vives réactions et éventuellement de porter préjudice à la carrière de l’insolent. Sous le Second Empire, le Maréchal de Mac Mahon rayait de l’avancement tout officier qui avait un nom sur un livre et dans les années 1930, le Général Gamelin imposait l’imprimatur de son cabinet pour tout article. La pensée libre a donc tendance à ne s’épanouir que lorsque le dogme est détruit par l’ennemi (1870, 1940), ou lorsque il ne s’applique pas ou plus à la situation en cours et que la «technostructure» est visiblement incapable de le faire évoluer. On peut alors assister à une «offensive intellectuelle» qui, si elle n’est pas captée par les organes institutionnels, peut «monter aux extrêmes». On a vu le cas des «Jeunes Turcs», mais celui des excès des adeptes de la guerre révolutionnaire (Lacheroy, Trinquier, Argoud, etc…) qui ont réussi à imposer leurs idées de 1957 à 1960 est très similaire.

Dans une société de l’information, bénéficiant de nouveaux moyens et d’une plus grande liberté par le nouveau statut général, on ne peut exclure que le sentiment de frustration que connaît incontestablement une partie du corps des officiers ne débouche sur un phénomène semblable à la suite d’un phénomène déclencheur. Dans une telle hypothèse, il faudra soit considérer ces officiers comme des rebelles, soit accepter le débat interne. Dans tous les cas, il paraît nécessaire de l’anticiper.



 

[1] La meilleure anticipation de la guerre future est alors celle que fait le banquier polonais Jean de Bloch dans «La guerre» (1898). Cet ouvrage est en partie à l’origine de la conférence de la Haye (1899).

[2] Lois de 1889 et de 1905.

[3] «Le cavalier Miserey» d’Hermant, «Les sous-offs» de Descaves, «Le colonel Ramollot» de Leroy, etc…

[4] «1914», Général Percin, Albin Michel, Paris, 1919.

[5] Par référence aux jeunes officiers qui ont imposé des réformes au Sultan en 1909.

[6] Lorsque Foch est nommé à la tête du 20ème Corps d’armée, juste avant la guerre, beaucoup d’officiers se plaignent d’avoir à leur tête un général «aussi peu offensif» (Weygand).

[7] Pour 1% en 1847. «La Société Militaire de 1815 à nos jours», Raoul Girardet. Paris, Perrin, 1998.

[8] «Éducation de l’infanterie», 1913

[9] Par opposition à l’Empirisme de Hume pour qui la vérité est ce qui se perçoit et non ce qui est logique.

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Titre : Le mouvement des «jeunes turcs» (1907-1915)
Auteur(s) : Le mouvement des «jeunes turcs» (1907-1915)
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