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Le «rôle colonial» de l’armée: l’esprit de Lyautey

cahier de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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Quand Hubert Lyautey publie son article sur le «rôle colonial de l’armée» en janvier 1900 dans la très célèbre Revue des deux mondes, il fait preuve d’un vrai sens politique car, au fond, la date de publication correspond à un moment où, en France, on s’achemine vers la création d’une armée coloniale autonome après avoir hésité au cours d’interminables débats parlementaires qui durent depuis plus de vingt ans. Dans la mesure où la plupart des conquêtes sont alors achevées, se pose la question de savoir quel sera le périmètre d’action de cette nouvelle force à qui l’on refuse le titre «d’armée coloniale» pour lui préférer celui, moins martial, de «troupes coloniales» lors du vote de la loi de juillet 1900. Publié dans la plus grande des revues littéraires du temps, ce texte montre combien Lyautey – et derrière lui une grande partie des coloniaux – souhaite participer au débat politique, combien l’armée de la Troisième République n’est pas été aussi muette qu’on l’a dit.


Un texte intemporel

 

Si le «rôle colonial de l’armée» a traversé l’histoire pour être sans cesse cité comme une référence, c’est en grande partie parce que Lyautey (1854-1934), esprit critique et homme de synthèse, formule à la fois une condamnation à l’encontre de ceux qu’il accuse de mener la «guerre nègre» tout en livrant des propositions fortes pour utiliser dans l’avenir l’armée coloniale que l’on compte mettre sur pied. Texte récapitulatif et prospectif à la fois, il se propose surtout de présenter une méthode de pénétration des territoires en condamnant définitivement le recours aux grosses colonnes pour préférer une progression concentrique, par cercles, selon la méthode vantée par Gallieni, la méthode dite de la tache d’huile. La publication est également un outil dans les mains d’un jeune lieutenant-colonel qui, pour n’être pas un colonial stricto sensu, aspire pourtant aux plus hauts postes dans la Coloniale qu’il voit déjà comme une «milice sacrée». Texte d’allégeance donc à un patron, le Général Gallieni (1849-1916), de la part d’un «poulain» qui n’est ni marsouin, ni bigor mais qui, après avoir renoncé provisoirement à une carrière dans la cavalerie en métropole, se découvre une passion pour la question coloniale dès son arrivée au Tonkin en 1894. Avec cet article, il réinvestit une pratique éditoriale testée pour la première fois sous le sceau de l’anonymat en 1890 avec un discours fort semblable dans sa structure à défaut de lui ressembler sur le fond (le «rôle social de l’officier»). S’il s’agissait alors de proposer aux officiers métropolitains, sur la base d’un catholicisme social très affirmé, une mission d’éducation de la nation française dans le prolongement de celle confiée à l’instituteur, le but en 1900 n’est pas tellement différent sur le fond car il s’agit simplement d’une transposition à d’autres mondes relevant de l’empire colonial français de l’idée d’éducation et d’administration orchestrée par des officiers, idée qui se traduira politiquement sous le vocable de protectorat. À l’officier-éducateur de la nation qu’il avait imaginé en 1890 pour la métropole, Lyautey propose en 1900 de substituer l’officier-administrateur des territoires conquis. Au-delà, Lyautey prêche en quelque sorte pour sa paroisse car il s’agit ni plus ni moins que de justifier l’emploi des officiers aux colonies alors que ceux-ci sont divisés en différents corps rivaux (le XIXème corps en Algérie, la Légion étrangère qui est devenue une troupe coloniale en 1883 avec la création de deux régiments étrangers, la Marine) et concurrencés par les administrateurs civils venus de l’École coloniale. Du fait de la fin des conquêtes, ils craignent tous une réduction du format des armées. Il s’agit donc d’anticiper sur les réformes à venir et de proposer un nouveau mode de fonctionnement pour l’armée.

 

La disqualification de la tactique de la colonne et la recherche du «right man»

 

Comme très souvent, le discours de Lyautey est très ambigu ou très compliqué. Mais il s’appuie sur une pratique classique dans le monde militaire, qui consiste à disqualifier une tactique, fût-ce de façon subliminale, pour en proposer une autre. De fait, il oppose très clairement la tactique de la colonne à celle de l’occupation progressive. Sa pensée est pourtant nuancée en ce qu’il ne condamne pas complètement le dispositif classique et traditionnel de l’expédition militaire qui, pour lui, a fait ses preuves aux Pyramides, à Alger, à Denghil-Tepé, à Abomey ou en Tunisie, mais il le regarde comme l’ultima ratio tout en recommandant que les opérations soient courtes, efficaces et scientifiquement combinées. En revanche, il s’insurge très clairement contre ce qu’il appelle la «colonne en coup de lance», c'est-à-dire une expédition lancée contre un objectif plus ou moins militaire et qui n’a pas le souci d’une occupation pérenne, estimant de façon discrète qu’elle est vouée à l’échec. À la date où il écrit, on imagine aisément qu’il fait référence à quelques tragédies coloniales contemporaines telles que le massacre de la colonne Crampel en 1891, celui de la colonne Bonnier à Tombouctou en 1894, la destruction de la mission Braulot en août 1897 face à Samory ou celle de la mission Bretonnet à Togbao (juillet 1899). Lyautey a également en mémoire les expériences malheureuses à Madagascar où les Français firent le constat que les colonnes Combes et Oudri étaient inefficaces face aux Fahavalos et que, face à la situation insurrectionnelle, il fallait passer par la construction de postes. En réalité, son texte est une critique cinglante de la tactique des «Soudanais», ces officiers qui – pour des questions climatiques essentiellement – sont tenus de recourir à l’usage de grosses colonnes, lourdement armées, qui détruisent les ennemis sur leur passage sans avoir le temps de reconstruire quoi que ce soit car, en raison de l’hivernage (juillet à octobre), les troupes sont obligées de refluer vers leur base pendant près de six mois dans l’année. Ainsi, lorsqu’elles marchent en avant, elles avancent pour conquérir sans souci véritable de s’installer. La critique n’est pas nouvelle car les Anglais – le Général Wolseley en particulier – ont déjà fait un sort à l’usage des grosses colonnes dès leur campagne des Achantis en 1873. De la même façon, personne n’ignore dans le milieu militaire colonial que les opérations sont le plus souvent imposées par les circonstances (comme le racontera des années plus tard le Colonel Monteil). Mais la critique trouve également sa justification dans la prise de commandement d’un «Soudanais», le Général Borgnis-Desbordes, à la tête des troupes en Indochine (1899). Lyautey se cache donc derrière la dénonciation d’un éventuel «esprit de bouton» pour disqualifier discrètement Borgnis-Desbordes en estimant qu’il n’est pas le «right man in the right place», concept que l’on voit apparaître de façon récurrente dans la littérature coloniale aux alentours de 1895 et que l’on retrouve ensuite dans les discours de Paul Doumer (1897) ou dans le Rapport d’ensemble sur la pacification, l’organisation et la colonisation de Madagascar du Général Gallieni en 1898. Ainsi, les allusions de Lyautey sont-elles limpides: aux «Soudanais», il préfère très largement les «Tonkinois» incarnés par Gallieni.

 

L’éloge de Gallieni et de la méthode de tache d’huile

 

Le «rôle colonial de l’armée» est donc avant tout un texte d’allégeance à Gallieni tout comme le «rôle social de l’officier» célébrait précédemment le lien entre Albert de Mun et le jeune Lyautey. Au-delà de la célébration du coryphée, Lyautey cherche à synthétiser les éléments essentiels de la méthode observée au Tonkin puis à Madagascar. Il cherche également à rassurer le pouvoir politique. Le choix de la méthode de la tache d’huile repose sur un postulat géographique, celui de pouvoir créer des isolats – des cercles militaires que l’on regroupe dans des territoires militaires plus vastes – vierges de toute insurrection pour pouvoir avancer à partir de là et, éventuellement, isoler les pirates des régions d’où ils tirent leurs vivres et leur butin. La tactique est expérimentée au Tonkin dès 1893 par le commandant du 4ème territoire militaire, le Commandant Pennequin, qui s’ingénie à trouver de nouvelles méthodes pour circonscrire les pirates.

 

Au début de 1895, elle commence à recevoir un début de formalisation. Le pays est divisé en cinq régions – un territoire civil qui correspond au Delta, pacifié, et quatre territoires militaires qui forment des marches-frontières dans la haute région. Dans ces territoires militaires, les colonels (Chapelet, Gallieni, Thomasset et Servière) disposent de pouvoirs très étendus à la manière de ce qui avait été réalisé en Algérie au temps des bureaux arabes. Gallieni expérimente sa tactique au sein du 2ème territoire militaire et convient assez rapidement de sa valeur. Dans son ouvrage «Trois colonnes au Tonkin», il écrit que la méthode de la tache d’huile est «la plus efficace et la plus sûre de toutes les méthodes de conquêtes coloniales» (p. 36). Il fait le récit de ses opérations dans Caï-Kinh, sur le haut Song-Cau, dans le Yen-Thé, réalisées entre 1894 et 1895, à l’issue desquelles il établit des «principes de pacification et d’organisation». Or, si Gallieni n’a pas inventé cette «organisation qui marche», il en systématise le principe à Madagascar entre octobre 1896 et mai 1897. Dans son Rapport d’ensemble sur la pacification à Madagascar (1896-1899), il développe l’idée que «cette méthode de pacification consistant à faire sans cesse la tache d’huile avait fait ses preuves au Soudan et au Tonkin», faisant ainsi crédit aux «Soudanais» de savoir l’utiliser. En réalité, cette pratique s’applique davantage au Tonkin ou à Madagascar, où des raisons de structure géographique des territoires et une longue expérience pratique des militaires ont permis la mise au point de la tactique. Le tout est formalisé en 1900 dans La Pacification de Madagascar, texte rédigé par le Capitaine du génie Hellot, qui rappelle combien la nature du pays autour de Tananarive a facilité la mise en œuvre de la doctrine et de la tactique. Tous puisent en réalité dans la réflexion du Commandant Pennequin – le fameux P. cité dans le «rôle colonial de l’armée» – qui avait tenté de répondre à la critique des colonnes convergentes et proposé, avec le Gouverneur général Lanessan, une combinaison de postes et de colonnes qui allait déboucher sur l’organisation des territoires militaires. Or, dans la mesure où l’instauration des cercles militaires – dont le principe trouvait ses racines dans la politique de Bugeaud en Algérie – laissait craindre la mise en place d’un «régime du sabre», il fallait savoir rassurer le pouvoir politique sur le choix du «right man». Tout l’art de Gallieni et de ses successeurs fut moins de gloser sur le sens profond des territoires militaires que d’assurer le pouvoir civil d’un retour rapide à une administration civile dès lors que le territoire serait pacifié.

 

Par son discours, plus politique que militaire, Lyautey justifie donc les situations d’exception et le recours inévitable à des proconsuls tout en assurant que, lorsqu’ils sont bien choisis, le pouvoir politique n’a rien à craindre. En creux, il dresse tout autant le portrait de son chef que celui qui sera le sien, plus tard, au Maroc.

 

 

Agrégée et docteur en histoire, Julie d’Andurain est directrice des études au bureau recherche du CDEF. Historienne du fait colonial, elle travaille essentiellement sur les liens existant entre le monde politique et le monde colonial au temps de la conquête. Elle a publié un ouvrage sur la capture de Samory (SOTECA 2012)[1], et s’apprête à livrer une biographie d’Henri Gouraud chez Perrin.

 

[1] Voir son article dans les Cahiers n° 30

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Titre : Le «rôle colonial» de l’armée: l’esprit de Lyautey
Auteur(s) : Madame Julie d’ANDURAIN
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