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Les coupeurs de route dans le septentrion camerounais

cahier de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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Suite à une opération de maintien de l’ordre dans le nord du CAMEROUN, ce retour d’expérience souligne l’importance prise par les conflits transfrontaliers dans les pays d’Afrique centrale. L’organisation des groupes, les moyens de plus en plus modernes mis en œuvre et la détermination dont ils font preuve montrent l’ampleur de l’insécurité et appellent une réflexion sur l’action de l’État dans ces régions enclavées.


Au cours de cette année, le Consul de la République du Tchad au Cameroun est allé à plusieurs reprises récupérer les corps de sous-officiers tchadiens morts, parmi les coupeurs de route, dans des embuscades tendues par des gendarmes camerounais. Ces tragédies que l’on commençait déjà à oublier semblent retrouver un regain de prospérité.

Les coupeurs de route sont des bandits de grand chemin, organisés en bandes armées, qui attaquent les usagers de la route. Cependant, il demeure très difficile de cerner l’identité des acteurs ou les objectifs qu’ils poursuivent. C’est une pratique presque ancestrale, qui s’est développée et continue de se moderniser au fil du temps. Ils démontrent des moyens plus importants, plus sophistiqués et des modes opératoires en perpétuelle évolution: avant, ils braquaient des passants ou des véhicules isolés et n’extorquaient que de l’argent. Aujourd’hui, ils attaquent de grands convois, même escortés par des forces de l’ordre, pillent des villages en plein jour, s’attaquent aux symboles de l’autorité traditionnelle locale, prennent des militaires pour cibles, enlèvent des personnes en exigeant des rançons. En plus de l’argent, ils volent téléphones portables et des véhicules (surtout 4x4). Ils utilisent des téléphones satellitaires pour coordonner leurs opérations. C’est une forme de criminalité itinérante. Les coupeurs de route peuvent être des paysans ou des malfrats venant des villes pour opérer dans la campagne. De plus en plus, ils proviennent de factions militaires dissidentes des pays limitrophes au Cameroun qui connaissent une grave instabilité depuis quelques années. C’est donc un phénomène très complexe à appréhender et à combattre, mais qui appelle des mesures urgentes et adaptées. Son impact sur la vie du pays est très néfaste: il menace la sécurité des populations, affecte la crédibilité et le prestige international du pays et, enfin, ralentit le tourisme et les échanges commerciaux.

Face à cette nébuleuse rampante, quelle a été la réaction de l’État et quelle situation prévaut actuellement sur le terrain?

L’analyse de l’opération «Lom-Kadeii», aux enjeux sécuritaire et développementaliste par le désenclavement de la région (route sous-régionale, pipe-line Tchad/Cameroun, Société industrielle de coton), permet d’examiner les réponses de l’État camerounais, puis de faire un état des lieux afin de suggérer des éléments d’actualisation ou, tout au moins, des pistes de réflexion dans la recherche du gouvernement à juguler cette insécurité.

Depuis les années 1990, le gouvernement a engagé une lutte acharnée contre ce fléau par des mesures visant à reprendre la main dans la région, les unes permanentes et les autres circonstancielles.

Parmi les actes à caractère permanent, les effectifs des forces de sécurité ont été renforcés avec la création de brigades, escadrons et compagnies. Les populations d’éleveurs nomades  vivant dans la brousse ont été regroupées dans des villages. Des unités d’élite spécialisées ont été créées et équipées à la mesure de la menace, à l’instar du GPIGN[1] sur le modèle du GIGN français qui en assure le tutorat; et les BIR[2] sur le modèle des unités de contre-guérilla israéliennes.

De manière ponctuelle, des missions spécifiques sont réalisées sur les lieux pour renforcer l’action des unités territoriales. Tel fut le cas de l’opération «Lom-Kadeii» qui couvrait les provinces de l’est et de l’Adamaoua, de même qu’elle contrôlait les deux frontières avec le Tchad et la République centrafricaine.

C’est à la suite de trois sombres événements qui ont gravement endeuillé le Cameroun que l’opération «Lom-Kadeii» a été mise en place. En l’espace d’un mois, les coupeurs de route avaient pillé un village, tué des gendarmes dans une embuscade et attaqué un camp de la société «Dragage» chargée de la construction de la route sous-régionale entre le Cameroun et le Tchad, provoquant ainsi l’arrêt des travaux et des pénalités à l’encontre du Cameroun. Les escadrons de gendarmerie et les détachements de l’armée de terre étaient complètement dépassés. Le GPIGN a donc été créé pour reprendre le contrôle de la zone et aider à restaurer l’autorité de l’État. Ma mission consistait donc à assurer la sécurité sur le tracé de la route sous-régionale en construction, en vue de permettre à Dragage de poursuivre son travail, et de contrôler toute la zone Lom-Kadeii.

La région Lom-Kadeii, aussi grande que la Bretagne, est située au nord du Cameroun entre le Nigeria, le Tchad et la République Centrafricaine. La population y est donc très cosmopolite, fortement sous-scolarisée et nomade, avec une chefferie traditionnelle encore très prégnante. Deux grandes réserves forestières et naturelles existent dans la région et peuvent être inhabitées sur des distances de plus de 50 kilomètres. Tous ces éléments ont transformé Lom-Kadeii en territoire de non-droit où les coupeurs de route peuvent régner en maîtres absolus. En-dehors de ces difficultés liées à l’étendue de la zone d’action, il en existait d’autres tout aussi importantes, notamment:

  • la gestion de trois frontières internationales et leurs flux migratoires dus au caractère très commerçant de la région qui abrite trois grands marchés frontaliers;
  • la présence des travailleurs internationaux au fort pouvoir d’achat, ce qui suscite des convoitises de la part des coupeurs de route et autres bandits venant d’ailleurs; c’est la zone de tous les trafics (sexuel, drogue, pierres précieuses, animaux protégés).

Par peur de l’opinion internationale très sensible aux opérations militaires, le haut commandement a établi des règles d’engagement très strictes. En tant que chef de la mission «Lom-Kadeii», la responsabilité des actions sur la zone m’incombait. Certaines étaient tellement contradictoires qu’il suffisait d’abandonner le terrain aux malfrats. Enfin, les coupeurs de route ont ajouté une difficulté supplémentaire dès notre arrivée, en variant leurs modes d’action. Dès lors, ils ont davantage procédé par des prises d’otages d’éleveurs nomades, qu’ils emmenaient dans la brousse ou dans les montagnes. Cela n’avait pas été prévu lors de la préparation de la mission à partir de Yaoundé.

En dépit de ces écueils, la mission restait sacrée, surtout qu’elle était suivie depuis Yaoundé et intéressait nos partenaires internationaux (USA, France, Union européenne), qui réalisaient de grands projets dans la zone et qui exigeaient des garanties de sécurité afin de poursuivre les travaux entamés. Ma méthode a consisté à combiner souplesse et force, organisation de la zone d’action et intervention. D’abord, il fallait instaurer un dialogue et solliciter la coopération entre les autorités locales (administratives, juridiques, militaires et traditionnelles) et les chefs militaires de l’autre côté des frontières afin de créer un réseau de renseignement, de veille et d’alerte. Dans le même temps, j’ai lancé des patrouilles dissuasives sur les grands axes d’intérêt économique en vue de marquer notre présence et d’impressionner avec nos équipements. Je disposais constamment d’un groupe d’alerte à Touboro, au centre de la zone d’action. Les jours de marché, pour les commerçants, ou les jours de paie pour les ouvriers des grandes sociétés étant des moments à haut risque, j’ai obtenu des autorités administratives d’établir un calendrier de ces événements afin d’assurer efficacement leur protection. J’ai instauré des escortes que je commandais personnellement. Enfin, la direction de chacune des trois sociétés bénéficiait du détachement d’un trinôme pour leur sécurité rapprochée, tandis que le groupe d’alerte pouvait, à la demande, fournir un agent de sécurité pour certains déplacements du sous-préfet. Le commandant du GPIGN a pu nous obtenir un appui aérien pour renforcer nos escortes. Ce travail nous a permis d’obtenir quelques résultats encourageants comme la reprise des travaux sur les différents chantiers, la périodicité des marchés et la confiance des populations et des autorités locales. Deux groupes rebelles (dissidents de l’Armée centrafricaine ou tchadienne) ont été neutralisés. Des recours aux unités locales de la Gendarmerie ont permis d’interpeller plusieurs trafiquants (drogue, ivoire, cornes de rhinocéros…) et d’autres détenteurs illégaux d’armes de guerre. Par le biais du commandant du GPIGN et sur la base de nos rapports, la circonscription a pu bénéficier de la création d’une compagnie de gendarmerie, 3 brigades territoriales, 1 escadron régional polyvalent d’Intervention de la Gendarmerie (ERPIGN), 1 bataillon d’Intervention rapide de l’armée de terre (BIR), 3 aéronefs pour l’observation aérienne.

Après trois mois de mission, j’ai été relevé par deux autres escadrons qui se sont succédés jusqu'à la fin des chantiers. Malheureusement l’accalmie apportée n’a pas beaucoup duré et le phénomène a ressurgi ça et là avec des actions de plus en plus spectaculaires et audacieuses, proches du terrorisme et qui appellent une actualisation de nos méthodes de combat.

On observe une grande évolution dans les attaques des coupeurs de routes. Ce sont des tactiques militaires qui sont mises en œuvre avec des moyens technologiques modernes. Ils s’attaquent de plus en plus aux convois militaires, aux autorités administratives et aux grands convois de ravitaillement vers le Tchad ou la RCA. Même si la fréquence des attaques n’est pas régulière, elles ont un impact et une symbolique très forts dans l’opinion. C’est un grand défi pour le gouvernement, qui souffre de cette insécurité. Il ne cesse de déployer d’énormes moyens en personnes et en matériels pour y faire face: 2 BIR et l’ERPIGN de Garoua ont été créés et fortement équipés avec des hélicoptères, des avions légers d’observation et des moyens de transmissions et de renseignement. Des rencontres au sommet entre des responsables des pays limitrophes sont régulièrement tenues et la coopération entre les différentes forces de sécurité et judiciaires respectives commence à prendre corps. Le combat contre les coupeurs de route est très coûteux et comporte un autre handicap pour le gouvernement: l’hypersensibilité de la communauté internationale, toujours prompte à crier à la violation des droits de l’homme, bien qu’elle n’appréhende pas nécessairement le phénomène des coupeurs de route. Les occidentaux ne peuvent pas percevoir exactement ses manifestations. Ils critiquent souvent l’emploi des BIR (force de 3ème catégorie) et souhaitent que ce soit la gendarmerie ou la police qui interviennent.

En définitive, on peut retenir deux enseignements principaux de cette mission «Lom-Kadeii». D’une part, sur le plan de l’exécution de la mission.

D’une part, les différents aléas rencontrés confirment qu’une mission n’est jamais figée: il convient de s’adapter en permanence, en fonction de ses moyens, de l’environnement et des méthodes de l’ennemi. La préparation, aussi affinée soit-elle, ne peut pas tout prévoir; elle apporte simplement une rationalité et une cohérence à l’action que l’on doit mener. Cela nécessite une grande ouverture d’esprit, car les enjeux peuvent être énormes et la sensibilité de l’opinion internationale très grande.

D’autre part, les mutations des méthodes des coupeurs de route font craindre l’émergence d’une forme de terrorisme aux relents de revendications ethniques, politiques et religieuses qui pourraient déstabiliser l’Afrique centrale dans son ensemble. Cette situation doit être prise très au sérieux aussi bien par les pays directement concernés que par la communauté internationale. Cela exige une vigilance accrue de tous les instants pour la paix et la stabilité de la sous région.

 

 

[1] Groupement Polyvalent d’Intervention de la Gendarmerie Nationale)

[2] Bataillon d’Intervention Rapide

 

 

Actuellement stagiaire au COSCAM-Cours supérieur du commissariat et d’administration militaire à l’EMSST, le capitaine METOO SALLA est breveté de l’EMIA (1998-2000) et titulaire d’un mastère d’administration et gestion des entreprises de l’Université de St-Quentin-en-Yvelines. Capitaine de Gendarmerie, il est chef du service de sécurité du ministre de la Défense camerounais.

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Titre : Les coupeurs de route dans le septentrion camerounais
Auteur(s) : le capitaine METOO SALLA
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