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Les enseignements psychologiques de la guerre entre Israël et le Hezbollah

cahier de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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«Une armée qui combat des faibles devient faible»

Martin Van Creveld

 

Le rapport de la commission Winograd[1] sur la guerre entre Israël et le Hezbollah durant l’été 2006 est particulièrement éclairant sur les vulnérabilités psychologiques qui peuvent affecter une armée qui a perdu l’habitude de combattre un adversaire à sa mesure, au sein d’une nation qui elle-même se croit protégée de toute menace majeure.

 

[1] Paru dans une version intermédiaire en avril 2007et dans sa version définitive le 30 janvier 2008.


La sécurité plutôt que la victoire

L’échec israélien de 2006 est d’abord le résultat de l’illusion d’avoir trouvé la «grande doctrine unifiée» applicable à toutes les formes de guerre et toutes les menaces. Cette illusion elle-même est issue de la conjonction des stratégies adoptées pour faire face à la menace intérieure (mouvements palestiniens) et à la menace lointaine (Iran nucléaire), reposant toutes deux sur le triptyque renseignement-bouclier (barrière de sécurité ou défense anti-missiles)-frappes précises à distance.

Cette vision défensive présentait en outre l’avantage de coller aux idées dominantes dans l’élite israélienne des années 2000, très culpabilisantes vis-à-vis de l’usage de la violence et même de la prise de risque. Le «politiquement correct» s’est ainsi imposé. Comme l’a souligné un général israélien devant la commission Winograd : «Quand vous êtes forts et qu’il existe d’autres moyens pour remplir la mission, cela n’a pas de sens de risquer la vie des soldats»[1], ce qui, face aux mouvements palestiniens, se traduit par une guerre très aseptisée faite de multiples opérations à tout petits résultats mais sans risques («mieux vaut un 1-0 qu’un 3-1» selon un slogan de l’époque) et où l’ennemi est détruit à distance, comme dans un jeu vidéo.

À partir de 2004, le système devient si rodé que certains commentateurs comme le Général (rtd) Naveh le jugent confortable :

«Il y avait certes quelques pertes de temps en temps mais les généraux avaient en permanence le contrôle des opérations. Ils pouvaient prétendre faire la guerre tout en ne courant pas beaucoup de risques et surtout pas celui d’être vaincus[2]».

Cette vision de la guerre, habillée de la sémantique du concept américain des «opérations fondées sur les effets (EBO)», s’est ainsi imposée comme un paradigme et a remplacé la stratégie offensive classique de guerre portée au plus tôt sur le territoire ennemi. Il est vrai que la menace proche, c’est-à-dire celle des pays arabes voisins, n’était plus considérée comme probable depuis longtemps.

 

La redécouverte douloureuse du combat

Aussi lorsque les opérations commencent contre le Hezbollah après le raid du 12 juillet 2006, les Israéliens n’ont pas l’impression de s’engager dans une guerre mais dans des actions de représailles aériennes, guère différentes, sinon par l’échelle, de ce qui se passe alors dans la bande de Gaza. Le mot «guerre» n’est employé ni par le gouvernement, ni même par l’état-major interarmées[3].

La destruction très rapide des lanceurs à longue portée du Hezbollah conforte même les décideurs israéliens dans l’idée que la stratégie choisie est la bonne. Très rapidement cependant il s’avère que, malgré les frappes et les brouillages électroniques, le Hezbollah est loin d’être paralysé, comme en témoignent les 100 à 200 roquettes qui s’abattent chaque jour contre le nord d’Israël. Les choses ne se passent donc pas comme prévu et les militaires israéliens se trouvent dans la situation paradoxale où ils courent moins de risques que les civils qu’ils sont censés protéger. Cette situation imprévue génère un «stress organisationnel», et comme tout stress, celui-ci peut provoquer fuite, stimulation ou inhibition.

Étant donné la disproportion des forces, le premier choix est celui de l’agressivité et de la montée aux extrêmes. Comme la force de frappe israélienne n’est pas menacée par un système de défense anti-aérien ou de contrebatterie, elle n’est pas soumise à une logique dialectique et peut donc continuer à appliquer la sienne propre selon une logique linéaire. On poursuit donc dans cette voie en augmentant simplement les «doses» et en s’efforçant de faire toujours plus vite et plus précis. Cette débauche de feu, qui va finir par coûter à elle seule 1% du PIB et représenter deux fois plus de projectiles lancés que pendant la guerre du Kippour, ne parvient pourtant quotidiennement qu’à tuer une dizaine de miliciens ennemis et à détruire une centaine de roquettes (sur un total de 12.000). L’état-major et le gouvernement persistent pourtant jusqu’à finir par retourner les opinions publiques, outrées par les pertes civiles (1.180 civils libanais tués) et les milliards de dollars de destruction infligés au Liban. Les instances internationales font alors pression pour imposer un cessez-le-feu. Les Israéliens se sont ainsi obstinés à réduire leur propre marge de manœuvre.

Outre la disproportion des forces, cette persistance est le fruit de plusieurs pièges logiques. Le premier est que celui qui est chargé, pour la première fois à grande échelle, de la mise en œuvre de la nouvelle doctrine est aussi largement son créateur : le Général Halutz, premier CEMA issu de l’armée de l’air. Changer de stratégie aurait imposé une remise en cause personnelle, cas peu fréquent dans l’Histoire. Le second est le manque de communications entre le CEMA et le gouvernement Olmert, le moins expérimenté militairement de toute l’histoire d’Israël, chacun prenant le silence de l’autre comme une approbation, ce qui rend évidemment difficile les éventuelles inflexions stratégiques. De toute manière, comme va le montrer la piètre performance de l’armée de terre, il n’y avait, une fois la campagne lancée, guère d’autre option envisageable.

Pendant les premiers jours de la campagne, les forces terrestres, à qui personne n’a dit qu’elles étaient en guerre, ont commencé par être employées comme dans les territoires palestiniens, en surveillance ou dans de minuscules opérations de prise de points d’observation le long de la frontière. Chaque décès fait l’objet d’un compte-rendu immédiat au CEMA (ce qui est sans doute un cas unique dans l’histoire des guerres) et une attaque est même interrompue dès la première perte.

Ce n’est que treize jours après le début des combats que le commandement israélien se décide à envoyer ses brigades à l’intérieur du Sud Liban pour éloigner la menace des roquettes de quelques kilomètres. Cet engagement agit comme un révélateur. Les soldats engagés se retrouvent face à un adversaire bien équipé, parfois mieux qu’eux, bien entraîné et, loin du modèle «post-héroïque»[4], prêt à se sacrifier. C’est un choc :

«Une colonne de chars a été frappée par deux missiles Cornets, deux chars ont explosé et tout le monde a perdu la tête  ! Une salve de 81 mm a frappé un groupe de fantassins et tout le monde est devenu fou  ! […] La plupart des troupes israéliennes avait perdu le contact avec la réalité. Elles étaient corrompues [par l’Intifada]»[5].

Cette fois le stress ne stimule pas l’agressivité et l’obstination, comme pour la force de frappe, mais surtout la paralysie. Dans des scènes qui évoquent août 1914 ou «L’étrange défaite» de Marc Bloch, plusieurs généraux sont clairement incapables de prendre des décisions et sont rapidement «limogés» (dont le commandant de la prestigieuse 7ème brigade blindée).

 
L’impossible adaptation

Contrairement à la force de frappe, la force de choc terrestre est confrontée à une réelle opposition. Elle est donc soumise à une logique dialectique qui, à partir du moment où les méthodes habituelles sont contrées, ne laisse d’autre choix que l’adaptation ou la défaite. C’est ainsi qu’en octobre 1973, après un choc initial où les Israéliens ont vu leur instrument de guerre-éclair se briser sur le barrage antiaérien et antichars égyptien, on a assisté à une phase de réorganisation qui a permis la percée du front égyptien et la traversée du canal de Suez.

Ces ajustements internes rapides ont été possibles grâce au surplus de ressources intellectuelles dont disposait Tsahal. Face aux nombreux problèmes très concrets qui se sont posés en 1973, il s’est trouvé une multitude d’idées puisées soit dans l’expérience civile des réservistes mobilisés, soit dans la mémoire de militaires ayant vécu ou expérimenté autre chose que les méthodes en cours. Au Sud Liban en 2006, il n’y a rien eu de tel et les Israéliens ont été incapables de passer en «mode adaptatif». Au contraire, les nombreux comportements hérités de l’Intifada et inadaptés au nouveau contexte (déplacement de nuit à découvert, regroupement à l’intérieur des bâtiments, éparpillement des chars) ont perduré malgré l’évidence jusqu’à la fin de la guerre.

Cette rigidité est le résultat d’années d’opérations de sécurité intérieure qui ont fait perdre l’habitude de l’initiative au niveau des petits échelons. Mais surtout, le fond de compétences en matière de combat de haute-intensité a disparu par manque de temps, d’intérêt et de moyens d’entraînement accordés à cette forme de guerre. Certaines unités de réserve ont ainsi été engagées contre le Hezbollah sans s’être entraînées au combat depuis six ans. Les Israéliens sont aussi très pénalisés par une logistique «rationalisée» et organisée autour de bases ravitaillant toutes les unités dans leur zone de responsabilité. Cette structure, suffisante pour alimenter les petites actions pendant l’Intifada, a sombré dans la confusion la plus totale lorsqu’on est passé au soutien simultané de plusieurs brigades engagées au combat et imbriquées avec l’ennemi. Une grande partie de l’énergie des officiers a été ainsi accaparée par de purs problèmes de ravitaillement. Peu d’idées nouvelles ont donc surgi du front et moins encore ont pu circuler au sein d’un réseau de commandement très moderne mais organisé pour gérer les petites actions de l’Intifada et qui, à la manière d’un ordinateur surchargé, est devenu très lent au moindre changement d’intensité.

Ce n’est finalement que trois jours avant le cessez-le-feu, dans la nuit du 10 au 11 août, que l’on se décide à lancer une grande offensive terrestre en direction du fleuve Litani. Mais comme les unités terrestres n’ont guère évolué depuis le début des combats, cette grande offensive est une nouvelle source d’humiliations. Malgré la percée du front et des pertes sensibles (un tiers du total de la guerre), aucun résultat décisif n’est obtenu.

 
Le retour à la réalité guerrière

Cette guerre est la première guerre conventionnelle sinon perdue du moins ratée par une armée occidentale depuis la guerre d’Indochine. Cet échec est dû à l’oubli des fondamentaux de la stratégie mais aussi pour une très large part à des problèmes psychologiques : obsession de la protection, oubli de la violence, confusion sémantique, orgueil, aveuglement, paralysie cognitive pour certains, hyperactivité pour d’autres. Les Israéliens ont désappris le combat au profit de la sécurité et n’ont plus voulu payer le prix du sang, ce qui les a forcément placé dans une position d’infériorité face à des guerriers qui, eux, acceptaient le sacrifice.

Ces problèmes ont une origine à l’intérieur même de l’institution militaire (fausses croyances, surestimation de l’efficacité de certains matériels) mais aussi dans la société. D’ailleurs, les premières réactions qui ont suivi la guerre en Israël ont surtout été violentes envers l’élite intellectuelle et politique du pays, comme cette déclaration du journal Haaretz :

«L’accusation de folie sera proférée contre toute la catégorie des faiseurs d’opinion israéliens et des responsables sociaux qui vivaient dans une bulle et qui ont amené Israël à vivre également dans une bulle. L’armée devra mettre sa maison en ordre et la reconstruire, mais la véritable colère sera dirigée contre les élites qui ont échoué»[6].

Depuis, un certain nombre d’illusions ont disparu en Israël où on assiste à un retour à la «remilitarisation de l’armée» et aux vieilles valeurs d’imagination et d’audace offensive. Les forces sont rééquilibrées et la structure d’entraînement reconstituée.

Mais cet exemple israélien interpelle évidemment toutes les armées occidentales et, s’il faut se garder bien sûr de toute transposition hâtive, force est de constater que les problèmes décrits plus haut évoquent certaines difficultés rencontrées par des contingents européens sous Casques bleus en Bosnie et surtout ceux des membres de la Coalition en Irak paralysés par le changement d’intensité soudain de la révolte mahdiste de 2004.

Il n’est donc peut-être pas inutile, avant d’être surpris à notre tour, de nous livrer à une vraie introspection et à se poser quelques questions :

  • en multipliant depuis vingt ans les missions «sans ennemis» n’avons-nous pas enfoncé notre nouvelle armée professionnelle dans un «sentier» dont il sera difficile de sortir ?
  • en étant accaparés par les réorganisations successives, nous sommes-nous préparés intellectuellement à des changements brutaux de forme de guerre ?
  • en recherchant en permanence des économies à cout terme, avons-nous conservé le surplus de ressources nécessaires en cas de besoin d’adaptation rapide ?
  • sommes-nous psychologiquement prêts à un retour de la violence à grande échelle ?
  • que reste-t-il de notre capital de compétences en matière de combat de haute intensité ?

L’évolution de la mission en Afghanistan avec l’engagement d’un bataillon supplémentaire dans une mission difficile peut constituer un premier test.

 

 

[1] Major-général (rtd) Yoram Yair, cité par Avi Kober, «The IDF in the second lebanon war: why the poor performance», in The journal of strategic studies, février 2008.

[2] Général (rtd) Shimon Naveh, interview par le Combat studies insitute, Fort Leavenworth.

[3] Il faudra d’ailleurs attendre mars 2007 pour que ces évènements soient baptisés officiellement «Seconde guerre du Liban».

[4] L’expression est d’Edward Luttwak.

[5] Shimon Naveh, op. cit.

[6] Ari Shavit, « A spirit of absolute folly », in Haaretz, 16 août 2006.

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Titre : Les enseignements psychologiques de la guerre entre Israël et le Hezbollah
Auteur(s) : le Lieutenant-colonel Michel GOYA
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