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Les SIC et les principes de la guerre

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Sciences & technologies
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«La numérisation place le chef interarmes au sein d’une synergie aéroterrestre sans laquelle la conduite d’opérations – fussent-elles à dominante terrestre – est désormais difficile à concevoir».[1] Il est clair qu’aujourd’hui les systèmes d’information et de communication (SIC) sont indispensables à tous les engagements modernes. Toutefois, les SIC ne sont pas pour autant exempts de dérives dans leur emploi au plan tactique. Sources d’illusion et en proie à des vulnérabilités certaines, ils n’assurent pas nécessairement les conditions de la victoire.

 

[1] Principes d’emploi de la force opérationnelle terrestre numérisée de niveau 3, CDEF, 2004


L’homme, qui est au centre de la complexité de l’espace informationnel du champ de bataille, a une nouvelle source de frictions à appréhender. Même si la recherche de la supériorité dans le domaine de l’information est souvent considérée comme une condition nécessaire au succès militaire, l’information doit rester un moyen et non pas une fin. Surtout, les technologies de l’information doivent rester au service de l’homme et non l’inverse.

 

Autant il peut être intéressant de démontrer les apports des SIC à travers le prisme des principes de la guerre de Foch, autant les dérives d’une utilisation biaisée des SIC peuvent être étudiées en fonction «d’anti-principes» de la guerre. Il convient d’être conscient de ces risques pour mieux s’en prémunir.

 

Apports des SIC et principes de la guerre

 

·         Liberté d’action

Pour Xénophon, «l’art de la guerre est l’art de conserver sa liberté d’action». Les SIC contribuent directement à ce principe. En effet, un des intérêts majeurs apportés par les SIC, en particulier par la numérisation, est de réduire le «brouillard de la guerre». Idéalement, le chef est dégagé de la conduite de l’action en cours et possède plus de recul pour la préparation des temps suivants de la manœuvre. La numérisation confère au chef interarmes la capacité à mieux contrôler l’action: il dispose de temps pour vérifier la cohérence de sa manœuvre mais aussi la bonne compréhension des ordres donnés et leur exécution. Lors de l’expérimentation de la numérisation de l’espace de bataille (NEB) en Côte d’Ivoire, le Colonel Gillet, commandant le GTIA1, insistant sur le fait que la numérisation facilitait la réversibilité de son dispositif, a d’ailleurs déclaré: «la NEB est la garantie de ma liberté d’action»[1].

 

De surcroît, une des grandes difficultés des chefs militaires a toujours été de connaître avec exactitude non seulement le positionnement de l’adversaire, mais aussi celui de ses propres forces. Or, la géolocalisation des forces amies, par le Blue Force Tracking (BFT) par exemple, et ennemies, permet de pallier cette difficulté. Le chef peut plus facilement prévoir les événements et actions adverses: il garde ainsi toute sa capacité à prendre l’ascendant et à imposer sa volonté à l’adversaire. De plus, les nombreux renseignements fournis au chef sont précis (images, vidéos) et facilitent par conséquent sa prise de décision. L’information, disponible pour le plus grand nombre, est partagée et diffusable aisément.

 

Enfin, un dernier apport des SIC contribue au principe de liberté d’action: l’accélération du rythme de la guerre. Les incertitudes topographiques sont diminuées et, par conséquent, les déplacements sont plus sûrs et plus rapides. En outre, dans un environnement numérisé, la boucle décisionnelle est raccourcie et les délais de conception et de diffusion des ordres sont réduits. Ainsi, les gains de temps substantiels couplés à la capacité à anticiper les actions adverses accentuent les possibilités de surprendre l’ennemi et donc de conserver au maximum l’initiative.

 

Ces apports des SIC concourent indéniablement à accroître la liberté d’action du chef: les diverses contraintes imposées par le milieu et l’ennemi sont atténuées par l’information disponible en temps réel au profit du chef.

 

·         Concentration des efforts

«Il vaut mieux être avec dix hommes là où il faut, qu’ailleurs avec dix mille». Cette phrase de Tamerlan, chef de guerre turco-mongol du XIVème siècle, insiste sur la convergence optimisée d’actions dans l’espace et dans le temps, convergence fondamentale au principe de concentration des efforts.

 

Aussi, un des apports des SIC, relatif au principe de concentration des efforts, est lié à la capacité de pouvoir coordonner l’action des troupes plus efficacement. Les actions interarmes sont combinées et les effets optimisés. Ainsi, un drone peut déceler une présence ennemie et permettre d’alerter une unité d’infanterie sur le terrain avant qu’un tir d’artillerie ne traite la menace détectée. Cet exemple, simple en apparence, n’est possible que grâce à une interconnexion des systèmes d’information des différentes armes, et conduit à accroître l’efficacité des actions sur l’objectif choisi. De plus, dans la limite des portées des armes, la concentration des efforts peut être, de facto, obtenue sans nécessairement concentrer les moyens[2].

 

Par ailleurs, désormais, «la puissance militaire ne résulte plus du nombre de chars, d’avions ou de bateaux que l’on possède, mais de la capacité de produire un effet donné en combinant l’ensemble des moyens dont on dispose»[3]. Lors de la guerre du Golfe en 1991, 700.000 hommes au total ont été déployés alors que 200.000 ont été nécessaires en 2003. Certes, l’armée irakienne était affaiblie, mais en 2003, l’objectif des Américains était d’occuper tout l’espace territorial (440.000 km2) et d’aller jusqu’à Bagdad; alors qu’en 1991, le but n’était que de reconquérir le Koweït et ses 18.000 km2. Dès lors, en 2003, les capacités de manœuvre sont nettement élargies: en Irak, les brigades «Stryker» entièrement numérisées ont des zones d’engagement trois à cinq fois plus grandes que les unités classiques. Un constat identique a été réalisé par les unités françaises déployées en Côte d’Ivoire lors des expérimentations de la NEB. Preuve en est que l’emploi des forces est désormais rationalisé et concentré sur les espaces les plus essentiels.

 

Finalement, et dans la suite logique de l’amélioration des actions interarmes, les évolutions récentes ont conduit les SIC à permettre un phénomène croissant d’interarmisation. La mise en réseau des systèmes de commandement a contribué à décloisonner progressivement les barrières entre les différentes armées. L’amiral Cebrowski, père du concept américain de la Network Centric Warfare[4], considérait que la mise en réseau de tous les moyens militaires permettrait la supériorité dans le domaine de l’information, l’information étant, selon lui, la condition nécessaire au succès militaire. Il prônait que les différentes armées arrêtent de combattre côte à côte pour combattre ensemble. Les progrès réalisés ont été immenses ces dernières décennies. Il suffit de rappeler, par exemple, que lors de la première guerre du Golfe, le système de communication de la Marine n’était pas compatible avec celui de l’armée de l’Air.

 

·         Économie des moyens

Le principe d’économie des moyens suppose la volonté d’obtenir le meilleur rapport entre les capacités dont dispose une force et les effets qui sont recherchés pour atteindre un but assigné.

 

Sur le plan humain, la géolocalisation rend possible cette économie des moyens à plusieurs niveaux. Tout d’abord, en ce qui concerne la limitation des pertes amies, lors de la première guerre du Golfe par exemple, 24% des pertes américaines furent le fait de tirs fratricides. Durant l’opération Iraqi Freedom en 2003, aucun tir fratricide n’eut lieu entre véhicules équipés du système BFT[5]. Savoir en permanence où sont les unités amies permet de faire sensiblement chuter le risque de tirs fratricides.

 

Ensuite, les SIC permettent de limiter les dommages collatéraux. Le 13 février 1991, les Américains bombardent un bunker à Amiriya, en Irak. Mais ce dernier avait été transformé en abri antiaérien: 94 civils y sont tués. Ce type de «bavure» serait peut-être évité de nos jours. En effet, en 1991, il fallait 24 heures entre le moment où une cible était détectée et le moment où elle était détruite. Aujourd’hui, le temps entre la détection d’une cible et sa destruction se compte en minutes.

 

Enfin, l’emploi des moyens est optimisé et l’usage de la force est proportionné aux effets à obtenir. L’utilisation de munitions plus précises (Precision Guided Munition) s’est fortement développée ces vingt dernières années: 8% de ce type de munition ont été utilisés pendant l’opération Desert Storm, 60% pendant l’opération Enduring Freedom et 70% pendant l’opération Iraqi Freedom. En 2003, dix fois moins de munitions ont été tirées pour un nombre de cibles traitées identique à celui de la première guerre du Golfe.

 

Les principes de la guerre, qui ont servi de grille de lecture pour expliquer les apports des SIC dans les conflits contemporains, sont évidemment complémentaires. Ainsi, l’économie des moyens facilite la concentration des efforts, la liberté d’action autorise l’économie des moyens et la convergence des effets. Toutefois, les SIC ne sont pas exempts de limites, de risques et de vulnérabilités. Ces dérives seront analysées à partir «d’anti-principes» de la guerre.

 

Dérives des SIC et les anti-principes de la guerre

 

·         Paralysie d’action

«L’emploi exagéré des moyens technologiques, notamment au combat, présente le grave danger de mettre à mal l’autonomie des chefs subordonnés […]»[6]. En effet, il est impératif de préserver le principe de subsidiarité, c’est-à-dire le degré d’initiative de chaque échelon dans la manœuvre. Or les SIC offrent la possibilité de s’immiscer dans et d’interagir avec les actions des échelons subordonnés: le risque d’entrisme est réel. Ainsi, en 1993, lors de l’opération Restore Hope en Somalie, le Général Garrison commandait à distance au moyen d’hélicoptères munis de caméras. Ce dernier a subi un phénomène de perte de réalité vis-à-vis des actions menées sur le terrain, ce qui a conduit finalement à une forme d’inertie propice à la prise d’ascendant des Somaliens. Ceci explique le travers de la «visualisation de la situation», en opposition à la «conscience de situation»[7]: le chef peut avoir l’impression d’avoir une meilleure vision de la situation que ses subordonnés. Le juste équilibre entre besoin d’en connaître du chef et principe de subsidiarité demeure un enjeu crucial. En France, notre doctrine a clairement tranché: «le chef évite à tout prix de s’immiscer dans la conduite de l’échelon subordonné»[8].

 

Une autre dérive découlant du risque d’entrisme est la tendance de tirer vers le haut la prise de décision. Ce phénomène est dû à la pression cognitive liée au fait de se sentir observé. Le subordonné a tendance à prendre moins d’initiatives, et cède à la tentation d’effectuer un transfert de décision vers son supérieur: il attend que son supérieur prenne la décision en observant simplement son écran. La tendance au report de décision peut conduire à un certain effacement du chef, voire à une forme de paralysie dans l’action.

 

Surtout, le chef efficace doit résister à la tentation de «tout savoir», car les apports des SIC peuvent donner cette illusion: c’est le syndrome de la non-décision par la recherche de la solution parfaite. Or, une solution sûre à 99% prend deux fois plus de temps qu’une «solution à 80%»[9]. D’où le risque de l’absence de prise de décision ou d’une décision trop tardive en raison de la recherche illusoire de la solution parfaite. Ainsi, les bénéfices des SIC peuvent conduire à un allongement de la boucle décisionnelle plutôt qu’à son raccourcissement, à une forme de paralysie décisionnelle plutôt qu’à des décisions plus rapides.

 

Dans les cas abordés ci-dessus, le résultat est le même: les SIC provoquent un risque de paralysie de l’action aux antipodes du principe de liberté d’action.

 

·         Hyperconcentration de moyens

De nos jours, ce n’est plus la pénurie d’informations qu’il faut craindre mais bien la surabondance. L’information est potentiellement disponible à tous les niveaux. Cette inflation d’informations n’est pas un phénomène récent. Lors de la guerre du Vietnam, la quantité d’informations nécessaires pour coordonner les forces américaines s’est avérée être vingt fois supérieure à ce qui était nécessaire en 1945[10]. Plus récemment, l’importance des informations qui circulent au sein des postes de commandement a conduit à la création des cellules de «management de l’information». Il est clair que l’information doit permettre de prendre plus rapidement de meilleures décisions. De ce fait, tout l’enjeu de la gestion de l’information est bien de transformer l’abondance informationnelle en outil de supériorité décisionnelle.

 

Une autre dérive liée au développement des SIC est le phénomène d’hypertrophie des états-majors. L’état-major de la division britannique à Telic en 2003 était aussi important que celui de la deuxième armée britannique de 1944. L’état-major de la 7ème brigade blindée engagée en Irak en 2003 était 25% plus important que pour la première guerre du Golfe et, aujourd’hui, les états-majors britanniques sont quatre fois plus volumineux qu’en 1945. Ce constat n’est pas en adéquation avec le principe d’économies des moyens, et démontre que les apports des SIC ont été contrebalancés par des contraintes d’ordre organisationnel et technique. Il est essentiel d’appréhender la ressource humaine nécessaire à l’analyse du surplus de données fournies par les SIC.

 

Une dernière dérive est le coût financier induit par la modernisation des armées et l’introduction en masse des nouvelles technologies. D’après un rapport parlementaire[11], le coût du C4ISR[12] représenterait 10% du budget d’équipement militaire de la France. L’effort consenti par la France est conséquent. Or, comme l’a dit le Général Irastorza, «La NEB est inéluctable, la NEB est irréversible, mais nous devons rester ancrés dans le monde réel». À l’heure où la crise conduit à la recherche incessante d’économies budgétaires et alors que les forces armées en sont souvent les premières victimes, cette concentration de moyens financiers devra pouvoir être justifiée à l’avenir.

 

·         Dispersion des efforts et économie des efforts

Une des vulnérabilités de la guerre en réseau réside dans l’interdépendance des éléments du réseau. Si un élément clé du réseau est neutralisé, les capacités globales de la force peuvent être affectées. Il est donc nécessaire de développer des fonctions de secours et des moyens redondants pour pallier ces éventualités. Mais aussi, il est important de former les hommes à l’hypothèse et aux mesures à prendre en cas d’isolement du réseau. En définitive, tout cela participe plus à une dispersion des efforts qu’à une concentration des efforts.

 

De plus, l’impression d’omniscience que confère la NEB apparaît parfois si concluante que nous sommes loin d’imaginer que nous puissions avoir en matière de SIC une quelconque faiblesse. Or, le risque d’intrusion sur les réseaux représente un danger réel et peut obérer rapidement les capacités d’une force aussi moderne soit-elle. En 1990, au moment du déploiement pour la première guerre du Golfe, le Department of Defense américain a été soumis à deux semaines de cyber-attaques. Par conséquent, la mise en œuvre des nouvelles technologies dans les armées doit s’accompagner du développement de moyens de protection et de sécurisation des réseaux afin d’éviter le risque d’une force inopérante.

 

«Si la numérisation peut aider à dissiper le ʺbrouillard de la guerreʺ, elle ne doit pas en faire perdre la perception concrète» [13]. En effet, les apports des SIC peuvent provoquer une illusion opérationnelle. La confiance dans les informations fournies par les nouvelles technologies est parfois trompeuse. Cependant, les informations sur le champ de bataille ne sont que parcellaires et leurs interprétations possèdent un caractère subjectif: il peut être tentant d’y voir ce qu’on veut.

 

Enfin, il convient de s’interroger sur certaines pratiques inhérentes aux nouvelles technologies guidées par une commodité, une «économie des efforts». Par exemple, transférer un e-mail ne suffit pas toujours à remplir son devoir d’information des subordonnés. Mais quel chef n’est jamais tombé dans cette facilité?

 

Conclusion

 

«Si la technologie constitue un moyen modifiant les conditions de combat, elle ne change pas la nature de la guerre qui demeure un phénomène profondément humain»[14]. Aussi, les SIC, outil majeur du commandement, s’inscrivent pleinement dans la réalisation des principes de la guerre. Mais ils imposent des réflexions pour en éviter les dérives.

 

Finalement, il appartient aux hommes de s’approprier avec discernement et sagesse les nouvelles technologies afin d’en faire des réels multiplicateurs d’efficacité et non la source de nouvelles frictions.

 

[1] «Des électrons dans la brousse», Cahier du RETEX, CDEF, 2007

[2] Référence à Guy Hubin, «Perspectives tactiques», Édition Économica, 2009

[3] Jean-Pierre Maulny, «La guerre en réseau au XXIème siècle», Édition du Félin, 2006

[4] Guerre réseau-centrée

[5] Major S. Cattermull, British Army Review n°127, «Digitalization: its effects on the British way of fighting»

[6] Helmuth von Moltke, Militärische Werke IV.1, Kriegslehren, p 42

[7] Jamel Metmati, «L’art de la guerre en réseau», Édition l’Harmattan, 2010

[8] Manuel FT 05, «L’expérience du commandement en opérations pour les chefs tactiques», p 38

[9]«Des électrons et des hommes», Cahier de la recherche doctrinale, CDEF, 2005

[10]«Des électrons et des hommes», Cahier de la recherche doctrinale, CDEF, 2005

[11] Jean Michel, député: rapport «Défense équipement des forces (espace, communications, dissuasion)», 2005

[12] Command, Control, Communication, Computers, Intelligence, Surveillance, Reconnaissance

[13] Lieutenant-colonel Zbienen, «Des électrons dans la brousse», cahier du RETEX, CDEF, 2007

[14] Manuel FT 02, Tactique Générale

 

Saint-cyrien de la promotion «Général Béthouart» (2000-2003), le Chef de bataillon Matthieu LARA a effectué sa première partie de carrière en régiment de transmissions avant de servir au Corps européen à Strasbourg. Il appartient à la promotion 126-1 du Cours supérieur d’état-major.

 

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Titre : Les SIC et les principes de la guerre
Auteur(s) : le Chef de bataillon Matthieu LARA
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