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Marketing et influence

cahier de la pensée mili-Terre
Défense & management
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Le marketing[1] et les opérations militaires d’influence[2] sont deux arts totalement distincts, appartenant à deux mondes différents. Ceci n’est toutefois pas une raison suffisante pour tourner le dos à une discipline académique dont les enseignements, bien que non directement  transposables, peuvent améliorer la conception et la préparation des opérations militaires d’influence, et parfois même d’une campagne entière

 

[1] Marketing: ensemble des actions qui ont pour objet de connaître, de prévoir et, éventuellement, de stimuler les besoins des consommateurs à l'égard des biens et des services et d'adapter la production et la commercialisation aux besoins ainsi précisés (dictionnaire Larousse en ligne).

[2] Influence: capacité à obtenir des effets à travers l’action sur les perceptions, les  représentations, les attitudes et les comportements (Concept Interarmées 3.10  Influence; 2012).


Dans leur livre «Behavourial Conflict»[1], Steve Tatham et Andy McKay expliquent que, contrairement à la croyance populaire, marketing et influence sont deux artisanats distincts et différents. L’influence vise à générer, ou tout du moins à modifier un comportement au sein d’une population ciblée, tandis que le marketing vise à orienter le consommateur vers une marque, mais pour un comportement (achat, consommation) qui existe déjà. Autrement dit, le marketing vous fait acheter une marque particulière de petits pois tandis que l’influence cherche plutôt à vous en faire manger tout simplement. Ils expliquent que le marketing civil peut avoir un intérêt militaire quant à la façon de créer et de délivrer des messages, bref, une application pratique au niveau tactique, mais c’est tout.

Leurs opposants pourraient rétorquer qu’il existe des exemples de comportement créés par le marketing, comme le PDA (personal digital assistant), cet agenda électronique qui a rencontré un succès retentissant à la fin des années 1990 ou, plus récemment, l’iPhone. En réalité, il ne s’agit pas de contre-exemples: ces nouveaux produits ont tout simplement répondu à une attente du marché dont les consommateurs eux-mêmes n’avaient pas conscience, mais qui était présente malgré tout.

Il convient donc d’oublier le marketing, cet art insidieux réservé aux marchands, et de se concentrer sur l’influence, cet art noble du stratège militaire. Ou pas.

Certes, l’influence n’est pas du marketing en treillis, mais les techniques de marketing peuvent aider à améliorer la conception et la conduite d’un plan d’influence et même, par extension, d’un plan de campagne, en particulier dans une situation de guerre au sein des populations. Comparer le marketing et les opérations d’influence au niveau opératif et au niveau tactique permet d’étoffer la réflexion lors de la conception d’un plan d’influence, puis d’améliorer la planification des opérations militaires d’influence.

 

Au niveau opératif, tout d’abord, le marketing distingue quatre axes d’orientation selon lesquels les compagnies définissent leur approche des opérations: orientation-produit, orientation-ventes, orientation-publicité et orientation-marché.

  • L’orientation-produit consiste à proposer un produit dont les qualités intrinsèques suffisent, ou sont censées suffire à sa vente. «Je vous présente notre nouvelle invention: la voiture. Vous n’aurez plus besoin de votre cheval».
  • L’orientation-ventes consiste à démarcher le consommateur pour vendre le plus possible de produits. «Vous avez déjà une voiture? Achetez-en donc une deuxième!».
  • L’orientation-publicité consiste à adresser aux consommateurs des messages l’incitant à acheter une marque particulière.
  • L’orientation-marché consiste en l’étude et la compréhension du marché pour pouvoir répondre à ses attentes réelles. «Vous avez besoin d’un moyen de transport plus rapide que le cheval? Je vous présente la voiture». C’est l’orientation la plus efficace, mais la plus difficile à mettre en œuvre.

Il arrive parfois que des orientations se trouvent alignées. La voiture, le PDA ou l’iPhone ont démarré avec une orientation-produit qui s’est trouvée être alignée avec l’orientation-marché. Cela explique l’illusion de création d’un comportement de consommation que nous avons rejetée plus haut.

Cette classification du comportement d’une entreprise peut être utile à la réflexion et à l’élaboration d’une décision opérationnelle. Prenons l’exemple de l’Afghanistan[2]. Mollah Omar et les talibans ont débuté leur succès populaire en sauvant deux fillettes des mains d’un seigneur de guerre qu’ils ont exécuté. Ils ont offert au peuple afghan – ou «vendu» si l’on considère leur accession au pouvoir comme un prix payé par la population – de la sécurité et de la justice, ce que le «marché» voulait sans pouvoir les trouver. Puis ils sont passés d’une orientation-marché à une orientation-produit: peu importe vos besoins, maintenant que nous sommes au pouvoir, vous prendrez ce que l’on vous donnera. Ceci explique pourquoi les Afghans ont si bien accueilli les forces occidentales en 2001.

 

Mais ces forces occidentales ont également fait preuve d’une orientation-produit: la démocratie à l’occidentale, la gouvernance. Steve Tatham pense que les talibans ont gagné les cœurs et les esprits dans plusieurs régions de l’Afghanistan parce qu’ils y rendent la justice, alors que le gouvernement n’y arrive pas et que c’est précisément ce que la population veut plutôt qu’une gouvernance à l’occidentale à laquelle elle ne comprend rien[3]. Il s’agit d’un exemple d’orientation-marché. Cela rappelle également le changement d’orientation initié par le Général Petraeus en Irak lorsqu’il avait décidé de donner la priorité à la sécurité plutôt qu’au développement politique[4].

 

Au niveau de la planification tactique, ensuite, se distinguent trois phases qui peuvent être utiles à l’élaboration d’un plan d’influence: segmentation, targeting et positionnement. La segmentation consiste à identifier les différentes sous-catégories (ou segments) du marché, à les différencier et à les discriminer. C’est une phase où l’observation, l’analyse et la compréhension du marché, ou de ce que nous appellerions la population, prime. Cette phase rappelle les concepts de reconciliable et irreconciliable utilisés par le Général Petraeus au début de l’application des principes de contre-insurrection en Irak en 2007[5]. Nous pouvons supposer qu’il a alors identifié trois segments: les réconciliables, qui désiraient participer à la sécurité de leur territoire, les irréconciliables, qui désiraient avant tout chasser les forces occidentales et profiter de leur position de force, et enfin la population, neutre, dont gagner l’adhésion devenait l’enjeu de la campagne.

Après la phase de segmentation vient celle du targeting. Il s’agit pour l’entreprise, une fois que les différents segments de la population de consommateurs ont été discriminés, d’identifier celui que l’entreprise va cibler, celui qui est le plus à même de répondre favorablement au produit. Il s’agira aussi de tenir éloignés les indésirables, et même de réussir à ne pas vendre le produit aux segments qui ne sont pas ciblés. Là encore, ce principe rappelle ce que le Général Petraeus a fait en Irak: trois segments différents vont être traités de trois façons différentes, comme nous le verrons plus loin. Si nous revenons à l’Afghanistan, c’est la dualité du targeting, à savoir définir qui chercher à séduire et qui écarter, qui présente un intérêt pour la réflexion. Avons-nous réussi à identifier clairement ceux à qui nous pouvions offrir notre «produit», et avons-nous su tenir à l’écart ceux qui ne sont pas dans le segment visé? Cette notion marketing apporte également un éclairage particulier sur la question de négocier avec les talibans.

 

La troisième phase, le positionnement, découle de la précédente. Il faut qu’à chaque segment ciblé corresponde un positionnement unique, sous peine d’inefficacité. Le positionnement de la marque correspond à son message et à son image: il s’agit pour elle de définir «ce qu’elle fait, pour qui, et de manière unique pour répondre à un besoin urgent»[6]. Le positionnement de la marque va attirer la population ciblée et tenir à l’écart les segments indésirables. Les enseignements que cette phase peut apporter à la réflexion militaire sur l’influence sont principalement les deux risques qu’elle présente. Il s’agit, d’une part, du risque de dilution de la marque lorsque le message du positionnement – ou le positionnement lui-même –  n’est pas constant. D’autre part, il s’agit du risque d’overpromising ou, en français, de ne pas allouer suffisamment de ressources pour réaliser les promesses de service et de satisfaction que le positionnement de la marque contient. Si nous reprenons l’exemple du Général Petraeus, nous pouvons observer qu’il a effectué, par exemple pour la population neutre, un positionnement sur la sécurité qu’il a accompagné par un comportement adéquat – l’établissement de camps au sein des villes et la multiplication des patrouilles à pied – et pour lequel il a alloué les ressources nécessaires – le célèbre surge. Le risque d’overpromising, celui qui pénalise le plus sévèrement une marque, et qui plus est dans le long terme, paraît directement transposable dans le domaine militaire, si ce n’est politique. Le débat sur les effectifs et les moyens engagés en Afghanistan en est une illustration.

 

En conclusion, il ne s’agit pas ici de retomber dans une mode qui a vécu et n’a pas de raison de revivre, qui était celle de chercher à transposer tels quels des business plans et business models civils et marchands dans le domaine militaire. Les objectifs et les moyens d’action sont différents, et les modèles doivent, par définition être différents. Il s’agit, en revanche, de ne pas tomber dans l’excès inverse et de vouloir rester hermétique à une discipline académique qui pourrait améliorer les réflexions opérative et tactique et fournir des exemples capables d’inspirer des actions d’influence dont l’importance au niveau d’un théâtre d’opération n’est plus à démontrer.

Au-delà des quelques aspects abordés par cet article, le marketing peut également donner des idées dans le domaine de la mise en œuvre, comme par exemple l’ethnographie appliquée ou l’observation directe et scientifique des consommateurs par des spécialistes, qui a inspiré le Human Terrain System[7] américain. Cette discipline apprend aussi à équilibrer l’instinct et les faits, notamment via des études statistiques, quant à l’observation et la compréhension d’une population. Nous pourrions enfin mener une étude au niveau stratégique et notamment nous demander si l’infructueuse orientation-produit appliquée en Afghanistan n’est pas en réalité le résultat contraint d’une orientation-ventes stratégique[8].

 

[1] Andrew MacKay et Steve TathamBehavioural Conflict”. Saffron Walden: Military Studies Press, 2011. Voir en particulier le chapitre 6.

[2] Analyser a posteriori est un art bien plus aisé qu’agir et décider dans l’incertitude du moment. Cet exemple ne vise donc pas à critiquer ce que nos frères d’armes ont accompli, mais bien d’apporter des pistes pour améliorer nos résultats si nous nous trouvons à nouveau dans cette situation.

[3] Conférence au Joint Services Command and Staff College le 15 mars 2012.

[4] Voir notamment Thomas E. RICKS. The Gamble. Penguin Books UK, 2010. Chapitre 2.

[5] Ibid.

[6] “What you do, for whom, to uniquely solve an urgent need.” Citation tirée du cours de marketing d’Anne-Laure Sellier, professeur au MBA d’HEC, deuxième semestre 2012. Les explications des concepts de marketing de cet article sont tirées de ce cours.

[7] Le Human Terrain System est un programme américain développé en 2005 et mis en place dès 2007, qui consiste à créer des équipes d’experts en sciences sociales (anthropologie, sociologie, études régionales et linguistiques) au service des grands commandeurs militaires pour leur fournir une meilleure compréhension de la population du théâtre d’opération. Ce programme est devenu permanent en 2010.

[8] Entretien avec le Chef de bataillon Tugdual Barbarin, 23 octobre 2012.

 

Officier de la livraison par air, le Chef d’escadron OLIÉ est breveté de l’Advanced Command and Staff Course britannique. Il suit actuellement la scolarité du master in business administration d’HEC Paris.

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Titre : Marketing et influence
Auteur(s) : le Chef d’escadron Benoît OLIÉ
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