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Oman: le subtil usage du pouvoir par le sultan Qabous bin Saïd al Saïd

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Relations internationales
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Parvenu au pouvoir en 1970 après avoir renversé son propre père, l'actuel souverain d'Oman a profondément réformé son pays au cours d'un règne a priori exemplaire. D'un pays arriéré et pauvre, divisé par deux rébellions majeures et situé dans une région pourtant propice aux crises et aux tensions, il a fait un havre de paix, de tolérance et de prospérité.

Pour parvenir à ce résultat, le sultan Qabous bin Saïd a su donner une grande modernité politique à son système autocratique, tout en respectant les principes traditionnels de gouvernement. L'objet de ce court article est de présenter comment et avec quelles contraintes un souverain arabe, parfaitement accoutumé à la culture politique occidentale, doit savoir régner comme un véritable chef tribal pour conserver sa légitimité et son efficacité.


Au mois de janvier 2013, le sultan Qabous bin Saïd, souverain d'Oman depuis 1970, a entrepris une tournée de deux semaines dans la région de la Dakhiliya (la région montagneuse à environ deux cents kilomètres de la capitale, Mascate) pour rencontrer la population.

Ce type de tournée constitue un moment essentiel de la vie politique en Oman, où le sultan vient à la rencontre des édiles locaux et des habitants. Sont organisés de multiples moments de dialogue – shura –, où le sultan parle à bâtons rompus avec ses sujets. Il peut y donner des orientations politiques, y faire des discours généraux, mais aussi traiter des sujets locaux les plus concrets. Dans ces grandes réunions, le sultan siège à la manière des juges arabes de l'époque classique: il s'assoit sur la largeur d'un grand quadrilatère dont les longueurs sont occupées par les responsables locaux qui, à cette occasion, revêtent un turban et une ceinture assortis et arborent leur khandjar, poignard ouvragé qui est aussi le symbole du sultanat. Lors de ces visites, le sultan est immanquablement accompagné de son gouvernement, lequel, chose qui peut paraître surprenante à un étranger, siège et pose dans la tenue traditionnelle, chacun tenant entre ses jambes un fusil d'assaut.

Le regard paternel du sultan Qabous, les assemblées locales où il vient siéger, la photo de groupe du gouvernement en armes, ces quelques images nous invitent à jeter un regard curieux sur le mode de gouvernement mis en application par le souverain d'Oman.

 

L'homme de la renaissance omanaise, une image omniprésente

  • Le sultan Qabous, figure paternelle incontestable

Le visage du sultan est partout: dans la rue, sur des affiches géantes, dans les centres commerciaux... Dans les bâtiments de l'armée, le souverain est représenté revêtu de toutes les tenues réglementaires. Chaque administration, chaque commerce est tenu d'afficher son portrait. On peut s'interroger sur ce qui pourrait passer pour la personnification du pouvoir dans un pays réputé être une des dernières monarchies absolues du monde. En réalité, les Omanais, et plus encore les nombreux étrangers qui travaillent au sultanat, sont très heureux d'afficher le portrait de leur souverain, et la plupart d'entre eux le font spontanément. D'ailleurs, l'image qu'il donne n'est pas du tout celle d'un dictateur et encore moins celle d'un politicien en campagne permanente, mais bien plutôt celle d'un père souvent souriant et au visage toujours empreint d'une grande douceur.

 

·         Despote éclairé

Le sultan Qabous est véritablement un homme d'un haut niveau de culture et d'éducation. Formé par des précepteurs britanniques, diplômé de l'école d'officiers de Sandhurst, globe-trotter de longue date, il a acquis depuis la fin des années 60 une très bonne connaissance de la culture occidentale et a développé de très solides liens d'amitié avec le Royaume-Uni. Il est également un protecteur des arts dans son propre pays dont il encourage sans cesse la promotion du patrimoine. On notera qu'il a fait bâtir, sur ses fonds propres, l'imposant opéra de Mascate, et ce contre l'avis du mufti d'Oman, la plus grande figure religieuse du pays.

Pour autant, ce souverain dont l'image est omniprésente, mais qui demeure un homme discret voire secret, règne sur toutes les affaires du pays: chef des armées, maître absolu de la politique étrangère, il est son propre Premier ministre et rien ne se fait sans son consentement. Ni businessman ni roi fainéant, le sultan est l'initiateur de tous les grands projets du pays. Il est interdit de le critiquer publiquement ou de contester ses décisions et, de fait, aucune véritable liberté de parole n'est laissée à ses opposants potentiels.

«Bien gérer un pays est un art, vous avez le don pour cela, ou vous ne l'avez pas» (Sultan Qabous bin Saïd, Washington Post 1999).

 

·         Chef d'État moderne, mais toujours chef traditionnel

La politique du sultan Qabous a été saluée par de nombreux observateurs comme exemplaire en matière d'harmonie et de stabilité dans le domaine du développement économique et social, mais peu d'analystes ont relevé le fait que cette stabilité était due autant à une politique volontariste d'investissements et de réformes qu'à un contrôle subtil de l'État et de la population: capable de penser comme un technocrate, le sultan d'Oman gouverne de facto comme un chef tribal.

Dans ce cadre, il a su répartir l'essentiel des postes importants de l'État entre les différentes tribus et les différentes personnalités qui composent la mosaïque omanaise, dont la cohésion est aussi récente que fragile. La clientèle du sultan Qabous est ainsi extrêmement variée et elle inclut aussi bien les membres de l'aristocratie traditionnelle que des groupes récemment «omanisés»: Baloutches, Iraniens, Zanzibari, Indiens, qui doivent toute leur réussite au sultan et qui, en retour, lui sont pleinement fidèles. Dans l'ordre actuel du sultanat, ces différents groupes se neutralisent parfaitement et leur équilibre interdit de facto l'émergence d'un véritable contre-pouvoir.

 

·         Des règles anciennes toujours en vigueur

En premier lieu, il faut rappeler que le principe des relations humaines au sein de la société omanaise traditionnelle repose sur le dialogue. Laisser éclater sa colère y est vu comme un grave manquement aux règles de savoir-vivre et refuser le débat y est tout simplement perçu comme une offense.

Dans ce cadre, le sultan sait faire preuve d'un comportement bienveillant et attentif en toutes circonstances: son rôle est de juger et éventuellement de punir, mais il doit le faire aussi publiquement que possible et surtout savoir faire preuve de mansuétude, publiquement et ostensiblement. Ainsi, le sultan Qabous a officiellement pardonné à ceux qui avaient ourdi un complot contre lui en 2006 et, de la même manière, en 2013, il a accordé un pardon public aux internautes accusés de lèse-majesté, condamnés depuis l'été 2012 après le (très court) printemps omanais.

Dans la sphère des décisions politiques, le mode de gouvernement en Oman se fonde sur le principe de la Shura, c'est à dire du conseil issu d'une assemblée. Très théorique durant de longues années, ce principe a été officiellement remis à l'ordre du jour après les mouvements de contestation de 2011. Aujourd'hui, le parlement omanais se compose de deux chambres, l'une élue, l'autre désignée, dont les délibérations sont largement médiatisées. Mais, au demeurant, leurs avis restent purement consultatifs et seule la famille royale et sa clientèle semblent détenir une certaine capacité d'influence dans l'État.

 

·         Un aspect essentiel de la politique et de l'économie: la redistribution

Depuis l'accession du sultan Qabous au trône, le développement d'Oman repose sur l'exploitation des gisements de gaz et de pétrole découverts dans la deuxième moitié du siècle. Les revenus retirés des hydrocarbures en Oman se placent loin derrière ceux de la plupart des autres pays du Golfe persique, mais ils ont été suffisants pour enclencher un vaste mouvement de réforme et de progrès.

Cependant, dans cette société très traditionnelle, la légitimité du sultan dépend de la manière dont ces revenus sont redistribués et l'ensemble de la population scrute avec une grande acuité les conséquences sociales et économiques de la redistribution. Il n'est pas rare, lors de conférences ou de réunions officielles, de voir de simples sujets du sultan apostropher les autorités en les interrogeant sur l'apparente inégalité de la politique d'investissement. Dans les régions les plus éloignées de la capitale, le retard dans la construction d'une route, d'une école ou dans la modernisation d'un port pourra être jugé très durement par une population extrêmement sensible à ces problèmes. De fait, l'une des premières préoccupations du sultan lors de ses tournées de province est de montrer à la population et aux édiles locaux que personne ne sera oublié dans le grand jeu de la rente et des investissements de l'État.

 

·         Contrôler la population

Pour autant, la redistribution ne suffit pas toujours à apaiser les possibles revendications d'une population qui ne se prive jamais de débattre et de commenter les questions politiques. Car les Omanais, bien que pleinement dévoués à leur sultan, n'en sont pas moins de redoutables scrutateurs de leur propre société et des choix politiques de l'élite dirigeante.

Ainsi, les tournées de province et le mode de gouvernement traditionnel du sultan Qabous ont également pour but de contrôler, in situ, le degré d'allégeance de cette population, dans le cadre parfaitement orchestré de séances de doléances suivies de nombreuses manifestations de gratitude organisées par les gouverneurs de wilayat.

Il existe toutefois de nombreux autres moyens de contrôler en douceur cette population beaucoup moins docile qu'il n'y paraît. L'augmentation massive du nombre de fonctionnaires, en particulier dans la police et dans l'armée (ce qui peut paraître paradoxal dans un pays dépourvu d'ennemi et dont la criminalité est pour ainsi dire absente), constitue une garantie solide contre le chômage, de même que la forte incitation pour les entreprises à recruter des Omanais, de préférence à une main d'œuvre étrangère mieux formée et moins chère.

On pourra aussi citer l'exemple des taxis dont la licence est accordée très facilement aux fonctionnaires omanais, qui peuvent ainsi compléter leurs revenus. Tout naturellement, les conversations nouées avec leurs passagers permettront de glaner les renseignements qui alimenteront les rapports que les chauffeurs de taxi font régulièrement aux autorités.

Et que dire des grandes facilités de crédit accordées aux entreprises et aux particuliers par des banques appartenant pour la plupart à des proches de la famille royale? Obtenir un prêt immobilier est très accessible, et de très nombreuses familles omanaises accèdent aujourd'hui à la propriété tandis que le secteur du bâtiment ne cesse de prospérer. Conséquence induite: de plus en plus d'Omanais sont aujourd'hui tenus par les banques, et donc par l'aristocratie du régime.

 

·         L’avenir

La question de la succession du sultan Qabous occupe, en privé, de nombreuses conversations. Brièvement marié en 1976, le sultan n'a jamais repris d'épouse depuis son divorce et n'a jamais eu d'enfant, peut-être de peur de subir le même sort que son propre père. À sa mort, un conseil de famille et un conseil de défense seront chargés d'appliquer les consignes qu'il aurait laissées sous coffre. Le conseil de famille pourra donner sa bénédiction à l'héritier que le sultan aura couché sur son testament, ou bien désigner toute autre personne de son choix comme cela est stipulé par la «loi fondamentale de l'État» de 1996.

Les craintes et les doutes qui portent sur cette succession sont encore renforcés par un calcul simple: né en 1940 et jouissant apparemment d'une bonne santé, le sultan Qabous devrait pouvoir gouverner encore quelques années, mais le début du règne de son successeur pourrait correspondre avec l'épuisement des réserves en hydrocarbures du sultanat. Ainsi, le risque de voir s'installer sur le trône un homme non préparé, strictement contrôlé par la famille royale et en pleine crise économique, est donc réel et véritablement inquiétant à moyen terme.

 

Le Chef d'escadrons (TA) Arnaud LAFOLIE, stagiaire en langue arabe à l'EMSST, appartient à la promotion 2012-2013 de l'École de commandement et d'état-major auprès des forces armées du Sultanat d'Oman.

Il est l'auteur de l'ouvrage «Le monde arabe tel qu'il est» paru en mai 2011 aux éditions de l'Œuvre.

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Titre : Oman: le subtil usage du pouvoir par le sultan Qabous bin Saïd al Saïd
Auteur(s) : le Chef d’escadrons (TA) Arnaud LAFOLIE
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