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Pourquoi un centre d’entraînement aux actions en zone urbaine ?

cahier de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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La conflictualité contemporaine nous fait redécouvrir que la guerre dans les villes, lieux de concentration des pouvoirs et de la population, est le véritable enjeu des conflits actuels. Le lieutenant-colonel Laurent Luisetti montre qu’il serait hasardeux de penser que l’on peut s’engager en zone urbaanisée sans une préparation opérationnelle particulière et un fond doctrinal solide. La zone urbaine doit être approchée comme un milieu à part entière, singulier, dans lequel le combattant doit posséder des savoir-faire adaptés.


Si les armées se sont de tous temps battues pour des villes, le combat dans les villes est assez récent. À cet égard, le mythe de la guerre de Troie est trompeur, car les combats qui se déroulèrent dans l’enceinte des fortifications, après dix ans de siège, furent finalement de faible intensité. C’est le XXème siècle, et son cortège de guerres industrielles, qui marque véritablement l’entrée de la guerre dans la ville. Est-ce à dire que la guerre aura désormais lieu uniquement en ville et que l’on doit s’attendre à un changement radical de paradigme dans notre approche du combat aéroterrestre? Sans doute pas. Cependant, les capacités d’observation, de détection, de feux indirects et aériens rendent moins probable, et moins pertinent, l’affrontement de forces militaires en zone ouverte. Car c’est un fait: la conflictualité contemporaine nous fait redécouvrir que la guerre dans les villes, lieux de concentration des pouvoirs et de la population, est le véritable enjeu des conflits actuels. C’est parce qu’elle atténue le différentiel technologique et que la présence des habitants y est permanente, présence qui impose des limitations à l’emploi de la force, que la ville rapproche les belligérants. Les distances d’engagement sont réduites, la surprise et l’inventivité tactique deviennent la norme. Savoir manœuvrer et encaisser les coups sont des aptitudes que les unités terrestres doivent impérativement détenir pour l’emporter.

Les armées modernes n’ont donc pas d’autre choix que de se doter de moyens de préparation à l’engagement dans les zones urbanisées et dans les espaces confinés, outils nécessaires pour y opérer efficacement et vaincre durablement. Ce constat a présidé à la création du CENZUB-94 RI[1] en 2005, né d’un besoin qui s’est fait sentir au tournant du siècle lors de la recomposition de l’Europe centrale. Aujourd’hui, la formule retenue par l’armée de Terre permet de dépasser cette vocation initiale et place le centre dans une position d’éclaireur qui lui permet d’assurer la préparation opérationnelle aux engagements d’aujourd’hui tout en anticipant ceux de demain.

 

L’existence de centres d’entraînement au combat en zone urbaine se justifie par plusieurs raisons objectives. La première, la plus évidente, tient au fait que dans les zones urbaines se trouve généralement le centre de gravité des adversaires. La guerre y fait un retour fracassant.

«[…] Au milieu de l’incertitude, un invariant persiste: quelle que soit la menace ou le risque, la population et les villes où celle-ci réside sont au cœur des interventions. Elles en constituent souvent l’enjeu, parfois l’otage. Comment pourrait-il en être autrement alors qu’en 2030, 60% de la population mondiale sera citadine?»[2].

 

En 1950, l’ONU estime la population urbaine à 30% de la population. En 2008, pour la première fois dans l’histoire, plus de la moitié de l’humanité est urbaine. Cette tendance est continue et, alors que le nombre de mégalopoles[3] ne cesse de croître, rien n’indique une potentielle inflexion à l’horizon prévisible. Il est donc illusoire d’imaginer que le cas de la bataille de Falloudja, vidée de ses habitants en 2004, ne fasse pas figure d’exception dans l’histoire militaire contemporaine.

 

Par leur taille démesurée, ces villes porteront en germes certaines fragilités qui les rendront sensibles à des crises de natures diverses: économique, sanitaire, alimentaire, climatique ou technologique, avec des prolongements logiques dans le domaine sécuritaire. Comme le montrent les conflits récents, pour vaincre un ennemi qui s’appuie sur le tissu urbain, dissimulé au sein de la population, l’engagement de forces terrestres pour s’assurer du contrôle du milieu est essentiel. Les frappes aériennes ou indirectes seules produisent des effets limités, parfois contre-productifs et potentiellement récupérés par la propagande adverse. À cet égard, au cours de la bataille d’Alep (2012-2016) en Syrie, les différents protagonistes ont utilisé à des fins de communication opérationnelle les images prises après des bombardements[4] dont les effets produits sur les habitants étaient parfois difficilement mesurables. En revanche, le taux de destruction des zones de combat, lui, est une donnée factuelle, corollaire de tous les engagements urbains. Les combats récents qui se sont déroulés dans les villes ont abouti à leur destruction partielle. Marawi, Alep, Mossoul ne sont plus, dans certains de leurs quartiers, que des monceaux de ruines, créant ainsi une physionomie de la zone des combats inédite, dont la reproduction à des fins d’entraînement est difficile.

 

Cette reconfiguration de l’espace urbain cause pourtant de profondes difficultés en termes de mobilité, de rythme et donc de fluidité de la manœuvre des unités qui devront s’y engager pour débusquer l’ennemi ou protéger les populations. Il est impossible de s’affranchir de cette rugosité du milieu sans s’y être spécifiquement préparé.

 

Il serait effectivement hasardeux de penser que l’on peut s’engager en zone urbanisée sans une préparation opérationnelle particulière et un fond doctrinal solide. La zone urbaine doit être approchée comme un milieu à part entière, singulier, dans lequel le combattant doit posséder des savoir-faire adaptés. Combattre dans toute la profondeur d’une agglomération requiert certaines aptitudes pour s’affranchir des contraintes physiques et briser la volonté de l’ennemi par la combinaison des effets interarmes.

 

Ce n’est pas uniquement une question de densification de l’habitat et de concentration de population[5]: le visage même de la ville évolue. Celle-ci s’épaissit et se développe aussi bien en hauteur que sous le sol. La zone urbaine ne doit pas uniquement se lire sur le plan horizontal comme un espace organisé en cercles concentriques à la perméabilité de moins en moins forte, mais elle doit aussi se lire sur un plan vertical comme une superposition de couches. Il s’agit donc bien d’un milieu à part entière, aux caractéristiques particulières.

Par nature très cloisonné, c’est un milieu dans lequel:

  • La verticalité des infrastructures impose de combattre simultanément sur plusieurs niveaux.
  • On affronte un adversaire très réactif qui peut recourir à des modes d’action du type «faible au fort», prendre des formes variées, et qui fait peser sur le combattant une menace permanente et omnidirectionnelle.
  • On combat souvent à courte et très courte distance, avec des pertes nombreuses et une consommation de ressources importante.

C’est un environnement extrêmement exigeant, tant du point de vue physique que psychologique, au sein duquel la perspective de voir surgir l’ennemi là où on l’attend le moins requiert une solide force morale.

Pour résoudre les problèmes tactiques spécifiques rencontrés en ville, la maîtrise de certains modes d’action et procédés de combat adaptés est impérative. 

 

La pratique du combat en zone urbaine et confinée n’a pas généré de révolution tactique à proprement parler, et les principes de la guerre s’y appliquent avec la même pertinence que dans les autres milieux[6]. On y ajoute la réversibilité, qui permet d’agir sur tout le spectre des missions en appliquant le principe de subsidiarité dans l’esprit du concept de Three Block War[7], et la légitimité, qui assure le soutien, ou a minima la neutralité, de la population.

 

En revanche, le combat en zone urbaine demande une réflexion approfondie préalable à l’engagement. Celle-ci aboutit à une préparation fine de la mission, incarnée par la conception de nombreuses mesures de coordination, et à des choix en termes d’articulation des moyens interarmes différents de ceux qui seraient retenus dans d’autres milieux. Il est admis que le rapport de force favorable pour l’emporter en ZUB est de l’ordre de six contre un à dix contre un localement. On comprend dès lors aisément que ce ratio ne peut être obtenu uniquement par la masse dans un environnement qui cloisonne et canalise. Loin des poncifs, la ville n’est pas qu’une affaire de fantassins. Les Israéliens l’ont compris depuis longtemps, eux pour qui, en ville, «armor is not an option».

 

C’est donc la synchronisation des effets interarmes qui va créer les conditions permettant de bousculer l’ennemi, surtout si celui-ci a aménagé le terrain, durci ses positions, piégé les itinéraires et préparé des cheminements de contre-attaque défilés (via des ouvertures pratiquées dans les bâtiments ou des tunnels creusés en sous-sol). Cette intégration interarmes apporte mobilité, puissance de feu et protection au combattant. Elle peut être pratiquée, si besoin, jusqu’au bas échelons tactiques (section ou peloton, voire groupe de combat). C’est cette combinaison qui contribue au maintien du rythme de la manœuvre, car elle permet l’accélération des actions dans le cadre d’un combat par nature décentralisé, et qui prémunit les combattants de techniques de combat nouvelles comme les attaques suicides ou la menace des drones, qu’ils soient volants ou terrestres. Elle n’est pas figée et, outre l’infanterie, la cavalerie, le génie et l’artillerie – qui forment le cœur de l’interarmes en zone urbaine –, d’autres capacités, de renseignement, de guerre électronique ou d’influence, concourent à l’efficacité des unités opérant en ville.

 

 

C’est pourquoi, afin de relever les défis posés par la zone urbaine, de nombreux pays se dotent de centres d’entraînement dédiés.

 

La France a fait un choix original. Pour préparer l’engagement des forces terrestres en zone urbaine, le CENZUB-94 RI conduit trois actions principales:

  • Il instruit: aux procédés de combat et savoir-faire spécifiques nécessaires pour manœuvrer et tirer en zone urbaine, sans oublier la formation à l’engagement au contact des foules.
  • Il entraîne: dans un environnement forcément interarmes et qui tend à s’ouvrir à des acteurs hors du champ des forces conventionnelles.
  • Il conçoit: grâce à sa cellule études et prospectives, il élabore la doctrine d’emploi des forces terrestres en zone urbaine au niveau 6 renforcé[8] et au niveau 5[9], et conduit des expérimentations tactiques et techniques.

C’est un concept global, innovant et unique, qui en fait un centre expert reconnu internationalement.

 

Avec quoi et comment? Il dispose, pour remplir ses missions, de moyens organiques, matériels et humains, et met en œuvre une pédagogie adaptée qui assure aux unités une progression certaine lors de leur passage au centre. Il est en effet impossible pour les unités de s’entraîner en autonomie et en garnison. Seul le CENZUB-94 RI propose un environnement et des conditions d’entraînement réalistes répondant au principe «train as you fight». Le centre dispose des infrastructures, mais aussi et surtout d’une expertise qui réside dans les connaissances des instructeurs et dans les aptitudes de la compagnie de force adverse (FORAD), ainsi que de moyens de simulation indispensables à l’entraînement.

 

Il s’agit, dans ce cas, de simulation dite «instrumentée». Tout est réel: l’environnement, les hommes, les matériels; seul l’effet des armes est simulé[10], via un système d’émetteurs laser et de récepteurs. Ce dispositif est très performant, cependant ses capacités vont être démultipliées avec le programme Cerbère[11] qui va faire entrer le CENZUB-94 RI de plein pied dans le XXIme siècle. Cerbère va accroître le réalisme de la préparation opérationnelle en simulant les effets de toutes les armes, y compris celles à effets de zone et celles autorisant le tir au-delà de la vue directe. Les effets seront rendus par des dispositifs pyrotechniques, sonores et lumineux. En outre, tous les acteurs du champ de bataille, combattants et véhicules, seront géolocalisés, y compris dans les bâtiments. Ce qui représente une véritable prouesse technique qui, associé à un système central, permettra aux instructeurs du centre de préparer des analyses après actions encore plus précises et pertinentes pour les unités entraînées.

Ces analyses viennent conclure un processus pédagogique propre au centre, appelé «apprentissage accompagné». Pendant deux semaines, les instructeurs, provenant de toutes les fonctions opérationnelles concourant aux actions en zone urbaine, vont suivre avec professionnalisme et bienveillance les unités. Ce sont donc les mêmes qui instruisent et qui évaluent. Le lien de confiance créé progressivement assure la transmission des messages propres à faire progresser l’unité, selon une forme de maïeutique. La pratique de l’interarmes est la clé de voûte de cet enseignement. Elle est la conclusion d’une démarche intellectuelle rigoureuse qui vise à analyser avec méthode toute une série d’informations diverses pour aider à la prise de décision des chefs de tous niveaux et consolider leur capacité d’initiative. Par ailleurs, l’enchaînement soutenu des séquences tactiques est propice à l’aguerrissement de la troupe et contribue à tremper le caractère des chefs qui doivent surmonter les frictions et décider dans le brouillard. Cette agilité intellectuelle nécessaire au maintien du rythme est garante de l’optimisation des moyens mis à la disposition des chefs tactiques, signe d’une certaine plasticité des unités, que l’infovalorisation renforcera encore.

 

Enfin, le CENZUB-94 RI est un laboratoire d’excellence, avec lequel on prépare l’avenir.

 

Si la guerre est un caméléon, le centre, lui, est en mue permanente. Il se développe sans cesse pour coller à l’évolution de la conflictualité actuelle et penser le combat de demain. Par exemple, des zones de ruines ont complété le panel des zones d’entraînement au premier semestre 2018, un complexe de combat en milieu souterrain sur plusieurs niveaux verra le jour avant 2019. Parallèlement à la construction de ces infrastructures complémentaires, des réflexions doctrinales et des expérimentations technico-tactiques sont conduites pour conserver l’avantage dans ces environnements particulièrement confinés. Il s’agit bien de se placer dans une logique exploratoire et d’anticiper le besoin des forces terrestres en termes de moyens et de procédures. Il faut également rester attentif aux apports des innovations technologiques, militaires mais aussi duales, à l’instar des drones, des robots et de la réalité augmentée. Enfin, le CENZUB-94 RI participe directement à renforcer la synergie avec de multiples acteurs: interopérabilité avec les forces spéciales françaises et les partenaires internationaux et coopération avec les forces de sécurité intérieures[12].

 

Les centres d’entraînement au combat en zone urbaine sont indispensables. Les militaires, quelle que soit leur nationalité, ne s’y trompent pas et regardent avec beaucoup d’intérêt l’exemple français[13]. Ces centres, s’ils respectent le triptyque infrastructure-expertise-simulation, sont le gage des succès à venir.

 

[1] Centre d’entraînement aux actions en zone urbaine – 94ème régiment d’infanterie, stationné à Sissonne.

[2] Général d’armée Bertrand Ract-Madoux, dans Lettre de liaison des UED universitaires (juin 2013)

[3] Agglomération de plus de 10 millions d’habitants.

[4] «Fausses images et propagande de la bataille d’Alep», Samuel Laurent et Adrien Sénécat, www.lemonde.fr, 15 décembre 2016.

[5] Selon les prévisions du World Urbanization Prospects de l’ONU, on devrait dénombrer 41 mégalopoles en 2030.

[6] Les principes de la guerre selon Foch: liberté d’action, concentration des efforts, économie des moyens.

[7] Concept décrit par le Général (US) Charles Krulak dans «The Strategic Corporal: Leadership in the Three Block War (1999)», pour illustrer la complexification des opérations modernes amenant à conduire simultanément des actions couvrant l’intégralité du spectre des missions dans des espaces contigus.

[8] Section ou peloton renforcé

[9] Sous-groupement tactique interarmes

[10] Hormis sur le complexe de tir en zone urbaine (CTZUB), structure dédiée à la pratique du tir à balles réelles.

[11] Centres d’entraînement représentatifs des espaces de bataille et de restitution des engagements, notifié par la DGA le 30 décembre 2016.

[12] À titre d’exemple: formation des groupes d’intervention de la BRI-PP en 2017 et 2018.

[13] Ouverture du centre émirien en 2014, allemand en 2018. Projets en Asie et dans le Golfe.

 

À l’issue de l’École militaire interarmes, promotion «Capitaine Coignet» (2000-2002), le Lieutenant-colonel Laurent LUISETTI choisit l’infanterie. Il sert successivement au 92ème, puis au 152ème régiment d’infanterie. Breveté de la 23ème promotion de l’École de guerre, il est actuellement chef du bureau entraînement instruction du Centre d’entraînement aux actions en zone urbaine – 94ème régiment d’infanterie.

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Titre : Pourquoi un centre d’entraînement aux actions en zone urbaine ?
Auteur(s) : le Lieutenant-colonel Laurent LUISETTI
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