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Préparer la prochaine guerre, ou comment ne pas devenir une armée d’anciens combattants

cahier de la pensée mili-Terre
Défense & management
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Face à une réalité de plus en plus complexe et évasive, l’auteur milite en faveur du développement de la culture militaire, afin qu’au-delà des mythes et des idées reçues, par l’activité intellectuelle et la flexibilité d’esprit, les armées demeurent une organisation apprenante, capable de réagir à l’inimaginable.


Le danger qui guette toute armée est d’avoir une guerre de retard. Alors que nos armées françaises sont marquées jusque dans leur chair par l’expérience afghane, le paradigme de la guerre contre-insurrectionnelle est en passe de s’imposer dans la culture militaire française actuelle. Elle a quelque chose de vivifiant par la saine remise en cause de tous les présupposés qui marquent inévitablement une armée. Mais elle porte aussi en elle le risque de s’ériger en nouvelle école de pensée dominante au détriment d’autres réalités.

 

La culture militaire ‒ entendue ici dans son acception d’état d’esprit qui imprègne l’institution militaire, d’ensemble des valeurs portées par une armée[1] ‒ crée un environnement plus ou moins favorable à l’innovation. L’entre-deux-guerres nous l’enseigne à propos de la préparation de la guerre suivante. Le Royaume-Uni, alors qu’il était meneur en matière d’expérimentations de blindés jusqu’en 1933, où l’Army créa la première brigade blindée permanente de l’histoire, ne fut pas capable de porter ce projet révolutionnaire plus avant, projet repris et développé ensuite par l’Allemagne nazie[2] et par l’armée Rouge[3]. Sa culture militaire était en effet majoritairement résistante, voire hostile à ce changement. Parallèlement, en France, l’école doctrinale née d’enseignements sélectionnés de la Grande Guerre avait développé un type de bataille coordonnée s’appuyant essentiellement sur la puissance de feu de l’artillerie et une centralisation excessive du commandement qui laissait peu de place à l’initiative. Alliée à une stratégie devenue exclusivement défensive avec le temps, elle devint une pensée officielle qu’il était interdit de contredire et qui, de fil en aiguille, créa un état d’esprit à la source de la défaite de 1940: une conception dépassée de la manière de faire la guerre.

 

Le risque est de créer un mythe pour échapper à la réalité à cause, notamment, du paradoxe inhérent à l’organisation militaire: une armée est naturellement peu disposée au changement du fait de la discipline nécessaire à la bonne conduite des opérations et à la cohésion, alors que les défis de la guerre exigent imagination et créativité. L’indispensable rigueur de la discipline militaire peut facilement se muer en conformisme de la pensée, et mener subrepticement à un immobilisme intellectuel, organisationnel ou doctrinal, rendant l’institution finalement peu encline à l’exploration de concepts novateurs et à l’imagination. La culture d’une armée se laisse inconsciemment enfermer dans sa vision préférentielle du monde et de la menace. Les Ardennes étaient infranchissables, n’est ce pas? Garder l’esprit alerte pour se méfier de sa préférence, de son domaine de prédilection et d’expertise, n’est pas aisé, comme le démontre l’entre-deux-guerres. Le risque est de perdre de vue l’analyse générale, de se focaliser sur un type unique de menaces qui corresponde à celle qu’on souhaite en s’aveuglant sur la réalité plus complexe ou différente. L’expérience afghane va durablement marquer notre culture militaire. Or, «il y a peu d’organisations militaires possédant une culture qui encourage l’étude minutieuse des évènements mêmes récents. La plupart des organisations militaires développent rapidement des mythes qui permettent d’échapper à la vérité désagréable[4]. Sans dévaloriser l’action de l’armée française en Afghanistan, ne laissons pas se créer un mythe des Afgansty».

 

On peut entrevoir trois pistes pour résoudre cet antagonisme naturel. D’abord, les choix stratégiques nationaux peuvent tirer une culture militaire de sa résistance au changement. En effet, c’est le choix stratégique de la défensive «à outrance» (certes influencé par les circonstances de l’époque) qui a empêché le développement d’une manœuvre des chars en France[5]; c’est le choix de la défense de son empire par le Royaume-Uni et le mythe que cette défense ne se passerait pas sur le continent européen qui lui a fait rejeter le développement de l’arme blindée[6]. Idéalement, est-il possible aujourd’hui de définir une stratégie pour garder l’éventail des capacités à un niveau de suffisance qui permette de conserver technique et savoir-faire, et pour les maintenir à niveau technologiquement, sans négliger d’explorer les nouveaux domaines conflictuels comme les espaces stratégiques communs (Global Commons)?

 

Une autre piste est de favoriser l’activité intellectuelle des officiers pour qu’elle innerve la culture militaire. L’interdiction de publier faite aux officiers par le généralissime de l’époque, qu’il soit britannique ou français, n’est pas étrangère à la débâcle. General Sir Cavan, chef d’état-major impérial britannique de 1922 à 1926, s’opposait à la publication d’ouvrages sur des sujets militaires par des officiers, comme en France le Général Gamelin interdit en 1937 toute publication qui n’eut été validée par son état-major. Cette attitude au plus haut niveau poussait donc les officiers à éviter toute considération qui ne soit pas dans la ligne officielle. Certaines anecdotes actuelles autorisent à s’interroger pour savoir si cette tendance n’a pas toujours des survivances en France. Or, le foisonnement d’idées né de la renaissance du combat de contre-rébellion – pour reprendre le terme doctrinal français – devrait ouvrir la voie à de nouvelles expérimentations, à une saine remise en cause des idées reçues.

 

Finalement, le défi pour les armées est de demeurer une institution apprenante pour faciliter son évolution dans la préparation de la guerre et dès le début de la guerre. C’est déjà à cela que participent des mécanismes institutionnels comme le «retex» – bien mal nommé d’ailleurs[7] – ou les départements de doctrine qui conceptualisent et modélisent la complexité des combats actuels et futurs tout en cherchant à conserver les enseignements des précédents conflits. Mais au-delà de ces mécanismes, c’est bien à la surprise et au choc qu’il faut mentalement se préparer puisque, par définition, nous serons contournés par un ennemi aussi intelligent que nous. À l’instar du Royaume-Uni, nous sommes en France aujourd’hui en situation d’insularité stratégique par le simple fait que nous n’avons plus d’ennemi à nos frontières. Notre armée aujourd’hui n’est d’ailleurs pas construite pour défendre seule son territoire national avec ses effectifs de corps expéditionnaire supplétif. Elle ne sera probablement pas engagée demain dans un conflit symétrique. Aussi va-t-elle développer ses compétences sur son expérience afghane, et être peut-être appelée à intervenir de manière plus ponctuelle, en cherchant une efficacité stratégique par le levier d’une action tactique, doublée de missions d’assistance et de formation. On peut penser aux récentes interventions ciblées en Afrique sahélienne. Mais le développement d’un nouveau type d’intervention militaire qui va naître de la conjonction de l’expérience afghane et de la nouvelle donne stratégique au sud de la Méditerranée ne devra pas être érigé en absolu. Nul ne sait la menace à nos intérêts vitaux que constituera une puissance orientale émergente dans une génération ou moins.

 

Obtenir une culture militaire qui prépare à faire face à l’imprévu quel qu’il soit est un impératif vital. Puissions-nous conserver de notre expérience afghane la flexibilité d’esprit qui nous a permis d’évoluer face à ce type de conflit, tout en nous interdisant d’ériger en principes les préceptes qui en ont été tirés, de peur que ceux-ci ne nous empêchent d’évoluer à nouveau au prochain choc. Entraînons-nous à réagir à l’inimaginable.

 

[1] «La culture militaire représente l’éthos et les attributs professionnels, tant en terme d’expérience que d’étude intellectuelle, qui contribue à une commune compréhension essentielle de la nature de la guerre dans une organisation militaire». Murray, Williamson. Does military culture matter? Orbis, n° 43.

[2] Gat, Azar. British Influence and the Evolution of the Panzer Arm: Myth or Reality? War in History, Apr97, 150-173 & Jul97, 316-338.

[3] Entraygues, Olivier, JFC Fuller: Comprendre la guerre. Thèse de doctorat, Paris IV La Sorbonne et PhD, King’s College London, Mars 2012, 288.

[4] Murray, ibid., 30-31.

[5] C’est aussi parce qu’elle ne concevait les chars qu’employés avec l’infanterie, que ceux de l’armée française en 1940, bien que plus puissants que ceux de son ennemi germanique, ne furent pas capables de manœuvrer en autonomie, faute de réservoirs ou de transmissions adaptés, et faute de doctrine.

[6] Howard, Michael. The continental commitment, the dilemma of British defence policy in the era of the two world wars. Bristol: Temple Smith, 1972.

[7] L’expérience est déjà étymologiquement ce que l’on tire du danger «ex-periculum»; donc le «retour d’expérience» est un pléonasme.

 

 

Fantassin possédant une riche expérience, tant au sein de la Légion étrangère qu’en administration centrale, le Chef de bataillon PELLABEUF est breveté de l’École de guerre britannique. Sur le cycle académique 2011/2012, il a effectué une scolarité en MBA à HEC avant de rejoindre au PAM 2012 le 1er régiment d’infanterie, en qualité de chef du BOI. 

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Titre : Préparer la prochaine guerre, ou comment ne pas devenir une armée d’anciens combattants
Auteur(s) : le Chef de bataillon Rémi PELLABEUF
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