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Quel avenir pour les forces spéciales françaises? Ou l’impérieuse nécessité d’entrer dans l’ère de la coopération interagences

cahier de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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Le Chef de bataillon de Monicault nous livre dans cet article une analyse rigoureuse de nos forces spéciales sur le plan capacitaire, puis trace quelques pistes pour un avenir raisonnable et raisonné de cet outil devenu indispensable dans les opérations modernes.


Les forces spéciales tendent à susciter le débat dès lors que l’on s’interroge sur le présent et l’avenir des armées françaises. Pour certains, ces guerriers d’un type nouveau disposant d’une technologie prométhéenne seraient devenus l’alpha et l’oméga de la pensée stratégique moderne. Pour d’autres, ils sont davantage le paravent d’une logique d’économie financière qu’une alternative militairement convaincante. Pour tous s’impose progressivement l’idée longtemps repoussée que nos forces armées, déjà «échantillonnaires»[1], devront se résoudre à consentir des abandons capacitaires. Ainsi, sur le marché des fonctions à préserver, renseignement et forces spéciales seraient placés «en tête de gondole», aux côtés d’une dissuasion nucléaire sanctuarisée. Ce faisant, ces enfants gâtés deviendraient à la fois «l’alibi et le substrat»[2] de nouvelles réductions du format des armées. Au-delà des simplifications sémantiques d’un débat que la mythologie grecque a vu naître – le cheval de Troie étant considéré comme la première opération spéciale – il paraît pertinent de s’interroger sur le présent et l’avenir d’acteurs par essence méconnus. La réduction annoncée de nos capacités militaires «conventionnelles» comme la perspective de «guerres probables» d’un nouveau type remettent-elles en question la vocation profonde et le positionnement de nos forces spéciales?

 

L’état des lieux critique de nos structures, éclairé par «l’état de l’art» chez nos alliés anglo-saxons, permet de rappeler que disposer de forces spéciales performantes et modernes est un objectif ambitieux, mais inachevé. De ce constat découlent naturellement les principaux défis à relever pour garantir la pérennité de l’efficacité et de la crédibilité de l’outil.

 

Le modèle français, structuration d’un outil utile et efficace… mais inachevé

 

  • L’indispensable complémentarité des approches

S’agissant des forces spéciales, il convient en amont de toute tentative de diagnostic de redéfinir leur nature et leurs spécificités. Leur caractère par essence hors normes, focalisant les opinions, n’a en effet jamais facilité la compréhension de leur nature profonde.

Les opérations spéciales se définissent par rapport aux opérations conventionnelles en complément desquelles elles ont vocation à opérer. Evoluant en marge de celles-ci, elles s’en distinguent par «un cadre espace-temps différent, la nature de leurs objectifs, des modes opératoires particuliers et la discrétion qui entoure leur préparation et leur exécution»[3].

De la guerre irrégulière à la maîtrise d’une violence déréglée, en passant par les phases d’intervention les plus dures, la véritable plus-value des forces spéciales s’exerce par le biais d’opérations excentrées par rapport à la manœuvre principale, tout en étant conduites à son profit. Les forces spéciales étendent les possibilités d’action d’une force. Cette vocation leur impose souplesse, réactivité et polyvalence.

 

  • Structuration d’un outil efficace et utile

Au lendemain de la 1ère guerre du Golfe, la France décida de se doter d’un commandement permanent pour ses forces spéciales. En cela, elle emboîtait le pas aux États-Unis et à la Grande-Bretagne (1987) et précédait de peu l’Allemagne (1996). Le commandement des opérations Spéciales (COS) fût placé directement sous les ordres du chef d’état-major des armées afin d’en garantir la souplesse et la réactivité.

En 20 ans, le COS s’est imposé comme un acteur opérationnel majeur. Il s’est structuré en conséquence. Il dispose d'un commandement intégré et d'une organisation interarmées incluant des moyens de recherche propres (13ème RDP[4]), des appuis aéromobiles (4ème RHFS) et une capacité de transport et d’assaut tactique (escadron Poitou).

Fort de son positionnement et de ses structures, le COS est devenu un outil d’emploi et de conception opérationnel incontournable. Des arrestations de criminels de guerre aux actions de contre-piraterie en passant par les libérations d’otage ou les raids commandos, ses 3.000 hommes ont été de tous les engagements. Le COS dispose aujourd’hui d’une expérience reconnue et de savoir-faire précieux. Il a fait la preuve de son efficacité et de son utilité. L’engagement actuel au Sahel le démontre.

 

  • Les faiblesses d’une organisation trop isolée

Pour autant, les succès du COS cachent de réelles faiblesses structurelles. Disposant pour emploi d’unités des trois armées, il ne bénéficie que de prérogatives très limitées en matière d’entraînement et d’équipement. Même s’il parvient à honorer sa vocation fédératrice, ses attributions restent insuffisantes pour lui permettre de faire face à l’impérieuse nécessité de cohérence et d’interopérabilité des acteurs[5].

Surtout, le COS reste trop éloigné de la «communauté du renseignement»[6] (DGSE, DRM, TRACFIN, DNRED, DGSI et DPSD[7]). Ni l’intégration de capacités de renseignement d’origine humaine[8] (13ème RDP), ni la puissance de la DRM ne suffisent à garantir la capacité du COS à préparer et conduire de véritables actions de ciblage. Combattre les réseaux terroristes et mafieux transnationaux de façon globale – c’est-à-dire sur les plans militaire, financier et logistique – exige en effet de disposer de filtres d’analyse que seule une approche interagences peut permettre.

Les dispositifs d’échanges mis en place ponctuellement avec différents services de renseignement, comme hier en Afghanistan ou aujourd’hui au Sahel, ne sont ni suffisamment larges ni suffisamment structurés pour faire face efficacement aux réseaux mafieux et terroristes qui nous menacent. C’est ce que rappelait le général commandant les opérations spéciales quand il affirmait à l’occasion des 20 ans du COS:«sans renseignement, pas d’action». Faute d’accès interagences, nos forces spéciales resteront cantonnées à une posture réactive, bien éloignée de leur vocation première.

 

  • Les forces spéciales anglo-saxonnes à l’heure des opérations Intel led

L’observation en Afghanistan de l’état de l’art chez nos alliés anglo-saxons permet de mesurer l’étendue de nos propres faiblesses et du risque de déclassement qu’elles préfigurent. En effet, tirant les enseignements des limites d’un cloisonnement excessif entre services de renseignement[9] et constatant la nécessité de développer le partage d’information au niveau tactique, les forces spéciales anglo-saxonnes entreprirent dès les années 2000 des réformes structurelles pour rapprocher «effecteurs» et «capteurs».

Aux niveaux tactiques comme à ceux de conception, Britanniques et Américains créèrent les structures nécessaires à la coopération interagences. Les cellules dédiées à l’analyse du renseignement fusionnèrent avec celles de planification et de conduite des opérations, revisitant ainsi les schémas traditionnels de l’organisation militaire.

Cette mutation donna corps à un outil hybride où capteurs interagences et opérateurs spéciaux se rapprochent au point de se confondre. Ce faisant, les forces spéciales anglo-saxonnes abandonnèrent leurs missions de Quick Reaction Force ou de contrôle de zone[10] pour focaliser leur action sur le ciblage des fonctions critiques des insurgés. Cette approche de ciblage systémique contribua directement aux progrès réalisés dans la sécurisation de Kaboul et Kandahar où la mise sous pression permanente et ciblée des réseaux insurgés permit de réduire les attaques terroristes de plus de 80% en un an.

 

Observer «l’état de l’art» chez nos alliés anglo-saxons laisse apparaître le spectre d’un potentiel déclassement de nos forces spéciales. À l’heure où leurs succès sont parfois présentés comme un alibi à de nouvelles restructurations, il convient d’étudier les véritables défis vers lesquels mène l’exigence d’une plus grande efficacité.

 

Les défis du modèle français

 

  • Disposer de moyens dédiés, la condition de la crédibilité

Garantir l’efficacité et la réactivité des forces spéciales exige tout d’abord de leur permettre l’emploi des moyens dédiés nécessaires à leur action. C’est au nom de cet objectif que les armées firent le choix volontariste de confier au COS l’emploi du panel de capacités dont il dispose aujourd’hui. 

Pourtant, comme ce fut le cas en Afghanistan[11] de 2010 à 2012, les forces spéciales sont régulièrement dans l’impossibilité d’exploiter les bénéfices de l’entraînement, du vécu et des procédures communes qui les fédèrent. Trop isolées, et sans doute incapables de faire comprendre leurs spécificités, elles ne parviennent pas à s’attacher en opérations les moyens dédiés dont elles auraient besoin. Ce faisant, elles ne peuvent répondre à leur vocation profonde. Leur positionnement devient non plus «complémentaire» mais «concurrentiel» parce que leur emploi exige le détachement par la force de moyens normalement affectés à son propre fonctionnement, avec les frustrations que cela peut engendrer. Surtout, sans moyens dédiés, les forces spéciales ne peuvent garantir la réactivité qu’exigerait pourtant leur vocation à s’adapter à une menace par essence évanescente. Leur crédibilité en est fragilisée.

À l’instar des principales forces spéciales étrangères, le COS doit parvenir à imposer l’idée que sa capacité à agir au profit des autres acteurs dépend de la mise à disposition de moyens dédiés spécifiques. Telle est en matière d’opérations spéciales, plus qu’ailleurs, le prix de la crédibilité.

 

  • Coloniser le champ de la sécurité intérieure des États faillis

Une fois ses moyens sanctuarisés, le COS pourra élargir son «offre de service» afin de mieux répondre aux réalités des menaces contemporaines. Il pourra notamment se préparer, aux côtés des autres acteurs de sécurité et de défense, à occuper le champ de la sécurité intérieure des États les plus fragiles pour les accompagner dans la lutte anti-terroriste quand ils en font la demande.

Le développement d’unités de police spéciale, à vocation anti-terroriste (ce qui exclut le droit commun) et opérant dans le cadre du droit local contribuerait à prévenir le développement de réseaux terroristes comme ceux que nous combattons aujourd’hui militairement au Sahel. L’accompagnement de forces de sécurité intérieure permettrait également de garantir la validité des poursuites judiciaires et d’éviter l’imbroglio juridique lié à l’indéfinissable statut des prisonniers. La voie est ouverte par d’autres, comme le démontre le développement des unités de police spéciales afghanes par les forces spéciales de l’ISAF.

Notons enfin que la nature terroriste des individus combattus et l’environnement sécuritaire des zones d’opérations potentielles (Mali, Somalie, Nigéria, Yemen…) prédisposent naturellement les forces spéciales pour participer à ces missions à caractère profondément militaire. Opérer dans un cadre interagences incluant la gendarmerie nationale sera la condition de la légitimité et de la crédibilité d’une telle approche.

 

  • Basculer dans l’ère de la coopération interagences

Enfin, au-delà des difficultés organisationnelles, le COS doit véritablement basculer dans l’ère de la coopération interagences. Telle est la condition de sa crédibilité. Lutter efficacement contre des réseaux terroristes et mafieux avec précision et efficacité exige des compétences, des accès et des expertises dont les militaires seuls ne disposent pas. La mise en place ponctuelle de procédures d’échanges avec d’autres services ne saurait suffire. Ce besoin doit être traduit en organisation par le biais de structures permanentes.

Le renseignement d’intérêt militaire fourni par la DRM doit être enrichi par les autres acteurs de la «communauté», chacun dans son domaine d’expertise. De même, la richesse issue de la diversité des cultures et des approches doit être mieux exploitée. L’expérience de la gendarmerie en matière d’investigation judiciaire et de lutte contre les réseaux mafieux et terroristes pourrait notamment être mieux mise à profit.

À l’instar de ce que Britanniques ou Américains ont mis en place, le COS doit trouver sa place au sein des processus interministériels d’échange de renseignement. Il offrira en retour ses capacités d’action au-delà de nos frontières.

 

 

En définitive, au-delà de l’image figée dans laquelle une sémantique simplificatrice les enferme, les forces spéciales constituent un outil complexe et évolutif dont la vocation dépasse de loin celle de «troupes de chocs». Voir en elles un palliatif ou un substitut à d’éventuels abandons capacitaires reviendrait à ignorer leur vocation profonde. À l’instar de ce que nos alliés ont pu développer et en cohérence avec la transformation des menaces, nos forces spéciales doivent au contraire avancer vers davantage de coopération interagences et, dotés des moyens dédiés indispensables à leur action, élargir leur champ de compétence.

De la capacité des armées à répondre à ces défis dépendra l’aptitude future des forces spéciales à faire face aux exigences de leur vocation. Pourrait également en dépendre la pertinence d’un rapprochement interservices à l’image du modèle britannique où services de renseignement extérieurs et opérations spéciales se confondent.

 

 

[1] Selon l’expression du Général Desportes,

[2] Pascal Le Pautremat, l’observatoire de la défense et la sécurité.

[3] Site de l’état major des armées (http://www.defense.gouv.fr/ema/interarmees/le-commandement-des-operations-speciales/le-cos-presentation)

[4] Régiment de dragons parachutistes

[5] En 2006, les forces spéciales terre et commandos marine se dotaient, pour un même besoin opérationnel, de deux véhicules de patrouille spéciale (VPS) différents. Aujourd’hui, VPS Panhard et Land Rover cohabitent en opérations au sein des mêmes détachements, avec les difficultés logistiques que l’on peut imaginer.

[6] Telle qu’instituée par le décret n° 2009-1657 du 24 décembre 2009 relatif au Conseil de défense et de sécurité nationale et au secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale.

[7] Respectivement Direction générale de la sécurité extérieure, Direction du renseignement militaire, traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins, Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, Direction générale de la sécurité intérieure, Direction de la protection et de la sécurité de la défense.

[8] Le 13ème régiment de dragons parachutistes (13ème RDP) est placé depuis 2002 pour emploi partagé au COS et à la DRM.

[9] Le conflit irlandais et les attentats du 11 septembre 2001 en furent le catalyseur.

[10] Mission que réalisèrent aussi les forces spéciales françaises dans le secteur de Spin Boldak de 2003 à 2006 (opération ARES).

[11] En Afghanistan par exemple, le groupement de forces spéciales (GFS) opérant en Kapisa et Surobi ne put jamais disposer des moyens du 4ème RHFS déployés au sein du bataillon d’hélicoptères de la Task Force Lafayette (TFLF). Lui étaient alors indifféremment attribués, suivant un processus décisionnel interne à la TFLF, des moyens aéromobiles «conventionnels» ou non.

 

 

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Titre : Quel avenir pour les forces spéciales françaises? Ou l’impérieuse nécessité d’entrer dans l’ère de la coopération interagences
Auteur(s) : le Chef de bataillon Charles-Henri de MONICAULT
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