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RAPPORT D’INFORMATION N°996

sur les enjeux de la numérisation des armées
Sciences & technologies
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 INTRODUCTION & RECOMMANDATIONS : Quelque nom qu’on lui donne, « révolution numérique », « mise en données » du monde (pour l’anglais datafication), « transition digitale » ou simplement « numérisation », le partage et le traitement de données en réseau s’imposent à tous :

  • États comme individus, entreprises comme organisations publiques
  • Dans tous les champs de l’activité humaine
  • Des tâches les plus banales du quotidien aux applications professionnelles les plus poussées.

Plus qu’une technologie, c’est un phénomène qui sous-tend la marche de nos sociétés et les transforme en profondeur ; c’est tout un mode de vie qui change avec la technologie. En cela, peut-être, n’est-il pas abusif de parler de « révolution ».


Et encore, jamais révolution industrielle n’aura entraîné autant de bouleversements ‒ et cela de façon aussi rapide ‒ que l’essor du numérique, qui a profondément modifié en quelques années non seulement la production et la consommation de biens et services en tout genre, mais aussi jusqu’à nos manières d’interagir, d’apprendre et de penser.

 
Les armées ne sauraient, bien entendu, demeurer à l’écart de ces transformations. D’ailleurs, comment le feraient-elles ?

C’est longtemps l’armement qui a donné l’impulsion dans l’innovation technologique et, si les armées ne sont plus les principaux prescripteurs de l’innovation technologique dans la « révolution numérique », en tout état de cause, elles font partie d’un écosystème humain, social, industriel et administratif traversé, comme l’ensemble de la société, par les mutations que suscitent les technologies numériques.


Cela vaut pour les armées comme pour toute organisation : la numérisation a profondément modifié les modes de production et de consommation, avec des gains de productivité dont les armées ne peuvent pas se priver dans le champ de leur activité dite « organique », c’est-à-dire celle du quotidien.  


Cela vaut aussi dans le champ opérationnel, où nos armées occidentales se doivent de conserver la supériorité technologique qui fait leur ascendant opérationnel. Il s’agit dès lors pour elles, au travers des bouleversements technologiques à l’œuvre, de conserver et d’accroître toujours leurs capacités dans trois ordres de fonctions :

  •  identifier la menace, ce que les moyens numérisés doivent permettre de faire toujours plus rapidement, voire de façon prédictive ;
  •  neutraliser la menace, par un ensemble de moyens auxquels les technologies numériques peuvent conférer davantage d’efficacité, voire d’efficience, qu’il s’agisse d’armements classiques ou de combat cybernétique ;
  •  protéger les organes et systèmes d’importance vitale qui animent, irriguent ou innervent ce corps social complexe qu’est la Nation, à commencer par la sécurité de ses armes et de ses réseaux.  


Le présent rapport dresse donc un état des lieux de l’appropriation des technologies numériques par les armées et, sur la base de ce constat, étudie comment celles-ci devraient consolider leurs acquis et relever les nouveaux défis que posent les ruptures technologiques envisageables dans le secteur numérique.  


À l’étude, il apparaît que la France a plutôt bien engagé le « virage numérique » dans la mutation de ses armées, avec toutefois des succès qui restent inégaux. L’évolution rapide de nos alliés comme de nos potentiels adversaires, ainsi que les ruptures technologiques à venir, imposent aujourd’hui de faire de la numérisation de notre outil de défense une priorité nationale, sous peine de déclassement.


Il en ressort surtout qu’en fin de compte, les enjeux de la numérisation des armées s’analysent en réalité comme d’éminents enjeux de souveraineté. Souveraineté dans l’emploi de la force, bien sûr, mais souveraineté, aussi, dans la possession des technologies. Que l’on ne se leurre pas : bien loin des utopies qui ont pu présider, un temps, au développement de ces technologies, le numérique est bel et bien devenu un outil de puissance, un formidable levier au service de politiques de rayonnement et ‒ on peut le dire sans hyperbole ‒ de domination. L’industrie numérique est à ce titre un champ de rivalités entre des grandes puissances technologiques, parmi lesquelles les Européens ne figurent plus au premier rang.  


C’est pour nos armées, instrument par excellence de notre autonomie stratégique, que la reconquête d’un plus haut niveau de souveraineté technologique est particulièrement cruciale. À l’heure du numérique, il n’y a pas de souveraineté possible en état de dépendance technologique.


C’est pourquoi les rapporteurs étudient les voies et moyens de la consolidation d’un écosystème d’innovation technologique à même de fournir la base industrielle et technologique de notre autonomie stratégique. Le ministère des Armées a un rôle majeur à jouer dans cet effort de consolidation. Et si, pour certains développements technologiques, l’échelle nationale paraît trop étroite, c’est dans l’optique d’une autonomie stratégique élargie à l’Union européenne que des efforts méritent d’être faits en coopération. Un tel effort suppose des investissements ‒ tant financiers ou technologiques qu’humains ‒ ainsi qu’une mutation de nos pratiques et de nos organisations administratives. Il en va de la capacité de la France à « rester dans la course » et, in fine, du succès de nos armes. 

 

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RECOMMANDATIONS


Créer les conditions d’une exploitation optimale des données

1. Investir dans un plan de réduction de la fracture numérique au sein du ministère des Armées, couvrant l’extension de la couverture de ses emprises en accès à internet, le déploiement d’une identité numérique pour tous les personnels, et la mise en ligne d’applications « du quotidien » sur internet aussi souvent que possible, et à défaut sur l’extranet du ministère.  


2. Pourvoir au financement de l’industrialisation des projets de transformation digitale expérimentés avec succès.  


3. Établir des règles de standardisation et de partage des données produites dans le cadre de l’activité du ministère des Armées, notamment pour le maintien en condition opérationnelle de ses équipements.  


4. Soutenir le développement des technologies de cloud computing et accompagner la montée en puissance d’un ou plusieurs opérateurs français.


Structurer un écosystème d’innovation  


5. Mettre en œuvre les recommandations du rapport de notre collègue Cédric Villani concernant le secteur de la défense et, ce, non seulement pour ce qui concerne l’intelligence artificielle, mais aussi pour d’autres technologies numériques utiles aux armées, comme la robotique, le big data ou l’impression 3D. À ce titre :  − soutenir la création de « plateformes sectorielles » partagées entre acteurs de l’innovation pour mettre en commun des informations, des services ou des équipements, notamment des capacités de calcul intensif et en cloud ; − mettre à la disposition des organismes de recherche et des industriels innovants des jeux de données exploitables, c’est-à-dire expurgées d’éléments classifiés et annotées autant que possible ; − favoriser la conduite d’expérimentations par les acteurs français de l’innovation, tant par un accès facilité à des installations d’expérimentation en situation réelle que par des mesures d’assouplissement des contraintes administratives.  


L’Innovation Défense Lab, une fois constitué en tête de réseau des différents « labs », peut constituer le fer de lance du ministère dans ces actions.  

6. Resserrer les liens entre la recherche, l’industrie, l’enseignement militaire, la DGA et les armées, ce qui passe par :

− des liens étroits entre l’enseignement militaire supérieur et les chaires spécialisées dans différentes disciplines intéressant les armées et l’industrie de défense ;

− un effort accru de recherches amont dans le secteur dit de la deep tech, c’est-à-dire à haut degré de risque, sans chercher à dupliquer la DARPA mais en s’inspirant de ses méthodes de conduite de projet dans le fonctionnement de l’Agence de l’innovation de défense ;

− une association plus étroite des industriels français avec des organismes de recherche tel l’INRIA ;

− une consolidation des différents « labs », qui gagneront à être mis en réseau par l’Innovation Défense Lab et, via l’Agence de l’innovation de défense, articulés avec le fonds Définvest pour, le cas échéant, accompagner la croissance des start-up ainsi repérées ;

− un recours plus fréquent aux « défis », ce qui suppose un financement pour leurs participants ainsi qu’un soutien en ingénierie contractuelle pour les services acquéreurs ; − un renforcement des moyens pratiques de soutien à l’innovation participative, sous l’égide de l’Agence de l’innovation de défense ;


7. Lutter contre l’aversion au risque dans les pratiques des administrations, ce qui implique de promouvoir une culture de l’expérimentation et de l’acceptation de l’échec en matière d’innovation technologique.


8. Déconcentrer une part des moyens de soutien à l’innovation, par exemple en confiant aux chefs de corps et commandants de base des crédits destinés à l’expérimentation d’innovations technologiques, moyennant un dispositif efficace de suivi central des initiatives et de partage de leurs résultats.


Préparer le combat numérisé de demain


9. Lancer des études visant à rendre les systèmes d’intelligence artificielle capables de fournir des justifications de leurs propres résultats, conditions pour que les applications d’intelligence artificielle puissent être reconnues opérationnelles et soient effectivement adoptées par les forces.  


10. Établir, dans un cadre doctrinal d’ensemble, des normes de cybersécurité du quotidien prévoyant notamment :

− une étude systématique, même rapide, de la cybersécurité de tous les équipements utilisés au sein des armées, de façon à ce que la doctrine en règle l’emploi de façon sûre ;

− des règles d’emport et d’usage par les militaires de leurs équipements numériques personnels ;

− des compétences de « cyber-hygiène » à valider par les militaires à l’instruction et dans la formation continue.


11. Accroître l’effectif de spécialistes du numérique en promouvant la réserve opérationnelle parmi les professionnels du secteur civil et en développant ces formations à tous les niveaux : enseignement supérieur « civil », écoles militaires, enseignement militaire supérieur.  


12. Ne jamais négliger les capacités de fonctionnement « en mode dégradé » des équipements modernes ainsi que la formation des personnels aux opérations « en mode dégradé ».


13. Établir un plan général de fonctionnement « en mode dégradé » de l’ensemble des réseaux du ministère des Armées.  


14. Conduire des études sur l’intérêt de capacités d’action cybernétique offensive déconcentrées qui constitueraient des alternatives aux moyens cinétiques, par exemple à bord des principaux bâtiments de la flotte.


15. Intensifier les recherches dans l’informatique quantique, pour préparer des capacités de cryptanalyse, des compétences en cryptographie quantique et des moyens de cryptographie post-quantique.  


Affermir notre stratégie technologique et industrielle


16. Consolider une stratégique technologique et industrielle claire, assumée et discutée avec le Parlement. Pour ce faire, les rapporteurs proposent de :

− créer, auprès de la ministre des Armées, un conseil de prospective technologique et opérationnelle chargé d’appuyer l’autorité politique dans l’orientation des choix technologiques du ministère en matière d’armement, s’inspirant du rôle tenu en son temps par le centre de prospective et d’évaluation ;

− charger ce conseil de piloter la rédaction d’un document de prospective technico-opérationnelle à trente ans, qui fixe un cap clair aux travaux de prospective des armées et de la DGA ;

− articuler avec ce plan les schémas de prospective technicoopérationnelle pour chaque milieu d’opération et chaque catégorie de systèmes d’armes ;

− sur cette base, associer la recherche et l’industrie à cette stratégie au moyen de feuilles de routes technologiques conclues entre la DGA et les principaux acteurs de la BITD.

17. Conduire des études interdisciplinaires afin de fournir une base à la rédaction, le moment venu, d’une doctrine française concernant les modalités précises de mise en œuvre du principe dit de « l’homme dans la boucle » de toute décision opérationnelle.

 
Ces travaux mériteraient d’être menés dans un cadre associant des spécialistes de la prospective technico-opérationnelle, de la recherche en neurosciences et en robotique ainsi qu’en intelligence artificielle, de la R&D dans les applications de ces sciences et de l’éthique.

La doctrine pourrait pertinemment distinguer différents niveaux d’autonomie d’un système d’arme ou d’intelligence artificielle, pour établir des règles graduées.  18. Dans la lignée du « Pacte défense‒PME », consolider les instruments financiers de soutien à l’innovation visant principalement les start-up et autres PME, afin par exemple de pouvoir financer des start-up pour un montant excédant celui de leur chiffre d’affaires, et de rendre les applications purement militaires éligibles à un dispositif comme RAPID.  


19. Réserver les usages sensibles à des logiciels « souverains ». À défaut de logiciel souverain, favoriser le recours à des logiciels libres et à des développements internes.  
Refondre les procédures d’acquisition d’armements  


20. Procéder à une réécriture de « la 1516 » de façon à distinguer : 

− un corpus court de règles et de méthodes communes à l’ensemble des programmes d’armement ;

− des règles de procédure différenciées en fonction : 

− d’une part, de la complexité et le coût des programmes, de façon à alléger les procédures (et donc réduire les délais) pour les programmes les plus simples ;

− d’autre part, de la nature des programmes, de façon à traiter différemment, par exemple, l’acquisition d’un véhicule et celle d’un système d’information.


21. Dynamiser la pratique de la contractualisation et, à ce titre : − promouvoir le recours à des procédures dérogatoires, telles que le partenariat d’innovation ou le dialogue compétitif, par des mesures de sécurisation juridique propres à lever les réticences des acheteurs ;

− inviter la DGA à contractualiser plus fréquemment avec les startup et autres PME, soit directement soit à travers un consortium ;

− créer, auprès de l’Innovation Défense Lab ainsi que des acheteurs du ministère, des cellules d’appui expert à la contractualisation afin de favoriser le recours à des procédures innovantes ou à des fournisseurs autres que les partenaires habituels du ministère.  


Utiliser l’échelle européenne comme levier de reconquête d’autonomie stratégique


22. Pour éviter l’enfermement dans certains standards technologiques, promouvoir l’établissement de normes européennes de cybersécurité et d’interopérabilité des composants et équipements numériques.


23. Soutenir la mutualisation européenne des capacités de calcul intensif et la localisation en France de supercalculateurs, à commencer par l’un des deux calculateurs exaflopiques que financera l’Union européenne.  


24. Prendre une part active dans les programmes européens visant à développer des capacités industrielles européennes dans le secteur des composants, notamment des processeurs.  


25. Promouvoir l’utilisation de la force de frappe financière et technologique européenne en faveur des recherches de deep tech, que ce soit dans le cadre des instruments naissants ‒ comme le fonds européen de défense ‒ ou d’une « DARPA à l’européenne ».

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Titre : RAPPORT D’INFORMATION N°996
Auteur(s) : MM. OLIVIER BECHT ET THOMAS GASSILLOUD, Députés
Éditeur : ASSEMBLÉE NATIONALE
Collection : Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 mai 2018
ISBN : RAPPORT D’INFORMATION N°996
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