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Relire «Le fil de l’épée» du Général de GAULLE

cahier de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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Traitant de l’action de guerre, du caractère, du prestige, de la doctrine, des rapports entre le politique et le soldat, «Le fil de l’épée» du Général de Gaulle, qui s’appuie sur de nombreux exemples historiques, littéraires et philosophiques, pourrait être un des ouvrages de référence pour la formation des officiers et des décideurs civils.


Lorsque j’étais chef de peloton au régiment d’infanterie-chars de marine, mon commandant d’unité m’offrit pour mon anniversaire l’ouvrage suivant: «Le fil de l’épée et autres écrits»[1]. Sa lecture me passionna et vint confirmer ce que ma jeune expérience de chef militaire au quartier ou en opération venait de m’apprendre. Interrogeant les officiers de ma génération à ce sujet, la plupart me répondirent qu’ils connaissaient «Le fil de l’épée»; mais quasiment aucun ne l’avait lu. Cité comme un incontournable de la culture militaire sur le site des Écoles de Coëtquidan, il ne fait pas partie des ouvrages dont la lecture est imposée aux officiers dans les directives de culture générale. Interrogeant alors les cadres civils de mon entourage, je réalisai que peu en avaient entendu parler.

En situation de responsabilité, pourquoi tâtonner et se priver de la réflexion poussée d’un de nos anciens? Pourquoi cet ouvrage n’est-il pas plus lu? Est-il dépassé? Pourtant, ce livre, très bien écrit et s’appuyant sur des références historiques diverses, me semble intemporel et mérite d’être lu et relu par tous les officiers et décideurs désireux de fonder l’exercice de leur responsabilités sur de solides bases.

Traitant de l’action de guerre, du caractère, du prestige, de la doctrine, des rapports entre le politique et le soldat, ce livre, s’appuyant sur de nombreux exemples historiques, littéraires et philosophiques, constitue une étude très claire sur le chef et ce qu’il doit être. Il pourrait figurer parmi les ouvrages de référence pour la formation des officiers et des décideurs civils.

 

Un ouvrage peu lu car son auteur est marqué politiquement

Cet ouvrage n’est peut-être pas lu pour des raisons politiques et sociologiques, car «le plus illustre des Français»[2] et son héritage divisent la société française. Cet ouvrage, de plus, est perçu de façon partisane dans une partie de la société française du XXIème siècle.

Sauf pour Arnaud Montebourg qui, d’après Le Point du 28 novembre 2010, se définit comme un «gaulliste de gauche», le Général de Gaulle est controversé, sinon sulfureux, dans certains cercles qui voient en lui l’homme du coup d’État permanent[3] dénoncé par François Mitterrand en 1964.

Parallèlement, le Général de Gaulle est perçu dans d’autres cercles comme l’homme qui a trahi l’Algérie française, qui a trompé leurs parents ou un membre de leur famille: ceux-ci ont cru tout d’abord qu’il adhérait au programme d’intégration de l’Algérie à la France, selon ses déclarations au Forum d’Alger le 13 mai 1958 avec la formule «Je vous ai compris» ou en criant à Mostaganem «Vive l’Algérie française»[4]. Puis ils ont subi les dramatiques conséquences de la politique d’indépendance du chef de l’État en perdant tout, et pour certains leur vie ou celle de proches parents. Si le nombre des témoins de ces évènements se réduit naturellement, les traditions familiales transmettent cette défiance à l’égard du général et perpétuent une franche déconsidération de son œuvre.

Inversement, pour une autre frange de la population, «Le fil de l’épée» constitue le livre de référence du gaulliste: il est la base philosophique du mouvement politique qui a survécu au général et qui structure encore aujourd’hui une partie de la vie politique française. D’après le «Dictionnaire de Gaulle»[5], il est bien un «manifeste gaulliste avant la lettre, exaltant la grandeur et l’unité de la nation au-delà des idéologies». Ainsi, les rééditions récentes revêtent clairement une vocation politique, ne serait-ce que par l’identité des personnalités qui introduisent le texte: Alain Peyrefitte en 1996[6] ou Hervé Gaymard en 2010[7].

Le marquage politique de l’ouvrage et de son auteur semble donc freiner un certain nombre de cadres à promouvoir ou à aborder ce livre pour la formation des élites.

Il convient de passer outre ces considérations politiciennes pour constater que les thèmes abordés par Charles de Gaulle sont consubstantiels à l'état d'officier et plus généralement de chef.

 

Un ouvrage toujours actuel et pas seulement réservé aux militaires

En 2012, un ouvrage de 1932 est-il toujours d’actualité?

Effectivement, à l’heure de l’approche globale, du combat des espaces lacunaires et de la cyberdéfense mondialisée, l’expérience du Général de Gaulle basée sur la première guerre mondiale peut de prime abord sembler désuète. En poussant ce raisonnement, il serait alors aussi inutile de relire Sun Tzu[8] ou encore d’étudier l’histoire. Ne pas tirer parti de l’expérience passée serait une insulte à l’intelligence. Toutefois, si l’on peut tirer des enseignements du passé, le général nous prévient lui-même qu’il serait dangereux d’en tirer des lois. D’ailleurs, l’objet des conférences de 1927 que le Capitaine de Gaulle a prononcées est bien de faire comprendre aux stagiaires de l’École supérieure de guerre que la guerre est contingente et que les circonstances ne se reproduisent jamais. Aussi, il serait bien dangereux, d’après le Colonel Pétain cité par de Gaulle, d’arrêter a priori la forme de toute action de guerre.

Le caractère cartésien français nous conduit à vouloir mettre toute situation, toute action et en particulier la guerre en équation. Le général nous en prévient d’ailleurs dans la partie de son ouvrage De la doctrine: «Il semble que l’esprit militaire français répugne à reconnaître à l’action de guerre le caractère empirique qu’elle doit revêtir. Il s’efforce sans cesse de construire une doctrine qui lui permette, a priori, d’orienter l’action et d’en concevoir la forme, sans tenir compte des circonstances qui devraient en être la base».

Pour élaborer sa décision, le chef militaire fait face à un ensemble complexe de données plus ou moins établies, plus ou moins complètes et plus ou moins actuelles. Le Général Vincent Desportes démontre dans «Décider dans l'incertitude» toute l'actualité de cette problématique[9].

Pour Charles de Gaulle, l'élaboration de la décision se fonde donc à la fois sur l'intelligence et l’instinct du chef, qui sont alors indispensables et indissociables, idée illustrée de nos jours par David Petraeus[10]: «Il est en effet notable que toute expérience de la guerre non complétée par la réflexion intellectuelle n’est qu’une longue suite d’horreurs absurdes. De même, toute théorie militaire échafaudée en l’absence d’expérience vécue est vaine».

D’une manière plus générale tant la contingence et l'incertitude de notre monde sont importantes, le premier chapitre du «fil de l’épée» intitulé «De l'action de guerre» qui développe les notions ci-dessus pourrait se nommer plus simplement «De l'action».

Une fois la décision élaborée par l’instinct et l’intelligence, il faut la transformer en action, faire bouger les masses, faire changer les habitudes. Pour cela, le chef doit alors faire preuve d'autorité. À la fin de «De l'action de guerre», le général aborde les problèmes de la formation, du recrutement et de l’avancement des chefs: «D'ailleurs les personnalités puissantes, organisées pour la lutte […] ne présentent pas toujours ces avantages faciles, cette séduction de surface qui plaisent dans le cours de la vie ordinaire. Les caractères accusés sont, d'habitude, âpres, incommodes, voire farouches. Si la masse convient, tout bas, de leur supériorité et leur rend une obscure justice, il est rare qu'on les aime et, par la suite, qu'on les favorise. Le choix qui administre les carrières se porte plus volontiers sur ce qui plaît que sur ce qui mérite». Quelle réflexion saisissante sur la formation et la sélection de nos élites!

C'est hélas certainement la partie la plus actuelle de cet ouvrage. Dans un récent essai[11], Ollivier Saby nous désole en nous dévoilant comment est formée et sélectionnée l'élite de l'administration à l’École nationale d’administration. Son témoignage nous apprend qu’il n’y faut surtout pas faire preuve de caractère en exprimant des idées différentes, mais bien plaire au noteur et ne pas faire de vagues pour bénéficier d'un classement permettant l'accès aux plus prestigieux corps de l'État.

Comme on y rentre sans intérêt pécuniaire ni ambition sociale, on ne retrouve pas ce même travers chez les officiers. On peut toutefois, dans une moindre mesure, s’interroger sur l’influence du classement de sortie de Saint-Cyr sur la notation et l'avancement des officiers de l'armée de Terre, parfois encore bien longtemps après leur sortie d’école.

Pour posséder l’autorité nécessaire à l’action, le chef doit être un homme de caractère, ce qui fait l'objet de la deuxième partie de l'ouvrage : «Du caractère». La lecture de cette partie résonne de nos jours à différents niveaux:

  • Quel jeune chef d’aujourd’hui n’a jamais rencontré de difficultés pour imposer une solution intelligente à un problème qui rompait avec les habitudes de subordonnés expérimentés? Quel jeune chef n’a pas ressenti combien la force de caractère était indispensable pour avoir l’audace d’entreprendre, puis avoir la volonté de s’y tenir?
  • À plus grande échelle, en France, nous assistons à une crise généralisée de l’autorité, détaillée en 2011 dans l’ouvrage de la documentation française Crise de l’autorité et socialisation des jeunes. Dans le domaine de l’éducation nationale, la crise de l’autorité des maîtres est illustrée par Bruno Robbes, maître de conférences en sciences de l’éducation à Cergy.
  • Nous assistons aussi à une montée de l’individualisme et à une baisse de la réflexion personnelle chez nos concitoyens, remplacée par les raisonnements imposés par les médias nous bombardant d’informations et nous imposant un prêt à penser. Dans ces conditions, celui qui parvient à s’extraire de cette fange, à se faire ses propres idées et à s’y tenir, n’est autre que l’homme au caractère suffisamment développé.
  • De plus, la montée du relativisme religieux, politique et social transparaît aussi sur les individus: quand un gouvernement change fréquemment et irrationnellement les règles qu’il impose, pourquoi à bas niveau un subordonné ne se permettrait-il pas de remettre en cause une règle éditée par son supérieur? Là aussi, l’homme de caractère se doit de s’imposer.

 

Cet extrait de ce chapitre daté de quatre-vingts ans semble alors d’une étonnante fraicheur «Face à l’évènement, c’est à soi-même que recourt l’homme de caractère. Son mouvement est d’imposer à l’action sa marque, de la prendre en compte, d’en faire affaire. Et loin de s’abriter sous la hiérarchie, de se cacher dans les textes, de se couvrir de comptes rendus, le voilà qui se dresse, se campe et fait front. Non qu’il veuille ignorer les ordres ou négliger les conseils, mais il a la passion de vouloir, la jalousie de décider».

Sans dévoiler toute la profondeur de la pensée du général sur le caractère du chef, suivons le fil de l’épée et intéressons-nous à cet aspect du commandement humain, «Le prestige», constituant la troisième partie.

Ce terme peut au XXIème siècle passer pour arriéré. En effet, lors des dernières élections présidentielles françaises, un des arguments phares d’un candidat consistait à promettre une présidence normale. Certains opposants lui ont reproché sa mollesse. Au-delà de la formule politicienne, est-il vraiment envisageable pour asseoir son autorité, pour décider et agir dans un contexte de crise, d’être normal? Le Général de Gaulle semble nous démontrer en s’appuyant sur l’histoire des grands hommes le contraire.

Se définissant par: «autorité morale d’une personne, séduction qu’elle exerce sur l’imagination des hommes», on comprend bien que le prestige constitue un instrument indispensable pour un chef pour faire adhérer ses subordonnés à son projet.

Pour cela, le chef doit garder une part de mystère, donc de l’éloignement. Alors, qui n’a pas ressenti la solitude du chef? Qui n’a pas ressenti de doute qu’il ne pouvait partager, de peur de faire douter ses subordonnés? Citant Émile Faguet, le général nous rappelle que «le sentiment de solitude est la misère des hommes supérieurs».

Ayant déjà évoqué la partie «De la doctrine» au début de cet article, la dernière partie du fil de l’épée intitulée «Le politique et le soldat» reste elle aussi d’une actuelle fulgurance en ces temps de réduction de format des armées: «Aussi longtemps que la patrie n’est pas directement menacée, l’opinion répugne aux charges militaires. […] Comment le gouvernant, qui ne peut se passer du suffrage des foules, ferait-il fi de tels sentiments? D’ailleurs, il lui revient d’établir les budgets où l’entretien des armées creuse des trous effrayants»; ou encore sur les relations entre politiques et militaires: «C’est qu’en effet le train des choses d’aujourd’hui ne met guère les politiques et les soldats dans le cas de s’exercer à l’action commune, ni même de bien se connaître. […] Ils n’en trouvent point, d’ailleurs, l’occasion, sauf en quelques commissions ou conférences où les guerriers, qualifiés d’«experts», s’en tiennent à leur technique…»

 

En conclusion, faisant fi des clivages politiques, «Le fil de l’épée» pourrait être un ouvrage de référence pour la formation des officiers et des décideurs. Il mérite d’être lu et médité tout au long d’une carrière.

Particulièrement pédagogique, bien écrit et truffé d’exemples historiques, littéraires et philosophiques, ce court ouvrage de quatre-vingts pages est particulièrement agréable à lire. Comme le dit Alain Peyrefitte dans sa présentation «la pensée qui aiguise «Le fil de l’épée» est une pensée en action, une pensée de terrain, empreinte de décision mais aussi d’attention au circonstances»[12].

Enfin, cet ouvrage est par-dessus tout exceptionnel car l’histoire a permis à l’auteur de mettre en œuvre sa pensée, et ce au plus haut niveau. Comme l’a écrit François Mauriac: «Treize ans avant la catastrophe imprévisible, inimaginable à cette époque, ce jeune chef de trente-sept ans, d’avance sait ce qu’il fera et ce qu’il sera».

 

[1] «Le fil de l’épée et autres écrits», Charles de Gaulle, Plon 1999.

[2] Selon la formule du président de la République René Coty.

[3] «Le coup d’État permanent», Essai politique de François Mitterrand, Plon 1964.

[4] Avec un temps d’arrêt entre «Algérie»  et «française», selon son gendre Alain de Boissieu dans «Pour servir le Général», page 101, Plon 1982.

[5] «Dictionnaire de Gaulle», sous la direction de Claire Andrieu, Philippe Braud et Guillaume Piketty, Robert Laffont, 2006.

[6] «Le fil de l’épée» de Charles de Gaulle, Plon / imprimerie nationale Édition 1996. 

[7] Librairie Académique, Perrin, 2010.

[8] Général chinois du VIème siècle avant J.C., auteur de l’ouvrage de stratégie militaire le plus ancien: «L’Art de la guerre».

[9] «Décider dans l'incertitude» Économica – 2ème édition - 2007. Préface du Général d’armée Bruno Cuche

[10] David Petraeus, né le 7 novembre 1952 dans la petite ville de Cornwall-on-Hudson dans le comté d'Orange (New York), ancien général de l'armée américaine et commandant de l'ISAF en Afghanistan, fut nommé directeur de la Central Intelligence Agency (CIA) le 6 septembre 2011.

[11] «Promotion Ubu roi. 27 mois sur les bancs de l’ENA», Essai: Flammarion-Documents 2012.

[12] Introduction à «Le fil de l’épée» de Charles de Gaulle, Plon / imprimerie nationale Édition 1996. 

 

Saint-cyrien de la promotion «Chef d’escadrons RAFFALLI», le Chef de bataillon Philippe OUTTIER est stagiaire à l’École de guerre. Officier des troupes de marine, il a servi principalement au régiment d’infanterie-chars de marine. Il a été engagé plusieurs fois en opérations extérieures en Afrique.

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Titre : Relire «Le fil de l’épée» du Général de GAULLE
Auteur(s) : le Chef de bataillon Philippe OUTTIER
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