Les contenus multilingues proposés sur le site sont issus d'une traduction automatique.
 

 
 
 
 
 
Français
English
Français
English
 
 
 
Afficher
 
 
 
 
 
Afficher
 
 

Autres sources

 
Saut de ligne
Saut de ligne

Revue de tactique générale - Le feu

Éditorial
Tactique générale
Saut de ligne
Saut de ligne

Le général Jean Delmas1 a très tôt émis l’hypothèse que les doctrines tactiques avaient été élaborées chronologiquement en trois temps successifs : elles ont tout d’abord théorisé l’association du choc et du mouvement, puis, l’introduction du feu, en général, dans la manœuvre. Troisième temps : la prise en compte du feu nucléaire. Rien n’a véritablement changé depuis, même si certains estiment que les champs immatériels ont révolutionné la tactique, créant de fait un quatrième temps.



 

En revanche, les méthodes et les moyens du combat, eux, ont évolué au gré des relations entretenues entre la guerre et la technique – l’augmentation de la puissance de feu en particulier, sans oublier sa mobilité –, mais aussi entre la guerre et la politique. La seconde pouvant avoir une influence réelle sur la première, du point de vue tactique : les modalités d’ouverture et d’emploi du feu définies dans les ordres d’opération en sont les preuves sensibles et concrètes. Par ailleurs, historiquement, c’est bien le feu qui a nourri une réflexion tactique d’importance, quoique peu connue, relative aux « ordres » – mince, profond, oblique, mixte. Pendant des décennies, l’opposition apparente entre les notions de choc et de feu est savamment alimentée par les plus grands théoriciens : Guibert, Folard, Saxe et Frédéric II, ce dernier affirmant, un peu définitivement : « les batailles se gagnent par le feu ».

 

Mais c’est surtout Napoléon qui combine, de manière magistrale, des concepts antithétiques en première approche – mouvement, choc et feu – et qui règle un dilemme complexe, grâce à l’emploi judicieux des feux :

 

concentrer ses forces ou les disperser ? Les Britanniques, eux, simultanément, traitent du feu avec une autre approche, en faisant effort sur la précision des tirs plutôt que sur la masse des feux.

 

La fin du XIXe et le début du XXe siècle donnent au feu une place prépondérante dans la tactique générale. Les arguments sont avant tout techniques : poudre sans fumée, fusils se chargeant par la culasse (Chassepot), armes automatiques (mitrailleuses, dont le célèbre canon à balles Reffye2) et progrès de l’artillerie. Tactiquement, l’augmentation de la puissance et de la portée laisse croire que le sort de la bataille décisive est profondément lié à la supériorité des feux. Cependant trois écoles s’affrontent à ce sujet au XXe siècle.

 

La première est celle des penseurs héritiers de Napoléon, dont Foch finalement : le feu ne change globalement rien à la manœuvre. L’avantage reste à celui qui attaque et qui est numériquement supérieur ; les avantages de la défensive, en termes de feux (préparation d’artillerie qui réduit la surprise, postes de tirs défensifs, protection contre les feux) sont partiellement pris en compte.

Directement influencée par la guerre des Boers en Afrique du Sud et celle de Mandchourie, la « nouvelle école3 » (retenons Négrier4 et Kessler5) affirme que le feu « moderne » impose une réflexion sur de nouveaux schémas. La dispersion et l’échelonnement dans la profondeur des unités6 seraient une bonne solution tactique, laquelle poserait, paradoxalement, le problème de la concentration des efforts et de la centralisation du commandement, rendu très difficile. Ardant du Picq participe à ce débat sur un autre plan : la valeur morale individuelle du combattant gagne en importance avec l’augmentation de la puissance de feu7. Quant à l’attaque générale immédiate, théorisée par Grandmaison, planifiée minutieusement et conduite par les échelons subalternes, elle prend en compte le feu avec beaucoup d’intelligence.

 

D’autres tacticiens (Pétain, Maud’huy) démontrent que le feu freine l’offensive et qu’il génère la prudence tactique. Ils s’entendent aussi avec l’école évoquée précédemment sur les notions de décentralisation et ont un point de vue synthétique sur la défensive8. Ainsi Pétain écrit-il : « l’offensive seule peut conduire à la victoire. Mais, si n’envisageant qu’une tranche du champ de bataille, on considère deux troupes opposées l’une à l’autre et encadrées, il est de toute évidence que celle des deux troupes qui restera sur la défensive, alors qu’elle dispose d’un excellent abri et d’un champ de tir favorable, sera dans des conditions matérielles plus avantageuses que celle qui s’avance à découvert. L’utilisation du terrain donne à la défense un supplément de force qui lui permet d’immobiliser un effectif supérieur au sien. C’est la raison d’être de la défensive9

 

Une autre notion qui cristallise parfaitement les interactions du feu avec la tactique générale est celle d’attaque décisive. Si, pour certains, le choix du lieu et du moment de l’attaque est du seul ressort du commandant en chef, ses contradicteurs brandissent l’argument du feu, tellement puissant, qu’il entraînera la dispersion des troupes et la décentralisation de la décision. Quant aux enjeux tactiques bien plus contemporains de l’emploi des feux, ils évoluent autour de deux notions principales : intégration et coordination.

 

Quelques mots, pour finir, sur la Revue de tactique générale (RTG). Celle-ci a bien deux vocations : faire réfléchir et donner à réfléchir. Faire réfléchir ceux que la tactique intéresse, de près ou de loin, en amateur éclairé ou en professionnel, en leur demandant de contribuer, par écrit, selon le thème retenu, aux articles de la revue : car la tactique est une affaire de théoriciens, de techniciens, mais aussi de praticiens, quels que soient leur grade ou leur expérience. Même si, comme l’affirmait le professeur Hervé Coutau-Bégarie10, rares ceux qui arrivent à être simultanément, et efficacement, stratégistes et stratèges, théoriciens et praticiens. Aussi, voici quelques pistes éditoriales pour faire vivre et « grandir » notre revue : le vivier des contributeurs doit être élargi ; les articles doivent être plus courts, plus alertes et moins roboratifs, et, tout en traitant le sujet avec précision et exhaustivité, l’approcher « à la façon de Picasso », en tournant autour de lui et en l’abordant sous des angles divers et complémentaires, donnant ainsi du volume à la réflexion. Sans pour autant perdre en qualité. C’est un vrai challenge, dont dépend aussi la seconde vocation : « donner à réfléchir ». Car il s’agit d’intéresser, en particulier, les jeunes générations au fait tactique, auquel s’adosse, pour nourrir la réflexion, le fait historique. La création de la chaire de tactique générale, il y a un an, relève bien de cette ambition. Elle fera l’objet de mon prochain éditorial.

 

À vos plumes et à vos livres !

 

 

                                                      

 

1 Le général Jean Delmas (1925-2018) est un acteur de premier plan du rapprochement entre l’armée de Terre et le monde civil de la recherche historique. Après avoir servi lors de la Seconde Guerre mondiale, puis lors des guerres d’Indochine et d’Algérie, il acquiert le grade de docteur et contribue à la revitalisation de l’histoire militaire, en assurant la direction du Service historique de l’armée de Terre (1980-1986), puis de la commission française d’histoire militaire (1991), mais aussi en dispensant des cours magistraux qui ont marqué des générations d’officiers, en particulier à l’école supérieure de guerre et à Saint-Cyr.

2 Si, en 1870, l’armée française est en voie de modernisation, elle n’est pas dotée d’une doctrine adaptée. L’emploi du canon à balles est symptomatique : il n’est pas utilisé au maximum de ses possibilités et en particulier de sa portée.

3 L’« ancienne » étant celle de Napoléon.

4 Négrier (de), François-Oscar, « L’évolution actuelle de la tactique », in Revue des Deux Mondes, 15 février 1904, pp. 854-885 et 1er mars 1904, pp. 110-129.

5 Kessler, Charles, général, Tactique des trois armes, Paris, Chapelot, 1902.

6 Apparaissent alors des notions tactiques innovantes : vagues successives, rideaux minces, colonnes mixtes, formations diluées, autonomie des échelons

7 Queloz, Dimitry, De la manœuvre napoléonienne à l’offensive à outrance, La tactique générale de l’armée française 1871-1914, Paris, Economica, 2009, p. 396.

8 La synthèse doctrinale est plus difficile : le Règlement de Manœuvre de l’Infanterie de 1904contredit souvent le Règlement de Service en Campagne de 1895. Lire à ce sujet : Goya, Michel, La Chair et l’Acier, Paris, Tallandier, 2004, p. 29.

9 Pétain, Philippe, Tactique d’infanterie, ISC, Paris, 2002, p. 121-122.

10 Hervé Coutau-Bégarie (1956-2012) est le fondateur de l’Institut de stratégie comparée. Professeur de stratégie à l’École de Guerre pendant une quinzaine d’année, ancien président de la Commission française d’histoire militaire, il est considéré comme le plus brillant stratégiste de sa génération.

 

 

 

Séparateur
Titre : Revue de tactique générale - Le feu
Auteur(s) : Colonel Stéphane FAUDAIS, rédacteur en chef, titulaire de la Chaire de tactique générale
Séparateur


Armée