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Savoir et croire pouvoir: l’illusion post-industrielle américaine

cahier de la pensée mili-Terre
Histoire & stratégie
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L’idée du pouvoir supérieur de la «connaissance» est une idée désormais banale dans des sociétés qualifiées de post-industrielles et où les entreprises se concentrent de plus en plus sur l’immatériel et sous-traitent largement la production physique dans des pays à faible coût de main d’œuvre. La classe ouvrière tend ainsi à disparaître des pays les plus avancés, réalisant d’une certaine façon le vieux rêve de Jean Fourastié de l’homme (occidental) libéré du travail de la matière.


Vers une armée post-industrielle

Depuis le début de la guerre froide, les Américains disposent incontestablement de l’appareil de renseignement mais aussi d’analyse le plus performant au monde. Cela n’a pas empêché, au milieu de nombreuses réussites, un certain nombre de ratages spectaculaires, par manque de données d’origine humaine, parce que les données ne sont pas correctement interprétées à cause de certains biais (culturels par exemple ou corporatistes) ou simplement parce que les bonnes analyses ne sont pas crues par les décideurs. Parmi d’autres ratés, on peut citer l’attaque de la Corée du nord en juin 1950, l’offensive chinoise en octobre suivant, l’offensive du Têt en 1968, la révolution iranienne de 1979, l’invasion du Koweit par l’Irak en 1990 et les attaques du 11 septembre 2001.

Avec la fin de la guerre froide et la première guerre du Golfe qui consacrent l’ère de l’hyperpuissance, le département de la défense tend, et c’est une constante dans l’histoire militaire américaine, à s’inspirer du modèle économique dominant. On commence donc à imaginer un système de défense fondé sur «l’économie de la connaissance» avec un réseau de surveillance stratégique d’autant plus important et serré que les menaces sont multiples et diffuses, en conjonction avec des forces elles-mêmes rendues omniscientes par les nouvelles technologies de l’information. Son brouillard dissipé, la guerre devient une partie de chasse avec des «capteurs» et des «effecteurs», venant essentiellement d’un ciel parfaitement maîtrisé.

Les armées elles-mêmes se «tertiarisent», c’est-à-dire que le nombre de militaires au service d’autres militaires y devient très supérieur à celui des combattants. Le nombre d’utilisateurs d’ordinateurs dépasse celui des servants d’armes, d’autant plus que l’on sous-traite une partie de la fonction combat à des sociétés privées ou des contingents alliés, notamment dans les pays où on ne veut pas s’afficher trop ouvertement. Les unités de combat américaines, surtout terrestres, diminuent ainsi d’un bon tiers durant les années 1990. Mais même dans le «tertiaire» (ou «back office») on fait de plus en plus appel à des «militaires à temps partiel» (réservistes et gardes nationaux). On aboutit ainsi à un structure proche de l’industrie privée[1].

Dans ce modèle «tertiarisé» appliqué en Bosnie, au Kosovo, en Afghanistan en 2001[2] et, de manière moins «pure» lors de l’invasion de l’Irak en avril 2003, les Américains semblent avoir initié l’armée «post-industrielle», omnisciente et presque exempte de pertes[3]. Mais les choses se gâtent par la suite, un peu à la manière de la «bulle internet» et de la «nouvelle économie» en 2000.

 

Les déboires de l’armée de «la connaissance»

Dès le début du conflit en Irak, les choses ne se sont pas passées exactement comme prévu que ce soit au niveau stratégique avec l’opposition à cette guerre par de nombreux pays ou au niveau opératif («nous ne combattons pas l’ennemi que nous avions prévu», Général Wallace). Mais les situations les plus désagréables sont venues par la suite.

Dès l’été 2003, le théâtre irakien devient celui de la surprise permanente et de l’action en réaction. Tout l’appareil d’analyse et de renseignement est incapable de comprendre que les harcèlements qui prennent de l’ampleur ne sont pas les derniers feux du régime de Saddam Hussein mais le début d’un mouvement de rejet de l’occupation.

Après la capture de Saddam Hussein en décembre 2003, le Général Odierno, commandant la 4ème DI[4], déclare: «les rebelles restants sont à genoux […] les choses seront rentrées dans l’ordre dans six mois». La relève du printemps 2004 s’effectue donc dans l’optimisme. Quelques jours plus tard, en avril, les Marines sont repoussés à Falloujah, le Sud chiite se révolte, les forces de sécurité irakiennes s’effondrent et les images des sévices d’Abou Ghraïb sont diffusées dans le monde entier. Toutes choses que personne n’a vu venir.

Il faut un an pour reprendre le terrain perdu mais à la fin de 2005, avec le succès des différents scrutins, le général Casey, commandant le théâtre, peut envisager sereinement une relève locale par l’armée irakienne et le repli intérieur sur de grandes bases. Quelques mois plus tard, le pays est en plein chaos. Plus de cent civils sont assassinés chaque jour et près de 10 % de la population a déjà été déplacée. Bagdad est en train de devenir un «trou noir de violence» qui entraîne le reste du pays. Dans l’urgence, une nouvelle opération de reprise de contrôle du terrain est lancée, le surge (sursaut), et, en septembre 2007, le général Petraeus peut témoigner une nouvelle fois que la situation est sur la bonne voie.

Le renseignement stratégique et opératif a donc toujours été déficient en Irak. Quant au Network centric warfare du niveau tactique, un officier déclarait en 2004: «On nous avait dit que l’on saurait tout sur l’ennemi avant même de l’aborder. En réalité, dans 90 % des cas on ne le découvre que lorsqu’on voit le départ de la roquette RPG».

 

La remise en cause du modèle

Il y a désormais 8 fois plus de soldats américains tombés au combat sur ce théâtre que durant toutes les autres opérations qu’a menées l’all volunter force depuis sa création en 1973. Incontestablement, il a manqué des combattants au sol. Avec une brigade de 3.500 hommes, les Américains sont capables de contrôler une ville sunnite de 200.000 habitants. Avec une moyenne de 15 brigades, ils ont donc pu contrôler une population urbaine totale de 3 millions d’habitants, or la seule ville de Bagdad en compte déjà 6 millions[5]. Ils sont donc condamnés à sans cesse prendre les villes puis à les abandonner (on parle de «guerre de Sisyphe»). La ville de Ramadi par exemple est reprise par les Américains tous les ans depuis 2003.

Depuis 2003, L’US Army et le corps des Marines s’efforcent de reconstituer des unités de combat, mais c’est un processus long et difficile. Il est significatif qu’au moment du déclenchement du Surge, le Department of Defense, qui compte 2,2 millions d’hommes et de femmes en uniforme n’a pu dégager (provisoirement) que 30.000 soldats (dont 20.000 combattants) pour renverser une situation en Irak alors très compromise.

Les «sous-traitants»[6], les «temps partiels» et les Alliés posent une multitude de problèmes dans la zone de combats. Les mercenaires obéissent aux logiques de leurs contrats et n’ont que faire de la «bataille des cœurs et des esprits». Leur action peut même perturber gravement celle des armées (cf la mort des volontaires de Blackwater à Falloujah en mars 2004 qui a entraîné en quelques jours le basculement de toute la stratégie militaire dans les provinces sunnites).

Les réservistes et gardes nationaux ont fini par représenter 40 % des effectifs mais comme, dans ce contexte, ils se retrouvent en première ligne, ils sont la source de la plupart des bavures et aussi des protestations dans la presse. Leur moral et donc leur recrutement est au plus bas.

La coalition des bonnes volontés n’a finalement pu réunir que 30.000 soldats (35 contingents) dans le Sud irakien, nombre très insuffisant pour contrôler 12 millions de chiites, même favorables initialement à la coalition. La surprise de la révolte d’avril 2004 a entraîné un reflux massif (division par deux du contingent) et une rétractation sur les bases. Tout le sud chiite est désormais aux mains des milices.

Les forces institutionnelles irakiennes sont peu fiables (cas de l’armée et encore plus de la police) et les non institutionnelles dérivent souvent en «escadrons de la mort» et surtout leur développement contredit l’établissement d’un pouvoir solide avec ses prérogatives régaliennes. Cette multiplication des acteurs militaires (sans parler des acteurs civils) est, au bilan, un grand facteur de désordre qui a entravé toutes les stratégies mises en œuvre.

 

Conclusions

L’illusion scientiste de la connaissance parfaite qui permettrait d’agir avec une grande efficience, et donc d’avoir peu de moyens d’action, a fait long feu. L’action stratégique tant qu’elle reste soumise à la dialectique reste aussi soumise à l’incertitude.

Le «déboulonnage» des entreprises privées, où les ingénieurs sont regroupés et le contact coupé avec le monde de la production, elle même largement délocalisée, a introduit un malaise social. Ce même processus dans les armées américaines a entraîné une inefficacité tactique et donc aussi un malaise.

Comme après le retour à l’économie réelle au début des années 2000, l’US Army et le Corps des Marines, comme l’armée israélienne après son échec contre le Hezbollah en 2006, reviennent à beaucoup plus de classicisme (modification du credo du soldat américain dans un sens beaucoup plus guerrier, redécouverte du combat rapproché, augmentation du nombre des combattants, etc…). L’US Air Force et l’US Navy, moins concernées par les problèmes de guerre au milieu des populations et qui craignent un rééquilibrage en leur défaveur, contestent cette tendance. Il se créé ainsi une nouvelle scission au sein des forces armées américaines.

Les armées professionnelles occidentales, petites et chères, sont taillées pour les opérations limitées. Elles sont beaucoup plus mal à l’aise face à des adversaires qui pratiquent à leur niveau une guerre totale. Ces adversaires, comme le Hezbollah ou l’armée du Mahdi, sont tout le contraire d’une armée post-industrielle. Commandement, renseignement, propagande, actions auprès de la population, combat y sont parfaitement intégrés sous un commandement unique. Les combattants y sont à la fois nombreux, polyvalents (il peuvent tour à tour se battre, aider la population, renseigner, etc.) et sont prêts à mourir.

 

 

[1] Renault est passé de la situation de constructeur d’automobiles assurant 80 % de la fabrication de ses modèles dans les années 1950 à celle de «concepteur» d’automobiles n’assurant plus que 20 % de la fabrication aujourd’hui.

[2] Les deux premiers conflits américains où l’US Army n’intervient pas.

[3] Mais aussi de combat rapproché; le nombre de soldats américains ayant réellement appliqué des feux sur un ennemi précis ne dépasse pas 1% du contingent engagé en Irak en mars-avril 2003. En témoigne le très faible nombre de Medal of honor décernées.

[4] Et actuel adjoint du Général Petraeus en Irak.

[5] Il y a, fin 2003, moins de fantassins américains en Irak (27 millions d’habitants) que de policiers à New York (8 millions d’habitants).

[6] La tendance actuelle est de faire venir des volontaires angolais dans les SMP, car ce sont les moins chers sur le «marché».

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Titre : Savoir et croire pouvoir: l’illusion post-industrielle américaine
Auteur(s) : le Lieutenant-colonel GOYA
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