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Scolarités civiles contre scolarités militaires: l'enseignement militaire est-il «supérieur» ?

cahier de la pensée mili-Terre
L’Armée de Terre dans la société

Crédit ECPAD
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De par sa capacité à accepter et même encourager la critique pure, qu’elle soit positive ou négative, l’enseignement militaire diffère positivement, selon l’auteur, de l’enseignement civil dans sa capacité d’amélioration et de transformation. Pour lui, l’armée met en œuvre une forme de «real-edukation», en faisant preuve d'ouverture d'esprit, d’adaptation permanente et en étant pragmatique; en remettant également en question des schémas communément admis et confortablement consensuels.


Potache... le terme caractérise si bien l'officier français lorsqu'il passe en école de formation qu'il semblerait être un synonyme d'étudiant-militaire ! J'imagine assez bien les difficultés que peut éprouver l'instructeur à Saint Cyr, à l’École d’état-major ou à l'École de guerre: comment éduquer ces élèves exigeants, insolents, insatisfaits et grognards ? Sans doute en n'oubliant pas qu'ils sont tout autant enthousiastes, collectifs, exigeants pour eux-mêmes, ayant à cœur d’améliorer la formation pour leurs successeurs...

Selon moi, le système éducatif militaire est supérieur au système civil dans le sens où il sait tolérer et utiliser toute la capacité critique, aussi bien positive que négative, de ses étudiants. Mon passage dans l'enseignement supérieur civil me pousse à dire qu'il est difficile d'y faire preuve de critique pure et qu'il y règne une forme d’immobilisme et une pensée positive exclusive.

Ainsi, c'est bien une forme de «real-edukation» que propose l'enseignement militaire en faisant preuve d'ouverture d'esprit, d’adaptation permanente, en étant pragmatique et en remettant en question des schémas communément admis et confortablement consensuels.

Il y a certes des avantages consubstantiels à l’enseignement civil que l’armée ne peut ou ne doit pas transposer à son propre système scolaire. Mais certains savoir-faire et réflexes militaires sont des atouts indéniables pour échafauder un enseignement de qualité. Et c’est paradoxalement par sa capacité à tolérer la critique que la «grande muette» fait selon moi la différence avec le monde civil.

 

La comparaison de deux systèmes si différents est un exercice où la réflexion pourrait tourner en rond. Dans un cas, on apprend un métier pour fabriquer, vendre, gérer des ressources, et dans l’autre il s’agit d’apprendre à faire la guerre. Sur quels critères donc les comparer? Il est pour cela nécessaire de se focaliser sur l’esprit des projets pédagogiques et la modélisation de l’enseignement sans s’attarder sur les buts et enjeux éducatifs diamétralement opposés.

Dans cet esprit, deux paramètres caractérisent les écoles civiles et tirent le contenu de leurs formations vers le haut. Il s’agit de la compétitivité et de la rentabilité: deux caractéristiques difficilement voire dangereusement transposables dans les cursus militaires.

Hormis peut-être le classement des hôpitaux, si l’on en croit les tirages de magazines, rien ne semble plus intéresser les Français que le classement des grandes écoles et des diplômes qu’elles décernent. Ce classement crée une forte compétition entre les écoles. Niveau académique, proximité avec les entreprises, ouverture sur l’international, rémunération en sortie. Tous les critères sont paramétrés pour offrir au client étudiant un choix éclairé. Cette compétitivité est excellente en soi puisqu’elle pousse l’encadrement à offrir les meilleures formations aux étudiants afin de les attirer. Par exemple, elle permettra de supprimer plus aisément un cours décevant pour rechercher une formation plus adaptée. Les écoles sont également obligées de veiller à innover, à proposer des cursus toujours plus en phase avec les besoins des élèves. Cette compétition a cependant son talon d’Achille, qui consiste à n’offrir qu’une vitrine attirante, un produit vendable, sans réformer le fond de la formation, ce qui ne se voit pas et qui pourtant lui donne sa consistance. Nous y reviendrons plus tard.

L’autre critère structurant des scolarités civiles est la nécessaire rentabilité de la formation offerte. Et cette rentabilité s’entend dans un double sens: d’une part en tant qu’opportunité d’embauche après la sortie d’école et, d’autre part, en tant qu’adéquation entre formation et prérequis de l’emploi futur. Là encore, par nécessité, les écoles sont tenues de s’adapter au marché et c’est donc une dynamique positive qui transforme et adapte les formations. Les contacts avec les futurs employeurs sont nombreux. Par exemple, à l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace, la décision d’ouvrir un nouveau mastère spécialisé est prise après avoir réuni un comité ad hoc constitué précisément des futurs embaucheurs (Airbus, CNES, PME aéronautiques, etc…) qui auront donné leur avis sur les modules indispensables et leurs attentes. Cette confiance mutuelle entre écoles et secteur de l’entreprise favorise l’embauche à la sortie de la formation. Cette notion de rentabilité est bien entendu difficilement transposable à l’armée. Mais ne pourrait-on pas imaginer de tels comités d’évaluation et de pilotage des formations? Je me souviens qu’en tant que commandant d’unité, on me demandait d’évaluer en quatre lignes l’adéquation entre la formation reçue par les lieutenants et les maréchaux-des-logis et leurs résultats sur le terrain. Il me semble que cela est largement insuffisant et qu’il faut aller plus loin, et donc copier l’idée de ces comités en mettant autour de la même table des représentants des régiments, des états-majors, des écoles de formation pour les pousser à modeler ensemble le meilleur des cursus.

Cependant, même si compétitivité et rentabilité ne peuvent apporter autant de dynamisme à l’enseignement militaire qu’elles n’en apportent aux écoles civiles, les écoles militaires peuvent se prévaloir de savoir-faire et de réflexes spécifiques qui leur apportent une plus-value singulière.

 

Echafauder un enseignement de qualité n’est pas entreprise aisée. Mais l’armée peut se reposer sur des habitudes opérationnelles directement transposables: le retour d’expérience et la préparation des relèves.

J’ai été marqué au cours de ma scolarité en mastère spécialisé par le peu d’empressement de mes camarades civils à remplir les fiches d’évaluation des modules. Il me semble que ce réflexe militaire (le RETEX) qui semble bien naturel dans notre milieu n’est pas assez efficace dans le monde civil. Peur de s’engager dans la critique, indifférence pour les successeurs, paresse intellectuelle, il se peut que l’explication soit complexe. Cependant, par défaut de RETEX, la formation ne peut s’améliorer au mieux, car ne reposant que sur le ressenti du corps professoral. L’adaptation réactive y est donc inexistante, tandis que je crois avoir observé dans mes formations militaires une grande capacité de remise en question de modules du fait du retour d’expérience des élèves.

Paramètre étroitement lié au retour d’expérience, le réflexe militaire qui consiste à prendre un soin tout particulier à la «relève» améliore notablement les cursus de formation. Chaque élève et chaque professeur a en effet conscience de n’être que de passage et qu’une partie de sa mission consiste à préparer la promotion suivante. Il m’est donc souvent arrivé de rédiger des dossiers de consignes plus étoffés que nécessaire, ayant à cœur de mettre mon successeur dans les meilleures conditions possibles pour continuer la mission. Et pourtant, il ne s’agit pas d’une règle écrite. Je dois dire que parfois (rarement) j’ai pu souffrir d’un manque de consignes. Mais c’est la force de l’armée que de sentir cette responsabilité vers le futur, liée à la notion de corps, que je n’ai pas retrouvée dans ma formation civile. Il ne faudrait certes pas parler d’égoïsme, mais plutôt de non conscience de cette responsabilité qui engage un élève, et qui devrait le pousser à «travailler pour ses jeunes», selon l’expression consacrée.

Mais c’est surtout dans sa capacité à accepter la critique sur ses formations que l’institution militaire se démarque.

 

La critique utile y est non seulement tolérée, mais plus encore encouragée par l’intermédiaire du processus d’évaluation que nous avons déjà détaillé. Il s’agit d’un paradoxe remarquable pour une armée qu’on qualifie à tort de grande muette et qu’il s’agit d’analyser plus finement.

À titre d’illustration, je pourrais témoigner de mon incompréhension face au refus de la critique lors de mon passage dans l’enseignement civil. Habitué à être sollicité pour donner un avis constructif, j’ai donc pris la même liberté de ton pour évaluer la formation. Mais, face à moi, j’ai surtout rencontré des équipes timorées, adeptes de la pensée positive à tout prix, dont le but était de justifier la pertinence de l’existant sans le remettre en cause profondément et utilement. Voulant susciter un retour d’expérience parmi mes pairs, j’ai décidé d’éditer pour mes camarades une fiche RETEX avec trois colonnes: points positifs, points négatifs, suggestions de changement. Et voilà que l’on me reproche de parler du négatif, en me suggérant que deux colonnes (points positifs – pistes d’amélioration) auraient été plus…diplomatiques… Cette attitude n’est pas constructive. Elle illustre un refus et une peur de faire face à la réalité. Et je me félicite d’appartenir à une institution qui sait tolérer cette contradiction, que j’imagine très inconfortable pour les responsables de formation, mais fondamentale pour améliorer les programmes et cursus d’enseignement.

C’est aussi une force d’avoir un corps professoral «non professionnel» et même souvent «désigné» pour assurer l’encadrement des formations. Car ceux-ci ne se sentent pas dépositaires d’un statut particulier. Ils se savent de passage, et ne défendent pas un système. Les meilleurs intervenants de mon mastère auront été des industriels venus présenter leur domaine d’expertise et non pas des acteurs du système éducatif. Le stagiaire École de guerre n’a pas besoin d’un expert de la méthode de planification opérationnelle (MPO), mais il préfèrera toujours avoir un tuteur qui saura témoigner de son expérience opérationnelle pour illustrer la méthode de planification. C’est en ce sens que la non-professionnalisation du corps professoral est une force.

Finalement, l’armée offre une forme de «real-edukation» à ses élèves, si on la compare à l’expérience que j’ai vécue dans le monde civil. Par analogie avec la realpolitik, qui est par principe une gestion très diplomatique de la paix, basée sur une prise de décision en connaissance du maximum de données et en sauvegardant le maximum d'options, la «real-edukation» serait une vision de l’enseignement qui permettrait de sortir des idéaux et des standards (confortables) de formation pour composer avec la réalité, et notamment la contradiction émanant des élèves. Et c’est donc là le vrai paradoxe qui consiste à voir l’armée tolérer la contradiction pour faire face à la réalité alors qu’elle est souvent taxée d’immobilisme, tout en déplorant le manque de liberté critique sur les formations civiles.

 

Confessant une grande aptitude à critiquer, et souvent de manière aiguë, les formations reçues au cours de mon cursus militaire, aptitude cependant largement partagée avec mes camarades officiers, je ne réalisais pas pleinement que nous rendions finalement un service fort singulier à l’armée, lui permettant de faire la différence avec les formations civiles ! Puissions-nous donc toujours critiquer et conserver cet esprit potache qui tire vers l’avant!

 

 

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Titre : Scolarités civiles contre scolarités militaires: l'enseignement militaire est-il «supérieur» ?
Auteur(s) : le Chef d’escadrons Marc BONNET
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