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Vers une formation linguistique militaire

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La formation linguistique dans l’armée de Terre française est souvent organisée soit par des civils travaillant dans un organisme militaire, soit par des instituts civils qui prennent en charge les militaires qui cherchent à obtenir par le biais d’un diplôme civil un certificat militaire de langue. Or, «parler une langue étrangère» aujourd’hui est devenu un outil indispensable pour augmenter ses compétences et, peut-être plus important, ses performances. Ceci n’est pas seulement vrai pour les diplomates, les hommes politiques ou les dirigeants d’entreprises; non, ceci est également valable pour les militaires.

Alors, pourquoi ne pas donner à la formation linguistique la place qu’elle mérite au sein de la formation d’un militaire?


Tout au long de mes séjours en France depuis 1996, notamment dans des institutions militaires, j’ai pu constater un certain «espace lacunaire», tactiquement parlant, dans le domaine de la formation linguistique des militaires, même s’il existe des organismes au sein des forces armées françaises qui ont pour mission de faire connaître aux militaires d’autres langues que celle de Voltaire.

En effet, si on lit attentivement la circulaire concernant la formation linguistique militaire[1], on pourra être surpris de la multiplicité des services responsables: le CFIAR[2], la DLEA[3] aux Écoles de Saint-Cyr-Coёtquidan, les différentes sections de langue à l’École de guerre (EdG), l’École d’état-major (EEM) ou l’École nationale des sous-officiers d’active (ENSOA), les commissions qui s’occupent des nombreux examens de langues, et il ne faut pas non plus oublier tous les «officiers langues» dans les différentes unités. À tout cela, il faut aussi rajouter le CNFLIG[4] qui dépend de la Gendarmerie, mais qui prépare également des officiers étrangers à des stages militaires en France.

Donc une grande organisation structurelle pour finalement peu de formation linguistique car, à part les cours de langues à Coёtquidan, Saint Maixent et Compiègne, les militaires doivent souvent appliquer le fameux «système D» pour acquérir un bon niveau dans une langue étrangère, c’est-à-dire suivre des cours dans un institut de langues civil, ce qui n’est pas toujours très motivant.

On a presque l’impression que la connaissance d’une langue étrangère n’occupe pas une place très importante dans l’armée française. Alors, avant d’approfondir la question de l’instauration d’une école de langues militaire, il faut se pencher sur la nécessité réelle pour un militaire de parler une langue étrangère.

 

Savoir parler une langue étrangère: un luxe pour les militaires?

Quand on suit les différents discours des grands chefs militaires, par exemple au début d’une formation comme le diplôme d’état-major ou le Cours supérieur d’état-major, on entend toujours que c’est indispensable pour un officier français d’aujourd’hui de parler une langue étrangère, surtout l’anglais. Les raisons sont évidentes:

  • la France occupe depuis 2009 une place importante dans les structures militaires intégrées de l’OTAN après 40 ans d’absence,
  • la France participe à des opérations multinationales, pas seulement avec des contingents nationaux, mais aussi dans des états-majors multinationaux,
  • la France joue un rôle important dans la «diplomatie militaire» par le biais de son réseau d’attachés de défense,
  • la France, en tant que membre de l’Union européenne, participe aux conseils et aux réunions des groupes de travail concernant la politique étrangère et de sécurité commune et la politique européenne de sécurité et de défense.

Sans oublier les différents programmes de coopération entre les ministères de la Défense français, britannique et américain, on voit très clairement que l’on ne peut pas ne pas parler anglais. Mais ceci ne concerne qu’une petite partie de la riche palette des opérations extérieures de la France.

Quelles sont les exigences linguistiques dans des missions comme par exemple celle de l’Afghanistan? Et quel public est concerné? Seulement les officiers ou également les sous-officiers ainsi que les militaires du rang?

En ce qui concerne l’Afghanistan, on différencie deux types de registre de langues: la langue de commandement et la langue régionale dans la zone d’opération. La langue ou les langues de commandement sont le français et l’anglais, mais il faut cependant relever que, pour faire gagner des délais à la Task Force La Fayette, même les GTIA sont invités à écrire les ordres vers le niveau supérieur en anglais[5]. Donc il est tout à fait envisageable que, dans un environnement international, les Français communiquent même entre eux en anglais.

Pour ce qui est de la langue régionale dans la zone d’opération, il est moins évident de déceler la nécessité pour les militaires de la parler, car les ordres simples comme «Halte!», «Haut les mains!», «Sortez!» etc. sont rapidement acquis en pachtoune ou dari. Cependant, il y a des avantages non négligeables si les militaires au contact de la population afghane parlent leur langue.

Pour ne pas sortir du cadre de cet article, il suffit ici de présenter les deux avantages les plus importants qui touchent le domaine du renseignement et le domaine de la sécurité.

Au niveau du renseignement, il y a plusieurs possibilités d’acquérir des informations, comme par exemple la recherche des informations par des moyens techniques. Une autre possibilité est le renseignement par la population, qui pourrait renseigner sur ce qu’elle a vu ou ce qui s’est passé. Malheureusement, il n’y a pas assez d’équipes d’interprètes pour accompagner toutes les actions des UE des GTIA.

Bien évidemment, il ne s’agit pas de parler la langue régionale sans accent, mais un chef de groupe devrait être capable de recueillir des informations par le principe du «3QCO» (qui, quoi, quand, comment, où). Donc, le but de la préparation linguistique à une opération extérieure (OPEX) n’est pas de faire acquérir toutes les compétences dans une langue étrangère, mais d’enseigner des aspects bien précis[6]. Cette forme d’enseignement partiel est moins consommatrice de temps et pourrait facilement être intégrée dans la préparation opérationnelle d’un GTIA prévu pour partir en OPEX.

Au niveau de la sécurité, les forces armées françaises en Afghanistan ont pour mission, entre autres, de «sécuriser les zones placées sous la responsabilité française pour permettre les opérations de développement, de reconstruction, le déploiement des services de l'État»[7]. Pour bien remplir cette mission, il est indispensable de gagner la confiance de la population, et ceci se fait tout naturellement par la langue maternelle des habitants de la zone de responsabilité. Pour mieux comprendre, il faut juste se mettre à la place d’un père ou d’une mère de famille, entouré des soldats armés qui parlent une langue que ne connaissez pas et qui ont une autre culture, donc réagissent autrement. Maintenant essayez d’avoir confiance!

Et puis, il y a un autre point positif au niveau de la sécurité, mais qui concerne cette fois-ci les soldats qui font l’effort d’apprendre une langue étrangère. En effet, l’apprentissage d’une langue étrangère permet aussi une prise de contact avec la culture et les traditions des personnes parlant la langue apprise! Bref, une formation linguistique pour les militaires signifie un gain en compréhension pour «l’autre» et moins de risque de tomber dans le piège du «caporal stratégique»[8] qui, par une action irréfléchie, met en danger le succès de toute la mission. Le Français Henri Boré, ancien colonel de l’armée de Terre, approuve également la nécessité d’une meilleure compréhension culturelle quand il écrit dans son article sur les expériences de l’armée française en Afrique: «French soldiers have repeatedly had to face unconventional warfare and the difficulties of operating in Africa’s many different cultures. It takes time to learn about and understand a foreign culture and to then determine how to apply the knowledge gained to all types of military operations. The sooner young French leaders learn about Africa, the more confident and, ultimately, the more successful they are when deployed»[9].

En conclusion, la liste, non exhaustive, des arguments cités montre très clairement que la compétence en langue étrangère n’est plus une simple plus-value pour un militaire, mais une compétence clé, et ceci n’est pas seulement valable pour les officiers, mais aussi pour les sous-officiers. Les forces armées des États-Unis vont dans la même direction et proposent même d’intégrer l’enseignement des langues «du niveau tactique», comme par exemple le dari, l’arabe, le farsi, le turc ou le pachtoun, dans la formation des sous-officiers[10].

La création d’un organisme de formation linguistique central – instrument indispensable pour une formation linguistique militaire efficace

La dernière partie de cet article a pour objectif de présenter quelques réflexions sur les avantages et les inconvénients que l’instauration d’une école militaire des langues (interarmées ou non) au sein des forces armées françaises pourrait avoir en se fondant sur l’exemple des forces armées autrichiennes.

Depuis toujours, l’Autriche et ses forces armées ont été confrontées à des problèmes linguistiques. À l’époque de l’empire austro-hongrois, chaque régiment avait sa propre langue, par exemple le tchèque, le hongrois ou le croate, même si la langue de commandement était toujours l’allemand. Très souvent, les jeunes officiers issus d’une des académies militaires et mutés à des régiments à l’autre bout de l’Empire ont été forcés d’apprendre la langue du régiment. S’ils ne réussissaient pas l’examen, ils ne pouvaient plus concourir à l’avancement et étaient donc contraints à quitter l’armée. Du coup, les officiers austro-hongrois parlaient au moins trois langues car déjà, à l’académie militaire ils avaient reçu une formation dans deux langues étrangères. Cette tradition s’est conservée jusqu’à aujourd’hui, même si les régiments autrichiens de nos jours sont monolingues, et le corps des officiers est toujours performant au niveau des langues étrangères.

L’anglais, la première langue étrangère enseignée dans l’armée, est parlée par 99% des officiers. Le français, à la deuxième place, est parlée par 31% des officiers et derrière le français, on trouve le russe, l’italien, l’espagnol, le croate et les autres langues des pays voisins. Cela veut dire qu’environ 40% des officiers autrichiens parlent aujourd’hui au moins deux langues étrangères. Et ce taux va augmenter car, depuis 2010, les élève-officiers doivent obligatoirement apprendre deux langues pour réussir à l’Académie militaire. Pour les sous-officiers, la situation est différente, car le taux est moins élevé. Mais depuis quelques années, les sous-officiers doivent obligatoirement passer un examen en anglais pour terminer leurs formations à l’académie des sous-officiers.

Et puis, tout au long de leur carrière militaire, les officiers comme les sous-officiers poursuivent leur formation. Ils font au moins un cours de langues, ou commencent l’apprentissage d’une nouvelle langue étrangère nécessaire à une nouvelle fonction ou à la préparation d’une mission à l’étranger. En outre, tous les trois ans, ils doivent passer un examen conformément au STANAG 6001 de l’OTAN pour avoir un certificat militaire de langue valable et reconnu par les institutions militaires internationales.

L’organisme qui veille sur la formation linguistique s’appelle Institut des langues de l’armée autrichienne et fait partie de l’Académie de Défense nationale qui est comparable à l’École militaire.

Quels sont les avantages d’une telle institution?

  • La création d’un concept unique de la formation linguistique. Pour standardiser la formation linguistique militaire, il faut travailler sur un concept unique qui définit les différentes formes d’enseignement, les formes des cours, les modalités d’examens et les contenus des différents cours. Ce concept unique, qui n’est rien d’autre qu’une doctrine pour la formation linguistique, n’existe pas encore en France;
  • L’organisation de la formation linguistique ciblée pour des militaires prévus pour des missions à l’étranger. En France comme en Autriche, le temps pour la préparation des militaires est court et très précieux. Pour enseigner ce dont les stagiaires ont réellement besoin, il faut un organisme centralisé qui emploie des spécialistes, c’est-à-dire des militaires expérimentés qui disposent également d’une formation reconnue en tant qu’enseignants en langues;
  • L’organisation des cours militaires de langues. Pour améliorer et augmenter le niveau de langue, un cours hebdomadaire (par exemple deux heures par semaine) s’est avéré moins efficace qu’une formation concentrée (par exemple six semaines à 30 heures). Cela ne concerne pas seulement les résultats obtenus à des examens de langue, mais aussi la motivation des stagiaires car, en effet, il est beaucoup plus difficile de poursuivre un cours de deux heures par semaine qui dure plusieurs mois qu’un cours de 30 heures par semaine qui est terminé après 6 semaines. Les instituts civils ne sont souvent pas en mesure d’offrir ce type de cours. En outre, pour ce qui concerne le contenu militaire, il faut employer des militaires expérimentés, comme au point 2 ci-dessus, qui ont effectué des stages militaires dans les pays respectifs pour enseigner la culture militaire;
  • La publication des dictionnaires militaires et des mémentos linguistiques. La décision rapide du ministre de la Défense autrichien en 2008 de participer avec un contingent à la mission EUFOR/TCHAD a rendu nécessaire la publication d’un outil linguistique que nos soldats pouvaient utiliser au Tchad pour se faire comprendre. Dans les meilleurs délais, l’institut des langues a sorti un glossaire tri-langues (arabe-français-allemand) avec une partie «Cultural Awareness» et une partie «images» avec lesquels les Autrichiens pouvaient communiquer (en cas d’urgence), sans pouvoir prononcer un mot. L’arabe était écrit en transcription phonétique pour que les soldats qui n’étaient pas en mesure de lire l’écriture arabe puissent au moins le prononcer;
  • L’assurance qualité. Le fait que les différents cours de langues se déroulent dans une institution militaire facilite le management de qualité, qui a pour objectif d’offrir aux stagiaires un produit (la formation) efficace et de très haute qualité. Ceci n’est pas possible si les militaires fréquentent différents instituts de langues civils et font homologuer des certificats de langue civils pour obtenir un certificat militaire de langue conforme au STANAG 6001 de l’OTAN. Ce processus est d’autant plus critiquable que, d’un côté, il suscite des sentiments d’injustice, car souvent les examens civils sont beaucoup moins exigeants que les examens militaires et, de l’autre, des recherches ont bien montré qu’une comparaison entre la définition des niveaux de langues militaires (STANAG 6001) et civils (cadre européen commun de référence pour les langues) ne peut pas être fondée scientifiquement[11].

 

Par rapport à la situation de la formation linguistique dans l’armée française (moyens dispersés – peu de motivation d’apprendre une langue – pas de concept et de structure centralisée) il n’y a que peu d’inconvénients concernant la création d’une école des langues militaires à part la longue formation d’un encadrement spécialisé et la mise à disposition de l’infrastructure et des moyens financiers.

La formation d’un cadre spécialisé est certes longue, car à côté de la carrière militaire il doit entamer et achever une formation en tant que professeur de langues, mais il existe d’autres branches dans l’armée française, comme par exemple le soutien psychologique (CISPAT[12]), où la formation des officiers spécialisés se passe de la même façon (études universitaires au lieu de l’EdG).

La mise à disposition de l’infrastructure et des moyens financiers ne devrait pas non plus poser de grands problèmes, car il y a déjà des institutions «militaires» comme le CNFLIG, mentionné au début de cet article, qui possède en outre des capacités pour héberger un nombre suffisant de stagiaires, ou le CFIAR, même s’il semble invraisemblable que le CFIAR sorte du domaine renseignement.

Concernant les moyens financiers, il faut certainement investir une somme importante afin de transformer les structures existantes. Mais in fine, les avantages prédominent et, à moyen terme, il est beaucoup plus rentable de regrouper les militaires dans une école militaire des langues et de mener des cours de langue, ciblés et efficaces, que de laisser les militaires seuls et d’externaliser les cours de langue.

Tout au long de la carrière d’un militaire français, on lui demande d’apprendre une langue étrangère sans lui donner les moyens appropriés. Maintenant il est grand temps d’agir et de structurer la formation linguistique comme il se doit pour une grande armée comme celle de la France.

 

 

[1] Circulaire N° 274409/DEF/RH-AT/FS/LANGUES relative à la formation, aux évaluations et à l'attribution des niveaux de compétences en langues étrangères du personnel d'active de l'armée de Terre pour le cycle de formation 2011-2012.

[2] Centre de formation interarmées au renseignement (Strasbourg).

[3] Division langues étrangères appliquées.

[4] Centre national de formation aux langues et à l’international (Rochefort-sur-mer).

[5] Témoignage du Colonel Heluin, CDC du groupement tactique «Richelieu» en Afghanistan 2010-2011 lors de son intervention au CSEM le 6 octobre 2011.

[6] Dans l’enseignement du français langue étrangère, ce type d’enseignement a été nommé «FOS» – français sur objectif spécifique. Mais les méthodes du FOS peuvent également être utilisées dans l’enseignement des langues étrangères en général. Pour plus d’informations: http://www.ciep.fr/carnetadFLE/docs/repertoire-methodes-fos.pdf, 11 octobre 2011, 20h20.

[7] http://www.defense.gouv.fr/operations/afghanistan/dossier/le-dispositif-francais-pour-l-afghanistan. 11 octobre 2011, 20h26.

[8] General Charles C. Krulak, «The Strategic Corporal: Leadership in the Three Block War» Marines Magazine (January 1999)

[9] Colonel Henri Boré, «Cultural Awareness and Irregular Warfare: French Army, Experience in Africa» Military Review (Fort Leavenworth, July-August 2006), p. 108-111.

[10]Kevin D. Stringer, «Educating the Strategic Corporal: A Paradigm Shift» http://usacac.army.mil/cac2/call/docs/11-20/ch_8.asp 11 octobre 2011, 21h40.

[11] Andreas Prutsch, «Die Anwendung des Gemeinsamen europäischen Referenzrahmens für Sprachen im Bereich der Sprachausbildung des Österreichischen Bundesheeres». (Wien 2011), p. 40-60.

[12] Cellule d’intervention de soutien psychologique de l’armée de Terre.

 

Le Major Andreas PRUTSCH est officier dans l’armée autrichienne où il a servi dans un régiment d’infanterie après sa scolarité, avant de se spécialiser dans le renseignement. Muté en 1996 à l’Académie de Défense nationale à Vienne, il occupe aujourd’hui le poste de chef du département «français» au sein de l’Institut des langues de l’armée autrichienne. Enseignant à l’Académie militaire à Wiener Neustadt ainsi que au CID autrichien, il a terminé ses études d’histoire et de français à l’université de Vienne.

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Titre : Vers une formation linguistique militaire
Auteur(s) : Le Major (Autriche) Andreas PRUTSCH
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