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Guerre à distance(s) 2/2

Gagner au contact
Engagement opérationnel
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LES DÉFIS POSÉS PAR LA NOTION DE DISTANCE

La distance, contre qui ?

Lorsqu’on affronte un adversaire, prendre le contact, c’est abolir, au moins partiellement, la distance. Nos engagements récents nous rappellent que pour traquer un adversaire résolu sur un terrain difficile, il faut parfois aller jusqu’au corps-à-corps, donc à la distance zéro. Pourtant, même au contact, les bons soldats savent qu’il faut savoir garder une distance, qu’on appellera alors le recul, le sang-froid, le discernement, pour apporter une réponse ferme, sûre, adaptée et proportionnée – comme nous l’avons vu récemment encore sur le territoire national.


De la même façon, la stratégie constitue une théorie et une pratique au contact d’un autre, lequel est proactif (il a une intention) et réactif : mes propres intentions et comportements vont entraîner de sa part une réaction imparfaitement prévisible.

Connaître l’autre est donc crucial. Dans Action terrestre future1, qui met en exergue huit facteurs de supériorité opérationnelle, nous avons traduit cet impératif par « la compréhension de l’autre ». À mes yeux, si la collecte de renseignements à distance permet souvent de savoir comment se rapprocher et de comprendre l’autre, rien ne remplace la proximité (sentir la menace, sentir l’adversaire et acquérir une véritable intelligence de l’autre). J’ai eu l’occasion de souligner l’importance du renseignement de niveau tactique, le renseignement de terrain, qui doit compléter en opération le renseignement fourni par des capteurs très perfectionnés. Telle est la raison d’être du pilier « renseignement » du nouveau modèle « Au contact ».

 

La distance, avec qui ?

La distance peut constituer un défi pour notre cohésion et du point de vue de nos rapports avec nos partenaires. Entre camarades portant le même uniforme, être au contact, c’est vouloir abolir les distances de toutes natures, qu’elles soient sociales, d’origine ou autres, le but étant de vivre une véritable fraternité d’armes, faite notamment de proximité.

Dans l’armée de Terre, cette abolition des distances se vit avec simplicité au quotidien. C’est le fruit d’une gestion des ressources humaines de proximité. Ce sont des relations intercatégorielles de bonne qualité. C’est aussi une confiance élevée dans le commandement, tant pour conduire des opérations que pour régler des difficultés du quotidien. Pourtant, même au contact de ses frères d’armes, je souhaite qu’un soldat ne se dissolve pas à 100 % dans un collectif. Chaque soldat garde sa personnalité propre, sa conscience individuelle et une dignité inaliénable.

Le livre vert sur L’exercice du métier des armes2 – que l’armée de Terre vient de rééditer – souligne très justement la part de responsabilité et de liberté individuelle qui incombe toujours à chaque soldat, fut-il membre d’un groupe. Il reste donc une distance, celle de la conscience. On la retrouve au travers des règles d’engagement au combat.

Entre partenaires qui partagent les mêmes intérêts ou combattent le même adversaire, la notion de distance suscite une autre réflexion, celle qui a été évoquée au travers du partenariat militaire opérationnel, qui entre dans le cadre de la stratégie globale souhaitée par notre président de la République. Le partenariat militaire opérationnel est tout sauf une forme de guerre par procuration. Aujourd’hui, il s’agit d’une association. Demain, ce sera peut-être de l’intégration. Ce ne sera jamais une guerre à distance. Ne perdons pas de vue que la crédibilité et la légitimité du partenariat militaire opérationnel reposent sur la capacité à accompagner nos partenaires au combat, ce qui ne peut se faire à distance.

Il faudra sans doute, dans notre façon de combattre, combiner les distances. Sur le plan de l’emploi opérationnel des forces, la notion de distance amène au débat classique opposant les stratégies centrées sur la neutralisation de l’adversaire et celles qui privilégient le contrôle du milieu. Il est permis de penser que la neutralisation de l’adversaire peut se conduire à distance, tandis que le contrôle du milieu implique le contact.

Ce débat a été largement évoqué au moment de l’Afghanistan : d’aucuns militaient pour du contre-terrorisme tandis que d’autres plaidaient pour la contre-insurrection. En réalité, une stratégie de neutralisation de l’adversaire n’exonère pas toujours d’aller au contact. A contrario, une stratégie de contrôle du milieu peut aussi se mener à distance. Si l’on pense évidemment à l’espace cyber, certains d’entre nous, ici, ont également connu des actions civilo-militaires utilisant la radio au Kosovo ou les largages de tracts au Kurdistan. Dans une stratégie qui se veut globale, pouvant alterner neutralisation de l’adversaire et contrôle du milieu, il faudra savoir combiner des actions de près et de loin.

Je pense également au programme Scorpion. Le combat collaboratif Scorpion va en effet modifier notre conception des distances. Il offrira des capacités de convergence et de dispersion inédites, il permettra d’accélérer l’intégration des feux indirects, d’où qu’ils viennent, et enfin il devrait faciliter la composition d’ensembles tactiques ad hoc. Je confirme donc ici ce que je disais l’an dernier à la même époque : je pense que nous allons devoir réviser nos principes de la guerre. La concentration des efforts sera davantage celle des effets que des moyens et l’économie des forces prendra certainement une nouvelle dimension.

 

La distance et la logistique

La guerre se gagne aussi grâce à nos logisticiens. L’étalement des forces, la dispersion de nos dispositifs, les élongations de nos théâtres d’opérations entraînent des tensions logistiques. Je ne crois absolument pas à la projection de puissance sans projection de forces.

Demain comme aujourd’hui, la distance place donc la logistique au défi de préserver la mobilité des forces et la continuité des flux, vers et sur les théâtres. L’évolution prévisible, dans ce domaine, nous pousse à développer nos capacités à sécuriser, de manière dynamique, les routes, les réseaux et les flux, qu’ils soient terrestres ou immatériels. Elle nous incite aussi à rechercher une empreinte physique et logistique minimale, efficiente et adaptée.

 

Distance et commandement

On est d’abord frappé par l’écrasement des distances entre les niveaux stratégique, opératif et tactique de la guerre. Nous avons tous en tête cette photo de 2011 sur laquelle on voit Barack Obama, entouré de hautes autorités civiles et militaires, assister en direct, depuis une war room à Washington, à l’opération ayant conduit à la neutralisation d’Oussama Ben Laden. Cette image est devenue le symbole de la capacité du niveau politique et stratégique à ordonner et suivre en temps réel les détails tactiques d’une opération.

Cette capacité présente évidemment des avantages, dans la verticalité qui est mise en œuvre. Elle présente aussi des risques, en particulier ceux de la dilution de l’efficacité ou des modes de travail de nos états-majors. L’armée de Terre continue de croire en la subsidiarité des différents échelons de commandement. En situation de haute intensité, la question ne se pose même pas. Cette subsidiarité a pour corollaire la performance des commandements opératifs et tactiques. C’est la raison pour laquelle nous avons remis en avant l’École de Guerre Terre.

Les enjeux éthiques ne sont pas absents de ce champ de réflexion. L’histoire de la technologie des armements, depuis l’invention de l’arme de jet jusqu’à celle du missile intercontinental, en passant par la poudre, peut se lire comme une tentative d’accroître l’allonge du soldat de façon à pouvoir atteindre l’ennemi avant que celui-ci ne soit en mesure de le faire.

Ce qui me paraît nouveau aujourd’hui, c’est l’ajout d’un intervalle supplémentaire : à la distance que constitue la portée – distance de l’arme à sa cible – s’ajoute désormais la distance entre l’opérateur et son arme. Certains pourraient imaginer que les progrès de la numérisation permettent d’envisager la concrétisation d’un vieux rêve : faire la guerre à domicile, sans risque ni limitation de portée.

Cette guerre à distance est séduisante sur le papier mais soulève des questions fondamentales. Qui est responsable ? Qui prend la décision ? Qui assume les conséquences ? Reprenons l’analogie médicale. Si vous êtes opéré par un robot et qu’une erreur se produit lors de l’opération, vers qui pourrez-vous vous tourner ?

L’armée de Terre est opposée au mythe d’une guerre propre qui rendrait l’usage de la force armée plus acceptable pour l’opinion publique et plus tentant pour nos dirigeants politiques. Au travers de l’esprit guerrier, nous souhaitons rappeler l’honneur militaire. Sans naïveté, cet honneur, symbole de la France, est fondé sur l’acceptation, par le combattant, du risque suprême, pour les autres mais aussi pour lui-même. Là se trouve la légitimité du droit exorbitant qui lui est donné de tuer l’adversaire si la mission l’exigeait. Une guerre entièrement conduite à distance reviendrait à projeter de la puissance sans projeter de vulnérabilité. Autrement dit, la seule vulnérabilité, dans ce type d’engagement, serait celle d’un ennemi réduit au statut de cible, ce qui soulève un problème éthique majeur.

C’est une des raisons pour lesquelles j’ai souhaité que l’armée de Terre réédite le livre vert, qui a pour objectif de redéfinir et réaffirmer notre conception de l’honneur guerrier, faute de quoi les soldats d’une guerre conduite entièrement à distance de sécurité ne seraient plus que des techniciens de la mort.

 

CONCLUSION

Quels que soient les progrès de la technologie et de l’intelligence artificielle, aussi poussée soit-elle, la guerre ne sera jamais une science exacte. L’esprit de finesse et le brouillard de la guerre demeureront des éléments perturbateurs de l’esprit de géométrie qui sied à de nombreux observateurs.

En un mot, la distance est sans doute ce qui sépare la carte du terrain. Sur la carte apparaît une représentation lisse, hors sol. Sur le terrain se manifestent une réalité rugueuse, voire visqueuse, et surtout un espace humain extrêmement important, qui conditionne la réussite de l’opération.

Aussi serons-nous amenés à combiner durant longtemps deux capacités, celle qui consiste à combattre efficacement à distance – notamment grâce à l’utilisation de la haute technologie – et la capacité à accepter de payer le prix du sang, de près, voire de très près. Au fond, cette double capacité forme l’essence même de l’esprit guerrier que j’ai souhaité voir se déployer en 2019.

Le facteur d’efficacité primordial, au combat, demeure la confiance, qui ne pourra se passer de relations physiques et fraternelles entre soldats.

Je voudrais finir en remerciant chaleureusement le Centre de doctrine et d’enseignement du commandement pour l’organisation parfaite de ce colloque, ainsi que la réalisation de ces actes destinés à une large diffusion.

Je vous souhaite à tous et à toutes une bonne lecture.

 

 

1 Action Terrestre Future (ATF) : étude prospective réalisée par l’état-major de l’armée de Terre (EMAT) dont l’objectif est d’anticiper les besoins de l’armée de Terre sur le long terme. Équipements, matériels, ressources humaines, déploiement des soldats ont été (re)pensés pour remporter les défis de demain. Paris, septembre 2016.

2 Livre vert - L’alliance du sens et de la force : cet ouvrage est une actualisation de l’édition de 1999 de L’exercice du métier des armes dans l’armée de Terre, rendu nécessaire par l’évolution générale du contexte. Paris, été 2018.

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Titre : Guerre à distance(s) 2/2
Auteur(s) : Général d'armée Jea-Pierre BOSSER
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Armée