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Harmonisation, adaptation et cohérence juridique, une urgente nécessité pour le SNU

Cercle de réflexion G2S - n°21
L’Armée de Terre dans la société
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Service national universel obligatoire et réalité sociologique de la Nation

 Depuis sa création par la loi Jourdan et Delbrel en 1798, le service militaire universel n’a cessé d’évoluer au gré des péripéties de l’histoire dans le but de disposer, en permanence, d’une masse de citoyens en armes formés et instruits pour défendre l’intégrité des frontières nationales.

 


Pourtant, malgré son caractère obligatoire, la conscription a toujours généré de grandes complexités juridiques et de fortes inégalités. Ainsi, de la Convention de1792 aux lois de 1965 et 1971 sous la Ve République, en passant par le 1er Empire, la loi Gouvion Saint Cyr de 1818, celles de 1855 puis 1871 après la défaite, celles de la   IIIe puis la IVe République, le caractère universel s’est toujours heurté aux exceptions imposées par la réalité sociologique du pays.

À l’arrêt définitif du service militaire à 10 mois, en octobre 2001, force était de constater que le système s’était considérablement éloigné de ses ambitions originelles dès lors qu’une partie seulement d’une classe d’hommes se soumettait réellement à ses obligations militaires, dans une grande confusion juridique, qui atténuait considérablement le « brassage social » aujourd’hui érigé en mythe dans la mémoire collective.

Ainsi, entre exemptés, dispensés, sursitaires, réformés, incarcérés, exilés à l’étranger,   sans   domicile   fixe,   « pistonnés »   des   affectations   protégées   par « décisions   individuelles   d’affectation »,   objecteurs   de   conscience,   insoumis, déserteurs, appelés du service en coopération à l’étranger, appelés du service de l'aide technique pour le développement de l'outre-mer, appelés au titre des protocoles au sein d’autres ministères, scientifiques du contingent, agents auxiliaires de la police nationale, sapeurs-pompiers auxiliaires dans la sécurité civile et les services départementaux d'incendie et de secours, une moitié à peine des jeunes français constituait réellement « la nation en armes ».

Pour ces derniers encore fallait-il distinguer ceux qui occupaient directement des emplois en unités de combat et qui devaient s’adapter aux exigences les plus rigoureuses de la vie militaire et ceux qui, grâce à leur niveau intellectuel et leur origine sociale, irriguaient les services et les administrations. Dans ce contexte inégalitaire, le « brassage » était d’autant plus théorique que la répartition entre les différentes fractions de contingent entretenait les clivages entre les milieux sociaux d’origine (contingents 08-10 et 12 vs contingents 02-04-06), y compris dans l’encadrement des unités avec des gradés d’encadrement et des sergents appelés souvent issus des meilleurs contingents.

Enfin, il faut noter que l’ingénierie globale de la conscription (recensement, sélection, administration), toujours décrite dans l’actuel Code du service national, s’appuyait jusqu’en 2001 sur une organisation, des infrastructures et des moyens très largement soutenus et autoalimentés par l’abondance et la richesse de la ressource en appelés du contingent.

Harmoniser et rendre cohérent un cadre juridique morcelé

Désormais, l’ambition du nouveau projet de SNU n’est plus de bâtir une nation en armes mais de colmater les brèches qui menacent la cohésion nationale et « forger le caractère des citoyens pour la Défense de la Cité » ou « valoriser à travers une expérience collective les valeurs d’autorité et de discipline ».

Dans un contexte sociétal et politique en déficit de valeurs, il parait donc logique de reconnaitre aux armées des savoir-faire, notamment en matière d’autorité, de rigueur ou de discipline, mais en se gardant d’une vision trop simpliste, qui conduirait à ériger le modèle d’inspiration militaire (7) en modèle idéal d’éducation, d’intégration et   de   « sociabilisation ».   Ce   n’est   pas   la   mission   principale   d’une   armée professionnelle d’emploi et l’Éducation nationale reste en principe, après la famille, le creuset naturel de l’éducation et de la citoyenneté.

Le défi qui se présente est donc bien de passer des concepts ambitieux (la jeunesse a rendez-vous avec elle-même, cohésion nationale, expérience collective de citoyenneté, dépassement de soi, renforcement de l’esprit citoyen, valeurs de la République…) à la mise en œuvre des conditions concrètes de réalisation du projet sans mettre en péril le précaire équilibre des forces armées ni fragiliser les dispositifs existants. En effet, le SNU rénové doit trouver sa place dans un paysage complexe où évoluent des systèmes complémentaires, parfois redondants, revendiquant tous une fonction civique et sociale de « sociabilisation » et d’intégration. Solidement ancrés dans le paysage du volontariat mais, pour certains, en difficultés de fonctionnement  (budget,  encadrement,  infrastructure,  administration, alimentation, habillement, encadrement, soutien médical), leur avenir s’inscrit forcément en cohérence avec le nouveau projet présidentiel (8).

Le point clé de ce nouveau SNU rénové (9) résulte de la volonté politique d’en faire un rendez-vous obligatoire pour des classes d’âge de près de 800.000 garçons et filles. Or, si le contenu de ce SNU à un mois n’est pas caractérisé comme spécifiquement militaire, il exprime néanmoins des ambitions « de cohésion, de dépassement de soi, de goût de l’effort, de cadre de vie structuré ou de rétablissement de la notion d’autorité » qui vont de facto impliquer les armées mais aussi, c’est à souhaiter, tous les acteurs institutionnels voire associatifs de la Nation, ce qui exigera d’emblée un arsenal juridique solide et commun.

Si l’on se réfère aujourd’hui aux dispositions du Code de la Défense traitant de statut général des militaires, de hiérarchie, d’exercice de l’autorité, de commandement, de droits et obligations, de devoirs et responsabilités, de discipline, de tenue, de sanctions et récompenses, il apparaît clairement que les articles existants ne répondent qu’imparfaitement aux spécificités d’un SNU obligatoire pour tous. Quant au Code du service national, les chapitres consacrés au statut de volontaire des différentes formes de service (10)  non militaires offertes aux jeunes français ne sont pas d’emblée transposables aux dispositions requises pour un service obligatoire d’un mois, d’autant que de nombreuses subtilités juridiques héritées de la conscription (parcours citoyen, exemptions, objecteurs de conscience…) sont toujours en vigueur sans toutefois intégrer certaines dispositions législatives récentes  qui  mériteront  un  examen  ciblé  et  approfondi  (quid  des  contrats d’apprentissage, de professionnalisation , d’insertion , emplois d’avenir, contrats aidés ou des protocoles internationaux comme Erasmus par exemple ?).

 

Dans la perspective des obligations nouvelles induites par le SNU rénové, un besoin d’harmonisation (11) et de clarification est donc indispensable entre toutes les formes d’engagement citoyen aujourd’hui permises par les lois et décrets en cours, comme l’avait déjà souligné le 9 décembre 2015 le rapport d’information PUEYO-DUBOIS n°3322 déposé par la commission de la défense nationale et des forces armées sur le bilan et la mise en perspective des dispositifs citoyens du ministère de la défense.

 

Garantir des fondements juridiques clairs pour l’action de l’encadrement

Dans ce contexte morcelé, où échecs et succès se succèdent au gré des dispositifs nouveaux, il est intéressant de relever que tous les dispositifs existants qui affichent une ambition similaire d’éducation, d’intégration ou de « sociabilisation », reposent tous sur le volontariat. Ce type de démarche, qui permet de donner du sens à l’engagement individuel, notamment au regard des droits et devoirs à respecter dans une logique d’acceptation librement consentie, s’oppose donc, du moins juridiquement, aux contraintes individuelles induites par l’obligation « de par la Loi ».

Or, le retour d’expérience, en particulier dans les EPIDE, montre que pour les jeunes concernés, et malgré le contrat de volontariat et le parcours de sélection initial, le passage de la soumission contrainte à l’acceptation librement consentie puis à l’adhésion, demande plusieurs mois d’efforts, avec des taux d’échecs incompressibles lors des premières semaines (absentéisme, rébellion à l’autorité, violence, usage de stupéfiants, abus d’alcool, attitudes sexistes, harcèlement envers les filles…).

Ce constat, unanimement relayé par l’encadrement, démontre le rôle déterminant que joue le socle juridique et règlementaire indispensable à l’exercice de l’autorité, pour ne pas dire « l’exercice du commandement ». Malgré un cadre strict et bien défini, les jeunes volontaires demandent du temps et un accompagnement constant et de proximité pour s’adapter à des exigences et des codes auxquels ils se sont généralement soustraits dans leurs milieux d’origine.

Au bilan, c’est bien l’exigence d’autorité et de discipline qui fonde le succès des EPIDE grâce à un cadre juridique clair, étayé par des documents rigoureux, structurés par plus de dix ans de pratique :

▪ le « règlement intérieur applicable aux agents de la direction générale et des centres de l’EPIDE », qui guide l’action et le style de l’encadrement ;

▪ le « règlement intérieur de l’EPIDE – règles de comportement et de discipline applicables  aux  volontaires »,  qui  fixe,  dès  la  signature  du  contrat  de volontariat, les règles de comportement et de discipline, les droits des volontaires, les obligations et interdictions et, surtout, la panoplie des sanctions, dont sanctions pécuniaires, sans lesquelles l’action de l’encadrement serait vouée à l’échec ;

▪ enfin, le référentiel du parcours citoyen de l’EPIDE (56 pages) qui harmonise le travail de transmission des valeurs citoyennes par les conseillers éducation et citoyenneté qui encadrent les groupes de volontaires.

Ainsi, ce sont bien les fondements de l’autorité et de la discipline ainsi que les valeurs de respect et de citoyenneté qui constituent le socle du « réussir ensemble » pour une population initialement en difficulté, souvent rebelle, en situation d’échec et en marge de la société. Mais obtenir le même résultat en un mois avec des jeunes non volontaires apparait comme une gageure et l’objectif de brassage social demandera, comme dans les EPIDE, un encadrement conséquent, compétent, sélectionné, formé, ce qui rend délicat le recours à un encadrement de circonstance pour des périodes courtes et programmées.

En effet, l’exemple des Groupements Recrutement Sélection qui accueillent les candidats à l’engagement dans l’armée de terre, démontrent qu’un encadrement de contact permanent, jour et nuit, pour assurer la discipline et la sécurité, est absolument indispensable dès lors que le régime d’internat sur une nuit est le révélateur de toutes les déviances de la société (violence, sexisme, usage de stupéfiants, abus d’alcool, brimades…).

La réussite du SNU rénové ne saurait donc s’affranchir d’un cadre juridique adapté et rigoureux pour conférer aux acteurs du projet (12) l’autorité, les moyens et les leviers indispensables à l’atteinte des objectifs qui leur seront assignés. Il nécessitera également un examen approfondi des lois et décrets ou circulaires sur la laïcité et les fondements du vivre ensemble républicain pour éviter d’importer avec le SNU les clivages politiques (13), communautaires, religieux ou culturels qui pourraient trouver à cette occasion une opportunité de s’affirmer par le prosélytisme, la provocation, la confrontation ou l’insoumission.

Une mise en œuvre exigeant un accompagnement législatif et réglementaire complexe

Outre les questions d’autorité et de discipline, qui sont essentielles, la mise en œuvre du SNU rénové pose aussi de nombreuses interrogations d’ordre législatif, réglementaire ou administratif, induites par les choix qui seront entérinés par le décideur politique comme les questions de statut, de tenue, de rémunérations, d’allocations mensuelles, de couverture santé, de points retraite, de droits à transport gratuit ou à permissions…

Les textes règlementaires actuels, s’appliquant principalement à des soldats professionnels, des volontaires ou des réservistes, ne sauraient être appliqués en l’état pour des activités spécifiques susceptibles de présenter des risques d’accident ou d’affections imputables au service (activités physiques de type marche, parcours de cohésion, parcours d’obstacles…). De même, ceux portant sur la prévention, le transport de personnel (14), les règles d’hygiène et de sécurité devront être ajustés aux choix qui seront entérinés en matière d’alimentation, de déplacements, de conditions de vie et d’hébergement, en tenant compte aussi des exigences du code du travail ou de la législation européenne (temps de travail par exemple…).

Dans ce cadre, la question des moniteurs spécialisés (EPS et secourisme notamment) révèle à elle seule toute la difficulté à rassembler l’encadrement qualifié en nombre et en qualité dans toutes les structures mobilisées sur le territoire national et dans les DOM-COM pour la mise en œuvre du projet.

Quant au maniement des armes ou l’instruction du tir, s’ils devaient être intégrés au programme du SNU rénové, ce sont tous les règlements actuels, fondés sur la préparation au combat, qui devraient être repris et adaptés (manuels d’instruction, mesures de sécurité pour l’instruction et l’entraînement, fiches de sécurité, sécurité sur les pas de tir, sécurité des munitions…). À l’évidence, les risques potentiels, l’armement en dotation, la disponibilité des installations spécialisées ou des équipes médicales d’intervention ainsi que le volume de munitions allouées aux armées rendent utopique cette possibilité parfois évoquée pour ouvrir un sas vers les préparations militaires, la Réserve ou le Pré-Recrutement.

Sur un autre plan, la durée d’un mois avec activités collectives et le préalable du recensement renvoient naturellement à la question des aptitudes médicales et donc de la capacité à déterminer les profils seuils en fonction du programme qui sera défini et, surtout, la capacité à statuer en amont sur les aptitudes individuelles à suivre l’ensemble des activités prévues (malades, handicapés, grossesses, invalidités diverses, toxicomanes…).

Enfin, la question de la pérennité des JDC se pose en corollaire dès lors que certains objectifs visés par le SNU relèvent aujourd’hui de leur périmètre d’action, d’une part dans le cadre du partenariat avec l’éducation nationale pour les Tests d’évaluation des acquis fondamentaux de la langue française (76 889 jeunes en difficulté en 2014 soit 9,88 %), d’autre part au bénéfice du ministère du Travail dans le cadre du Plan Français  « Garantie  Européenne  pour  la  Jeunesse »  visant  à  la  détection  des NEETs (15) .

Seul fait défaut lors des JDC le bilan santé souhaité par les parlementaires mais jamais réalisé, faute d’accord entre le ministère des Armées et le ministère de la

Santé sur la mise à disposition des moyens nécessaires, à l’exception de l’enquête triennale pour l’observatoire des drogues et des toxicomanies.

 

Ainsi les contraintes et risques qui ressortent dans de nombreux domaines, amplifiés par la complexité induite par l’universalité de principe du SNU, mettent en lumière de très nombreuses interrogations et incertitudes sur les moyens humains, matériels et financiers à consentir pour l’encadrement, la gestion, l’administration, le soutien, la sécurité et la logistique du système. Face à l’ampleur du défi, le cadre législatif et règlementaire apparait plus que jamais comme une urgence préalable à l’accueil des premiers contingents car, sous gouvernance interministérielle elle-même source de grande complexité, aucun détail ne pourra être laissé au hasard sous peine de discréditer d’emblée la capacité de l’État à réussir son ambitieux projet.

___________________________________

7  Comme y fait clairement référence l’article L 314-1 du code de la défense à propos des EPIDE, qu’il présente comme des établissements civils disposant d’un encadrement « s’inspirant du modèle militaire ».

8  Service militaire Adapté, Service Militaire Volontaire, Volontariats dans les Armées, Journées Défense et Citoyenneté, Service

civique, Préparations Militaires, Réserve Militaire, Cadets, Garde Nationale, Établissement Public d’Insertion de la Défense, aujourd’hui Établissement Publics d’Insertion dans l’Emploi…

9 L’article L 111-2 du code du service national stipule : « le Service National Universel comprend trois obligations : le recensement, l’appel de réparation à la défense et l’appel sous les drapeaux. Il comporte aussi des volont ariats ». L’appel sous les drapeaux étant suspendu,  le  parcours  de  citoyenneté  actuel  ne  comprend  plus  que  trois  étapes  obligatoires :  le  recensement  à  16  ans, l’enseignement de défense en milieu scolaire, et la Journée d’Appel de Préparation à la Défense, devenue Journée Défense et Citoyenneté, entre le 16e et le 18e anniversaire.

10 Volontariat pour l’insertion, volontariat de solidarité internationale, volontariat international en entreprise ou en administration, cadets de la défense, cadets de la république ou de la gendarmerie, de la sécurité civile ou des sapeurs-pompiers, volontaires du service civique (Article L 120-1 du code du service national)...

11 Volonté déjà affichée de fédérer les volontariats lorsque le législateur crée le service civil volontaire par la loi N°2006-396 du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances puis instaure par la loi N°2010-241 du 10 mars 2010 le service civique comme une composante du SNU.

12 Y compris pour la police, la gendarmerie et la justice qui seront forcément impliqués par l’augmentation des procédures (cf travail des chancelleries pendant la conscription)

13 Opportunité d’actions militantes pour les activistes extrémistes (Zadistes, Black Blocs, anarcho-libertaires…)

14 Sachant que le parc de véhicules de transport tactique des armées n’a plus, comme du temps de la conscription, la capacité de transporter le personnel.

15 Neither in Employment nor in Education or Training (ni en éducation, ni en formation, ni en emploi)

 

 

 

 

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Titre : Harmonisation, adaptation et cohérence juridique, une urgente nécessité pour le SNU
Auteur(s) : GCA (2S) Philippe RENARD
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