Les contenus multilingues proposés sur le site sont issus d'une traduction automatique.
 

 
 
 
 
 
Français
English
Français
English
 
 
 
Afficher
 
 
 
 
 
Afficher
 
 

Autres sources

 
Saut de ligne
Saut de ligne

Histoire-bataille… Histoire-globale 1/2

Revue de tactique générale - La bataille
Histoire & stratégie
Saut de ligne
Saut de ligne

L’« histoire­-bataille », c’est­-à­-dire la narration d’« événements guer­riers », parfois fastidieuse, dans un ordre chronologique, avec plus ou moins force détails, a subi par le passé1 une sorte de disqua­lification de la part des milieux académiques2. Elle a pourtant, avec ses faits simples, clairs et émouvants, facilité l’enseignement de l’histoire à « nos têtes blondes ».

En effet, il est plus aisé d’intéresser à Godefroy de Bouillon, Jeanne d’Arc et Bonaparte qu’à Étienne Marcel, Colbert ou Turgot. De même, il a toujours été plus facile de captiver l’attention d’un auditoire en narrant les faits d’armes d’un général se ruant à la tête de ses troupes un étendard à la main, plutôt qu’en se livrant à une étude sur la chute du ministère Sarraut3.


Mais cette histoire événementielle a donné lieu à une histoire populaire de mauvaise qualité. À ce courant, est donc venu s’opposer l’école des annales (1929), puis celui de la nouvelle histoire des années soixante­dix4. On en est alors pratiquement arrivé à nier tout intérêt pour l’« événe­ment » de façon générale et même à la chose militaire, a fortiori lorsqu’il s’agissait de batailles.

Ce désintérêt n’est pas à mettre au crédit des militaires. Souvent confron­tés à des protagonistes armés, ces derniers ont au contraire et de tout temps étudié les manœuvres de leurs anciens. En créant l’École de guerre après le désastre de 1870, ils se sont même lancés dans une « science de la guerre », englobant « l’ambiance dans laquelle ont agi les stratèges » : c'est-à-dire les conditions géographiques, les hasards et même les accidents qui ont desservi et parfois complètement transformé l’action du chef au combat, sans laisser de côté les aspects démographiques, industriels, sociaux et politiques du moment, faisant de l’« histoire des batailles » une histoire globale. Les conflits du XXIe siècle, qui confèrent désormais à la bataille un rôle mineur dans le règlement d’un conflit, confirment toute l’importance de considérer l’environnement de la bataille, au sens large.

 

L’accusation : la vision du monde académique

La rareté des sources est un premier argument dans la bouche des détracteurs de «l’histoire-­bataille». Dans l’Antiquité en effet, il est diffi­cile de savoir comment se déroulaient les batailles. Les récits sont très littéraires. Ils sont écrits pour séduire un auditoire qui écoute la lecture de ces textes. En fait, ils apparaissent plutôt comme une propagande qui vante les exploits d’un chef militaire. La guerre des Gaules est connue de manière largement unilatérale grâce au récit de César, qui en a très certainement occulté des pans entiers5. Nous n’avons pas de chiffres, peu de schémas, ne parlons pas des pertes toujours très approximatives. Les reconstitutions postérieures par des stratèges sont donc faussées. En effet, on ne peut pas sérieusement étudier une bataille si on ne connaît pas le terrain. Ainsi, comment étudier la bataille de Carrhes, perdue en 53 av. J.­C. par les Romains contre les Parthes ; on ne sait pas exactement où elle se déroule6. Autre exemple, on est encore aujourd’hui partagé sur le site d’Alésia (52 av. J.­C.) : en Bourgogne ou dans le Jura ? Par ailleurs, les circonstances de la reddition de Vercingétorix sont toujours sujettes à caution. Pour la période du Moyen Âge, on retrouve les mêmes problèmes. Les chroniqueurs prennent beaucoup de libertés : personnages  évoqués non présents, discours qui n’ont jamais été prononcés, etc. Pour la bataille des Champs Catalauniques (451 après J.­C.), les historiens sont partagés entre une localisation géographique qui serait à Troyes ou à Châlons­-sur­-Marne. Par ailleurs, si les chevaliers témoignent, on n’a aucun récit des « manants » (archers, piquiers et autres piétons). Ainsi, l’absence de sources fait de la bataille d’Azincourt (1415) un récit peu fiable. Les plans étudiés sont donc, là encore, plus ou moins faux, puisque l’on n’a pas une connaissance précise de la plupart des champs de batailles. Ces différents événements sont donc traités et analysés selon des procédés non scienti­ fiques. Les exemples pourraient être répétés à l’envie.

 

On fait également la critique de cette vision de l’histoire qui sème, en les glorifiant, les vertus militaires et qui cultive le culte du héros. Elle serait destinée à entretenir dans la nation un esprit guerrier et on s’insurge contre cette culture de la guerre et cette histoire revancharde. La question est posée de savoir si le temps des malheurs doit prendre le pas sur le reste de l’évolution des civilisations. On souligne que l’histoire de l’huma­nité ne peut se résumer à l’étude du chaos, l’analyse des inventions tech­niques qui ont civilisé le monde doit trouver sa place…

 

La critique va enfin à l’historien lui­même. Le sérieux d’un auteur consiste à donner des preuves de ce qu’il avance : des témoignages, des pièces justificatives.  C’est ce qu’on appelle le Positivisme. Mais, on peut objecter que, tout comme dans le domaine judiciaire, une preuve est fragile, contes­ table, incertaine. Deux écueils guettent l’historien. En amont de son travail, il est confronté à des sources qui vont servir « d’architecture » à son propos. Mais, quelles sources choisir ? Dispose-­t­-il de toutes les sources ? Prenons un exemple historique.

Dans la nuit du 20 au 21 décembre 1813, violant la neutralité de la Suisse, les coalisés franchissent le Rhin à Bâle et entrent en Alsace. Un ordre de Berthier du 26 décembre enjoint au maréchal Marmont (6e corps d’armée et 1er  corps de cavalerie) de quitter ses positions (région de Coblence­Spire) pour prendre la direction de Strasbourg. La division Ricard s’ébranle vers le Sud. Mais, dans son mouvement, la queue de sa colonne est attaquée. Commentaire du général  : il rend compte à Berthier du passage de l’ennemi sur la rive gauche du Rhin et son repli dans l’intérieur sur la ville de Sarrebruck. Commentaire du chef d’escadron de Freytag de Bellancourt (1er régiment de gardes d’honneur) : « … on rassembla quelques troupes pour se porter au­devant d’un parti qui s’en fut notre approche…7  ». Commentaire d’un soldat :« … on nous dirigea sur Trêves. C’était presque retourner sur nos pas. Je le dis en passant, il nous a souvent paru extraordinaire que l’on nous fit faire autant de marches et contremarches… peut­être était­-ce néces­saire mais cela nous paraissait louche8 ». La réalité : le corps prussien de York franchit le Rhin à Kaub, le 1er janvier 1814 et coupe la colonne française en deux avant de se rabattre sur la place de Mayence.

Ainsi donc, pour le même fait, on dispose de trois témoignages diffé­ rents. On comprend toute la difficulté d’approcher la réalité à travers trois sources pourtant authentiques. Le second danger réside dans la critique d’aval, sur l’utilisation du document. L’utilisation de l’archive peut être biaisée par l’historien, en fonction de son expérience, de sa personnalité et de sa volonté de vouloir « prouver ». Prenons un autre exemple.

Le 5 janvier 1814, l’arrière­garde du général Ricard a « un léger engagement » à Saint­Wendel avec la tête d’avant­garde du général York. Cette qualification  de « léger » figure dans le compte rendu qu’il adresse à Berthier. Mais, depuis cinq jours, l’armée française subit revers sur revers et son moral est au plus bas. On est alors avide de bonnes nouvelles. Au fil des comptes­rendus hiérarchiques, le « léger engagement » devient un franc succès. Dans son rapport qu’il fait à l’Empereur, le 8 janvier, le major général écrit : « je reçois une lettre du duc de Raguse… Il annonce qu’à Wendel (sic), les gardes d’honneur ont eu un engagement avec une avant­garde prussienne et que l’avantage a été de notre côté…9 ». Or, tout de l’armée française est en retraite, le nombre des gardes d’honneur sur ce point est d’environ 180 sabres et la tête d’avant­garde de York compte, au bas mot, 1 000 hommes (sabres et baïonnettes) !

Que reste-­t­-il donc de l’objectivité ? L’histoire positive est donc orientée et biaisée dès le départ. C’est ce qui permet à Paul Valéry de signaler après le second conflit mondial que «l’histoire est maîtresse d’erreurs10 » et à un auteur américain cité par le colonel Fox : «Dieu ne peut changer le passé, les historiens le peuvent11 ». Marc Bloch dans ses notes relatives à son Apologie pour l’histoire, métier de l’historien prétend : « tout livre d’histoire digne de ce nom devrait comporter un chapitre… qui s’intitulerait à peu près : comment puis­-je savoir ce que je vais écrire ?12 ». Pour ces derniers, les conditions dans lesquelles la guerre se fait sont toujours nouvelles. Il semble donc qu’en parlant de guerre, on se meuve dans un élément tout à fait fugace, toujours variables. En conséquence, pourquoi perdre son temps à étudier des choses qui ne se reproduiront plus ?

 


 

1   Aujourd’hui, l’« histoire­bataille » semble connaître un regain d’intérêt.

2   Mignet (François­Auguste), par exemple, dans son « Histoire de la Révolution française », qui va de 1789 à 1814, évoque « en passant » les campagnes de Bonaparte­Napoléon, parfois sans nommer les batailles, dont les succès seraient surtout attribués à son armée de citoyens, plutôt qu’à son génie.

3   Sarraut remplace Daladier le 4 novembre 1933 et chute le 24 du même mois.

4   Sous l’influence des travaux de John Keegan, « Anatomie de la bataille », de Georges Duby, « Le dimanche de Bouvines ».

5   Ce  problème touche l’histoire dans son ensemble. Combien de dossiers ont­ils été « épouillés », arrangés… dans certains cas, il ne fait aucun doute que l’on se trouve devant une documentation officielle. La bataille du pont d’Arcole (15 septembre 1796) en est un exemple. Loin de l’image d’Épinal, la réalité est la suivante : Bonaparte  qui s’est élancé un drapeau à la main, est bousculé et tombe dans un marais d’où il est retiré avec difficulté. Sa colonne recule… La véritable bataille d’Arcole se déroule le lendemain et le surlendemain de l’affaire du pont, à dire vrai, marginale. « Dictionnaire Napoléon », sous la direction de Jean Tulard, Aubin, Poitiers, 1987.

6   En outre, son récit date de plusieurs siècles après l’événement ! Mais, rien n’est rédhibi­ toire. L’archéologie militaire est un moyen de combler les « vides historiques ». Ainsi, on a dernièrement découvert à Pompéi une inscription datant de deux mois après la date communément retenue de la destruction de la ville.

7   Dossier individuel­Série 2YE.

8   Garceau  (E.M.), « Le carnet de route d’un garde d’honneur », aux carrefours de l’histoire, N° 44, sd.

9   Archives  nationales  AFIV 1667.

10  Valéry (Paul), « Regards sur le monde actuel », Paris, Stock, 1931.

11   Fox (colonel), « Introduction à l’étude de l’histoire militaire », École d’État­major, années 1952­1953, XIVe promotion, Cours d’Histoire militaire.

12   Marc Bloch, mobilisé en 1939­1940, entreprend de tromper l’oisiveté pendant « la drôle » de guerre en rédigeant l’ouvrage sus­cité. Fusillé en 1944, on ne retrouve dans ses papiers que quelques notes, notamment son introduction à son ouvrage à peine ébauché.

 






 

Séparateur
Titre : Histoire-bataille… Histoire-globale 1/2
Auteur(s) : Lieutenant-colonel Georges HOUSSET, CDEC, pôle études & prospective
Séparateur


Armée