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Histoire-bataille… Histoire-globale 2/2

Revue de tactique générale - La bataille
Histoire & stratégie
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La parole est à la défense

À la différence du milieu académique, l’« histoire-­bataille » n’a jamais été traitée d’un air dédaigneux par l’institution militaire. Au contraire même, l’étude des opérations passées a toujours été d’un vif intérêt pour les grands capitaines qui l’ont, pour la plupart, passionnément étudiée. Gustave Adolphe, Turenne, Condé et Napoléon en sont des exemples.

 


 

Le 14 octobre 1813, en pleine campagne de Saxe, Napoléon écrit au maréchal Marmont : « je vous envoie une relation de la bataille de Gustave Adolphe13  qui traite des positions que vous occupez ».

 

« … La connaissance de la guerre ne s’acquiert que par l’étude de l’histoire des guerres et des batailles des grands capitaines et par l’expérience » explique Napoléon.  Ce dernier, alors qu’il n’est que Premier consul, n’hésite d’ailleurs pas, à faire réimprimer à ses frais, l’Essai général de tactique de 1770 du comte de Guibert14. Il suffit de parcourir la correspondance de l’Empereur, ou le mémorial de Sainte-­Hélène, pour découvrir avec quelle minutie le grand homme avait, dès son adolescence, analysé les campagnes des siècles précédents, notamment celles de Turenne et de Frédéric II. Pourquoi cet intérêt ?

En étudiant une bataille, on s’aperçoit, comme dans tous les faits sociaux, qu’il existe certaines lois. Certains rapports entre les actes et leurs effets restent souvent constants, tandis que certaines circonstances et certaines causes ont toujours un caractère décisif. En revanche, d’autres éléments constitutifs de la bataille portent les germes du changement ou du fortuit. L’objectif est de discerner ces deux groupes de lois. Le premier sous­en­ semble représente la règle permanente de toute action de la guerre, le second regroupe les conséquences des progrès matériels ou de circons­ tances particulières. Il ne s’agit pas de demander à l’« histoire­bataille » des « recettes de cuisine », qui sont l’œuvre des règlements, justement très souvent qualifiés de provisoires, mais de déterminer les grandeurs constantes avec lesquelles il faut et il a fallu toujours compter15.

 

Thomas­Edward Lawrence, plus connu sous le nom de Lawrence d’Arabie observe que les troupes irrégulières étaient incapables de défendre une position contre une troupe régulière et que leur impuis­ sance était manifeste dans l’attaque d’une position fortement tenue. Il en déduit six principes pour que l’insurrection l’emporte16 :

  • l’insurrection doit se doter de bases inexpugnables aux attaques directes et aux attaques psychologiques ;
  • la guérilla doit avoir un ennemi technologiquement évolué, ce qui le rendra vulnérable par ses communications et sa logistique ;
  • l’adversaire régulier doit être suffisamment faible en effectifs pour ne pas occuper la totalité du territoire dans sa profondeur ;
  • la guérilla doit avoir au moins le soutien de la population, au pire un soutien passif ;
  • la guérilla doit avoir des qualités fondamentales d’endurance, la présence, la vitesse et l’autonomie logistique ;
  • la guérilla doit avoir les armes pour frapper les communications et la logistique de l’adversaire régulier.

Giap reconnaîtra avoir été influencé par les principes sur la guerre insurrectionnelle, évoqués par Lawrence d’Arabie.

 

Le grand danger peut provenir d’une mauvaise analyse qui consisterait à confondre les lois fondamentales immuables et les procédés qui dépendent, en grande partie, des progrès de la technique.  Ces derniers créent des conditions nouvelles qui exigent d’être impérieusement prises en considération dans la pratique.

Étudier les batailles, certes mais, quelles batailles ? La référence systé­ matique aux conflits proches dans le temps peut être trompeuse. En effet, l’évolution de l’art militaire n’est pas rigoureusement linéaire. Le Premier conflit mondial, par exemple, offre une rupture très nette avec ceux qui l’ont immédiatement précédé. D’autre part, on constate aussi des retours vers le passé. Par exemple, la Renaissance remet à la mode le modèle de la légion et par conséquent celui du choc et de la manœuvre (Antiquité), alors que l’emploi de la poudre développe l’utilisation du feu, successeur des armes de projection (arcs, catapultes)17. La bataille de Stalingrad (17 juil­let 1942­- 2 février 1943), a souvent été comparée au siège de Saragosse (20 décembre 1808­21 février 1809) pour l’acharnement des combats de rues. Après la Seconde Guerre mondiale, le général Halder, chef d’état­ ma­jor d’Hitler, regrettera qu’en dépit de ses immenses lectures, le Führer n’ait pas pris en considération la victoire de Staline sur Denikine à Tsaritsyne (1919), car la manœuvre de Stalingrad n’en est que la répétition à vingt ans de distance18. Dans les années 80, les troupes tchadiennes d’Hissène Habré sont équipées de nouveaux matériels, mais font usage de tactiques anciennes : « l’attaque en essaim », qui remonte à la manière d’opérer des Turcs au Haut Moyen Âge19, l’effet de surprise, le raid en profondeur… À l’heure de l’intervention française au Mali, la longue expérience française des guerres  coloniales (XIXe et XXe siècles) pourrait être un sujet d’intérêt20.

 

L’« histoire-bataille » devenue histoire globale ?

En réalité, l’analyse de la « bataille », pour importante qu’elle soit chez les militaires, ne s’est jamais vraiment limitée à l’étude stricte de l’évé­ nement chez ces derniers. Au Premier Empire, déjà, les écrits militaires débordent largement du conflit armé. Il suffit pour s’en convaincre de consulter l’Histoire des Français des divers états aux cinq derniers siècles21, de Monteil, professeur d’histoire à l’école militaire de Fontainebleau et, en 1814, bibliothécaire de l’école de Saint­Cyr. Dans cet ouvrage, l’auteur complète ce qu’il appelle «l’histoire­-bataille, celle des faits de guerre et des actions des rois, racontés par les autres historiens », en écrivant l’his­ toire des peuples, c’est­à­dire de toutes les classes de la société. Dans ce dessein, il étudie chaque état en particulier, dans son « éducation », ses mœurs, ses travaux et ce qu’il appelle son « génie spécial ». Les hommes de tout rang, de toutes professions viennent successivement se montrer au lecteur, accompagnant les changements de conditions qui ont marqué leur existence aux différents siècles.

 

La création de l’École de guerre après la défaite de Sedan, s’inscrit dans la volonté du militaire de faire de l’« histoire-­bataille » une histoire globale. Le commandant Bonnal22, responsable de 1892 à 1896 du cours de stra­ tégie et de tactique générale, étudie les campagnes napoléoniennes. Son intention est d’en tirer des enseignements au point de vue de la Grande tactique et de la stratégie, mais en s’occupant moins de l’exécution que de la conception, c’est­à­dire de l’idée de manœuvre. Il tend non seulement à exposer les faits de l’histoire, mais à les raisonner, à les discuter, à les comparer, de façon à développer les qualités intellectuelles et la faculté de décision des officiers. Foch, qui lui succède, s’adressant à des officiers, se plaisait à souligner : « mes amis, étudiez, non pas l’histoire des faits, mais l’histoire des hommes ». En effet, un événement militaire est le produit de plusieurs séries de « causes » qui ne sont pas toutes techniques et mili­taires. Comprendre la guerre, c’est également connaître les moyens dont une puissance peut se doter pour se défendre ou attaquer, qu’ils soient humains, matériels, financiers, administratifs. On ne peut donc pas s’af­franchir d’ignorer l’histoire du peuple, son organisation militaire (armée de conscription/armée de métier) de laquelle découle une doctrine. De même, on ne peut méconnaître son économie, de laquelle va dépendre sa technologie, le contexte politique (un État totalitaire/un état libre). Tout s’enchaîne… En 1924, Camon remarque : « en portant sur une carte les voies ferrées construites par les Allemands dans les dernières années (avant la Grande Guerre) aux environs de la Hollande, les ponts nouveaux sur le Rhin, les quais de débarquement, il eût été facile de pronostiquer la forme de la manœuvre et le passage de la masse de la manœuvre, sinon par la hollande, au moins par la Belgique centrale23 ». Mais, la guerre s’ins­crit aussi dans l’histoire des relations entre les États et notamment le jeu des alliances. Il convient donc d’étudier les relations internationales… Le « champ » de la bataille est donc élargi à plusieurs disciplines auxiliaires de l’histoire.

 

Dans la guerre moderne, selon Foch, la destruction complète de l’adver­saire est le moyen de la victoire. Aujourd’hui, la bataille n’est plus une fina­ lité pour les forces armées. Jusqu’à une époque récente, la destruction de « l’autre » était la réponse adaptée à la situation conflictuelle. Ce n’est plus le cas. Le rôle de la bataille est désormais réduit. L’idée n’est pas nouvelle et on s’inspire aujourd’hui de Gallieni et de Lyautey.

« Un pays n’est pas conquis et pacifié quand une opération militaire y a décimé les habitants et courbé toutes les têtes24  ».

 

La bataille est nécessaire, peut être violente, mais elle doit être brève. D’une finalité, elle est devenue une condition du succès stratégique qui se décline en une phase de stabilisation, la nouvelle phase décisive. Enfin, une phase de normalisation doit favoriser le retour à la paix. Plus que jamais, évoluant au sein des peuples, il est d’une importance capitale de bien les connaître. Vaincre, aujourd’hui s’apparente surtout à conquérir les cœurs et les esprits des populations locales. Cette vision des choses, qui minimise l’événement, sans pour autant l’occulter, débouche sur des disciplines nouvelles intro­duites par la légitimité de l’action et l’aspect juridique des interventions.

 

Le croquis suivant, qui caractérise schématiquement la bataille au fil des âges est destiné à mettre en perspective « les ingrédients » dont la maîtrise est indispensable pour les militaires afin de remporter la victoire. On constate que :

  • la connaissance de « l’événement » a toujours débordé sur des facteurs périphériques à la bataille ;
  • l’environnement opérationnel qu’il convient de maîtriser grandit avec le temps ;
  • l’intensité de la bataille n’a pas de lien avec cet environnement opérationnel toujours plus complexe.

 

En conclusion, la démonstration est faite que la bataille n’est aujourd’hui envisagée qu’intégrée dans une « histoire globale », celle des peuples comme celle des techniques. Depuis ces dernières décennies, on assiste à une mondialisation et à des bouleversements géopolitiques qui trans­ forment profondément la guerre. Elle est plus que jamais ce caméléon donc parlait Clausewitz. On assiste aussi aujourd’hui à une dilatation du champ de bataille qui bouscule les modèles classiques. Les distances explosent, de nouvelles dimensions apparaissent : le cyberespace et l’espace extra­atmosphérique. Il faut y ajouter le champ des percep­ tions : l’adversaire, les alliés, l’opinion politique, celle des populations, des médias… enjeux et acteurs des crises et des guerres. La bataille classique cède désormais le pas à une « nouvelle intervention  armée ». Si son étude reste nécessaire pour en dégager des principes, son enseignement doit englober, plus que jamais, toute une série de paramètres périphériques.


 

 

13   Gustave II Adolphe (1594­1632), roi de Suède, décédé dans une bataille à Lützen.

14   Jacques­Antoine­Hippolyte, comte de Guibert (1743­1790).

15   Déjà dans l’Antiquité, Caton prônait « l’économie des moyens », de Guibert défend la nécessité pour le chef de préserver « sa liberté d’action », Napoléon s’en tient à « l’initia­ tive, la concentration des forces et la surprise ».

16   Cité par Gérard Chaliand, « Anthologie mondiale de la stratégie », Robert Laffont, 1990 ; ouvrage régulièrement réactualisé.

17   Dans le même registre, l’équipement des forces de l’ordre (casques à visière, boucliers et gilets pare­balles), n’est­il pas une résurrection de l’armement défensif du Moyen Âge ?

18   Lieutenant­colonel de Cossé­Brissac, « Conférence inaugurale au cours d’histoire militaire », 1947­1948.

19   Wanty (Emile), « L’art de la guerre de l’Antiquité chinoise aux guerres napoléoniennes », Gérard & Co, Verviers, 1967. (Bataille de Dorylée en 1097).

20   Il suffit pour s’en convaincre de considérer les excellents retours suscités par les récents écrits du PEP sur « L’armée des dunes».

21   Monteil (Amans­Alexis), Histoire des Français des divers états aux cinq derniers siècles, Paris, 1827­1844.

22   Guillaume­Auguste­Balthazar­Eugène­Henri Bonnal (1844­1917).

23   Camon (général), « L’étude des campagnes napoléoniennes est­elle encore de quelque utilité », Revue militaire française, volume2, avril/juin 1924.

24   Lyautey (colonel), « Du rôle colonial de l’armée », Paris, Armand Colin & Cie, 1900.




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Titre : Histoire-bataille… Histoire-globale 2/2
Auteur(s) : Lieutenant-colonel Georges HOUSSET, CDEC, pôle études & prospective
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