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Intégration régionale en Asie centrale post-soviétique

Cahiers de la pensée mili-Terre n° 48
Histoire & stratégie
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Entre crise économique, terrorisme international et problématiques identitaires: une intégration régionale qui peine à dépasser les postures politiques.

Les États centre-asiatiques rencontrent des contraintes en termes de souveraineté économique qui freinent  les mécanismes de coopérations transfrontalières. En outre, ces États, confrontés à des risques sécuritaires  générés par les revendications violentes  d'un islam politique, peinent à engager  des stratégies de développement permettant de concilier souveraineté nationale et intégration régionale.


En octobre 2011, dans son discours présentant le projet de création de l'Union économique eurasiatique (UEE), le président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, a insisté sur le fait que la démarcation des frontières entre la Russie et le Kazakhstan n'était plus nécessaire compte-tenu des progrès réalisés en termes, notamment, d'intégration douanière. Vingt ans après les indépendances, les États d'Asie centrale pourraient donc sembler avoir accédé à une viabilité et développé un processus d'intégration régionale harmonieux. Pour autant, les progrès de cette dernière semblent encore timides. De surcroît, l'organisation de coopération centrasiatique (CACO), initiée par les pays de la région après l'éclatement de l'URSS, n'a jamais connu une réalité dépassant les postures politiques.

L'intégration régionale n'a pas connu l’essor que l'on aurait pu escompter lors de la reconfiguration de cet espace issu de la désintégration de l'URSS. S'interroger sur les mécanismes d'intégration régionale semble donc particulièrement pertinent dans une région où les enjeux d'identité nationale, de sécurité et de développement économique ont systématiquement un caractère transnational.

Soumis à des contraintes géopolitiques et sécuritaires fortes, les États d'Asie centrale, à l'identité et aux délimitations territoriales parfois encore fragiles, éprouvent une grande difficulté à mettre en place des coopérations transnationales. Ils semblent loin de pouvoir concilier les impératifs de développement économique et la préservation de leur souveraineté nationale.

Pour s'en convaincre, après avoir identifié les atouts pouvant faciliter les coopérations régionales, nous chercherons tout naturellement à préciser les rivalités géopolitiques et géoéconomiques opposant les pays de la région, puis détaillerons les enjeux identitaires et sécuritaires qui ralentissent leur mise en œuvre.

 

Un contexte propice au développement des coopérations

 

L'Asie centrale dans la définition ici retenue (Kazakhstan, Kirghizstan, Tadjikistan, Ouzbékistan, Turkménistan) est une région dont l'enclavement limite les perspectives de développement économique et nécessite la mise en place de coopérations transfrontalières vers les pays qui ont accès aux principaux itinéraires d'échanges mondiaux – Russie et Chine. Cette situation a surgi au moment des indépendances, car le coût du désenclavement était pris en charge, jusque là, par le régime soviétique. Cet enclavement crée en outre une situation d'interdépendance de nature à favoriser a priori le développement des coopérations transfrontalières afin d'améliorer les infrastructures de transport et les mécanismes d'intégration régionale.

De plus, les États nés de l'effondrement de l'URSS ont des configurations territoriales complexes qui génèrent des phénomènes de mobilité propices aux échanges transfrontaliers. En effet, ces États ont une répartition urbaine très dense à leurs périphéries frontalières et comportent des minorités issues des peuples voisins. En outre, ils sont confrontés à des discontinuités territoriales saisonnières, qui imposent des franchissements frontaliers. D'autre part, la région connaît un fort courant migratoire vers la Fédération de Russie, facilité par l'absence de visas pour les ressortissants d'Asie centrale. Ces interdépendances liées aux héritages soviétiques sont par ailleurs particulièrement présentes dans le domaine des infrastructures et portent essentiellement sur l'entretien et l'exploitation des réseaux ou le paiement de droits de transit dans le cadre des transports de passagers, de fret ou d'hydrocarbures. De surcroît, en parallèle à leur adhésion aux organisations internationales, les nouveaux États ont intégré une multiplicité d'organisations de coopération régionale destinées soit à maintenir les mécanismes de coopération politique, économique et militaire entre anciens pays soviétiques - communauté des États indépendants (CEI), organisation du traité de sécurité collective (ODKB) -, soit à favoriser le règlement des questions frontalières - organisation de coopération de Shanghai (OCS) -, soit à établir des partenariats avec les pays riverains où harmoniser les échanges, les infrastructures et les relations économiques - union économique eurasiatique (UEE), Economic Coopération Organisation (ECO) et organisation de coopération centrasiatique (CACO). Toutefois, ces organisations ont une portée limitée en raison de difficultés structurelles: inégalités politiques et économiques, position dominante de la Russie, divergence des systèmes politiques, concurrence des structures productives des États membres (notamment pour ce qui concerne le coton et les hydrocarbures), persistance de barrières tarifaires ou absence de mécanisme de règlement des conflits commerciaux.

 

Des rivalités géopolitiques et géoéconomiques

 

Le jeu géopolitique des grandes puissances qui cherchent, par les relations bilatérales, à conforter leur influence pour satisfaire leurs intérêts sécuritaires, économiques ou énergétiques constitue un frein au développement de coopérations transnationales et à la modernisation des infrastructures de production de ces pays.

Ainsi, après un désintérêt relatif au cours des cinq années qui ont suivi la dissolution de l'URSS, la Russie a retrouvé progressivement les leviers de son influence en Asie centrale grâce à son poids économique prépondérant, sa coopération militaire, au maintien d'une «complaisance» vis-à-vis des régimes autoritaires et aux pressions dans le domaine énergétique. Néanmoins, cette capacité d'influence se cantonne, dans le domaine économique, à des coopérations bilatérales. Mais, compte tenu du jeu géopolitique développé par la Chine, ses positions ne peuvent plus être considérées comme garanties.

En effet, la Chine, s'impose par sa puissance économique. Elle lui permet, au delà des progrès obtenus dans le cadre de l'OCS, de négocier au travers de relations bilatérales des accords en sa faveur dans le domaine des hydrocarbures et des ressources hydriques. Dans ce cadre, un possible partenariat sino-russe basé sur une répartition tacite des responsabilités – Russie: sécurité; Chine: développement économique – pourrait être mis à l'épreuve.

La présence des États-Unis a été essentiellement axée sur les projets de transit évitant la Russie (pipeline Bakou-Tbilissi-Ceyhan et gazoduc Bakou-Tbilissi-Ezerum) et de sécurité en Caspienne et en Afghanistan. Elle s'est affirmée par un partenariat privilégié avec le Kazakhstan et surtout avec l'Ouzbékistan. Toutefois, ce dernier s'est rapproché de Moscou après les vives critiques américaines formulées lors des répressions sanglantes d'Andijan en 2005. Cette période marque un recul de l'influence américaine sur le terrain centrasiatique, amplifié avec le désengagement des forces d'Afghanistan.

En outre, les républiques centre-asiatiques, confrontées à des facteurs géoéconomiques locaux, peinent à engager une transition économique. Cet espace était intégré dans le cadre d'une économie planifiée qui entretenait des interdépendances. Mais cette intégration est aujourd'hui difficilement compatible avec des enjeux de développement basés sur une affirmation de la souveraineté nationale et une maîtrise des ressources.

Ces difficultés sont particulièrement prégnantes dans le domaine de la production électrique, qui était mutualisée sous le régime soviétique. Ainsi, le Tadjikistan et le Kirghizstan, principaux fournisseurs, recevaient des hydrocarbures ouzbèkes en compensation. Cependant, lors des indépendances, les États ont instrumentalisé leurs

livraisons. Confrontés à une hausse du prix des hydrocarbures, les deux pays ont réduit leurs lâchés en été pour économiser l'eau ou provoqué des lâchés importants en hiver pour produire pour leurs besoins propres. Ces pratiques ont nuit à l'agriculture dans les bassins ouzbèkes de l'Amou-Daria et du Syr-Daria et, en 2008, le président ouzbek s'est inquiété du risque de conflit interétatique autour de cette question.

 

Enjeux identitaires et sécuritaires

 

Privilégiant une logique identitaire destinée à assurer la stabilité des régimes et la viabilité des républiques aux enveloppes territoriales encore fragiles, les choix politiques réalisés lors des indépendances ont amplifié les antagonismes et fragilisé la cohérence économique de la région. En effet, ces décisions recherchant à consolider le caractère d'État-nation des nouvelles républiques ont généré l'apparition de multiples fragmentations (politiques, sociales, ethniques et linguistiques) qui contribuent encore à freiner le développement économique de la région.

La redéfinition de la citoyenneté suivant les principes soviétiques a modifié les appartenances nationales en favorisant l'adoption de la citoyenneté du pays de résidence au détriment de l'appartenance ethnique. La mise en place d'un régime de visas pour des raisons de sécurité ou de souveraineté a amplifié le cloisonnement régional. La promotion des langues nationales mises en place par le pouvoir soviétique a généré des inégalités dans l'accès à la fonction publique en entraînant une  exclusion  des  minorités ethniques. Ces  politiques  ont  exacerbé  l'identité nationale et fragilisé les équilibres ethniques, notamment dans les enclaves de la vallée de Ferghana où  les  fonctions  sociales  et économiques  sont  définies  selon l’appartenance ethnique. A ce titre, sur fond de crise économique, les tensions liées à l'attribution des ressources en eau ou en pâturages ont réactivé les oppositions entre agriculteurs et éleveurs d'une part, et entre éleveurs et marchands d'autre part, sur une base ethnique. Ces dernières sont encore amplifiées par le fait que ces frontières profondément imbriquées séparent des villes, des villages ou des maisons. L'apparition de ces frontières multiples a participé à la déconstruction des solidarités locales et des dynamiques d'échange internes à la région. À ce titre, l'exemple de la vallée  de  Ferghana  est  particulièrement  significatif. Cette  dernière, foyer de civilisation sur la route de la Soie, berceau du zoroastrisme et de l'empire moghol, constituait une région fertile et prospère; or elle fait l'objet de vives tensions depuis les indépendances. Cette évolution atteste de la destruction des liens traditionnels et des ensembles régionaux supra étatiques, et du délitement du tissu économique et social local. Cette dégradation a conduit à des mouvements de contestation à Andijan en 2005 et à Och en 2010, qui ont été réprimés dans le sang.

Dans ce contexte économique dégradé, le risque porté par le développement de la menace terroriste est de nature à nuire à l'ouverture de systèmes politiques et produit des logiques d'enfermement qui constituent un obstacle au développement des coopérations transfrontalières. Ainsi, même si les préoccupations sécuritaires sur fond de lutte contre les mouvements islamistes préexistaient aux indépendances, elles se sont amplifiées lors de la guerre d'Afghanistan et s'accroissent encore dans la région avec la guerre civile au Tadjikistan. À ce titre, dans les années 1990, l'opposition du parti de la Renaissance islamique (PRI) au régime communiste a contribué à renforcer la crainte d'une déstabilisation portée par l'islam politique.

L'exemple de l'Ouzbékistan est symptomatique de cette situation. La répression sévère envers l'opposition islamique y a généré une radicalisation des activistes réfugiés en Afghanistan. Ces derniers y ont créé le Mouvement islamique d'Ouzbékistan (MIO) et se sont mêlés au terrorisme international. Dans ce contexte, la porosité des frontières a permis, en 1999, la réalisation d'attentats à Tachkent par des éléments armés infiltrés depuis l'Afghanistan par la frontière Kirghize. Les prises d'otages d’août 1999 au Kirghizstan ont été imputés à des éléments du PRI en provenance du Tadjikistan. Confronté aux risques d'infiltrations d’éléments du MIO, le président Karimov a initié une délimitation et un équipement unilatéral de la frontière avec le Tadjikistan et le Kirghizstan. Constatant que «l'Ouzbékistan se trouve dans une région où le système de la sécurité collective n'est pas encore en place», le président Karimov a reproché au Tadjikistan son manque d'efficacité dans la lutte contre les groupuscules radicaux. Cet argument a légitimé les fermetures unilatérales des frontières avec le Tadjikistan et le Kirghizstan. Après son repli en Afghanistan, le MIO n'a pas été complètement détruit par les frappes américaines déclenchées après le 11 septembre 2001, et la vallée de Ferghana a connu, en 2004, de nouveaux attentats attribués au MIO ou au Hizb ut-Tahrir.

Les républiques centre-asiatiques entretiennent donc une méfiance permanente envers non seulement le PRI et le MIO, mais aussi envers le mouvement fondamentaliste  Hizb ut-Tahrir. Dans ce cadre, l'Ouzbékistan accuse régulièrement le Tadjikistan d'abriter des terroristes sur son territoire. Ces préoccupations sécuritaires ont été la source non seulement des politiques de fermetures frontalières, mais aussi d'une réticence à engager un pluralisme politique effectif. Ainsi, la persistance du risque islamiste et les préoccupations actuelles, liées au retour de djihadistes centre- asiatiques ayant combattu en Afghanistan, en Syrie et en Irak, notamment au Tadjikistan, sont de nature à freiner tout mécanisme de transition et à amplifier le cloisonnement régional.

 

En conclusion, vingt-cinq ans après les indépendances, les États de la région d'Asie centrale, en dépit de postures politiques appelant à une intégration, rencontrent des contraintes en termes de souveraineté économique qui freinent le développement de coopérations transfrontalières. En outre, ces États, confrontés  à  des  risques sécuritaires liés aux revendications violentes d'un islam politique, peinent à engager des stratégies de développement et de transition politique permettant de concilier souveraineté nationale et intégration régionale.

 

 

Issu de la promotion de l'École militaire interarmes 2002-2004, le Chef de bataillon GRARD rejoint les troupes de montagne en 2005 et y effectue sa première partie de carrière d'officier. Il suit actuellement une formation spécialisée en langue russe à l'Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) au titre de l'École de guerre.

 

 


 

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Titre : Intégration régionale en Asie centrale post-soviétique
Auteur(s) : le Chef de bataillon GRARD
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