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L'enlisement des armées occidentales: une mise en perspective 2/3

BRENNUS 4.0
Relations internationales
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Ce crescendo n’est pas sans évoquer la situation qui suit l’engagement en Afghanistan, à partir de la fin 2001. Née de la mission qui vise à éradiquer Al-Quaida (AQ), tuer son chef Oussama Ben Laden et à punir le régime taliban qui l’a protégé, l’Opération Enduring Freedom (OEF – Liberté immuable) parvient en quelques semaines à reprendre Kaboul, à renverser les talibans dont les chefs fuient ou se cachent, tandis que les terroristes d’AQ se terrent dans les montagnes de Tora Bora, implacablement pourchassés par les forces spéciales américaines.


Les États-Unis ont déployé quelques centaines de forces spéciales, chargées essentiellement de coordonner les frappes aériennes et de prendre contact avec l’Alliance du Nord, le rassemblement de forces afghanes anti-taliban. Le succès semble atteint et le Pentagone n’imagine pas laisser plus de 12 à 15 000 hommes pour traiter les menaces résiduelles, s’agissant d’abord de sécuriser Kaboul, Kandhar et les grandes villes du pays.[12]. Parallèlement, dans la foulée de la conférence de Bonn se met en place la Force Internationale d’Assistance et de Sécurité (FIAS – ISAF en anglais) qui voit sa priorité dans le rétablissement d’un gouvernement et l’appui à la reconstruction. Il existe donc deux missions qui se tournent le dos, l’une à vocation cinétique et l’autre à fin de stabilisation, qui ne travaillent pas ensemble, ne se comprennent pas et ne poursuivent pas les mêmes objectifs. En outre, l’invasion de l’Irak en 2003 détourne une grande partie des moyens américains, et bien que l’OTAN prenne ses responsabilités en étendant son influence sur l’ensemble du pays (2005-2006), il lui manque les mécanismes de commandement idoines[13]. comme la capacité à pouvoir entraîner les Alliés au-delà des restrictions d’emploi qui limitent de facto l’usage de la force.

Le retour des talibans, d’abord dans les provinces du sud puis dans l’ensemble du pays, voit la violence reprendre partout à partir de 2007. Cela fragilise l’ISAF et par répercussion, l’Alliance atlantique, qui peine à prendre la juste mesure de la guerre. En décembre 2007, le secrétaire d’État à la Défense Robert Gates révèle que la mission en Afghanistan est symptomatique des limites dont l’Alliance se structure, opère et s’équipe, en partie du fait des visions parfois contradictoires entre Alliés. Une réponse stratégique s’opère au Sommet de Bucarest en 2008 qui rappelle quatre principes quant à cette campagne :

  • un engagement dans la durée ;
  • le soutien au renforcement du leadership des Afghans et de la prise de responsabilité par ces derniers ;
  • une approche globale de la communauté internationale, conjuguant efforts civils et militaires ;
  • une coopération et un engagement accrus avec les pays voisins de l’Afghanistan, en particulier le Pakistan.

Le Secrétaire général de l’OTAN, Jaap de Hoop Scheffer, rappelle alors que l’OTAN est aux côtés de l’Afghanistan « dans la durée » (« for the long haul »), ce qui balaie les accusations d’enlisement.

Le contexte international – et la crise économique de 2008 – doublé de contraintes politiques nationales de plus en plus fortes, nourrissent des critiques sur une guerre essentiellement américaine, incapable d’être gagnée, tandis qu’un nombre croissant d’Alliés annoncent leur retrait unilatéral dans un contexte sécuritaire qui se détériore[14]. Bientôt, les chances de succès ne tiennent plus qu’à la montée en puissance des opérations menées par les forces de sécurité afghanes et à un discours performatif sur l’efficacité de la transition, caractérisée par le volume croissant de forces de sécurité afghanes recrutées, entraînées puis déployées. Cette « afghanisation » de la guerre, comme autrefois la « vietnamisation » devient la stratégie de sortie. Dans le même temps, les Alliés planifient d’ores et déjà le retrait, annoncé lors du Sommet de Lisbonne en 2010 et dont la date finale est dévoilée lors du Sommet de Chicago en 2012. Bien que le soutien à l’Afghanistan soit encore une fois martelé, ce retrait occupe tous les esprits, tandis qu’on recherche les options les moins coûteuses politiquement et militairement. Il faut encore deux ans pour réorganiser le dispositif : le 31 décembre 2014, la FIAS laisse la place à une mission
d’assistance opérationnelle au profit des forces de sécurité afghanes (englobant les différentes activités de formation, de conseil et d’assistance), Resolute Support Mission (RSM) – toujours en cours à l’heure actuelle.

Dans le cas afghan, l’enlisement semble intervenir dès le moment où les stratégies conduites par d’un côté les Américains, de l’autre par la FIAS partent dans des directions opposées, que souligne l’incapacité à définir un but de guerre commun. Paradoxalement, la décision de quitter l’Afghanistan crée un appel d’air et débloque la situation – pas forcément dans le sens désiré puisque les talibans semblent en profiter[15]. En revanche, c’est justement dans cette période, de 2009/2010 à 2012 que les militaires parviennent enfin à définir les éléments essentiels pour peser efficacement sur tous les leviers possibles. Cette dissociation entre le choix politique de quitter, et la façon dont les militaires souhaitent laisser un cadre solide et stable, crée une sorte d’aporie stratégique, qui ne facilite pas la compréhension des enjeux tant les acteurs concernés sont nombreux, et profitent de l’instant pour faire avancer leur agenda.

 

Une stratégie de (faibles) moyens ?
Au Vietnam, comme en Afghanistan ou en Irak, le problème principal auquel sont confrontés les militaires tient à la juste définition du type de guerre qui est mené, et qui conditionne le reste. La culture militaire américaine dans sa tradition classique
repose alors largement sur l’idée d’une guerre totale et massive, portée par des fondements idéologiques et moraux. Pourtant, il existe des moments d’adaptation qui conduisent finalement à distinguer l’alternance de deux stratégies. La première stratégie est lourdement cinétique, conventionnelle et industrielle, selon le principe du « search and destroy » et s’adresse à l’adversaire qu’il s’agit de détruire. Elle fait la part belle aux sources jominiennes de l’esprit américain en sollicitant sa supériorité dans tous les domaines industriels et technologiques. La « Révolution dans les affaires militaires » qui connaît son baptême lors de l’opération Tempête du Désert en 1990-1991, se prolonge avec l’inscription du modèle de « Shock and awe » (choc et effroi) théorisée en 1996 et qui vise à frapper fort pour s’assurer de la conquête d’un pays avec un nombre limité de troupes, avant de s’en retirer en le laissant aux mains d’une population libérée et reconnaissante.[16].

C’est faire fi, comme le souligne Pierre Hassner, « des facteurs comme le nationalisme ou la religion chez des peuples qui sans doute heureux en majorité d’être libérés de leur dictateurs, ne s’identifiaient pas pour autant à leur libérateurs-occupants et étaient divisés par toutes sortes de rivalités internes »[17]. En Irak, les chefs américains découvrent que les succès tactiques ne se traduisent pas forcément en gains stratégiques et qu’il faut sans doute changer de portage. L’échec – à défaut de défaite – stimule le processus d’adaptation opérationnelle des armées.[18]. Cherchant et exploitant des analogies historiques – la Malaisie des années 1950 ou l’Algérie de 1960 – les chefs militaires US ciblent la population, devenue centre de gravité. Ce renouveau doctrinal donne lieu à la rédaction d’un manuel, le Field Manual 3-24 – Counter-Insurgency, sous la direction des généraux Petraeus et Mattis. Leur but est de répondre au risque d’enlisement en transformant autant la manière de mener les opérations sur le terrain que leur intégration dans un ensemble socio-politico-économique plus vaste.

Définie par les principes de « shape, clear, hold, and build », cette doctrine cherche à marginaliser l’insurrection : on contrôle militairement un territoire dont on élimine les insurgés qu’on s’efforce de séparer du reste de la population. Le territoire une fois nettoyé, un ambitieux effort d’aide et d’administration est entrepris pour gagner l’adhésion de la population. Le partenaire prend en charge les zones stabilisées tandis que les opérations se déplacent vers un autre espace contigu, afin de faire basculer des zones plus larges sous le contrôle du gouvernement légitime. Cette stratégie de la tâche d’huile (inkspot strategy) fait la part belle aux modèles hérités des principes de pacification britanniques ou français, comme Lyautey ou Gallieni. L’idée est donc bien de faire du nouveau soldat un combattant autant qu’un bâtisseur, et le rempart à l’abri duquel un nouveau gouvernement et de nouvelles forces armées indigènes peuvent se mettre en place.

Le FM 3-24 ne camoufle pourtant pas que le succès d’une campagne de contre-insurrection tient à une multitude de facteurs – et d’acteurs. Pour répondre aux critiques sur l’absence de résultats immédiatement visibles et sur le risque de l’enlisement, on souligne l’importance de la durée de l’engagement dans les conflits de contre-insurrection et le poids des effectifs à y commettre. Dit autrement, les rédacteurs s’appuient sur les données de deux siècles de « petites guerres » pour définir une durée moyenne d’intervention : en moyenne, un conflit asymétrique durerait autour de 12 ans, ce qui ne cache pas des écarts assez étonnants entre cas historiques conviés.[19]. Plusieurs études renforcent cette question essentielle de l’engagement dans la longue durée en soulignant que depuis 1945, ces conflits ont eu tendance à s’allonger – jusqu’à doubler.[20].

 

[12] Guillaume Lasconjarias, « Afghanistan (2001-2002) » in Frédéric Ramel, Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer et Benoît Durieux,
Dictionnaire de la Guerre et de la Paix, Paris, PUF, 2017.
[13] Le Joint Operational Center de Kaboul n’est inauguré qu’en 2006 mais ne fonctionne comme organisme de coordination
qu’à partir de 2009.
[14] Gilles Dorronsoro, Christian Olsson et Raphaël Pouyé, Insurrections et contre-insurrections, éléments d’analyse sociologiques à partir des théâtres irakien et afghan, Paris, IRSEM, Étude n°20, 2010. Voir aussi un article de Libération, «Engagement de la France en Afghanistan : les doutes de l'opposition », 3 août 2009 et l’interview du général Desportes au Monde, le 2 juillet 2010.
[15] Antonio Giustozzi, « Comment les talibans regagnent le terrain », Alternatives Internationales, 2008/6 (n°39), p. 10.
[16] Harlan K. Ullman and James P. Wade, Shock and Awe. Achieving Rapid Dominance, Washington DC, National Defense University, 1996.
[17] Pierre Hassner, « Puissance et impuissance des interventions extérieures », CERISCOPE Puissance, 2013 (http:// ceriscope.sciences-po.fr/puissance/content/part1/puissance-et-impuissance-des-interventions-exterieures)
[18] Pascal Vennesson (dir.), Innovations et conduite du changement dans les armées : recueil du cycle 2000-2001 des conférences du C2SD, Paris, C2SD, 2002.
[19] Sur cette question, le texte de référence est Ivan Arreguın-Toft, « How the Weak Win Wars: A Theory of Asymmetric Conflict», International Security, 26(1), 2001, p.93-128.
[20] Patrick B. Johnston et Brian R. Urlacher, Explaining the Duration of Counterinsurgency Campaigns, présentation au congrès des politistes américains du Midwest, 5 avril 2011.

 

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Titre : L'enlisement des armées occidentales: une mise en perspective 2/3
Auteur(s) : le chef de bataillon Guillaume Lasconjarias, du pôle études et prospective du CDEC
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