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L'enlisement des armées occidentales: une mise en perspective 3/3

BRENNUS 4.0
Histoire & stratégie
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L’autre problème tient à la question des effectifs à engager. La particularité des engagements récents est qu’ils débutent souvent en étant sous-dimensionnés par rapport à ce que la situation exigerait. En Afghanistan, quelles que soient les doctrines employées par les nations impliquées, le nombre de troupes déployées reste toujours trop modeste pour couvrir la population et le terrain.


Même des contingents apparemment nombreux comme celui des Britanniques dans le Helmand (jusqu’à 9 500 combattants) ne suffisent pas et conduisent à demander de plus en plus de troupes.[21].

Au Vietnam, comme en Irak puis en Afghanistan, on observe une hausse tendancielle des effectifs, qui confirme que la vision initiale est sans doute trop optimiste quant à l’adversaire. Dans le cas afghan, quand l’OTAN commence à sortir de Kaboul pour s’établir sur la totalité du pays au travers des commandements régionaux, les prévisions les plus pessimistes quant au retour de la menace sont écartées.[22]. Aussi, dès le moment où la situation se durcit (en 2006-2007), la première réponse tient dans un accroissement constant des effectifs. Pourquoi n’avoir pas initialement fait cet effort ? Les raisons sont connues : l’une tient au coût financier du soutien. Les exigences logistiques dans un pays enclavé comme l’Afghanistan se traduisent dans les faits par une pression sur des ressources comptées. Une étude américaine révèle dans cette période que le coût du déploiement d’un soldat pour un an sur un théâtre étranger (Irak ou Afghanistan) monte à presqu’un million de dollars US.[23]. Avant même que n’intervienne la crise économique mondiale en 2008, l’équation financière incite à tenir compte de ces dépenses incompressibles et explique des générations de force taillées au cordeau. Parallèlement naît un discours qui justifie ces déploiements au plus juste qui chantent les louanges de l’ « empreinte légère » (light footprint) essentielle pour ne pas être considérée par la population comme une force d’occupation.[24].

Le FM 3-24, sans le dire explicitement, justifie de l’envoi, pour un temps limité, d’un contingent supplémentaire. Que l’un des promoteurs et de la COIN, et du manuel soit aussi nommé patron des forces de la coalition en Irak, le général David Petraeus – auteur d’une thèse sur le Vietnam par ailleurs – n’est pas étonnant. Pourtant, le surge qui intervient en Irak au début de 2007 bénéficie de conditions particulières qui expliquent le succès partiel de l’opération : le gouvernement irakien de Maliki autorise les forces de la Coalition à agir contre toutes les forces de déstabilisation, y compris les milices chiites, ce qui donne aux Américains le rôle d’arbitre. Parallèlement, les chefs tribaux se rallient en échange de soutien matériel, de garanties politiques et d’une place dans le système. Surtout, la nature de l’insurrection – essentiellement urbaine – permet la concentration des efforts en ville, en déployant une intense activité pour ériger des barrières de béton, séparer les belligérants, puis établir les multiples postes de combat d’où opèrent en commun forces US et irakiennes. Enfin, après quatre ans de guerre, les Américains s’appuient sur l’expérience, la compétence et les moyens nécessaires pour se déployer sur les lignes de fracture ethniques et religieuses, s’interposer entre les communautés et protéger les plus fragiles, en contrôlant et parfois en sanctionnant les forces irakiennes.[25].

 Les premiers résultats sont encourageants et conduisent à une diffusion large du modèle contre-insurrectionnel, soit par imitation (Canada par exemple), soit par remploi de doctrines connues mais « mises sous scellés politiques » dans le cas français. [26]. Mis à l’épreuve de l’Afghanistan, la contre-insurrection et le surge ne donnent pourtant pas les effets escomptés : certes, la FIAS obtient des succès dans le sud (opération Moshtarak lancée en février 2010) et parvient à tenir au travers de l’anneau routier (Highway One) le « pays utile ». Tenenbaum complète : « La politique de ciblage systématique visant à capturer, retourner ou éliminer les cadres politiques et militaires insurgés a produit d’indéniables résultats, engendrant une importante attrition dans les rangs talibans. Néanmoins, la persistance du sanctuaire pakistanais, l’incurie du gouvernement national et la faiblesse encore trop grande des forces de sécurité ne permettent toujours pas d’envisager une amélioration rapide de la situation »[27].

La décision d’accélérer le retrait sous prétexte de la maturité des forces nationales formées par l’ISAF ne permet pas de considérer si les nouvelles doctrines, conjuguées aux moyens humains et matériels déployés et au travail d’approche globale (comprehensive approach) mis en place, permettent d’atteindre la victoire. En revanche, elles offrent indéniablement des solutions pour sortir d’un enlisement possible, à conditiond’accepter de se projeter dans des opérations longues, convenablement soutenues et accompagnées par les chefs politiques.


L’enlisement, moins une réalité qu’une perception ?
Les relations entre la guerre et l’opinion publique sont compliquées, surtout dans une démocratie. Comme le souligne Nathalie Guibert, il existe effectivement une vague de ferveur patriotique au déclenchement de chaque opération qui ne dure pas, et qui s’éteint plus ou moins rapidement. Les guerres du Vietnam, d’Irak et d’Afghanistan partagent le point commun d’être devenues au fil du temps de plus en plus impopulaires.

Là encore, le Vietnam représente un triple tournant : le premier tient à l’exposition médiatique constante, la mobilisation de l’opinion publique et des formes de démonstration domestiques qui pèsent in fine sur les armées. En 1960, 90% des foyers américains sont équipés d’un téléviseur, et les nouvelles du conflit passent désormais par ce prisme. En 1968, l’offensive du Têt se déroule littéralement sous les yeux de l’Amérique. Choqués, les Américains découvrent que la guerre menée en leur nom en Asie est brutale, qu’elle tue et qu’elle ne semble pas pouvoir s’achever.[28]. Le journaliste de CBS Walter Cronkite, l’un des hommes de presse les plus respectés, s’interroge alors sur qui a gagné la bataille et conclut son intervention en disant : « Qui a gagné (…), je ne suis pas sûr. Il est en revanche plus que jamais certain que l’expérience sanglante du Vietnam est une impasse. Dire que nous sommes aujourd’hui plus proche de la victoire signifie que l’on croit, contre toute évidence, aux mêmes optimistes qui ont eu tort par le passé ». [29]. Cette exposition constante, doublée de décisions politiques impopulaires – comme le retour de la conscription en 1965 – entraîne des formes de contestation radicales. Les manifestations étudiantes, l’émergence d’une culture populaire qui se définit par le refus de la guerre ; le festival de Woodstock, à l’été 1969, rassemble plus de 500 000 personnes pour dénoncer les atrocités de la guerre au Vietnam. Des formes de radicalisation (attaques de bureau de recrutement, raids contre des centres de sélection…) et des formes de désobéissance se multiplient – on estime qu’entre 40 000 et 120 000 jeunes hommes échappent à la conscription en se réfugiant au Canada.[30]. Le vent de fronde dépasse les conscrits pour toucher l’ensemble de l’institution, dans ce que Morris Janowitz interprète comme « une crise de légitimité due au Vietnam, aux tensions raciales, à la corruption, l’usage des drogues, la perte de l’efficacité opérationnelle et l’extension de l’antimilitarisme »[31]. Cette opposition à la guerre conduit à l’émergence du «mouvement des GI », où l’on voit des soldats signer des pétitions anti-guerre, manifester et témoigner, mais cela prend des formes plus violentes avec des cas de désertion, de sabotage, voire des attaques sur les officiers et sous-officiers. [32].
La « fatigue » dans l’opinion publique se mesure dès le Vietnam par l’instrument que constituent les sondages et qui deviennent un moyen de mesurer le soutien domestique. Dans les cas plus récents de l’Afghanistan et de l’Irak, la guerre devient impopulaire dès le milieu de l’année 2004, notamment après la publication du rapport de la commission sur le 11 Septembre 2001 qui souligne l’absence de relation entre les attentats, Al Qaida et l’Iraq. L’autre raison, sans doute d’ailleurs la principale, tient aux pertes (morts et blessés). Une étude de l’institut Gallup sur le soutien aux interventions extérieures au temps de la Corée et du Vietnam, puis en Irak et en Afghanistan montre effectivement que le soutien populaire s’érode au fur et à mesure que les pertes augmentent[33]. Il s’agit donc de donner un signe à l’opinion publique : Nixon promet de retirer 100 000 GI’s quelques mois avant les élections de 1972 tandis que Barack Obama se fait élire sur l’opposition entre la « mauvaise guerre » d’Irak et la « bonne guerre » d’Afghanistan.

La perception de l’enlisement se caractérise par la façon dont est reproduite, rapportée, expliquée un conflit en cours. Là encore, le facteur temps joue un rôle essentiel : la volonté de voir des résultats concrets crée de l’impatience, et par là, une moindre tolérance aux pertes. Parler de l’enlisement des armées occidentales soulignent les relations entre la conduite politique et diplomatique de la guerre, les choix et scénarios stratégiques que proposent les armées, et la façon dont l’ensemble est présenté à une opinion publique dont le soutien est critique en démocratie. Sans doute faut-il se rappeler de ce que proposait Montgomery en décembre 1951, dans un courrier au secrétaire d’État des colonies au sujet de la Malaisie : « Malaisie. Nous devons avoir un plan. Deuxio, nous devons avoir un chef. Une fois que nous aurons un plan et un chef, nous devrons réussir. Pas autrement »[35].

 

 

 


[21] Stephen Saideman, Adapting in the Dust. Lessons learned from Canada’s War in Afghanistan, Toronto, Toronto University
Press, 2016, p. 17.
[22] Ibidem.
[23] Larry Shaughnessy, One soldier, one year: $850,000 and rising, CNN Security Blog, 28 février 2012, http://security.blogs.cnn.com/2012/02/28/one-soldier-one-year- 850000-and-rising/
[24] Stephen Saideman, cité, p. 23.
[25] Nathan Freier, Maren Leed et Richard “Ozzie” Nelson, Iraq versus Afghanistan: A Surge Is Not a Surge Is Not a Surge, CSIS,23 octobre 2009, https://www.csis.org/analysis/iraq-versusafghanistan- surge-not-surge-not-surge
[26] Elie Tenenbaum, « L’Amérique en guerre : grandeur et décadence de la contre-insurrection », Politique étrangère, 2011/3 (Automne), p. 622.
[27] Ibidem, p. 623.
[28] Jusqu’en 1966, la presse est majoritairement favorable à la guerre. La bascule intervient dans le courant de 1967 (voir Adam J. Berinsky, Public Opinion during the Vietnam War, avril 2001, communication à l’Annual Meeting of the Midwest Political
Science Association, 2001)
[29] Walter S. Cronkite, Vietnam commentary, special CBS News broadcast, 27 février 1968 (transcrit https://www.npr.org/templates/story/story.php?storyId=106775685&t=1553372239980)
[30] Cori, Draft dodging in the days of the Vietnam War (https://remoteswap.club/draft-dodging-days-vietnam-war/)
[31] Morris Janowitz, « Volunteer Armed Forces and Military Purpose », Foreign Affairs, avril 1972, p. 428.
[32] David Cortright, Soldiers in Revolt: GI Resistance during the Vietnam War, Chicago, Haymarket Books, 1975. Entre 1966 et
1970, le taux de désertion augmente de 400% dans les rangs de l’armée, pour atteindre 17% des effectifs en 1971. Le Corps
des Marines n’est pas immune, avec un taux très nettement inférieur mais qui avoisine les 6,5 %.
[33] Eric Alterman, The Role of Public Opinion in Iraq and Vietnam,Center for American Progress, 17 mai 2007, https://www.americanprogress.org/issues/security/news/2007/05/17/3039/think-again-the-role-of-public-opinion-in-iraq-and-vietnam/
[34] Mark Landler, “The Afghan War and the Evolution of Obama”, The New York Times, 1 janvier 2017, https://www.nytimes.com/2017/01/01/world/asia/obama-afghanistan-war.html
[35] Cité dans Edward J. Erickson, « Practicing Operational Artin Countering Insurgency », Military Review, mars 2019.

 

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Titre : L'enlisement des armées occidentales: une mise en perspective 3/3
Auteur(s) : le chef de bataillon Guillaume Lasconjarias, du pôle études et prospective du CDEC
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