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L’environnement opérationnel en 2035

une vision française
Engagement opérationnel
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Après trois décennies d’engagements limités et qualifiés de basse intensité, l’armée de Terre française inscrit aujourd’hui son action dans un paysage stratégique profondément instable, caractérisé par des menaces polymorphes et extraterritoriales, des rapports de compétition dans tous les champs de la confrontation et une mutation inquiétante de l’ordre international.


Cet environnement stratégique chaotique et relativement inédit se traduit par un risque accru de montées aux extrêmes, rendant de nouveau envisageable la perspective d’engagements majeurs et durables pour la France.

 

L’observation des conflits des quinze dernières années (Israël, République Centre-Africaine, Donbass, Levant, menace terroriste sur le TN, Bande sahélo-saharienne, Yemen) nous permet de constater une évolution de la conflictualité vers des modes opératoires plus ambigus et dans la totalité des champs possibles de la confrontation. Ce constat, conjugué aux progrès extrêmement rapides des technologies et à une évolution non moins rapide du cadre sociétal des pays occidentaux ont incité l’armée française à entamer des démarches prospectives très volontaristes ces dernières années. Pour l’armée de Terre, déjà engagée dans une dynamique de transformation profonde, à la fois intellectuelle et capacitaire, l’anticipation de la prise en compte du futur environnement opérationnel constitue ainsi un défi majeur.

 

Cette compréhension de l’avenir nous permet en effet d’envisager les facteurs déterminants susceptibles d’avoir réellement un impact dans un futur proche, sur la façon de conduire la bataille et de créer les conditions du succès stratégique, après avoir contraint durablement et à moindre coût, la volonté de l’adversaire. Les analyses tirées des conflits récents ne nous amènent pas à imaginer une révolution fondamentale dans l’art et la nature de la guerre à un horizon de vingt ans, mais plutôt à discerner simultanément des constantes, des tendances et des ruptures opérationnelles probables, auxquelles les armées, mais également l’ensemble de la société française, doivent d’ores et déjà se préparer.

 

Les conflits récents et actuels laissent en premier lieu apparaître des tendances marquées dans l’évolution de la conflictualité. La maîtrise du milieu terrestre est ainsi redevenue depuis trois décennies, avec l’éloignement du risque d’une confrontation nucléaire généralisée, l’une des principales clés de compréhension des rapports et des antagonismes entre les puissances. Le contrôle de ce milieu reste ainsi la finalité stratégique de tous les conflits récents. L’étude de ces derniers permet tout d’abord d’affirmer que l’engagement de forces au sol continue de constituer un signal fort et sans ambiguïté pour les opinions, pour les alliés et pour l’adversaire, car il concrétise à la fois une détermination politique, un effort visible au travers de l’engagement de moyens comptés et l’acceptation d’un niveau de risques variable, mais toujours présent, en raison de l’imbrication avec les populations et du contact avec l’adversaire (willing, funding and fighting).

Par ailleurs, contrairement aux domaines aérien, marin, cybernétique et spatial, caractérisés par leur fluidité, le milieu terrestre est quant à lui toujours davantage marqué par l’inhomogénéité et la friction. La complexité de la prise en compte de cet environnement restera vraisemblablement une constante en 2035. Toutefois, plus qu’aujourd’hui encore, la porosité du champ de confrontation terrestre aux autres domaines, dont ils sont principalement le prolongement, ne permettra pas de concevoir son contrôle sans une convergence d’actions et la réalisation d’effets multi-domaines précises et coordonnées. Le contrôle durable de ce milieu, on le constate également, continue donc de ne pas pouvoir être simplement réduit qu’à l’action des forces terrestres.

 

Ces dernières permettent de réaliser des effets tactiques et stratégiques décisifs au travers de capacités d’agression aéroterrestres puissantes, précises, graduées, dont les impacts collatéraux non désirés restent limités et contrôlables. La permanence au sol, la réversibilité et la plasticité des postures continuent donc de garantir le maintien du contact indispensable au contrôle des milieux physiques et humains. Les forces terrestres sont par ailleurs toujours à même de produire des effets durables dans le champ des perceptions, au travers de leurs interactions directes avec les populations et l’adversaire. Dans un futur proche, elles devraient également être amenées à contribuer localement et temporairement au maintien, ou au rétablissement de la supériorité sur l’adversaire dans d’autres milieux contestés (notamment air et cyber), en particulier dans le cadre d’une entrée en premier.

 

Les retours d’expérience montrent que l’action terrestre impose une planification et une coordination des actions interdomaines poussées, car elle ne constitue encore qu’un volet certes indispensable, mais non suffisant, à la prise d’ascendant sur l’adversaire, puis à l’obtention des conditions nécessaires à une paix durable. Elle nécessite une masse minimale pour contrôler l’espace, en particulier les zones très étendues ou très cloisonnées, mais également pour pallier une attrition et une usure opérationnelle inévitables, dès lors que des opérations au contact et dans des environnements très abrasifs sont envisagées. En outre, elle s’inscrit nécessairement dans la durée, car la génération de la Force, son acheminement, son déploiement, la conduite de son action, la réalisation d’effets durables, le rétablissement de conditions sécuritaires minimales et son retrait impliquent des délais incompressibles.

 

La contribution des forces terrestres, notamment par les effets qu’elles obtiennent sur les volontés, est donc incontournable pour une stratégie globale aux objectifs clairement définis, comprise d’emblée dans la durée, dans un cadre interarmées, interministériel, interalliés et interagences, visant in fine à la création des conditions indispensables à une paix durable.

 

Les retours d’expérience des conflits les plus récents, la veille technico-opérationnelle et les travaux prospectifs actuels permettent de discerner des vulnérabilités et des tendances susceptibles de déboucher sur des ruptures pouvant sensiblement remettre en cause notre supériorité opérationnelle conventionnelle à l’horizon 2035.

Au travers des réactions des opinions publiques au cours de nos derniers engagements, des tendances sociologiques profondes sont observables dans des pays occidentaux déjà caractérisés par une démographie fragile. Pour des sociétés occidentales dites « hyper-pacifiées », la compréhension des enjeux de souveraineté et des conditions d’atteinte de la victoire pourrait rapidement être affectée par des efforts à consentir jugés exorbitants par les opinions publiques (choix budgétaires, victimisation, judiciarisation, sensibilité aux pertes) à la veille ou au cours d’un conflit. Par ailleurs, les conséquences de l’évolution des modes de vie (baisse de la rusticité liée à l’urbanisation continue, déclin déjà observable des aptitudes physiques et cognitives des jeunes générations) sont également de nature à affecter la capacité pour les armées occidentales, à recruter de façon satisfaisante en volumes et en qualité (c’est déjà le cas en Allemagne, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis) et donc à constituer une masse critique suffisamment robuste et résiliente, pour conduire des opérations militaires exigeantes et dans la durée.

 

La mise en service prochaine d’équipements dérivés des technologies de 4ème génération laisse incontestablement entrevoir des possibilités inédites en termes de combat collaboratif et infovalorisé, de transparence accrue du champ de bataille, de précision, de létalité, de protection, de mobilité et de soutien pour nos forces, mais également celles de l’adversaire. L’emploi d’équipements de haute technologie ces dernières années par des adversaires réguliers et irréguliers montre toutefois que les avancées technologiques, même si elles suscitent de nombreux fantasmes, ne devraient pas être suffisamment mûres et généralisées pour créer un bouleversement fondamental dans la manière de conduire la bataille d’ici quinze à vingt ans.

 

Les moyens qui seront disponibles à cet horizon sont globalement connus et viseront principalement à une densification de l’action terrestre, à même de répondre à des impératifs de masse, de contournement de la puissance et de distanciation du champ de bataille. Il sera toutefois incontournable d’aborder en profondeur les dimensions morales et l’efficacité réelle d’une déshumanisation plus ou moins poussée de la guerre. Les réponses à ce questionnement complexe devront nécessairement prendre en compte celles adoptées par des adversaires, ou des alliés, beaucoup plus désinhibés face aux aspects éthiques de cette problématique.

 

Les grandes tendances observées lors des derniers conflits nous amènent naturellement à envisager un certain nombre de présuppositions quant à nos engagements à venir. Les belligérants déploieront des conduites par toutes sortes d’intermédiaires (proxies), dans tous les champs de conflictualité (physiques et immatériels), imposant une anticipation et une coordination des effets inter-domaines toujours plus complexes. La conflictualité dans les domaines cybernétique, marin et exo-atmosphérique s’intensifiera en raison de notre dépendance accrue aux réseaux de données (immatériels, câbles terrestres et sous-marins) et aux moyens spatiaux, notamment pour les systèmes de commandement, les capteurs et les systèmes utilisant la géolocalisation. Le champ de bataille devrait devenir partiellement moins opaque avec la multiplication de capteurs et de satellites d’observation, redonnant à la déception un rôle crucial. La dissémination de capacités A2/AD (Anti-Access/Area Denial) sophistiquées (S400 ou S500 russes), ou plus rustiques, remettra en question, au moins temporairement, notre supériorité aérienne et impliquera des engagements au sol sans appui aérien systématique et sous la menace potentielle d’aérodynes adverses.

 

En dépit de notre temps d’avance dans le domaine du combat collaboratif et de l’infovalorisation, l’accès à des technologies duales ou « nivelantes » confèrera à des adversaires irréguliers des capacités significatives en termes d’agression et de contournement de la puissance. La porosité entre des organisations criminelles internationales, des adversaires réguliers et irréguliers disposant souvent d’une agilité et d’une liberté d’action plus étendues que celles des forces déployées, continueront d’imposer dès la planification des opérations, des approches indirectes, intégrées et non pas essentiellement militaires. La continuité de la menace ennemie entre les théâtres d’opérations extérieurs et le territoire national, qui ne devrait pas s’estomper à court terme, imposera de retrouver la compréhension des luttes révolutionnaires, de donner du corps au continuum défense-sécurité et de renforcer la résilience de la population et sa capacité à durer.

 

L’aptitude de nos armées, taillées au plus juste en termes d’effectifs et d’équipements, plus efficaces mais plus onéreux, à encaisser des coups, subir des pertes importantes et être régénérées, invite donc à s’interroger sur les notions de masse critique et de résilience, indispensables à la conduite d’opérations de guerre fondées sur la manœuvre au contact.

 

Pour répondre aux ruptures opérationnelles et à des vulnérabilités potentielles que laisse envisager l’observation des conflits récents, l’armée de Terre française s’est d’ores et déjà engagée sur plusieurs axes de réflexion, visant à rendre l’action terrestre plus performante dans l’atteinte des conditions stratégiques nécessaires à la prévention, la gestion et la sortie de crise.

 

Les stratégies hybrides, infra-nucléaires développées ces dernières années par nos adversaires potentiels, donne de facto un rôle plus direct aux forces terrestres dans la stratégie de dissuasion. L’action terrestre conventionnelle produit deux effets : d’une part, elle fait planer la menace d’une réplique conventionnelle face à une agression  sous le  seuil nucléaire  (« dissuasion conventionnelle »). D’autre part, par sa seule présence, elle oblige l’adversaire à envisager l’escalade, qui conduit aux actions entrant dans le champ de la dissuasion nucléaire. A l’horizon 2035, le rôle des forces terrestres, et notamment celles de souveraineté et de présence, sera amplifié d’abord pour prévenir les crises susceptibles de se produire sur nos territoires d’outre-mer ou dans les pays où nous sommes déployés, ensuite pour contourner les dispositifs A2/ AD adverses susceptibles de fortement entraver notre capacité à acheminer des troupes. Pour cela, l’expérience expéditionnaire de l’armée de Terre et le maintien d’une capacité d’entrée en premier resteront déterminantes pour une force susceptible d’agir dans la profondeur du dispositif adverse, potentiellement sans les appuis et soutiens interarmées. Cette aptitude passera notamment par la ré-acquisition d’une défense sol-air d’accompagnement robuste et complète.

 

Des travaux sur la résilience sont en outre actuellement conduits pour améliorer la capacité des forces terrestres à durer. Ces travaux concernent aussi l’armée de Terre sur le territoire national où elle est structurellement dépendante. Un renforcement de la résilience devra en effet nécessairement passer par une décentralisation des moyens et des soutiens afin que les acteurs  du temps de crise disposent, dès le temps de paix, des outils pour réagir à l’imprévu. La reconstitution de stocks (d’équipements, de consommables ou de pièces de rechange) est aussi un élément clé de la faculté à agir dans la durée et l’incertitude. En substance, la force terrestre en opérations ou sur le territoire national doit retrouver une autosuffisance opérative dans le temps et dans l’espace. L’entraînement à l’action en environnement technologique dégradé constitue en outre un axe d’effort primordial devant être poursuivi. De plus, en vue de renforcer sa force morale, son agilité et son endurance, l’armée de Terre a développé une politique de l’esprit guerrier qui vise à diffuser un état d’esprit fondé sur les traditions, la rusticité et l’emploi d’équipements de haute technologie.

 

Enfin, tout porte à croire que le rôle des forces terrestres dans le cadre de la posture de protection terrestre va aller croissant, sous l’effet de la menace persistante sur le territoire national. La place qu’elles occupent avec les opérations Sentinelle et Harpie ou avec ses unités spécialisées contribuant à la sécurité civile (BSPP, UISC) est désormais bien ancrée. L’armée de Terre aura sans doute un rôle sociétal plus important à jouer pour contribuer à retisser les liens nationaux.

 

En dépit des évolutions notables observées dans les formes et les champs de la confrontation, l’art de la guerre ne devrait donc pas foncièrement évoluer dans les vingt années à venir. Le milieu terrestre devrait en effet rester, à un horizon d’au moins quinze ans, au cœur de la conflictualité et des logiques de puissance. Sa maîtrise constituera vraisemblablement encore, la traduction concrète et mesurable du succès ou de l’échec stratégique. Elle continuera d’être la condition essentielle de la sortie de crise. L’atteinte de cette condition aura toujours nécessairement un coût et une durée, qui ne pourront objectivement être évalués qu’à l’aune de gains politicomilitaires préalablement et précisément définis par rapport à des adversaires clairement identifiés.

Les principes de la guerre inspirés par les penseurs occidentaux du XIXe siècle ont donc toutes les raisons de rester pertinents.

 

L’environnement opérationnel envisagé à l’horizon de 2035 conduit aujourd’hui l’ensemble des nations occidentales à s’interroger sur le caractère pérenne et l’universalité supposée des principes légués par les penseurs militaires des siècles passés. La compréhension de l’adversaire de demain, les nouvelles technologies, la numérisation des forces et la porosité des domaines d’engagements, auront-elles des implications fondamentales sur la manière de réfléchir et conduire la guerre dans un futur proche? N’est-il pas aujourd’hui nécessaire d’envisager de nouvelles règles, de nouveaux préceptes susceptibles de garantir le succès dans la guerre et dans la mise en place des conditions permettant d’établir une paix durable ?

 

Le forum des 12 et 13 juin sur les principes de la guerre en 2035 comportait deux volets. Dans un premier temps les participants ont pu échanger au cours d’un séminaire articulé autour d’ateliers de réflexion, sur des problématiques déclinées du questionnement principal. La seconde partie du forum était centrée autour des deux tables rondes d’un colloque. Les synthèses regroupées dans les pages suivantes restituent les échanges et les conclusions tirées par les participants au cours des ateliers.

  • Atelier VIP: l’environnement opérationnel de 2035 interroge sur la durabilité d’anciens principes militaires. Quelles approches prospectives sont adoptées par les nations occidentales pour réfléchir à ce sujet?
  • Atelier n°1: devons-nous distinguer les principes de la guerre des principes des opérations?
  • Atelier n°2: les principes de la guerre sont-ils remis en cause pour le nouvel environnement opérationnel (nouvelles technologies, démographie, culture)?
  • Atelier n°3: les types d’adversaires envisagés et la porosité entre les lieux d’engagement auront-ils des conséquences sur la façon de gagner la guerre dans le futur?
  • Atelier n°4: sur un champ de bataille de plus en plus transparent, quelles principes pourront garantir la foudroyance et la sécurité? Le principe de l’incertitude est-il le seul principe universel et intemporel?
  • Atelier n°5: devons-nous déduire de nouveaux procédés d’application pour assurer le succès de la guerre et une paix durable?
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Titre : L’environnement opérationnel en 2035
Auteur(s) : CDEC
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