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L’ergonomie dans les opérations d’armement de l’armée de Terre

Cahiers de la pensée mili-Terre
Sciences & technologies
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Alors que l’ergonomie voit son impact croître dans les opérations d’armement, quelques RETEX récents ont révélé malgré tout le manque d’ergonomie de certains équipements de l’armée de Terre. Si ces insuffisances sont avérées, il est aussi vrai que l’ergonomie pâtit de sa faible notoriété et doit être mieux intégrée au processus capacitaire de l’armée de Terre. Tout l’enjeu est bien d’améliorer l’expression du besoin ergonomique.

 


Dans les réunions d’avancement de projets civils ou militaires, il était fréquent d’entendre: «Pour l’ergonomie, on verra plus tard…», ou encore: «L’ergonomie, c’est juste une question de bon sens!». Voire même l’idée que «quand on n’a pas ce qu’on aime, on aime ce que l’on a et l’on fait avec».

Aujourd’hui, ce sont des idées reçues, des considérations qui sont loin de refléter l’importance du rôle joué par l’ergonomie dans la définition et la conception de nouveaux produits fortement technologiques ou dans l’amélioration des postes de travail et de combat. Pour autant, l’ergonomie manque encore de notoriété et sa contribution n’est pas encore systématisée.

Dans le cadre des opérations d’armement, il s’avère que certains programmes ont illustré parfaitement l’insuffisance de prise en compte de l’ergonomie.

Les systèmes de numérisation de l’espace de bataille, par exemple, ont été conçus par des industriels différents, à des époques différentes, ce qui a rendu difficile leur compatibilité. Au-delà de cet état de fait, «c’est leur manque flagrant de convivialité ainsi que leur rigidité qui rebutent le plus les utilisateurs, habitués à jongler avec aisance avec la numérisation civile, internet, le chat, l’envoi de SMS ou de pièces jointes». D’une manière générale, à court terme, il en résulte une sous-utilisation des matériels que les combattants ont du mal à s'approprier et, à plus long terme, un accroissement substantiel du coût des opérations  de correction ou d'amélioration de ces matériels.

Aujourd'hui,  la DGA incite les industriels de la défense à acquérir ou développer  leurs compétences  ergonomiques.  Plus méthodiquement, ceux-ci  commencent  à intégrer des ergonomes dans leurs équipes de projet. Intrinsèquement, cette évolution constitue de la part des industriels un renforcement ou une mise à niveau judicieuse des moyens de conception (exemple: utilisation de la réalité virtuelle, du maquettage…). Cependant, cela impose qu’en amont l’armée de Terre exprime son juste besoin et comble le défaut persistant de prise en compte des exigences et impératifs ergonomiques. L’action des ergonomes doit se renforcer et s’intégrer plus systématiquement au processus de définition et d’acquisition des équipements de l’armée de Terre.

 

Après une définition générale de l’ergonomie et de son domaine d’action, cet article présentera son application aux armées dans le cadre du processus capacitaire avant d’esquisser les évolutions nécessaires au processus d’expression du besoin ergonomique de l’armée de Terre.

 

L’ergonomie en bref!

 

Étymologiquement, le terme, dérivé du grec ergon (le travail) et nomos (les normes), désigne la science du travail, discipline s'appliquant à tous les aspects du travail humain. S’il est apparu au XIXème siècle, il n’a pris tout son sens qu’à partir de la Deuxième Guerre mondiale.

 

En 2000, l’ergonomie a été définie par l’IEA comme «la discipline scientifique qui vise la compréhension fondamentale des interactions entre les humains et les autres composantes d’un système, et la profession qui applique des méthodes, des théories et des données pour améliorer le bien-être des personnes et la performance globale des systèmes».

L’approche ergonomique est systémique et même holistique: elle évalue l’activité humaine dans sa globalité, sous tous ses aspects. Elle consiste à adapter le travail, les outils et l’environnement à l’homme… et surtout pas l’inverse. Pour cela, elle prend en compte tous les facteurs qui agissent sur l’homme: c’est une discipline pivot à caractère intégrateur.

 

Rôle de l’ergonome

 

L’IEA précise que «les ergonomes contribuent à la conception et à l’évaluation des tâches, des emplois, des produits, des environnements et des systèmes en vue de les rendre compatibles avec les besoins, les capacités et les limites des personnes». L’enjeu de l’ergonome est double: amélioration des conditions de travail et optimisation de la performance du système. Son action porte sur l'analyse de l’activité réelle en amont du programme, et sa transposition en activité future probable: organisation du travail, aménagement de locaux, d’espaces et de postes de travail, ambiances physiques de travail (thermique, sonore, lumineuse), applications informatiques, simplification de la prise en main, facilitation de la prise de décision, limitation ou tolérance des erreurs humaines, produits divers, formation simplifiée et intuitivité, situations de handicap…

 

Domaines de spécialisation

 

Les domaines de spécialisation renvoient à des formes de compétences des ergonomes, acquises par la formation ou la pratique. Ils correspondent à des champs de connaissance sur l’homme plus qu’à des caractéristiques de systèmes ou à des secteurs économiques, qui sont eux les multiples champs d’application. On en distingue trois:

L’ergonomie physique s’intéresse aux caractéristiques humaines (anatomie, anthropométrie, physiologie et biomécanique) et à l’environnement au sens large des postes d’activité (dimensionnement, postures, confort, nuisances…). Ce domaine est maintenant relativement normé. L’adaptation aux particularités fortes de la défense s’avère essentiel.

 

L’ergonomie cognitive s’intéresse aux processus mentaux, aux modes de raisonnement des opérateurs dans cet environnement: apprentissage, interaction homme-système, compréhension des informations, prise de décision, charge de travail individuelle et collective…

L’ergonomie organisationnelle s’intéresse à l’optimisation des systèmes sociotechniques, incluant leur structure organisationnelle, règles et processus de fonctionnement: la gestion des ressources collectives, le travail en équipe, la conception participative…

 

 

L’ergonomie en six concepts

 

Analyser une situation de travail, c’est placer l’homme au centre de la réflexion et considérer six concepts inéluctables.

Il s’agit de comparer «ce qui est à faire» à «ce qui est fait», de comprendre l’écart entre le «prescrit» et le «réalisé»: à travers les raisonnements de l’homme, ses stratégies d’économie de moyen, d’efficacité et de régulation des écarts, en fonction de la variabilité intra et interindividuelle instantanée, comprendre les réponses de l’homme aux contraintes qu’il subit, quelle que soit la charge mentale ou physique.

 

Application aux armées

 

L’ergonomie, ou plus généralement les facteurs humains (FH) incluant l’organisation, représente un paramètre prépondérant d’efficacité et de robustesse pour tous les systèmes d’armes. En effet, elle s’intéresse à l’ensemble des caractéristiques sociotechniques d’un programme et doit être intégrée le plus tôt possible dans le processus programmatique, au mieux dès la phase d’étude technico-opérationnelle.

 

Le cycle de vie des opérations d’armement est décrit dans l’IG 125/1516.

Au stade de l’initialisation, les réflexions prospectives technico-opérationnelles ont pour but  d’exprimer  un  objectif  d'état-major qui  découle de l’analyse des capacités opérationnelles des forces et de l’identification de celles qui font défaut: c’est là le fondement de l’expression du besoin militaire. C’est aussi «l’effet final recherché» du futur système. Adjonction indissociable du soldat et du futur matériel, qui sont liés physiquement ou reliés par une interface homme-système. Ce système sociotechnique doit être spécifié pour une utilisation dans des contextes d’exploitation identifiés, au sein d’une organisation dédiée, avec des fonctions précises, mais dans un environnement opérationnel très variable et servi par une grande diversité d’utilisateurs.

 

Tout l’enjeu de l’ergonome réside dans sa capacité à faire dialoguer les différents spécialistes sur l’ensemble de ces paramètres (concepteurs, opérationnels, RH, maintenanciers…) pour cerner les utilisateurs finals, leurs activités, les variabilités d’emploi, les contraintes d’exploitation, la facilité d’utilisation.

 

En phase d’orientation, l’ergonome contribue ainsi à la formulation des exigences relatives aux facteurs organisationnels et humains et apprécie les conséquences des options techniques et organisationnelles sur l’ergonomie: son expertise doit s’exprimer pour chacune des exigences du système.

 

Pendant la conduite du programme, en lien avec l’EDPI, tout l’apport de l’ergonome est de spécifier et s’assurer de l’application de la démarche ergonomique par les industriels, leurs coopérants et sous-traitants, puis suivre la prise en compte des exigences et recommandations de son domaine. Il procède également à l’évaluation du système avant de vérifier la satisfaction du besoin sous l’angle des facteurs humains.

 

Enfin, lors de la mise en service et de l’exploitation du matériel, l’ergonome s’appuie sur le retour d’expérience (RETEX) et l’analyse de l’activité. Si nécessaire, il continue la réalisation dans l’usage (ergonomie de correction) et vise à améliorer les performances des équipements, complémentairement au confort d’utilisation.

 

Comment valoriser l’ergonomie au sein de l’armée de Terre?

 

La prise en compte de l’ergonomie dans les opérations d’armement présente une grande variabilité entre les armées. En effet, le processus décrit dans le paragraphe précédent n’est que le reflet de ce qui se fait globalement dans l’armée de l’Air et la «Royale». Ainsi, un guide d’intégration des facteurs humains dans les programmes navals, à destination des états-majors et des équipes de programme intégrées, a été réalisé conjointement par la Marine et la DGA à la fin des années quatre-vingt-dix. Naturellement et depuis plusieurs décennies, l’ergonomie est culturellement intégrée à la réflexion de ces deux armées et à leurs processus de conception. Un pilote dans son cockpit ou un équipage dans un sous-marin, une fois en l’air ou sous la mer, ne peuvent ni l’un ni l’autre s’arrêter pour se dégourdir les jambes ou changer une roue: ils sont en totale autonomie, dans un espace restreint et optimisé, résultant de l’analyse fine de l’activité, du besoin et de l’organisation.

Dans l’armée de Terre, la prise en compte de l’ergonomie est plus aléatoire, partielle ou ponctuelle, parfois liée à l’importance d’un programme, mais le plus souvent mal intégrée sous prétexte que les contraintes financières et les impératifs opérationnels peuvent se heurter… Et ceci au détriment des recommandations ergonomiques. Le programme SIR, par exemple, n’est pas réputé pour l’ergonomie de son interface homme-machine, et le programme FELIN portait initialement mal son nom: c’étaient alors 45 kg de matériels agglomérés plus qu’intégrés au combattant!

Pourtant, les leçons semblent avoir été tirées du passé: le programme SCORPION en est l’illustration. Il se veut global et intègre pas à pas ses différentes composantes. La coordination des opérations constituantes est délicate de par l’ampleur et la complexité du projet. Néanmoins, c’est un processus capacitaire qui, dès la conception, exprime le strict besoin d’une cohérence d’ensemble et intègre tout particulièrement et systématiquement les exigences ergonomiques.

Dans ce contexte où les avancées technologiques paraissent prendre le pas sur le besoin nécessaire et suffisant, la contribution de l’ergonome est nécessaire pour recentrer la réflexion sur l’homme, sur l’activité du système sociotechnique, ses forces et ses limites. L’inadaptation des systèmes hommes-machines aux missions visées doit être assimilée à une erreur de conception, conséquence d’une réelle difficulté pour le concepteur à apprécier le besoin de l’utilisateur et le contexte opérationnel dans lequel

s’exécute la mission. Mais elle peut aussi provenir d’une implication insuffisante de l’organisation «cliente et utilisatrice» dans l’expression du besoin, tout particulièrement dans le domaine ergonomique. L’objectif est bien de concevoir un système en parfaite adéquation avec les caractéristiques de l’opérateur, les exigences de sa tâche et les contextes d’emploi.

L’initialisation est la première phase d’un projet, donc du cycle de vie des équipements. Elle revêt une importance majeure pour l’intégration des ergonomes car elle repose sur une analyse fonctionnelle pluridisciplinaire. Cette démarche permet de réunir tous les acteurs étatiques d’un même programme et d’analyser dans le détail les fonctions à obtenir du futur système. Chacun des acteurs exprime les axes de réflexions vers lesquels il se porte, chacun regarde le futur système avec un prisme complémentaire. Ces regards croisés sont des informations primordiales qui intéressent notamment l’officier de programme, qui va prendre en compte les différentes contraintes et impératifs dans la formulation des exigences du besoin. Néanmoins, l’officier de marque, expert de son domaine, l’officier de soutien du programme et les autres contributeurs de l’analyse fonctionnelle pourront également y contribuer et nourrir la réflexion.

Il y a donc une prise de conscience des différentes problématiques, une confrontation des points de vue. Si l’ergonome s’exprime à cette occasion, il est dans une ergonomie constructive, de conception, où les marges de manœuvre sont les plus grandes à moindre frais. A contrario, si son action consiste en la relecture et le commentaire des fiches de caractéristiques militaires, préalablement à leur finalisation, il apparaît que les délais dont il bénéficiera risquent d’être limités et les capacités de changement ou de modification des exigences très faibles… Il en résulte qu’il n’a plus de marge de manœuvre et que son intervention pourrait finalement manquer de sens ou de cohérence globale.

La valorisation de l’ergonomie implique qu’elle agisse avec ses méthodes, avec ses concepts,  qu’elle  soit  pertinente  et  que  ses  exigences  marquent  chacun  des programmes. C’est une démarche particulièrement structurante pour formaliser les caractéristiques militaires qui place l’homme au niveau souhaité dans le système en préparation. Pour cela, elle requiert des marges de manœuvre et un bon timing: son action doit donc être initiée en amont de la formulation des exigences.

 

En conclusion

 

L’ergonomie est une discipline ancienne qui, par nature, évolue avec la complexité des systèmes de travail, donc de combat, et des équipements à acquérir. Mais c’est avant tout une compétence qui contribue directement à la cohérence d’ensemble du processus capacitaire. La pertinence de ses exigences et le poids de ses recommandations sont d’autant plus grands qu’elle est intégrée au plus tôt dans la définition du système. Si l’armée de Terre est aujourd’hui consciente de son apport, elle rencontre encore des frilosités à l’intégrer systématiquement dans le processus, et son action intervient souvent trop tardivement pour avoir des effets notables. Au-delà d’une pertinence accrue, positionner systématiquement la contribution des ergonomes en phase d’initialisation est une disposition à évaluer car elle pourrait aussi pallier la rareté des spécialistes par une efficacité supérieure.

 

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Bibliographie

Falzon (Pierre) & al., «Ergonomie», PUF, 2004

Doctrine tactique n°27, «La numérisation de l’espace de bataille», 2013

EM de la Marine/Div Prog, Guide mixte EMM-DGA pour l’intégration des facteurs humains dans le déroulement des programmes de navires et systèmes navals, 1998

Instruction générale n°125/DEF/EMA/PLANS/COCA – n°1516/DEF/DGA/DP/SDM relative au déroulement et à la conduite des opérations d’armement, tome 1 et 2, 2010

Charnet (Agathe), lemonde.fr/«Campus, Devenir ergonome: l’humain d’abord», 14/02/2017

 

 

 

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Titre : L’ergonomie dans les opérations d’armement de l’armée de Terre
Auteur(s) : le Capitaine Stéphane FOURNIER
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