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L’esprit guerrier: le renouvellement du rôle social de l’armée de Terre 2/3

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Les défis d’aujourd’hui et de demain

Si certains phénomènes majeurs sont appelés à le demeurer, comme l’impact de la technologie, d’autres plus disruptifs s’invitent au premier plan, au moins pour la décennie à venir. Ainsi, le retour du combat de haute intensité interroge sur le capital guerrier disponible au sein de la jeune génération et plus globalement sur la résilience nationale.


Le cap du combat de haute intensité

Le défi immédiat pour les forces morales de l’armée de Terre réside dans la préparation à un affrontement de haute intensité aux niveaux tactique et opératif qui imposera de surmonter deux caps psychologiques: l’intensité et la répétition.

La résurgence des politiques de puissance sur la scène interna-tionale et le conflit ukrainien démontrent l’actualité de cette préoccupation. Le capital guerrier décrit plus haut fournit certes un socle. Néanmoins, le témoignage des blessés duthéâtre levantin, pris sous des tirs de mortier, harcelés par des drones piégés ou encore assaillis par des blindés, laisse entrevoir un premier cap psychologique à surmonter au moment où le rapport de force s’inverse et où la perte d’ascendant se matérialise collectivement. Cette situation impose d’intégrer da-vantage la dissymétrie dans les schémas mentaux dès l’entraînement, c’est-à-dire concrètement s’entraîner jusqu’au niveau opératif à combattre et gagner sans supériorité aérienne, avec des communications paralysées par la guerre électronique ou avec plus de 30% de l’unité détruite. Le deuxième cap psychologique sera sans aucun doute celui de la répétition. S’adressant à son armée d’Egypte en 1801, Napoléon le formulait ainsi: « Si la bravoure est la première qualité du soldat, la constance est la seconde »[14]. Cette bravoure est en effet bien souvent présente au premier assaut car elle relève d’une épreuve de vérité personnelle. Mais comment l’assurer au deuxième, au dixième, au cinquantième? Selon Ardant du Picq, la solidarité et la confiance sont devenus les ressorts premiers[15] pour surmonter la peur. En effet, la technologie induit une distance croissante entre les soldats d’une même unité sur le champ de bataille. Il en résulte une dilution du lien physique qui unissait la troupe dans le combat antique. Ce lien doit donc persister au moins moralement à travers une confiance et une solidarité qui s’anticipent dès le temps de paix. Or cette déconcentration du combat est appelée à se poursuivre[16]. La réflexion sur la doctrine SCORPION, qui deviendra le modèle du combat de haute intensité pour l’armée de Terre dans la dé-cennie à venir, est donc indissociable de celle sur le lien qui unit les combattants.

 

La «matière soldat»

La réponse à un tel défi tactique exige de prendre en compte les réalités sociologiques de la jeunesse qui fournit la ressource combattante première de la Nation, ce que le Maréchal Lyautey nomme «la matière soldat»[17]. Certaines de ses fragilités appellent des contre-mesures de long terme, à laquelle la conjoncture se prête bien.

Dans un modèle d’armée jeune, il est vrai que certaines tendances constatées au sein de la «génération Y»[18], née entre les années 1980 et le milieu des années 1990, constituent de réelles vulnérabilités: individualisme, désociabilisation, besoin d’immédiateté. Des constats dressés dans des pays présentant des similarités sociétales avec la France appellent des contre-mesures sur le long terme. En 2018, 71% des Américains âgés de 17 à 24 ans ne seraient pas aptes à servir dans les forces armées[19]. Il est ainsi permis de se demander quelle proportion tiendrait le choc d’un conflit de haute intensité. Si la génération suivante, celle des«millénials», s’inscrit naturellement dans une certaine continuité, elle ne semble pas pour autant étrangère à l’esprit guer-rier. D’abord, elle a grandi dans un contexte sécuritaire marqué par une inflexion des illusions angéliques de «la fin de l’histoire», notamment après les attentats sur le territoire national de 2015[20]. C’est cette génération, en quête de sens, qui a nourri la remontée en puissance de la force opération-nelle terrestre. Pour aller plus loin, certaines études sociolo-giques, entreprises à la suite des attaques terroristes ont pointé du doigt l’absence de cadre dans la société pour répondre à un besoin d’absolu[21]d’une jeunesse marginalisée et violente mais somme toute significative dans la démographie française[22]. Celle-ci représente un terreau fertile pour la radicalisation et en particulier le terrorisme jihadiste, face auquel les discours modérateurs ne font pas le poids[23]. La question de la récupé-ration des radicalisés apparaît pour l’heure sans réponse. En revanche, un contre-modèle fort comme l’esprit guerrier sus-ceptible d’opérer dans les mentalités avant le basculement paraît opportun[24]. Au bilan, ces constats soulignent l’importance pour l’armée de Terre de participer à forger d’ores et déjà chez les jeunes l’état d’esprit qui leur permettra d’être sinon en paix, au moins victorieux demain.

 

Le besoin d’un guerrier global

Plus globalement, les questions en lien avec la cohésion et la résilience nationale montrent que le développement de l’esprit guerrier dans l’armée de Terre possède une dimension stratégique.

En effet, le paradoxe de la popularité du soldat méconnu [25]illustre un grave danger. D’un côté, l’image des armées bénéficie d’une côte inédite[26], de l’autre le phénomène guerrier apparaît beaucoup plus étranger à l’opinion publique qu’au XXesiècle. Les commémorations du centenaire de 1918 ont parfaitement illustré cette opposition. La célébration de la paix, qu’il ne s’agit en aucun de remettre cas en cause à une telle date, a laissé peu de place à la mise à l’honneur des victoires et du courage des poilus. Cette mise à distance du fait guerrier induitau moins trois risques. Le premier est que l’opinion publique n’est plus disposée à soutenir le déclenchement d’une guerre dont elle ne mesure pas le prix du sang[27]. Le deuxième est l’affaiblissement des défenses immunitaires nationales[28] en l'absence de confrontation à une menace patente depuis plu-sieurs décennies. En part du produit intérieur brut, l’effort de défense entre 1980 et 2014 a presque été divisé par deux. Ce risque est d’autant plus grave à l’heure où les secteurs non-militaires sont ciblés par l’approche globale des politiques de puissance russe[29] ou chinoise. Troisièmement, cette distanciation participe à l’oubli du prix payé par les générations précédentes pour bâtir la Nation, alors que sa cohésion est déjà mise à rude épreuve[30]. Dans un tel contexte, les succès sur les champs de batailles risquent de ne pas se concrétiser en victoires[31]. La dimension sociale de l’esprit guerrier se révèle donc consubstantielle à son essence tactique.

A ce stade, il ressort trois facteurs déterminants pour capitaliser sur les gisements d’esprit guerrier entretenus par l’armée de Terre :

  • préparer les militaires à un durcissement des conflits aux niveaux tactique et opératif;
  • s’adapter aux forces et faiblesses de la génération à venir;
  • s’intégrer dans une perspective globale de cohésion et de résilience nationale.

Passé ce constat, reste à aborder la question de la mise en œuvre.

 

[14] Napoléon BONAPARTE, «Proclamation à la dernière ar-mée d’Orient, Paris, 1er ventôse an IX (20 février 1801)» in Jacques-Olivier BOUDON présenteDiscours de guerre, Napo-léon Bonaparte, Paris, Editions Pierre de Taillac, 2011, p. 81.

[15] Charles ARDANT DU PICQ, op. cit., p. 53-54.

[16] Guy HUBIN en fournit une vision radicale: «Les systèmes [tactiques] futurs relègueront la relation personnalisée au ni-veau de la cellule d’exécution. Celle-ci devra supporter l’isole-ment au sein d’un ensemble parfaitement organisé et connu, mais dont les intervenants resteront à l’instant "t" dans un total anonymat ». in Guy HUBIN, Perspectives tactiques, Paris, Editions Economica, 2003, p. 75.

[17] Maréchal LYAUTEY, Le Rôle social de l’officier, Paris, Editions Bartillat, 2003, p. 54.

[18] Pour une analyse approfondie, en particulier de l’impact du numérique, voir Monique DAGNAUD, Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux de la dérision à la subversion, Paris, Editions Les Presses de Sciences Po, coll. «Nouveaux Débats», 2011.

[19] Pour des raisons de surpoids, de niveau d'éducation in-suffisant, de passé criminel ou d'usage de stupéfiants, in Report «Unhealthy and unprepared - National security depends on promoting healthy lifestyles from an early age» du Council for a Strong America, Mission: Readiness, octobre 2018, p. 4.

[20] «En l’espace de trois ans, la vision des « jeunes » Français (15-24 ans) interrogés par la Commission européenne en France a nettement évolué sur la menace du terrorisme. Alors qu’en 2013, les jeunes considéraient le chômage et la situation économique comme étant les « problèmes les plus importants auxquels doit faire face la France » [...], en 2016, le terrorisme est désormais cité par près de la moitié des jeunes (43 %, contre 0 % de citations en 2013), juste derrière le chômage (46 %).» in Annuaire statistique de la défense. Analyses & références, Edition 2017, p. 12.

[21] «La violence de l’EI [...] pourrait être caractérisée par ce que Edmund BURKE a appelé "le sublime": une quête passionnée pour la "terreur délicieuse", le sens du pouvoir, de la destinée, la recherche d’absolu, d’inexprimable» in Scott ATRAN, L’Etat islamique est une révolution, Paris, Editions Les Liens qui Libèrent, 2016, p. 26.

[22] Une étude statistique menée par deux chercheurs du CNRS sur près de 7000 lycéens de classe de seconde, de toutes origines sociales et culturelles, et de toutes confessions religieuses, montre que 34% d'entre eux trouvent «acceptables dans certains cas de participer à une action violente pour défendre ses idées», in Olivier GALLAND et Anne MUXEL, La tentation radicale. Enquête auprès des lycéens, Paris, Editions Puf, 2018, p.428.

[23] «Pour combattre l’EI, [les puissances occidentales] avancent donc des solutions bancales[...][telle que] la promotion d’un islam modéré aussi séduisant aux yeux de jeunes assoiffés d’aventure, de gloire, d’idéaux et d’importance que ne l’est la promesse éternelle des centres commerciaux.», in Scott ATRAN, op.cit. p. 38.

[24] «L’histoire nous apprend que la plupart des sociétés culti-vent des valeurs sacrées pour lesquelles leurs peuples sont prêts à se battre [...]. Notre recherche le suggère: il en est souvent ainsi pour ceux qui rejoignent l’EI et pour de nombreux Kurdes [...], la recherche de confort et de sécurité ne paraît pas suffire à combler leur vie.» Scott ATRAN, op.cit. p. 90-91.

[25] Bénédicte CHERON, Le soldat méconnu. Les Français et leurs armées : état des lieux, Paris, Editions Armand Colin, 2018.[26] 84 % des français interrogés déclarent avoir une bonne image de leurs armées en 2017, in DICOD, les chiffres clés de la Défense 2018. [27] Après les attentats de Paris en 2015, un sondage auprès de la population américaine montrait que 60% soutenait une intervention de leur pays au sol en Syrie alors que 62% répondait qu’elle n’était pas prête à y participer personnellement, in David Barno and Nora Bensahel, The Deepest Obligation of Citizenship: Looking Beyond the Warrior Caste, 2018, War on the rocks.[28] Revue stratégique de défense et de sécurité nationale 2017, à propos des secteurs d’importance vitale, «une partie d’entre eux demeure insuffisamment protégée et sensibili-sée», op. cit., art. 176, p. 57.

[29] Ces deux pays sont directement cités in J.-B. Jeangène Vilmer, A. Escorcia, M. Guillaume, J. Herrera, Les Manipulations de l’information : un défi pour nos démocraties, rapport du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) du minis-tère de l’Europe et des Affaires étrangères et de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) du ministère des Armées, Paris, août 2018.

[30] «La cohésion nationale et la résilience [...] constituent le fondement de notre liberté d’action», in Revue stratégique de défense et de sécurité nationale2017, p. 56.

[31] Dans le cadre d’une stratégie globale, le lien n’est pas im-médiat entre succès tactiques et victoires stratégiques. Cette vérité générale est plus que jamais d’actualité, comme en té-moigne le Général de division Bruno GUIBERT, «A la lumière de Barkhane» in Le Casoar, n° 231, Octobre 2018, p. 41

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Titre : L’esprit guerrier: le renouvellement du rôle social de l’armée de Terre 2/3
Auteur(s) : le chef de bataillon Erwin BRUDER de l’Ecole de Guerre-Terre
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