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L’État Islamique, ou le djihad 2.0

Cahiers de la pensée mili-Terre n° 49
Histoire & stratégie
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Le chef de bataillon Stéphane Simon considère que, plus forte encore que ses combattants et ses conquêtes territoriales, la communication de l’organisation terroriste dite de l’Etat islamique, outrepassant celle d’al-Qaïda qu’elle ringardise, vise à imposer globalement un projet étatique parfaitement établi n’ayant ni plus ni moins pour objectif que de «changer et sauver le monde».


Plus forte encore que ses combattants et que ses conquêtes territoriales, la communication de l’organisation terroriste dite de l’État islamique, outrepassant celle d’al-Qaïda qu’elle ringardise, vise à imposer globalement un projet étatique parfaitement établi n’ayant ni plus ni moins pour objectif que de «changer et sauver le monde».

Cette organisation terroriste sunnite n’est pas la première à se revendiquer du Prophète et à pratiquer une forme d’Islam ultra-rigoriste sur fond de djihad violent envers les «mécréants». Pourtant, de par son pouvoir d’attraction sans équivalent auprès d’une part non négligeable (et préoccupante) de volontaires dans le monde entier, elle constitue une première dans le terrorisme à grande échelle, une «révolution».

 

Un véritable projet de construction étatique

 

·         Un proto-État islamique

 

Pierre-Jean Luizard[1] considère que, par son architecture, l’État islamique est bien un État en construction et «pourrait bien être le premier État salafiste à voir le jour». Il possède, il est vrai, les attributs propres à un État de droit avec un certain nombre de fonctions régaliennes. Dépourvue de pouvoir législatif puisque s’appuyant sur la loi coranique comme source de droit, l’organisation possède en revanche un pouvoir exécutif, incarné par Abou Bakr al-Baghdadi, calife auto-proclamé, et par des assemblées consultatives constituées de notables locaux. L’organisation islamique bat également sa propre monnaie[2] avec le «dinar or» depuis l’été 2015 pour asseoir sa légitimité étatique.

Sur la question des frontières, la définition d’État au sens du droit international strict[3] est quelque peu contrariée car le prétendu califat n’en a pas pour le moment. Tout du moins, pas d’arrêtées et encore moins de reconnues par la communauté internationale. Cela constitue donc une entité géographique hybride qui est en perpétuelle évolution.

 

·         Une stratégie bien éloignée de tout nihilisme

 

La mondialisation qui frappe de ses effets toutes les sociétés (culte de l’individu, de la réussite personnelle, globalisation, instrumentalisation des doctrines, attitudes sectaires, refus de tout impérialisme…) est un terreau propice pour l’E.I., qui «capte» une frange de la population ne trouvant plus sa place au sein de sa propre communauté ou au sein de la communauté majoritaire car n’y voyant plus aucune évidence sociale et religieuse[4]. Dans cette configuration, le néo-fondamentalisme correspond précisément aux phénomènes de globalisation contemporaine: déstructuration des sociétés traditionnelles, refondation de communautés imaginaires à partir de l’individu, le djihadisme apportant la dimension territoriale sur laquelle inscrire ses actions militaires, religieuses et, plus généralement, sociétales.

Scott Atran[5], s’appuyant sur les études menées par son équipe de recherche anthropologique auprès de jeunes de banlieues défavorisées de Paris, Londres et Barcelone, ainsi que dans des entretiens avec d’anciens membres de l’organisation terroriste, met en garde sur le fait qu’il faut traiter le phénomène Daesh et son application d’un Islam radical avec beaucoup de sérieux, car ce dernier cache un véritable projet de société qui n’a d’autre volonté que de «changer et sauver le monde», selon sa propre rhétorique. Le prétendu califat ne vise donc pas l’anéantissement du monde, mais bel et bien un nouvel ordre basé sur la culture d’aujourd’hui. Atran cite à ce sujet l’attaché de presse de l’E.I. à Raqqa, Abou Moussa: «Nous ne renvoyons pas les gens au temps des pigeons voyageurs mais, au contraire, profiterons des nouveaux développements dans la mesure où ils ne sont pas contraires à la religion». En cela, le projet de l’État islamique est donc plus «séduisant» que celui d’al-Qaïda, lequel n’a jamais signifié autre chose qu’un djihad contre l’Occident[6].

Cette quête d’identité sociale qui donnerait à leur vie, comme le dit Atran[7], «du sens et un destin glorieux», trouve un écho avec la «face noire de la globalisation». Les moyens de transmission «verticaux» traditionnels (écoles, lieux de cultes, parents) sont remplacés par de nouveaux vecteurs «horizontaux» (NTIC, littérature ciblée, etc.) qui permettent à chacun de forger sa propre religiosité, avec parfois les écarts extrêmes qui font le succès de l’organisation terroriste.

 

La stratégie de sa communication, vecteur de son idéologie

 

La communication de l’État islamique commence par l’autosuggestion qu’elle impose, d’abord localement, puis au monde et à l’ensemble des médias, en décidant de s’appeler tour à tour l’État islamique en Irak (2006), puis l’État islamique en Irak et au Levant (l’E.I.I.L.), qui donnera l’acronyme anglais ISIS et l’acronyme arabe DAECH, et enfin en 2014 l’État islamique (l’E.I.). Elle sous-tend qu’à travers les reprises dans les journaux, mais aussi par les hommes et femmes politiques, de son nom ou de son acronyme, l’organisation avalise tacitement auprès de ses détracteurs sa marque, son label et son existence même. Aujourd’hui, dans la presse anglophone, l’acronyme ISIS est unanimement employé pour désigner le groupe terroriste.

 

·         Un ouvrage de référence

 

Tirant sa stratégie d’un ouvrage intitulé Idaratu-t-tawahhuchi[8] (L’administration de la sauvagerie), commis en 2004 par un dénommé Abou Baker Naji et vraisemblablement initialement destiné à al-Qaïda, l’État islamique suit un plan orchestré en trois étapes distinctes censées lui permettre d’atteindre l’objectif absolu: le califat islamique.

 

  • La première étape consiste à semer le chaos et la terreur chez l’ennemi en son sol pour l’épuiser et le démoraliser, mais aussi indirectement démontrer son absence de foi en sa propre société et en ses valeurs.
  • La deuxième étape vise à remplir le vide créé par ce chaos en bâtissant un État où la population, régie selon les lois de la charia, a accès à des services publics tout en continuant à subir la terreur par l’E.I. avec notamment des exécutions publiques.
  • La troisième étape voit la finalisation du projet avec l’instauration du califat.

Les trois étapes ont été initiées avec anachronisme puisque le califat est déjà auto-proclamé, les régions contrôlées par l’E.I. le sont dans l’application de la deuxième étape et la première étape se poursuit avec de nombreux attentats commis partout dans le monde.

  • Une communication à 360 degrés misant sur la modernité

 

Pour lui permettre de jouir d’une armée de combattants dévoués, l’organisation terroriste s’est dotée d’une stratégie de communication qui base son attraction sur le califat et son mythe mobilisateur. Elle vise à permettre «l’extinction de la zone grise»[9], soit la matérialisation d’une zone où se trouvent la majorité des musulmans, entre le califat islamique d’un côté et le monde des infidèles de l’autre.

Elle a pour ce faire pleinement recours aux nouvelles technologies d’information et de communication (NTIC), et s’avère être d’une rare efficacité. S’appuyant notamment sur l’usage des réseaux sociaux, l’organisation terroriste «s’exporte» en 24 langues, produit 90.000 tweets et posts par jour émanant de 70.000 comptes Twitter ou Facebook et diffuse de nombreux communiqués écrits, audio ou vidéo.

Ringardisant, selon Romain Caillet[10], son concurrent illustre, al-Qaïda, qui utilise pourtant aussi les réseaux sociaux, mais d’une manière plus traditionnelle, l’E.I. souhaite séduire une population plus jeune et utilise tous les artifices de la communication moderne[11].

Dans sa communication audiovisuelle, il a recours à une approche visuelle accrocheuse, une mise en scène nerveuse, des techniques de montage vidéo issues du cinéma avec force effets spéciaux et bruitages. On pourra citer par exemple le film de propagande de 55 minutes «Flames of War» qui répond aux canons du film d’action hollywoodien (et de sa caricature), allant même à se voir précédé par un «teaser» sur Youtube, à la manière d’une sortie classique de films.

Le flot de propagande se matérialise également par voie de presse électronique qui s’appuie sur deux bureaux. Le premier s’appelle al-Furqan Media et existe depuis la création de l’État islamique (quand l’organisation s’appelait encore l’E.I.I.L.). Il a la charge de la plus grande part des contenus produits. Il existe néanmoins un deuxième vecteur, al-Hayat Media, destiné plus spécifiquement à la propagande à l’étranger. De ce bureau sont issues les publications récurrentes éditées dans toutes les langues, parmi lesquelles Dar-al-Islam en version française et le fameux et luxueux mensuel Dabiq à la maquette léchée (n’ayant rien à envier à un mensuel tel que Time Magazine), édité en anglais et d’où proviennent nombre d’informations exploitées et relayées par la presse internationale.

Le dernier vecteur de propagande est celui des flux vidéo qui inondent littéralement la sphère internet. Greg Miller, journaliste au Washington Post[12], dans un court reportage intitulé «Why the Islamic State propaganda is more important than its fighters» (Pourquoi la propagande de l’Etat islamique est plus importante que ses combattants), parle de plusieurs centaines de personnes de plus en plus qualifiées utilisant des caméras de tout type (caméscopes ou GoPro), des ordinateurs avec logiciels perfectionnés de montage vidéo et de création. Les volontaires pour rejoindre l’organisation terroriste prenant part à ce vecteur possèdent dans une grande majorité des compétences déjà avérées en la matière.

Miller poursuit en insistant sur l’influence incroyablement prégnante dont jouissent ces équipes sur le quotidien des combattants de l’E.I. en les obligeant (à la manière d’un réalisateur de films) à recommencer telle ou telle attitude jusqu’à ce qu’elle soit jugée satisfaisante et exempte de défaut d’énonciation, par exemple dans le cadre d’une adresse face caméra.

Il est utile d’insister sur le fait que le travail réalisé par ces «publicitaires» n’est depuis un certain temps plus du domaine de l’amateurisme, mais bien un travail professionnel qui nécessite parfois des semaines de post-production avant d’être rendu public.

Dans le même souci de donner une impression de sérieux et de professionnalisme, les vidéos nombreuses issues des vilayets[13] sont soumises à une volonté réelle de corporatisme avec l’instauration d’une charte graphique obéissant à des codes stricts.

On constate ainsi que la cinématique dispose des règles sommaires de mise en scène partagées par tous les bureaux d’information. Si l’on isole un échantillon donné, on peut observer des similitudes dans leur construction. De la présence systématique de la basmala[14] «bismi-l-llahi ar-Rahmani ar-Rahimi» en début de vidéo suivie du logo du bureau de l’information du vilayet, jouissant d’une animation 3D très élaborée, en passant par les ajouts de captations journalistiques étrangères, traduites ou non et mettant en lumière le sujet abordé, ou encore par la mise en scène des locuteurs et le recours récurrent à deux caméras (une de face et une de côté) pour rendre le montage plus dynamique, il n’y a peu de doute quant à la volonté de centralisation de la communication de l’organisation terroriste.

 

·         Des thématiques récurrentes

 

Dans ses revendications[15], parmi lesquelles celles revendiquant que l’Islam est pur et doit être défendu par l’épée, que les musulmans sont persécutés, qu’ils doivent quitter «la zone grise» et rejoindre le califat sous les ordres d’un leader unique (calife), qu’ils doivent convertir ou tuer les «apostats», mener le djihad pour entrer au paradis…, l’État islamique exprime par cette rhétorique une vision globale, planétaire, et ne se limite pas à une conquête territoriale. Cette vision constitue en cela une première dans le terrorisme à l’échelle mondiale. Il s’agit là d’un appel radical et international au soulèvement.

 

 

L’État islamique possède une stratégie particulièrement élaborée. Disposant d’un véritable projet de société à vocation planétaire et s’appuyant sur une communication moderne exploitant toutes les possibilités marketing imaginables, l’organisation propage un message qui permet tout à la fois de séduire, intimider, menacer, persuader et légitimer son action.

Son idéologie, abandonnant tout caractère ethnique et s’inscrivant dans les nouvelles pratiques d’un Islam globalisé[16], ne renvoie absolument plus à l’appartenance arabe. Celle-ci est occultée au bénéfice de la notion musulmane, la notion égalitariste de fraternité (les combattants sont tous des frères). Elle rappelle les propos de Khaled Kelkal, terroriste membre du groupe islamique armé (GIA) et principal instigateur des attentats de 1995 en France, abattu cette même année par les forces de l’ordre: «Je ne suis ni arabe, ni français, je suis musulman».

 

Officier semi-direct, le Chef de bataillon Stéphane SIMON choisit l’arme du génie. Après avoir commandé en 2010 sa compagnie au 31ème régiment du génie de Castelsarrasin, il sert ensuite à l’École du génie de 2012 à 2015 en qualité d’instructeur tactique. Lauréat du concours de l’École de guerre 2014, il suit avec succès un Master 1 en langue arabe à l’INALCO en 2015-16. Il est actuellement stagiaire École de guerre à l’étranger à l’École de commandement et d’état-major Fouad Chehab de Beyrouth au Liban.

 

 

[1] Dans l’article: http://www.lesinrocks.com/2015/02/23/actualite/pierre-jean-luizard-letat-islamique-pourrait-bien-etre-le-premier-etat-salafiste-voir-le-jour-11565285/

[2] Cf. le site Les échos.fr: http://www.lesechos.fr/18/11/2015/lesechos.fr/021488799359_l-etat-islamique-bat-sa-monnaie.htm

[3] Soit un État souverain délimité par des frontières territoriales établies, où s’appliquent ses lois sur une population permanente, et constitué d’institutions par lesquelles l’État exerce son autorité et son pouvoir effectif.

[4] Roy O., (2002), «L’Islam mondialisé», Paris, Seuil, 209 p.

[5] https://aeon.co/essays/why-isis-has-the-potential-to-be-a-world-altering-revolution

[6] Kepel G., (2015), «Jihad», Paris, Ed. Gallimard, Coll. Folio/Actuel, pp. 454-495.

[7] https://aeon.co/essays/why-isis-has-the-potential-to-be-a-world-altering-revolution

[8] Ab? Bakr N?j?, (2004), «Id?ratu-t-tawa??uši» (L’administration de la sauvagerie), Syrie, Centre d’études et de recherche islamiques, 113 p. Distribué pendant un temps sur Amazon, puis retiré de la vente. Se trouve facilement en format numérique pdf sur internet.

[9] Atran: https://aeon.co/essays/why-isis-has-the-potential-to-be-a-world-altering-revolution

[10] Romain Caillet est chercheur à l’Institut français du Proche-Orient et spécialiste du salafisme.

[11] Comme le montre la figure 2, l’affiche et le slogan: «Keep calm and say baqiya» traduisible par: «Reste calme et dis baqiya (l’E.I. restera)»:

http://religion.info/french/articles/article_653.shtml#.VwK8sI9OJyO

[12] Présence d’une vidéo où ce dernier s’exprime sur l’outil de propagande de l’E.I.: https://www.washingtonpost.com/world/national-security/inside-the-islamic-states-propaganda-machine/2015/11/20/051e997a-8ce6-11e5-acff-673ae92ddd2b_story.html

[13] Unité administrative, dans certains pays musulmans, notamment dans l'Empire ottoman (Larousse).

[14] La basmala (arabe ?????) est un mot en langue arabe qui représente tous les mots de la formule bismi Allah ar-Rahman ar-Rahim 1,2, «Au nom de Dieu clément et miséricordieux», notamment utilisée au commencement de chacune des sourates du Coran, à l'exception de la sourate IX3. Les premiers deux mots de cette phrase sont bismillah (arabe ??? ????), signifiant «Au nom de Dieu».

[15] http://icct.nl/wp-content/uploads/2015/06/ICCT-Schmid-Challenging-the-Narrative-of-the-Islamic-State-June2015.pdf

[16] Cf. le livre éponyme d’Olivier Roy, (2002), Paris, Seuil, 209 p.

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Titre : L’État Islamique, ou le djihad 2.0
Auteur(s) : le Chef de bataillon Stéphane SIMON
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