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L'étude des méthodes de Lyautey au Maroc. Quels enseignements pour l'AMO en 2018? 2/4

Revue militaire générale n°54
Histoire & stratégie
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Guidé par sa vision d’un Maroc autonome, Lyautey place au cœur de ses préoccupations la pratique d’une administration indirecte valorisant les personnalités locales et permettant l’établissement de leur légitimité. Il cherche ainsi à préserver à tous les échelons l’appareil administratif local, le Makhzen, sous l’autorité de son chef, le Sultan, dont la légitimité doit permettre à la fois l’adhésion des populations et l’établissement d’un système pérenne.


La logique permanente de responsabilisation des élites locales

Ce système de « l’association » s’oppose ainsi à la pratique habituelle de « l’assimilation » consistant à imposer aux populations locales le système administratif métropolitain. Lyautey note ainsi que « …le problème à résoudre […] à l’égard de ces fonctionnaires, c’est d’assurer leur prestige, leurs attributions traditionnelles et leur autorité  légitime,  […] avec le souci constant des intérêts de leurs administrés. »

 

Pour cela, Lyautey s’attache en particulier à redonner naissance à une élite politique et culturelle locale. Convaincu qu’il existe au Maroc, encore indépendant il y a peu, des «hommes de culture qui ont le sens et le goût des choses politiques», il va chercher à développer les talents et à les mettre au service du pays. Il responsabilise ainsi les chefs et cadres locaux, s’appuyant par exemple sur les caïds dans le sud marocain et sur les élites bourgeoises dans les villes du nord. Il s’attache aussi, pour consolider une haute administration discréditée par sa vénalité et ses abus de pouvoir, à former la génération montante : il crée des concours dans la fonction publique, fonde des collèges dans lesquels il ira chercher les meilleurs pour leur faire suivre un circuit de formation comprenant voyage d’études en France, instruction de qualité et pratique en situation de la haute administration. Si cette politique n’obtiendra pas d’effets à court terme, l’impulsion donnée par Lyautey sera poursuivie par ses successeurs (comme le montre la création d’une ENA marocaine par le maréchal Juin en 1948) et débouchera in fine sur de réels et durables succès.

 

Au-delà, c’est aussi la création et la formation d’une élite militaire marocaine qui est recherchée. En effet, si les troupes régulières et supplétives font preuve, au Maroc comme en France lors de la Première Guerre mondiale, de compétence et de bravoure, elles restent fortement encadrées par des officiers français. Les quelques officiers marocains y sont issus du rang, ce qui limite ispo facto leurs perspectives de carrière.

À l’inverse des modèles tunisiens et algériens dans lesquels les officiers indigènes restent cantonnés au grade de capitaine, Lyautey ambitionne d’offrir aux officiers marocains l’excellence militaire. C’est pourquoi il crée à Meknès l’école d’officiers de Dar el Baïda, en dépit des réticences du haut encadrement militaire français. Toujours active aujourd’hui, cette école fournira le creuset des forces armées royales à l’indépendance.

 

Du protectorat du Maroc à l’AMO contemporain

« L’expérience récente nous montre que le temps de la résolution des crises ne se mesure pas avec un chronomètre, mais avec un calendrier […] car l’objectif final est bien que ces pays prennent à leur compte le contrôle de leurs espaces. » Général Castres.

 

En dépit des différences de contexte séparant le conflit marocain des opérations actuelles, il n’en existe pas moins un véritable lien de filiation entre la méthode « Lyautey » et l’AMO contemporain en matière de défense des intérêts français hors du territoire métropolitain.

 

Un contexte opérationnel sensiblement distinct

Le statut du protectorat - particulièrement favorable à la manœuvre de Lyautey - présente plusieurs différences significatives avec les relations que la France entretient aujourd’hui avec ses partenaires. Le cadre du protectorat consistait à contrôler l’administration tout en confortant l’assise du pouvoir central en place. Ce statut suppose aussi que les droits de la France sur le pays concerné soient reconnus par la communauté internationale, ce qui était le cas à l’époque. Or, il est désormais évident que les Etats actuels, soutenus en cela par l’ONU, ne sont en aucun cas prêts à renoncer à leur souveraineté. La France ne peut donc mettre en place ses propres administrateurs et poursuivre ses objectifs stratégiques de manière aussi directe sans risquer de se voir immédiatement taxer d’ingérence ou de néo-colonialisme. Pour autant, un système étatique en construction doit pouvoir bâtir sa légitimité sur son efficience administrative, ce qui impose de ne pas négliger la formation des élites administratives locales. Or, si la coopération semble déjà bien représentée dans le domaine militaire, elle gagnerait à se voir renforcée dans toutes ses autres dimensions, via des partenariats avec les écoles françaises d’administration par exemple.

 

De plus, les voies et moyens consentis pour résoudre les crises actuelles diffèrent sensiblement de ceux utilisés au Maroc au début du XXe   siècle. Ainsi, les effectifs dont disposait Lyautey pour pacifier le Maroc apparaissent démesurés aujourd’hui : début 1914, 85 000 soldats des troupes coloniales tenaient le Maroc, soit bien plus que l’ensemble de l’actuelle force opérationnelle terrestre, qui n’en compte que 77 000 ! De surcroît, les sociétés occidentales contemporaines acceptent plus difficilement la mort de leurs soldats, notamment pour des conflits qu’elles estiment périphériques, et tout particulièrement dans le cadre d’incidents « Green on Blue ». Cela apparaît d’autant plus problématique que certains adversaires modernes particulièrement fanatisés (Daech notamment), ne peuvent être réintégrés dans les structures de leur État après quelques combats symboliques, comme les tribus marocaines l’étaient au sein du Makhzen.

 

Aussi est-il indispensable de tenir pleinement compte des différences opérationnelles notables entre le Maroc du début du XXe siècle et les théâtres actuels pour adapter de manière pertinente les méthodes de Lyautey à notre époque.

 

Un résident général doté d’une exceptionnelle liberté d’action

Lorsque Lyautey occupe sa fonction de résident général au Maroc, il jouit d’une position privilégiée, notamment du fait de l’exceptionnelle liberté d’action dont il dispose, accrue à la fois par le prestige considérable lié à sa personne et par les contingences du temps. Le choix de Lyautey comme résident général ne relève pas du hasard : les idées qu’il a développées dans Le rôle de l’officier colonial publié en 1905, correspondaient  avec la situation particulière du Maroc. De plus, le maréchal est conscient des nuisances induites par le décalage des perceptions et des méthodes entre une vision métropolitaine théorique et la réalité de la mise en œuvre sur le terrain. Il sait tirer parti des délais importants nécessaires à la transmission des consignes venues de la métropole. Il prend donc pour acquise l’autonomie dont il doit bénéficier pour mener à bien la mission qui lui a été confiée, en allant parfois aux limites de l’insubordination.

 

Or,  les technologies modernes en accélérant considérablement la communication, limitent désormais singulièrement l’autonomie du chef opératif vis-à-vis de la métropole. L’information circule si vite qu’un événement peut être connu de Paris avant que les autorités compétentes sur le territoire en soient averties. Pire encore, les moyens de communication et de contrôle les plus modernes permettent d’exercer le commandement et le contrôle des opérations à distance. Aussi, les autorités en métropole sont-elles souvent tentées de se substituer au niveau opératif, voire tactique. Cette évolution, séduisante à certains égards, fait peu de cas du rôle pourtant essentiel du chef de terrain et participe donc de la réduction de son autonomie et de ses prérogatives allant radicalement à l’encontre de la conception du commandement telle que Lyautey l’envisageait, tout particulièrement en matière de relations interpersonnelles  avec les partenaires locaux.

De plus, la France, marquée par son histoire en Algérie, envisage toujours avec suspicion l’implication de militaires dans des fonctions aux enjeux si politiquement sensibles. Lyautey s’était vu confier l’entière responsabilité du Protectorat et décidait à ce titre de l’emploi de la force comme de l’administration du territoire. Dans un souci de cohérence d’ensemble, il avait donc obtenu de Paris l’autorité à la fois sur les forces et sur l’administration qu’il recrutait d’ailleurs par un concours dédié. L’octroi d’un tel niveau de confiance, déjà exceptionnel pour l’époque, apparaît désormais illusoire : rarement en effet la formule de Cicéron, cedant arma togae, ne s’est imposée aux militaires français avec une telle force que depuis la grave crise de confiance civilo-militaire ayant résulté du putsch des généraux du 21 avril 1961 à Alger.

Il n’en demeure pas moins que l’expérience du Maroc démontre l’importance d’un échelon de cohérence globale chargé de coordonner les différents leviers civils et militaires et garantissant l’efficacité de l’action. Et de fait, l’absence de cette fonction qu’assumait jadis le résident général se fait aujourd’hui durement sentir en ce qu’elle entrave la concentration des effets des différentes aides dispensées par la France. Or, elle pourrait par exemple être confiée à un haut fonctionnaire civil proche de l’Elysée, doté d’une expérience unanimement reconnue en matière de relations internationales. Il est d’ailleurs à souligner qu’en vue d’assurer une véritable cohérence interministérielle, il se révèlerait sans doute indispensable que l’autorité conférée à ce haut fonctionnaire soit déléguée directement par le président de la République.

L’évolution de l’environnement politico-médiatique en un siècle semble avoir compliqué l’obtention de la liberté d’action multidimensionnelle dont Lyautey jouissait en tant que résident général au Maroc, qui demeure pourtant toujours aussi essentielle.

 

Une influence française indispensable mais contestée

Nonobstant les discours post-modernes souvent iréniques, la préservation de nos intérêts stratégiques justifie encore aujourd’hui la défense de l’influence française à l’étranger. En effet, elle se révèle toujours aussi indispensable, que ce soit pour bénéficier du soutien d’autres pays au sein des principales instances internationales, pour diversifier nos sources d’approvisionnement en matières premières stratégiques, pour ouvrir de nouveaux marchés de consommateurs pour les produits français, ou encore pour faire face aux nouvelles menaces transnationales, du terrorisme  djihadiste aux crises migratoires. Ce constat s’affirme avec d’autant plus d’acuité que bon nombre de pays cherchent aujourd’hui, de manière particulièrement volontariste, à étendre leur influence dans des zones où ils étaient traditionnellement absents.

 

En particulier, la France est attendue et légitime en Afrique et dans certaines parties du monde arabe où elle dispose d’une bonne capacité à comprendre et à influer. Héritage de son passé colonial, la France entretient des liens étroits avec de nombreux pays africains. Outre qu’il s’agit souvent de pays francophones, bon nombre de leurs cadres ont été formés en France et leur administration demeure en partie calquée sur le modèle français. De plus, les nombreuses interventions militaires françaises ont permis de marquer la capacité française à s’engager en soutien de ses alliés ainsi que sa crédibilité en matière opérationnelle. Les chefs d’Etats africains ne s’y trompent pas et l’ont d’ailleurs rappelé lors du discours d’ouverture du sommet Afrique-France le 13 janvier 2017, en affirmant unanimement que « la France reste un partenaire stratégique des pays africains en matière de sécurité ».

 

Dans un tel environnement stratégique, l’AMO s’affirme comme un complément indispensable de l’intervention. En effet, les opérations extérieures distinguent les actions de court terme visant le succès tactique rapide et des actions de temps long qui valorisent l’approche globale : les premières répondent à l’immédiateté du temps politique, tandis que les secondes relèvent davantage d’une approche stratégique. Or l’AMO, en renforçant les capacités régaliennes d’un État ami, facilite la prévention des crises puis permet le cas échéant d’accélérer et de pérenniser leur résolution. Il est également à noter que la mission d’AMO offre souvent des opportunités intéressantes en matière de coopération européenne, notamment dans le domaine de la formation comme en attestent les différentes missions EUTM par exemple.

L’AMO s’impose ainsi comme un outil particulièrement intéressant et adapté au contexte actuel, en vue de développer l’influence française à l’étranger en dépit des nouvelles contraintes qui pèsent désormais sur le chef militaire.

 

Un « esprit Lyautey » toujours d’actualité

« Le Résident général veille sur le prestige naissant de Moulay Youssef avec une sollicitude paternelle, en s’attachant à dissimuler  cette paternité, l’enfant devant être d’autant plus vigoureux qu’il apparaîtrait comme le fils d’Allah et de la tradition.»

 

Il y a au cœur de la pensée du maréchal Lyautey des notions dont la pertinence demeure tout à fait réelle en matière d’AMO, notamment en termes de connaissance du milieu, de positionnement vis-à-vis du partenaire et d’approche globale du conflit.

 

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Titre : L'étude des méthodes de Lyautey au Maroc. Quels enseignements pour l'AMO en 2018? 2/4
Auteur(s) : les chefs de bataillon BURTIN, de LASTOURS et THELLIER
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